Tout ira bien. Moxxie se passait cette pensée en boucle alors que l'ascenseur montait vers le Cercle de l'Orgueil. La pièce était désert, et pour cause, dans quelques heures commenceraient ce que les locaux appelait
'le jour de l'Extermination'. Pendant vingt-quatre heures, les troupes d'exorcistes abattaient leurs angéliques courroux sur les pécheurs. Il fallait être fou pour mettre une patte dans ce Cercle pendant une journée pareille ! Moxxie n'était pas fou. Il obéissait juste à son père. Peut-être que certains estimeraient que cela revenait au même. En attendant, le jeune Imp, tout juste entré dans l'adolescence, tremblait en regardant le chiffre de l'ascenseur indiqué qu'il était presque arrivé à destination.
Tout en se triturant nerveusement les doigts, il passa mentalement en revue le plan de son père.
Tout ira bien. Il arriverait plusieurs heures avant le début de l'Extermination. C'était ce que son père avait prévu. Il trouverait les Veleno, passerait cette horrible journée avec eux, ce qui serait à la fois une marque de confiance
(c'est pour cela qu'il était si important que ce soit LUI, le fils du parrain qui y aille) et permettra d'entamer les négociations en coiffant au poteau les autres familles intéressées par un partenariat avec les Veleno
(parce qu'aucune des autres familles cherchant à entrer dans les bonnes grâces des Veleno ne serait assez folle pour le faire durant une Extermination). Tout ira bien. Il ne devait pas échouer. Son père avait lourdement insisté sur ce point. Tout le futur deal dépendait de lui. Alors il ne devait pas faire
'sa chochotte' comme le disait son père. Les anges ne s'en prenaient pas aux Imps, uniquement aux pécheurs. Moxxie avait avalé difficilement sa salive, se rappelant le journal télévisée passant en boucle les images de carnage, mais il avait néanmoins acquiescé docilement, ne voulant pas décevoir le paternel. Ce dernier lui adressa une ultime recommandation avant qu'il ne quitte son bureau.
"Oh, Mox, si tu pouvais en profiter pour sauver la mise de l'un d'entre eux, ça serait vraiment bon pour les affaires". Lorsque Moxxie avait essayé de protester, le regard de son père s'était durci, et le fils s'était ratatiné sur lui-même dans l'attente d'une gifle qui n'arriva pas. À la place, Crimson Knolastname lui dit
"Ne me fait pas honte" avant de le congédier d'un geste, comme on le ferait avec une vermine. Ce qui était, d'une certaine façon, pire qu'une gifle.
Il était supposé rejoindre le restaurant servant de point de rendez-vous plusieurs heures avant le début des
'hostilités'. Un premier sabot posé dans le Cercle de l'Orgueil l'informa assez rapidement qu'il s'était bercé d'illusions sur ce point. Un vent de panique régnait dans les rues de Pentagram City. Partout, les gens pillaient ou se barricadaient de toute urgence. Les lueurs rougeâtres de la lune renforçaient cette impression sinistre de cataclysme imminent. Moxxie manqua plusieurs fois de se faire renverser par des voitures quittant la ville en catastrophe. Les pécheurs à l'intérieur espéraient certainement augmenter leurs chances d'être épargnés en se terrant dans les bords du Cercle. Le jeune Imp l'espérait pour eux. Oui, il avait une pensée pour les fuyards qui avaient manqué de l'écraser. Il était ainsi. Trop doux, selon son père. Une faiblesse qu'il essayait de gommer le mieux possible, sans véritablement y parvenir.
Les douze coups annonçant minuit commencèrent à sonner. Tout le monde se figea, retenant sa respiration, Moxxie y comprit. Si le bruit était sinistre en soi, le plus terrible son que le jeune Imp n'ait jamais entendu provenait de l'Ambassade, visible quel que soit l'endroit où on se trouvait en ville. Une espèce de bruit sinistre d'un engrenage en mouvement retentit, alors que le compte à rebours sur la tour de l'Ambassade passa de
'un' à
'zéro'. Un sentiment d'urgence l'envahit alors que le jeune Imp observa le premier grain de sable du gigantesque sablier se trouvant juste en dessous tombé. Il commença à courir. Le restaurant était un point lointain au bout de la chaussée, mais il pouvait y arriver ! Tout ira bien ! Il pouvait le faire !
L'horloge sonna le dernier coup annonçant minuit. Ils étaient officiellement le jour de l'Extermination. La seconde suivante, une lumière dorée qui aurait dû être bienveillante éclaira le ciel nocturne pour déverser ses armées d'ange. Moxxie essaya de courir plus vite. Autour de lui, tout n'était que cris, bruits peu ragoûtants d'agonie et bruissements d'ailes frénétiques.
*Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps.* Moxxie répéta cette phrase en boucle comme un mantra protecteur. Devant lui, les personnes intérieures du restaurant plaçaient les ultimes planches pour barricader l'endroit.
"Attendez-moi !" Cria Moxxie en tendant la main devant lui. Au-dessus de lui, il entendit un battement d'ailes inquiétant.
*Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps.* Une exclamation aussi surprise que douloureuse retentit très près de lui à sa droite. Moxxie ne tourna pas la tête pour regarder. Il entendit un autre bruit de lutte, beaucoup plus proche sur sa gauche, clôturé par le bruit d'une lame qu'on enfonçait avec acharnement dans un corps.
*Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps. Les anges ne font pas de mal aux imps.* Une idée inquiètante perça le brouillard paniqué que représentait ses pensées :
Et si ce n'était pas le cas ? Que les imps n'étaient pas compris dans le sauf-conduit concernant les Hellborns ? Que son père le savait et l'avait conduit volontairement dans un traquenard ? Peut-être qu'il n'y avait pas de rendez-vous ? Peut-être que la famille Veleno n'existait même pas ! Il se concentra sur sa course en essayant d'étouffer ce flot de pensée, de même qu'il fit de son mieux pour chasser le début de larmes qui perçait au coin de ses yeux. Il préféra se dire qu'il paniquait pour rien.
"Attendez-moi ! Laissez-moi entrer, par pitié !" Espérer de la pitié en Enfer était déjà risible, mais l'espérer provenant de la pègre ? La panique lui faisait vraiment dire n'importe quoi !
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