Daryl, à son arrivée en début d'année, eut du mal à croire qu'il n'avait plus à se méfier du moindre coin de rue, de peur qu'un mort ne l'agrippe mortellement. Il eut du mal aussi à se défaire de son arbalète, objet qu'il récupéra dans une armurerie de la ville à peine une semaine après son réveil. Il savait qu'il passait pour un fou, mais il avait toujours été un peu marginal, jugé un peu bizarre par ses voisins, et l'apocalypse n'avait rien enlevé à cet aspect-là, bien qu'elle l'avait rendu plus "normal", car tout le monde se fiait à lui, à ses talents de pisteur et de chasseur hors pair. Talents dont il n'avait plus besoin. Difficile pour ce rustre, habitué des grands espaces, de retrouver une vie civilisée. Il se sent en décalage et n'arrive pas à s'intégrer. Il trouve un job, peu représentatif de ses qualités, mais il lui suffit à payer de quoi manger quand il daigne se présenter à l'épicerie du coin, et à régler son paquet de cigarettes. Tous les jours, il se rend donc à l'hôpital pour bricoler, nettoyer, faire ce qu'on lui demande car c'est ce qu'on attend de lui derrière ce titre un peu pompeux d'agent d'entretien : il est un homme à tout faire. Mais ça lui convient. On ne lui parle pas trop, et on laisse tranquille. Il ne sait pas encore combien de temps il sera capable d'y rester, mais force est de constater que cela fait déjà plusieurs mois. Et puis, ce qui le fait tenir, c'est son havre de paix qu'il retrouve après le travail.
Daryl a choisi de vivre dans un chalet en bois, un peu vétuste de prime abord, mais qui lui suffit et qu'il tente d'améliorer depuis plusieurs mois. Il abrite une pièce à vivre qui fait office de cuisine et de salon, une petite salle d'eau, et une chambre. Un luxe pour celui qui a dormi dans les bois à même le sol un nombre incalculable de fois. Et puis, il y a l'électricité, cette invention bien pratique qu'il avait oubliée depuis presque quinze ans. Assis sur un tronc d'arbre qui lui sert de salon de jardin devant le chalet, il aiguise son couteau avant de gratter les pieds des champignons fraîchement cueillis, son arbalète toujours à ses pieds, comme avant. S'il fait l'effort d'aller à l'épicerie, il continue de vivre de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Hors de question de perdre ces habitudes-là, si jamais le virus zombie venait à frapper une nouvelle fois, il serait prêt, comme la dernière fois. Après tout, c'était bien arrivé une fois ; ça pouvait très bien se reproduire.
Il se redresse aussitôt quand il entend des pas venir dans sa direction. Un bruit de feuilles froissées et de branchages écrasés accompagnait ces pas. Au son de ces derniers, il reconnut leur propriétaire. Voilà bien deux âmes si différentes qui se sont retrouvées projetées dans une réalité qu'ils ne comprennent pas vraiment. Mais ils font avec, se soutiennent.
" Tu t'es perdue ? " lança-t-il, sans même se retourner à la jeune femme qui approchait, un léger rictus au coin des lèvres.
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