Patiemment, elle attend de passer par l'étape maquillage. Elle n'est pas forcément friande du fait de laisser à d'autres le soin de toucher à son charmant minois, elle estime être tout à fait capable de se maquiller toute seule, et de faire au passage un meilleur travail que la plupart des tâcherons qui prétendent au poste, mais elle a bien compris que, dans le mannequinat comme dans la comédie, il faudrait qu'elle tolère que l'on retouche son précieux visage, si parfait soit-il.
Villanelle a du mal à se montrer patiente ou docile mais elle ronge son frein. Les tournages sont une des rares choses qui parviennent à la divertir dans cette nouvelle vie qui à ses yeux manque singulièrement de... tout. Manque de divertissement, manque de rebondissements, manque... d'Eve... C'est alors qu'elle l'a perdue que Villanelle réalise plus que jamais à quel point sa présence avait le don de combler tous les vides. Jamais elle n'éprouvait le moindre ennui, la moindre lassitude, quand Eve était là, ou juste quand elle pensait à elle. Elle ressentait, ça lui faisait du bien de ressentir. Là, quand elle pense à Eve, elle ressent, mais le sentiment n'est pas agréable. Une sensation de manque et de vide, le même qu'elle avait éprouvé après avoir cru l'avoir tuée, à Rome... Sauf que là, en plus, elle y est pour rien. Si c'est pas injuste, ça...
Oui, les tournages, quand on oublie l'attente maquillage, les exigences absurdes ou autre, ce n'est pas mal. Au moins, cela permet à Villanelle de porter des costumes, chose qu'elle adore, et de se glisser dans la peau d'un personnage qui n'est pas elle, chose qu'elle aime tout autant. Depuis plusieurs mois, maintenant, elle est l'un des personnages principaux (le personnage principal, selon elle, convaincue qu'elle est d'éclipser tous les autres) d'une série à pas si gros budget. Une série policière. Un crime différent à chaque étape, qui retrace au passage sous la forme de flash-backs le passé de la victime.
Les dialogues sont pas très bon, le scénario un peu moisi, mais ça l'occupe. Elle aime bien jouer les enquêtrices intrépides, et elle en a côtoyés assez pour savoir de qui s'inspirer au passage. La prochaine scène se tourne à la plage, elle va crever de chaud dans son uniforme de flic, mais peu importe... Assise sur sa chaise, elle poiraute, elle poiraute... Ils ont pris du retard sur à peu près tout, elle a sans doute un peu de temps avant qu'on ne vienne lui ravaler la façade.
Puis finalement, une femme vient s'asseoir sur la siège restée vacante jusqu'ici, elle aussi face à un miroir. Villanelle n'hésite pas à détailler la nouvelle venue dans le moindre détail. Très jolie, même canon. De très beaux cheveux. Il ne lui semble pas l'avoir croisée en tournage avant ce jour.
"Toi, t'es la victime, c'est ça ?" suggère Villanelle sans cesser de la dévisager, référence à son rôle dans la série, évidemment.
Après un peu plus de deux ans dans cette ville mystérieuse, j’avais décidé de me donner une chance et de relancer ma carrière d’actrice. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis que j’avais mis les pieds sur un plateau de tournage, et je m’ennuyais de ce sentiment, qui m’habitait lorsque je performais. J’avais toujours mon boulot au diner que j’adorais plus que tout, mais j’avais un réel besoin de me changer les idées, et quoi de mieux qu’un retour aux sources pour y arriver. J’avais passé quelques auditions, et voilà qu’on m’avait rappelé pour un petit rôle. C’était mieux que rien du tout. J’étais habitué à de grands rôles, mais ici, c’était différent. Je n’étais pas UNE grande actrice… Et puis, j’avais eu un peu d’aide, à l’époque, que je n’avais pas… Et je n’en voulais pas non plus. J’avais fait souffrir assez de personnes comme ça. Je voulais prouver que je pouvais gravir les échelons du cinéma par moi-même, sans mon pouvoir de persuasion.
