Late night crisis

Après avoir parlé avec Jack de ce que ça représentait pour lui d’embrasser quelqu’un – une question qui me pesait lourd sur la conscience depuis ma rencontre avec toi – disons que j’ai passé plusieurs nuits sans dormir. Sans dormir à cause de l’horreur de ce que ça représentait. Oh! Il m’a présenté ça le plus simplement du monde, avec ses idées rose bonbon papillon (je l’aime, mais il abuse quand même avec son petit copain). C’est clair en l’entendant parler qu’il n’a pas du tout la même expérience de vie que moi – il est évident que personne ne l’a forcé de faire quoi que ce soit dans sa vie, au fond, rien qu’il ne voulait pas.

Mais je conçois que pour la plupart des gens, sa représentation d’un baiser et ce qu’il veut dire, c’est sûrement ce que ça veut dire pour eux aussi. Un baiser; signe d’affection profonde (non, d’amour, me répète en hurlant en boucle mon troisième état de conscience), j’avais raison sur un fait, pour les humains, un baiser, c’est comme une drogue qui mène inévitablement à plus et je suis content, au fond, qu’on se soit arrêtés là où on était. C’est que je te vois d’une certaine manière, que je me vois d’une certaine manière…

Mais je doute.

Je doute parce que c’est agréable, c’est vrai. Un baiser, même volé, ça peut être agréable, même s’il vous donne la nausée dans ses implications. Et ça, c’est assez terrible, en fait. Et si tu n’as pas fait mine de m’embrasser encore (heureusement), il reste qu’il existe d’autres formes de toucher qui relèvent d’une certaine affection. Que j’aime! Horreur! Qu’on me tapote la tête (non; que tu me tapotes la tête, me dit mon cinquième état de conscience avant de se faire noyer à nouveau par le troisième) me donne envie qu’on joue dans mes cheveux. Oui; sûrement qu’au lieu de me retrouver sous forme humaine, c’est en chat que j’aurais dû m’incarner… ce qui est plutôt ironique puisque toi, le lion, tu te sens mieux en humain.

Mais quand même, un chat, ça peut demander des câlins et des gratouilles sans qu’on se pose de questions, sans se remettre en question. Dès qu’y’a plus envie ça te bouffe la main et c’est normal, et en plus, tu te fais nourrir deux fois par jour sans avoir à travailler! Ah, ma vie serait bien plus facile si j’étais un chat. Enfin, rien ne m’empêche d’en prendre la forme, bien sûr, mais là n’est pas la question. Je ne suis pas un chat et, surtout, je manque de sommeil parce que l’idée se retourne dans ma tête : tu m’as embrassé. Et selon Jack, ça veut dire que tu m’aimes. J’ai mes doutes, quand même – ou peut-être est-ce que tu souffres d’un syndrome que les humains appellent le coup de foudre. En même temps, je ne pourrais pas trop t’en vouloir, c’est vrai que je suis chic type.

Mais il est temps pour moi de prendre les choses en main. Vivre de caféine, ça va pour deux jours, mais pas cinq. Et tant pis s’il est minuit passé, j'ai des choses sur le cœur et des inquiétudes en tête, alors je lève (oui, j’étais dans mon lit), je m’étire comme si ça allait faire disparaitre les cernes sous mes yeux, et puis je m’habille. Vu l’heure, c’est le sweatpant et le t-shirt qui gagnent, ce qui au final n’est pas très différent du confort offert par mon pyjama. Et puis, je me dis que je ne suis pas là pour te faire un défilé de mode (de toute, en mode, tu t’y connais mieux que moi). J’hésite; je vole jusque chez toi (mais c’est loin et je suis fatigué) ou est-ce que je prends le bus?

Le bus gagne. Je baye aux corneilles tout le long du transit, je marche les quelques coins de rue qui me mènent heureusement chez toi du premier coup (putains de rues qui bougent aussi) et j’entre mon code dans le petit pad sur la porte arrière, parce que j’ai pris l’habitude de ne pas passer par en avant (en avant c’est pour al famille et les invités, et je ne suis ni l’un, ni l’autre après tout). Je pique vers la cuisine; sur le four, ça dit qu’il est une heure du matin, si ça se trouve, tu dors. Ou pas, on est un vendredi soir après tout. Un instant de panique me prend alors que je considère la trop réelle possibilité que tu ne sois pas chez toi – un simple texto avant de partir aurait pu régler le cas, mais je n’étais pas dans le bon état d’esprit pour y penser.

