My jealousy, jealousy started following me — Moxxie

Aujourd'hui, l'atelier costume avait des airs de fournaise. Les fenêtres, ouvertes en grand, ne faisaient qu'entrer plus d'air chaud au lieu d'apporter une quelconque fraîcheur. A contrario, l'air soufflé par tous les climatiseurs portatifs qu'ils avaient pu brancher dans la pièce était beaucoup trop froid. Moxxie avait l'impression d'être un plat dont on avait raté la cuisson aux micro-ondes. Glacé jusqu'à la taille, et surchauffé sur tout le haut du corps. Le fait qu'il portait une imposante robe dans le style de la renaissance italienne ne l'aidait pas du tout à avoir moins chaud. Mais quel sacrifice n'était-il pas prêt à faire au nom de l'Art ? Des ajustements devaient être faits, la chanteuse devant porter la robe était absente et le diablotin avait la même taille. Il avait accepté le dépannage sans hésiter.

Moxxie essayait d'ignorer la chaleur et à rester le plus immobile possible. Il s'évertua à se concentrer sur un point fixe devant lui, et fronçait les sourcils comme si ce simple geste pouvait faire barrage afin d'empêcher les gouttes de sueurs perlant sur son front de couler sur le reste de sa figure et de potentiellement tombés sur le tissu de la robe. À un moment, le diablotin se permit de tourner le regard vers la fenêtre. La lumière déclinait doucement. Malheureusement, la chaleur du soleil semblait être remplacée par une certaine lourdeur moite appelant à l'orage. Ses sourcils se froncèrent un peu plus, d'inquiétude, cette fois-ci. Il espérait de tout son coeur qu'un orage surprise n'allait pas s'inviter au concert des First Souls in Heaven, ce soir.

Avec mille précautions inutiles, Moxxie profita que la couturière soit en plein épinglage du bas de la robe pour lever son bras et jeter un coup d'œil furtif à sa montre. En plus de l'heure, une petite icône sur le coin en haut à gauche de l'écran indiquait la météo. Il avait investi pour ce genre de modèle dès la reprise des missions pour IMP, qu'il avait truffé de détails inutiles qui lui semblaient pourtant vitaux d'avoir à portée de main en mission ou au quotidien. Il estimait sa nouvelle acquisition bien plus pratique que d'avoir ces mêmes applications sur un téléphone qui pouvait sonner au moment inopportun ou être facilement perdu. Oui, il s'était laissé convaincre par l'argumentaire d'un vendeur zélé qui avait su voir en lui le pigeon facile. La petite icône météo indiquait un soleil caché derrière des nuages et des températures restant hautes. Il ne put s'empêcher de laisser échapper un petit grognement soucieux.

Une piqûre d'aiguille au niveau du mollet le rappela à l'ordre.
"J'ai bientôt fini, un peu de patience." Commenta la couturière.
"Oh... Ce n'est pas... Désolé, je ne voulais pas donner l'impression que je m'ennuie. Pas du tout." Bredouilla Moxxie en se redressant précipitamment. Il se força à regarder fixement devant lui et le reste de l'essayage se passa dans un silence studieux, non sans quelques nouvelles piqûres d'aiguilles (involontaires, celle-ci). La couturière se détendit et devint plus bien aimable dès l'instant où elle eut la certitude de finir à temps les ajustements, sans que l'ombre d'heures supplémentaires non-rémunérées menace de pointer le bout de son nez dans son travail. Costume modifié et rangé, Moxxie vida une bouteille d'eau tout en discutant du travail en cours avec la dame aux doigts de fées. Lorsque cette dernière glissa la rumeur que le directeur allait lancer une nouvelle vague de recrutement pour les 'petits mains', Moxxie lâcha un "Oh... Vraiment ?" Qu'il imaginait détendu et nonchalant, alors que, en réalité, cette rumeur traîna dans un coin de sa tête pendant tout le chemin de retour, vampirisant un peu plus ses pensées dans une longue liste d'argument qui pourrait se baptiser 'pour ou contre en parler à Millie'.

Sa liste d'arguments vola en éclats dès son retour à l'appartement. Millie lui sauta dans les bras en exprimant sa joie de le voir rentrer à temps pour qu'ils partent ensemble au concert. Moxxie renonça à son projet de lui faire part de la rumeur pour l'opéra. Même si leurs proximités constantes lui manquait énormément, il ne pouvait pas, ne serait-ce qu'oser suggérer, que sa belle fasse une croix sur quelque chose qui la rendait aussi heureuse pour travailler avec lui là-bas. Il s'était juré de tirer les leçons du Camp d'été. Ce n'était pas toujours facile, surtout lorsqu'il parcourait la section commentaire de certaines photos du groupe, ou que ses insécurités le poussait à espionner certaines répétitions, mais il suffisait d'un mot ou d'un geste de Millie pour le remettre sur les rails du bon sens.

