And that's the art of the dress! (Ayame)

Bien qu'il restait un peu plus de trois mois avant l'anniversaire de mariage, Moxxie avait l'impression de s'y prendre à la dernière minute. Les autres années, cette journée si spéciale commençait déjà à être planifiées dans les moindres détails dès l'instant où le précédent anniversaire venait de se terminer. Ici, leurs noces de laine approchaient à grands pas et il n'avait rien ! Pas le moindre début de piste !

La faute a une année particulièrement chargée. Le groupe de Millie qui décollait enfin. L'opéra qui avait fait des 'restrictions', ce qui signifiait que le travail à effectuer restait le même avec moins de personnel et beaucoup plus d'épuisement pour le faire. Les missions IMP qui avaient repris. Les entraînements pour retrouver son ancien niveau de tir. L'année était en train de filer à toute vitesse entre ses doigts. Le diablotin avait l'impression et l'angoisse tenace qu'il allait se réveiller un beau matin et découvrir qu'on était le jour J sans que rien ne soit prêt. Ni cadeau, ni soirée spéciale. Lorsqu'il se réveillait de ce genre de cauchemar, il consultait le calendrier au moins cinq fois avant de soupirer de soulagement.

Peut-être se mettait-il inutilement la pression. Non, il n'y avait pas de 'peut-être'. C'était ça le pire. Moxxie avait parfaitement conscience de se mettre inutilement la pression. Il savait que, même si par malheur rien n'était prévu, sa chère et tendre Millie le lui pardonnerait. Qu'elle se contenterait du plus simple des anniversaires et du cadeau le plus modeste du moment que ce dernier venait du cœur. C'est ce qui lui donnait envie, justement, de redoubler d'efforts. Or, tous les exemples piochés sur le Net lui semblait horriblement banale.

Le blondinet serait sans doute moins nerveux si sa dernière tentative de dîner romantique n'avait pas ressembler à fiasco complet. Tout cela à cause d'une peluche ramassée dans la rue. Comment aurait-il pu deviner qu'il s'agissait d'un jouet possédé par une entité diabolique ? Si on ne pouvait même plus avoir confiance aux objets abandonnés dans une ruelle inquiétante en plein milieu de la nuit, un soir de pleine lune, où allait ce monde ? Bon... Résumé ainsi, peut-être qu'il y avait quelques indices qui auraient pu éveiller ses soupçons. Au final, tout s'était bien terminé, mais l'ombre de cet échec continuait de le hanter dès qu'il essayait de réfléchir au bon déroulement de ces fameuses noces de laine.

Après un certain temps à retourner le problème dans tous les sens, une seule solution s'imposait à lui. Il devait absolument exorciser cette désastreuse soirée ! Ce jour-là, il avait tenté d'apporter un petit bout d'opéra dans leur modeste appartement. Voilà sa première grosse erreur ! Peut-être pas aussi importante que de ramener involontairement une peluche possédée dans le dit appartement, mais pas loin derrière sur la liste des causes de son échec. Il devait revenir à son plan initial. De base, il avait voulu planifier la soirée directement à l'opéra, en secret, dans le somptueux décor de l'Acte 2. Il n'y avait renoncé à cause de petits problèmes de logistiques. Ce qui l'avait obligé à se retrancher vers son plan B. Cette fois, il s'en tiendrait au plan A et se jura de régler tous les problèmes pouvant s'y opposer au cours des trois petits mois restants.

La pièce en question et les décors avaient été remisés depuis une semaine, mais, de cela aussi il en faisait son affaire. Rien n'était jeté à l'opéra, tout était démantelé, transformé et récupéré. Le problème le plus important était les costumes. Il pouvait plus ou moins privatiser l'opéra, le temps de quelques heures, en rendant certains services à certaines personnes et piocher dans le décor pour reconstituer une scène digne de ce nom ne constituait pas le moindre problème pour lui. Les costumes, en revanche, ce serait une autre histoire.