Heureusement pour moi, il y a des lumières d’allumées dans ta maison et il me suffit de les suivre pour te trouver, non pas en train de dormir, mais plutôt en train de travailler sur un projet. « Scar » que je dis en me défonçant l’épaule dans le cadre de porte tellement je tourne l’angle pour entrer dans la pièce rapidement, le toc toc toc de pas bien décidés (mais pas très droits ou réguliers) résonnant dans la pièce alors que, mort de fatigue, je me pose devant toi avec le plus sérieux du monde pour te dire : « Scar, il faut que tu saches que je ne t’aime pas »

J’avais cru que ce serait suffisant pour que je me sente mieux. Que ça enlèverait le poids sur mes épaules, le nœud dans mon estomac, mais sur le coup, ça me fait presque l’impression du contraire. Le tout n’est pas aidé par mon septième état de conscience qui me souffle mais est-ce même vrai ?

Parce qu’au fond, c’est ça, la vraie terreur. Qu’est-ce qui est le pire, d’aimer, ou d’être aimé?

Si j’en suis vraiment sûr? Ce dont je suis sûr, c’est que je veux efface ce sourire amusé de sur ton visage. Enfin, ça, ce serait ce que je voudrais faire si j’étais rancunier, mais bon, c’est pas parce que moi j’ai choisir de perdre du sommeil sur le sujet, qu’il est obligé d’être important pour toi aussi. « Oui » dis-je simplement en m’approchant de ton bureau, peut-être pas le oui le plus confiant de l’histoire de l’humanité, mais un oui tout de même alors qu’un demi-sourire s’affiche sur mes lèvres. Me voilà qui pousse quelques papiers et autres babioles du coin de ton bureau, là où ne sont pas les choses sur lesquelles tu travailles; le geste a un quelque chose de désinvolte dans sa parade, et pourtant il est évident pour qui sait regarder que je fais mon possible pour ne rien briser ou emmêler. Ce qui est, quand même, plus de considération que ce que je donne aux babioles de la plupart des gens. Mais bon, j’ai quand même appris que c’était mieux de ne pas te fâcher, à force.

« J’suis sûr » que je continue, me donnant une petite impulsion pour m’asseoir dans l’espace stratégique que je viens de libérer. « Ça fait plusieurs jours que j’y pense. » ma tête dodeline vers le côté, ma fatigue évidente boursoufflant mes traits alors qu’une moue se dessine sur mes lèvres. « Je suis content que tu le prennes aussi bien, j’étais… préoccupé » que j’avoue finalement, attrapant un stylo pour le faire cliqueter encore et encore et encore, le bruit emplissant l’espace autrefois silencieux de ton bureau de travail. Et s’il y a quelques considérations que je porte sur le fait que ça n’a l’air de vraiment rien te faire, à tout le moins je les chasse assez rapidement d’un sourire charmeur.

« Et toi » dis-je, mon pied venant frôler le côté de ta jambe comme on utiliserait sa main pour tapoter l’épaule d’un ami – il faut dire qu’à travers tout ça, et à cause de ma grande fatigue sûrement, je ne remarquais peut-être pas à quel point je me mettais en position de vulnérabilité devant toi, à quel point j’en avouais sur mes tourments récents sans même avoir à les énoncer à voix haute et claire. Non, sans même douter de ma subtilité, je dis en observant ton travail comme s’il avait une quelconque importance pour moi en ce moment : « Qu’est-ce qui te garde éveillé ce soir? En dehors de ma superbe présence ponctuelle » que j’ajoute, un sourire satisfait étirant mes lippes.

« Ouais, dit comme ça, je ne suis pas vite à la détente » dis-je ne riant, pas du tout offusqué même si tu mets beaucoup d’emphase sur le fait que j’aurais dû savoir depuis le départ. Je crois que tu as raison; que la plupart des gens n’ont même pas besoin de se poser la question, en tout cas pour Jack c’était aussi évident que les trous de son nez au milieu de son visage. Il fond en voyant son mauve là, c’est complètement dégueulasse. Je crois que pour moi, la confusion vient de… ah non, vous savez quoi, on en reparlera un peu plus tard, pas besoin de vous divulguer ces informations tout de suite.

Et du coup, je ne réponds pas à la question la plus importante; pourquoi est-ce que je pensais à ça? C’est une excellente question, une qui pique et qui fait mal, qui me fait paniquer un peu intérieurement. Mes yeux tombent sur ton projet que tu délaisses; je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est ma faute si tu passes à autre chose – et qu’est-ce que ça provoque en moi? Un petit tourbillon d’émotions. Après tout, pour combien de personnes est-ce que tu t’arrêterais de travailler? Oh – un autre aurait compris à tes paroles que la visite était terminée, mais pas moi. Moi, je suis aussi collant qu’une belle-mère lorsque tu cuisines pour Noël.

