J’étais assis à ce bureau, ou plutôt… retenu en otage dans cette salle de consultation que je fuyais avec plus d’ardeur qu’un rat échappant à un navire en feu. Pourtant, ce jour-là, impossible de m’en extirper. La tyrannie des horaires et l’intransigeance de Cuddy avaient fait de moi un médecin enchaîné à cette corvée pathétique de consultations. Comme si ma précieuse expertise devait se perdre dans le banal exercice de diagnostiquer des rhumes ou de distribuer des prescriptions pour des douleurs imaginaires.
Je feuilletais distraitement un vieux numéro de Scientific American, jouant avec l’idée de glisser un somnifère dans mon café pour traverser cette journée en état d’hibernation moyennement éveillée. Le crissement d’un pas hésitant dans le couloir m’alerta. Une ombre, jeune et un peu fébrile, oscillait devant ma porte entrouverte. Il finit par se décider et poussa la porte, entrant dans la pièce avec une allure qui trahissait un mélange de curiosité et de malaise.
C’était un jeune homme, probablement dans la vingtaine, avec des traits tirés, mais une détermination voilée dans le regard. Je devinai que ce n’était pas un de ces hypocondriaques dévorés par l’angoisse de l’invisible. Il y avait chez lui une sorte de détachement qui, je l’admets, piqua ma curiosité.
« Vous avez pris un ticket pour le cirque ? Parce que vous avez l’air d’un spectateur perdu, » lançai-je en le fixant avec cette pointe d’arrogance qui m’allait si bien.
Je penchai la tête, feignant une patience factice.
« Allez, asseyez-vous. Inutile de faire durer le suspense. Ici, je suis à la fois le chirurgien, le bourreau et le clown. Ça vous évitera de vous évanouir debout. »
Je lui fis signe de s’installer sur le siège en face de moi, où tous les patiens ont tendance à se tenir un peu raides, comme des acteurs mal à l’aise dans un costume trop serré. Je l’observai un moment, notant chaque petit détail. Les cernes sous ses yeux, un souffle à peine perceptible lorsqu’il essayait de se redresser, et ce regard, à la fois dur et égaré.
« Alors, qu’est-ce qui vous amène ? Une démangeaison au pied, une phobie des étiquettes de vêtements ? Ou peut-être un traumatisme émotionnel causé par un désastre capillaire ? »
Les patients, souvent, hésitaient devant moi, craignant sans doute que je ne perçoive dans leur regard des vérités qu’ils ne voulaient pas révéler. Et ils avaient raison. Mais lui… il avait quelque chose de différent. Peut-être une résistance face à l’autorité ou une vieille blessure qu’il masquait mal. Je laissai mon ton s’adoucir, presque imperceptiblement, juste assez pour qu’il baisse ses défenses.
« Vous savez, la seule chose qui m’intéresse ici, c’est de résoudre ce qui cloche chez vous, » lançai-je, feignant l’indifférence tout en l’observant intensément. « Je ne suis pas là pour les chichis ou pour apaiser vos peurs existentielles. »
Il sembla enfin prêt à relâcher un peu de la tension. Mais pas d’une manière qui relèverait d’une faiblesse, plutôt comme s’il était prêt à entamer un duel verbal. Bien. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu de patient capable de m’offrir un peu de résistance. J’étais, à cet instant précis, une bête en chasse, reniflant les faiblesses de ma proie, prêt à la saisir au moindre faux pas.
« Allez-y, je vous écoute, » dis-je en tapotant la table d’un doigt impatient.
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PRETTYGIRL
Bad day || ft. Jay Lazhar
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