Il se dépêcha de se changer, enfilant sa panoplie du parfait fan du groupe. Les bracelets des précédents événements s'accumulaient sur son poignet droit, tandis qu'il portait des accessoires qu'il avait lui-même commandé en attendant que le groupe ait enfin son propre merchandising officiel : une casquette avec le 'fsih' brodé dessus accompagné d'un dessin simplifié de batterie pour clairement montrer QUI il soutenait dans le groupe, un sac banane autour de la taille et un bracelet éponge à son poignet gauche portant la même inscription, avec pour finir un T-shirt noir avec le dessin tiré d'une des affiches de concert imprimé dessus. À cela s'ajoutèrent les autres accessoires indispensables pour survivre à un concert en été : des lunettes de soleil, des chaussures épaisses indispensable pour assurer au moins la survie de ses pieds en cas de pogo sauvage et une gourde d'eau accrochée à sa ceinture.

Le couple se rendit au Frutti Music Bar, mains dans la mains, parlant des chansons qui seront joués. Moxxie glissa timidement quelques suggestions. Bien sûr, les chansons qu'il proposait avaient toutes en commun d'avoir un solo de batterie plus long que les autres choix. Même si le terme solo n'était plus vraiment d'actualité depuis quelques mois où le dernier titulaire en date osait parasiter les solos de Millie avec sa guitare. 'Politesse' que sa chérie n'hésitait pas à lui rendre durant les supposés solos de l'autre. Le diablotin devait bien admettre (contraint et forcé) que ces duels permettaient au groupe de se démarquer. Il voulait bien l'admettre, mais, jamais à voix haute. Tout comme il n'était pas prêt d'arrêter la croisade sur les forums de discussions qu'il menait sous le pseudo 'shyimp' contre ceux osant parler d'alchimie entre les deux musiciens participant à ces duels. Dire que certains osaient sous-entendre que les mains tendues aux petits doigts enlacés qu'on voyait sur la page de sa femme étaient les mains de sa Millie et de ce Adam... Alors qu'il s'agissait de la sienne ! C'était évident, non ? Ils n'avaient clairement pas le même gabarit !

Après un ultime baiser passionné, Moxxie laissa sa femme rejoindre l'arrière de la scène pour se préparer. Il alla s'installer auprès des fans les plus motivés, décidés à attendre plusieurs heures avant le début du spectacle pour être certain d'avoir des places au premier rang. Le concert se déroula sans problème. En-dehors d'une seule chose ! Le diablotin avait sous-estimé la chaleur et sa gourde d'eau était déjà vide après seulement trois chansons. Une chanson sans rien boire lui fit réaliser qu'il ne tiendra pas le reste du concert à sec. Profitant d'un intermède, le blondinet se glissa tant bien que mal hors de la foule, s'imaginant avoir le temps de faire le plein d'h2o avant la reprise. Deuxième erreur. Il n'était pas le seul à avoir eu cette idée. Il étouffa une plainte désespérée en voyant le bar pris d'assaut. En plus, il n'avait aucune garantie que le barman accepte de remplir sa gourde d'eau. Ne serait-ce pas peu orthodoxe de faire une demande pareille ? C'étaient les consommations qui permettaient au bar de survivre et proposer autant de concerts. Peut-être valait-il mieux prendre un cocktail ?

Le temps d'attendre le bar et une nouvelle chanson commença. Moxxie reconnut les premières percussions de batterie annonçant la reprise de 'We are no Saints'. "Oh Satan..." Marmonna-t-il, soudain pousser par un sentiment d'urgence. Il commanda un cocktail du nom de Virgin Mary dont le ton rouge lui rappelait la couleur de sa peau en tant que diablotin. Il avait hésité en apprenant la composition épicée de la recette, avant de finalement faire confiance au barman qui lui déclara que, justement, il fallait prendre ce genre de boisson par un temps pareil. Dès la première gorgée, il sentit les larmes lui monter aux yeux, ce qui ne l'empêcha pas de vider rapidement son verre, le poser au bar et se ruer vers la foule. La chanson en était au premier refrain, il devait retourner à sa place le plus vite possible avant le solo de batterie !