Je te laisse mettre la tasse dans l’évier, m’étirant de tout mon long, au bout des pieds, mon haut se soulevant pour exposer mon ventre momentanément. « T’sais quoi, tu as raison, je suis c-r-e-v-é » oui parce que quand tu dis on, moi je comprends quelque chose comme mon lit est grand, sert-toi. De toute manière, tu le sais bien que j’aime faire comme si j’étais chez moi quand je suis chez toi. Alors tout naturellement, pendant que toi tu t’occupes de ta vaisselle, je me dirige dans ta chambre sans me poser de question – faut dire que je suis vraiment mort intérieurement après tous ces questionnements et que je rêve de mettre mon visage fatigué dans une de tes oreilles duveteuses.

Je me laisse tomber face première dans l’oreiller de droite, un gémissement de dépit s’y étouffant, et puis je gigote pour m’infiltrer sous les draps. Mais avec mon gros sweat, faut dire qu’il faut chaud, alors comme chez moi, je le retire et je me contente d’être torse nu dans tes draps. En vrai, j'aime ça, tes couvertures sont douces et leur contact frais sur ma peau enflammée me fait du bien. Bon par contre, j’espère que toi tu aimes avoir chaud en dormant, parce que je suis une vraie fournaise, moi!

Je finis par me retourner, visage vers le plafond. Et vu comme je suis fatigué, on pourrait croire que je me serais endormi de suite, que j'aurais fermé mes yeux et que j’aurais trouvé le marchand de sable, mais il n’en était rien. Comme les jours précédents, le film de mes questionnements défile dans la noirceur qui nous entoure et, plutôt, me voilà à parler plus que de raison; « Je crois que… je crois que je n’ai pas la capacité d’aimer quelqu’un d’autre que moi » que je laisse tomber; c’est vrai, au fond. C’est ce qui me fait le plus douter que je puisse t’aimer, romantiquement, en tout cas, parce que malgré tout je me ferai toujours passer en premier. Ça tombe comme venant de nulle part, mais c’est le plus important de ce que j’ai retenu de mes propres tergiversations. « Puis en fait si j’y pensais, c’était à cause de… tu sais »

Non, tu ne sais pas, mais tu t’apprêtes à le savoir. Je me retourne vers toi, bras sous l’oreiller pour mieux me supporter; « Je repensais à notre rencontre. C’que tu as fait » ouais, comme un gamin, pas capable de dire que tu m’as embrassé. « Parce que j’ai ma propre idée de ce que ça représente, mais… je ne sais pas, depuis j’ai eu l’impression que peut-être ma vision de la chose était… » haussement d’épaules qui se veut désinvolte, mais qui ne fait plutôt qu’exprimer le poids que ça a dans mon esprit. « Peut-être pas… la norme »

Ouais, l’understatement du siècle, ça. « Du coup, j’ai demandé au seul expert en baiser que je connais ce que ça représentait, un baiser, pour lui. Mais du coup mon expert c’est Jack et bon, il m’a rempli la tête de drôles d’idées… genre qu’un baiser c’est l’expression d’un amour profond et de trucs du genre. Alors je me suis demandé si c’était parce que tu m’aimais. Mais bon l’amour c’est pas si rapide, sauf dans les coups de foudre, mais je ne sais pas si j’y crois. Enfin un comme l’autre. Du coup je me suis demandé si tu m’aimais, et de manière plus importante, si moi je t’aimais » je gigote à nouveau, comme tentant de prendre une position plus confortable mais qui me permettrait quand même de te voir. Le brun de mes yeux cherche les tiens, comme pour les sonder. « Enfin je sais, c’est con, mais c’est à ça que je pensais et…»

Grognement peu satisfait, je suis au moins content que tu me laisses m’exprimer sans vraiment m’interrompre. « Bah du coup si ça m’a pris tout ce temps me demander si je t’aimais ou pas alors que ça devrait être évident, c’est que j’ai pas impression que je peux ressentir de l’amour pour quelqu’un d’autre, mais en même temps, si on enlève les implications plus… sociales et mentales que j’attribue à un baiser, bah il était plutôt agréable. Du coup, je me suis dit, si je veux t’embrasser, ça doit vouloir dire que je t’aime, non? Bref comme tu peux voir, tout ça, c’est vraiment de la merde comme remise en question. »

Mais maintenant que je t’avais déballé mon sac? Est-ce que je me sentais mieux? Non; j’avais simplement un feu aux joues et j’ai l’impression que la température déjà peu commune de mon corps ne fait que grimper plus encore – quel embarras, tout ça. « Wow » dis-je pour retirer tout sérieux à la situation, « Bonne nuit, Scar »