Premièrement, les couturières de l'opéra étaient plus vigilantes que des dragons couvant leurs montagnes de pièces d'or. Même si le blondinet piochait dans des costumes qui n'avaient plus été utilisés depuis quatre ans, il avait la certitude que son petit coup d'éclat serait immédiatement repérée.
Deuxièmement, il était hors de question que sa Millie chérie porte une tenue qui n'aurait pas été spécialement conçue pour elle. Et il arrivait miraculeusement à étouffer ses insécurités (celles qui l'incitait à penser que le bas de gamme serait encore ce qui lui irait le mieux) pour se convaincre de l'idée de porter lui-même costume assorti. Ce qui signifierait que lui aussi mériterait du sur-mesure. Peut-être ? Non, pas peut-être... Certainement ? Enfin... Si ça ne gênait personne...

Savannah lui avait chaudement recommandé un certain magasin sur Racoon Square, alors qu'il avait timidement évoqué son idée de costume personnalisé. "Tu verras, c'est EXACTEMENT la personne qu'il te faut pour une soirée mémorable." Avait-elle insistée, en appuyant sa phrase d'un sourire et d'un mouvement de sourcils qui se voulait 'entendu', mais qui plongea Moxxie dans une certain perplexité, ne voyant pas où elle voulait en venir. Le diablotin balaya vite son incompréhension pour se concentrer sur l'essentiel. Il avait une adresse et son projet était sur le point de prendre enfin forme !

Sa belle motivation s'effrita un peu plus à chaque pas dans Racoon Square, pour finir par se transformer en doute angoissant au moment où il fallut franchir la porte la boutique de vêtement. Une porte en bois qui ne laissait rien entrevoir de ce qui se trouvait à l'intérieur. Sans parler de l'enseigne comportant le slogan "Le Coeur est roi, la confiance est reine" dont il ne savait honnêtement pas quoi penser. Moxxie sera un peu plus le carnet où il avait gribouillé ses idées. Après une minute d'hésitation, il prit une grande inspiration et fini par se décider à ouvrir la porte, presque en fermant les yeux de crainte. La porte franchie, il ouvrit timidement un œil avec une grimace craintive gravé sur son visage, avant de les ouvrir totalement avec un soupir de soulagement en constatant que le magasin avait tout d'une boutique de mercerie ordinaire.

Sa crainte initiale fondit en admirant les différentes pelotes de laine, les bobines de fil de toutes les couleurs et les quelques échantillons de tissus exposés. Moxxie s'était approché d'un des rouleaux de tissus à motifs floraux. "Oh, my Satan, c'est... Brodé ?" S'exclama-t-il, émerveillé. De loin, il avait cru qu'il s'agissait d'un imprimé ou de la peinture. "Magnifique." Laissa-t-il échappé à voix haute. Il n'y avait pas de prix visible. Cela valait peut-être mieux. Il n'osait pas imaginer le temps de travail qu'un tel ouvrage devait demander.

Moxxie s'était perdu dans la contemplation d'un motif floral, mettant temporairement ses angoisses au placard. Son admiration augmenta d'un cran en réalisant que les fleurs avaient été brodées et non peintes comme il l'avait soupçonné dans un premier temps. Le diablotin contempla le tissu avec une admiration nouvelle, tout en laissant s'échapper un commentaire.

Quelqu'un lui répondit. Moxxie sursauta en étouffant du mieux possible un glapissement de surprise, d'être ainsi ramené brusquement à la réalité. Il s'était tellement plongé dans son émerveillement silencieux, que, pendant quelques instants, il avait oublié où il se trouvait. "Ah... Non... Ce... Je ne voulais pas sous-entendre que... Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire." S'empressa-t-il de s'excuser auprès de celui qui s'annonçait comme le propriétaire du magasin. "D'ailleurs, votre boutique m'a été chaudement recommandée par Savannah. Je ne sais pas si vous vous souvenez d'elle ? Elle travaille à l'opéra." Moxxie avait dit cette phrase avec la même ferveur que s'il parlait d'une recommandation faite par une reine. Ce qui était quasiment pareil, à ses yeux, car il savait toute l'intransigeance des couturières de l'opéra. Il était tellement concentré sur ses excuses, qu'il n'avait pas encore fait attention au surnom que le couturier venait de lui donner.