"Crumbs ! Pardon !" S'excusa-t-il en bousculant quelqu'un par mégarde. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur en constatant que la dame avait un verre en main. "Oh... Je suis terriblement désolé. Vous n'avez rien ?" Sa main sortait déjà une serviette en papier de son précieux sac banane, et soupira de soulagement en constatant que rien n'avait été renversé. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer de s'excuser. "Vraiment. Désolé. C'est entièrement de ma faute. J'étais tellement pressé de..." Il eut un petit mouvement en direction de la foule. "Je ne regardais pas où j'allais."

Sa litanie d'excuse fut interrompue lorsqu'il fut qualifié de 'fan chelou espionnant les répétitions'. Moxxie croisa les bras comme pour cacher l'inscription sur son t-shirt. "Je ne suis pas un fan chelou ! Je suis le..." Il s'interrompit dans une phrase qui aurait pu clarifier pas mal de chose. Soudain soucieux, il inspecta rapidement sa tenue. "C'est... C'est vraiment l'impression que je donne ?" S'inquiéta-t-il. Il avait soudain peur de faire honte à Millie en se montrant trop extrême dans son soutien incontesté. Avec un temps de retard, il prit conscience d'un autre détail. "Attendez... Comment vous êtes au courant pour les répétitions ?" À son tour, il inspecta rapidement l'autre personne. Son visage s'éclaira sous le coup d'une illumination. "Ooooohhh, mais... Vous ne seriez-pas l'enemy to lovers du guitariste ?" Sur certaines répétitions, il avait remarqué ne pas être la seule personne à espionner de loin le groupe. Ce qui l'avait un peu rassuré dans son initiative. Bien sûr, l'esprit romanesque du diablotin avait tôt fait d'inventer toute une histoire à base d'amour contrarié, voir impossible, pour expliquer cette deuxième présence. Une théorie farfelue qui avait été étayée par l'absence de la dame aux concerts. En-tout-cas, il ne l'avait jamais vu aux premiers rangs où lui-même essayait toujours de se trouver. "Vous avez sauté le pas finalement ?" Enchaîna-t-il, semblant ravi qu'elle ait trouvé le courage (selon lui) d'enfin assister à un concert. "Mais que faites-vous aussi loin de la scène ? Venez !" Il s'était proposé tout naturellement d'aider l'autre à s'approcher. Il fallait bien s'entraider entre fans, pas vrai ?  

Et, là, Moxxie fit une erreur qui pouvait potentiellement lui être fatale : il saisit le poignet de Lute pour l'inviter à le suivre.

Pendant ce temps, le solo de batterie retentit, rapidement 'contaminé' (du point de vue de Moxxie) par les accords aigus d'une guitare tentant d'en couvrir les notes.

Moxxie reconnut les percussions de batterie de sa chérie. Oh non, il allait rater son solo ! Son regard passa sans cesse entre la scène et la personne qu'il avait malencontreusement bousculée, les lèvres tordues en une grimace d'hésitation qui témoignait de sa lutte intérieure entre courir pour récupérer sa place au premier rang ou rajouter une nouvelle couche d'excuse envers l'inconnue.

Des accords tonitruants d'une guitare perturbèrent autant la chanson que ses pensées. Un râle agacé s'échappa des lèvres du diablotin et il se détourna un bref instant pour fusiller la scène (en particulier le guitariste responsable) du regard, comme à chaque fois que ce genre de chose se produisait. Beaucoup trop souvent à son goût. Le diablotin avait beau se dire que ces duels donnaient une espère de 'marque de fabrique' au groupe, un petit truc unique, il y avait une frontière très net entre 'accepter l'argument' et 'l'accueillir avec joie à chaque fois qu'il se produisait'. Pas qu'il n'était pas du tout prêt à franchir. Il n'eut pas le temps d'exprimer à voix haute cette désapprobation, puisqu'il fut traité de fan chelou. Un commentaire rude qui l'obligea à se tourner de nouveau vers son interlocutrice pour se défendre. Moxxie croisa les bras pour cacher vaguement l'inscription sur son t-shirt. D'ordinaire, il était assez fier de son merchandising fait maison. Mais, avec la remarque reçue, il s'inquiéta soudain de l'image qu'il pouvait donner, surtout parce que cela pouvait avoir un impact négatif envers sa Millie. Le diablotin se crispa, malgré lui, alors qu'il était jugé du regard. Une sensation à laquelle il avait dû faire face pendant toute son enfance et qu'il ne s'attendait certainement pas à retrouver ici, dans ses conditions.