La nuit dernière, je n’avais pratiquement pas fermé l’œil. J’étais si nerveuse. C’était mon tout premier contrat en tant qu’actrice ici, et même si je savais à quoi m’attendre, je ne savais pas en même temps. J’avais décroché un petit rôle, celui de la victime dans une série policière, qui devait résoudre une nouvelle affaire à chaque épisode. Ce n’était pas LA série. Loin de là, le script n’était pas très bien écrit, les dialogues entre les personnages étaient maigres de sens, mais ça payait bien.
Peu de temps après mon arrivée sur le plateau, j’ai fait un premier arrêt au maquillage. J’ai remercié l’assistante de plateau, avant de prendre place dans une chaise, face à un miroir. À mes côtés, une jeune femme y était déjà installée. Levant les yeux vers le miroir, mon regard s’est déposé sur le sien, et un léger sourire s’est dessiné sur mon visage. « Toi, t’es la victime, c’est ça ? » Je ne l’avais pas reconnu sur le champ, mais lorsqu’elle m’a interpelé, j’ai compris qu’il s’agissait de l’actrice principale, la policière en tête d’affiche. « Et toi, t’es celle qui résoudra ma mort? » Lui lançais-je, avant de laisser échapper un petit rire. « Allison. Je m’appelle Allison. » Terminais-je, par me présenter.
panic!attack
Invité
Jeu 2 Sep 2021 - 18:55
Silence, on tourne !
"J'ai suggéré de jouer les assassins, pour changer, mais les scénaristes n'avaient pas l'air emballés", répond Villanelle d'un ton plus blasé qu'humoristique, même si en l'occurrence, elle n'est pas vraiment sérieuse.
Même s'il y a tout de même un fond de vérité dans ce qu'elle affirme, car il est vrai qu'elle ne manque jamais la moindre occasion de faire l'une ou l'autre suggestion à son directeur, à son metteur en scène ou au scénariste. Si elle s'écoutait, son personnage, pourtant central dans la série, changerait de ton, de caractère, de backstory et d'humeur d'un épisode à l'autre, si ce n'est d'une scène à l'autre. C'est ainsi qu'elle le conçoit, voilà tout. C'est le désavantage des séries. Oui, ça lui offre de la notoriété et des revenus confortables, mais ça la cantonne à un même personnage pendant des jours et des heures, sans le moindre changement, et cela, Villanelle trouve cela positivement insupportable.
Et ce d'autant plus que l'ancienne tueuse à gages n'a franchement pas de sympathie pour le personnage qu'elle incarne. Elle la trouve trop lisse, trop idéale, trop... parfaite, mais d'une perfection terne, insignifiante. Elle n'est pas surprise qu'on l'ait choisie pour un premier rôle, elle se trouve bien assez belle et charismatique pour que ce choix soit évident, en revanche, son personnage manque de rage, de conflits, de passion... Elle n'est motivée que par un sens profond de la justice qui lui donne envie de bâiller aux corneilles, à s'en décrocher la mâchoire.
Oui, son personnage est nulle, et quelque part, elle envie les acteurs comme Allison Hargreeves qui n'ont pas un rôle récurrent mais qui vivent leur rôle durant tout le temps d'un épisode. Et souvent, quand on est un personnage qui doit se faire assassiner de manière horrible par un fou tordu, on a le droit à des scènes intenses pour étoffer le tout. C'est ça que voudrait Villanelle. Est-ce si compliqué que cela ?
Elle ne le pense honnêtement pas, et ça l'agace profondément... elle a bien envie parfois d'envoyer balader la série et de se renouveler, de faire tout autre chose. D'ailleurs, plus d'une fois, elle a suggéré que l'on tue son personnage, elle ne serait personnellement pas contre. Mais non, apparemment, vu que la série porte le nom de son personnage, ce serait... dommageable. Bah, dans le pire ils n'ont qu'à lui trouver une soeur cachée qui fera tout aussi bien le taf. Cela, au moins, aurait le mérite de changer un peu, ce serait plutôt sympa. Enfin, ça finira peut-être par arriver, parce qu'elle n'est clairement pas le genre d'actrice avec laquelle il est facile de travailler, vraiment pas.
"Tu m'en diras tant", répond-elle quand son interlocutrice se présente. Il y a de bonnes chances pour qu'elle ne retienne pas son nom, mais qu'importe. "Je suppose que je n'ai pas besoin de me présenter, pas vrai ?"