Il se contenta de hocher légèrement la tête devant l'affirmation qu'il fallait faire les choses à fond, apportant sa timide approbation sur ce dernier point. Même s'il n'arrivait pas à le déclarer aussi ouvertement que son interlocuteur, il comptait aller à 'fond' dans son projet pour s'assurer que tout soit parfait. Sa plus grande crainte était de manquer de temps. Trois mois, lui semblait bien court. Moxxie savait comme le temps pouvait se montrer bien traître et s'écouler à toute vitesse précisément quand on avait le plus cruellement besoin.

Le propriétaire lui souhaita la bienvenue. Cette fois, Moxxie put clairement faire attention au surnom de 'petit écureuil' dont il fut affublé, ce qui provoqua chez lui une grimace d'incompréhension. Ce n'était pas la première fois qu'on le comparait à un animal. D'habitude, c'était plutôt avec un raton-laveur ou un opossum. Le coup de l'écureuil était une grande première. Il s'écarta avec un pas en arrière alors que son interlocuteur s'était servi de sa tête comme repose-coude. "Moxxie. Et je ne suis pas un écureuil. En réalité, je n'étais même pas un animal. Je suis un diablotin. Enfin, je l'étais... Plutôt... Avant d'arriver ici." Corrigea-t-il, tout en se présentant, du ton un peu sec et je-sais-tout qu'il employait d'ordinaire lorsqu'il voulait corriger son ancien boss sur un détail insignifiant (pour les autres, sauf pour lui, bien évidemment). Son instinct lui souffla que cette clarification n'allait rien changer et que ce nouveau surnom allait lui coller à la peau.

Par contre, il perdit toute sa hargne au moment où il fut question d'expliquer la raison l'ayant poussé à franchir le seuil de cette boutique. Moxxie parut gêné en entendant le terme prestigieux et tripota nerveusement son carnet de croquis. Pendant un très bref instant, il ne se sentit pas à sa place. S'il n'était pas question d'un cadeau pour Millie, il serait sans doute parti en bredouillant des excuses à peine audibles. Sauf qu'il était question de Millie. Ce n'était pas une question de 'était-il à sa place dans ce prestigieux commerce' ou de 'avait-il les moyens de payer tout cela ?'. L'amour de sa vie méritait le meilleur ! Alors, à la place de se ratatiner sur lui-même, le diablotin se redressa en rassemblant tout son courage. "C'est... J'ai entendu dire que vous faisiez des costumes sur mesure. Dans trois mois, nous fêtons notre anniversaire de mariage. Nos sept ans. Et, j'ai... Plus ou moins... Prévu une soirée privée à l'opéra. Ils nous faudrait des tenues assorties pour l'occasion." Sa belle assurance prit un coup dans l'aile au moment d'exposer un peu plus précisément son idée. "Alors... Je me suis dit que... Peut-être... Vous pourriez... Si vous vous sentez inspiré... Vous en chargez ?" Il présenta son carnet avec le même stress qu'un élève s'apprêtant à montrer sa dictée au professeur. Les premières pages montraient des découpages de plusieurs tenues d'opéra tandis que la dernière montrait un vague gribouillis assemblant les éléments qu'il préférait dans les tenues en question. Bien sûr, il s'était beaucoup plus appliqué dans celle pour Millie que pour la sienne.

Les yeux de Moxxie s'illuminèrent d'admiration en entendant le couturier parler du fait qu'il avait fait beaucoup beaucoup mieux que le tissu brodé. "Ma Millie mérite le meilleur." S'enthousiasma-t-il. "Je vous fais entièrement confiance." Ajouta-t-il, bien naïvement. Il n'allait pas tarder à regretter cette dernière phrase.