Un rayon de soleil finit par percer les nuages de cette situation embarrassante lorsque Moxxie finit par reconnaître la personne en face de lui. C'était l'autre personne qui espionnait également les répétitions ! Bien sûr, le diablotin avait rapidement spéculé sur l'identité de cette inconnue. Elle semblait être là pour le guitariste ? Mais pourquoi jouer les timides ? Cela ne semblait pas correspondre au caractère de la demoiselle. Caractère qui venait de se confirmer dans ce bref échange. L'histoire d'un ennemy to lovers était la seule explication logique qui lui était venue à l'esprit. Son esprit désespérément romantique imagina aussitôt qu'il s'agissait de deux ennemis mortels dans leur monde d'origine, obligés de se côtoyer depuis la lune rouge et privé de leurs repaires, les barrières entourant leurs coeurs froids tombaient petit à petit pour... À ce stade, son imagination entrait toujours en confrontation avec la réalité, à savoir le caractère insupportable de cet Adam, qui ne collait pas du tout avec ce scénario. Malgré tout, Moxxie aimait beaucoup cette théorie. Au point de l'exprimer à voix haute en reconnaissant finalement Lute.

"D'accord, d'accord !" Réagit-il en guise de réponse, légèrement déçu que sa théorie parte aussi rapidement en fumée, mais aussi curieux d'en savoir plus. Elle ne poursuivit pas. Etait-elle gênée ? Ou incapable de mettre un mot sur ce lien ? Soudainement, la demoiselle lui semblait beaucoup plus sympathique. Même s'il s'était trompé dans ses spéculations concernant l'histoire sous-jacente entre ces deux-là, cela ne changea pas qu'elle avait enfin 'sauter le pas' en venant à un concert ! La seule question qui lui vint à l'esprit était : pourquoi se trouvait-elle aussi loin de la scène ? "Vous êtes arrivé trop tard pour avoir une bonne place ? Suivez-moi, je vais..." Moxxie fit alors une grave erreur : agripper le poignet de la demoiselle pour la guider en direction de la scène. Sans vouloir se vanter, il commençait à devenir un expert quand il s'agissait de se frayer un chemin à travers la foule. La seconde suivante, il se retrouva à terre, étouffant un gémissement au moment précis où son dos percuta le sol, vidant l'air de ses poumons par la même occasion. Moxxie resta un instant dans cette position, comme si son cerveau se repassait la scène à l'envers dans l'espoir de comprendre ce qu'il venait de se passer.

"Mais je ne les espionnais pas... Je..." Commença-t-il, en se redressant sur ses coudes, grimaçant encore du choc. Il s'arrêta, conscient qu'il n'avait aucun argument en sa faveur. "D'accord... Ça POURRAIT être interprété de cette façon." Admit-il à contrecœur. Un sursaut d'orgueil le poussa à bomber le torse en finissant de se relever. "Il se trouve que j'ai une excellente raison de le faire." Déclara-t-il avec le plus grand sérieux, en essayant de s'épousseter dans un semblant de dignité. Restant de dignité qui n'allait pas faire long feu s'il avouait espionner pour s'assurer qu'un certain guitariste garderait ses mains loin de sa femme. Non, il ne pouvait pas dire cela. Cela reviendrait à dire qu'il ne faisait pas confiance à Millie de se défendre toute seule, ou, pire, douter de son amour. Quelque chose d'encore plus inconcevable ! Par contre, mettre en doute sa propre valeur était un exercice bien plus facile qui lui venait ponctuellement à l'esprit sans qu'il ne puisse le contrôler. Il ne doutait pas de l'amour de sa Millie, il craignait seulement qu'elle rencontre bien mieux que lui. "Je le faisais pour... Euh... M'assurer de quelque chose..." Répondit-il, hésitant, pliant l'index qu'il avait fièrement levé avant de répondre, le regard fuyant. Il se força à se concentrer sur son interlocutrice, essayant de la juger du regard comme elle l'avait fait quelques instants plus tôt. "Et vous, quel est votre excuse ?" Questionna-t-il, soupçonneux. "Qui me dit que ce n'est pas vous, la fan chelou, de nous deux ?" Il eut un demi-sourire victorieux, comme un détective en herbe ayant découvert ce que faisait le colonel Moutarde dans la cuisine avec le chandelier. Il voulut appuyer la fin de sa phrase en poussant un index accusateur sur le sternum de la demoiselle, mais un sursaut d'instinct de survie l'empêcha d'aller au bout de son geste, se contentant de la pointée du doigt.