|La Marque du Diable| Tekeli li... Kaecillius&Edwin

Mon cours touchait à sa fin lorsque j'achevai la démonstration des dernières incantations. Les étudiants, alignés en demi-cercle, absorbaient avidement mes paroles, fascinés par les mystères de l'énergie mystique que je leur dévoilais. Leur désir de connaissance était palpable, mais peu d'entre eux comprenaient réellement les dangers qu'ils manipulaient. Leurs esprits étaient encore trop jeunes, trop naïfs pour saisir la profondeur des arcanes.

« Souvenez-vous, » dis-je en levant la main pour signaler la fin du cours, « la magie n'est pas un jouet. Elle exige respect et discipline. Ne l'oubliez jamais. »

Les étudiants commencèrent à rassembler leurs affaires, des murmures excités emplissant la salle. Je les observai un moment avant de me retirer dans mon bureau, laissant la porte se refermer doucement derrière moi. Là, entouré de parchemins et de grimoires anciens, je me sentais enfin en paix. Les textes anciens, les artefacts chargés de pouvoir, c'était là où résidait ma véritable passion.

Je m'assis à mon bureau, saisissant une plume d'un geste précis. La lumière des chandelles dansait sur les pages alors que je prenais des notes sur mes recherches récentes. La convergence des dimensions, les anomalies temporelles, chaque élément était crucial pour la maîtrise du pouvoir que je cherchais à atteindre. Mon esprit vagabondait entre les lignes de texte, cherchant des connexions, des indices cachés dans les mots des anciens maîtres.

Un léger grincement me tira de mes réflexions. La porte de la bibliothèque. Il était temps. Je me levai, ajustant mes vêtements avant de quitter mon bureau. La bibliothèque, ce sanctuaire de connaissances et de secrets, était devenue un lieu de vigilance depuis l'incident. Des étudiants insouciants avaient tenté un rituel d'invocation, provoquant une cascade de perturbations que nous n'avions pas encore complètement maîtrisées.

Lorsque j'entrai dans la bibliothèque, l'atmosphère était lourde, chargée d'une tension invisible. Les rayonnages, habituellement si silencieux, semblaient murmurer d'eux-mêmes, comme si les livres eux-mêmes ressentaient le trouble. C'est là que je vis Danforth, assis à une table, une tasse de café à la main, les yeux fixés sur une lettre. Son visage, habituellement impassible, était marqué par une expression de trouble profond.

« Tekeli… li… » murmurait-il, les yeux égarés, comme prisonnier d'un cauchemar éveillé. Je m'approchai silencieusement, sentant la gravité de la situation. La marque sur son bras, ce triangle symbolique, était une sombre confirmation de ses tourments. Le mot "shoggoth" semblait se détacher de la lettre, pour résonner dans l'air, évoquant des terreurs ancestrales que, même moi, je trouvais difficiles à affronter sans appréhension.

« Danforth, » dis-je doucement, mais avec une fermeté qui perça le voile de son trouble. « Reprends-toi. Laisse cette lettre.
Regarde-moi… »

Je posai une main sur son épaule, cherchant à ancrer son esprit dans le présent. Je sentis un léger tremblement sous ma main, signe de sa lutte intérieure. « Souviens-toi, Danforth, » ajoutai-je, « nous avons fermé ce portail ensemble. Nous avons combattu les ténèbres et nous avons gagné. Nous pouvons le faire à nouveau. »

L’état dans lequel se trouvait le bibliothécaire était une forme d’absence. Il était là, sans y être tout à fait. Comme s’il avait perdu tout sens naturel de l’évidence, comme si le reste du monde n’avait ni d’emprise sur lui ni de sens pour lui.

Le silence pesait lourdement dans la bibliothèque, perturbé seulement par le murmure léger des pages qui se tournaient et par le souffle irrégulier de Danforth. Il était évident que son esprit vagabondait aux confins de la réalité, un territoire que je connaissais bien. La marque sur son bras, un triangle symbolique, luisait faiblement, signe de sa connexion avec les forces obscures que nous avions autrefois affrontées ensemble. Je savais que ces entités ne le laisseraient jamais en paix, tout comme elles ne m'avaient jamais vraiment libéré.

Danforth émergea de son trouble, secouant légèrement la tête avant de poser la lettre qui l'avait tant perturbé. Son regard, perdu, cherchait désespérément un point d'ancrage. C'était un homme en lutte contre des ombres que personne d'autre ne pouvait voir. Je me tenais là, résolu à l'aider à traverser cette épreuve.

Il m’appela par mon prénom, signe qu’il avait perçu ma présence et senti que c’était moi. la confusion marquait ses traits. Je pouvais voir dans ses yeux le reflet de ses cauchemars, une lutte incessante contre des souvenirs trop puissants pour être oubliés.

« Oui, Danforth, c'est moi, » répondis-je calmement, mais avec une fermeté destinée à le ramener dans l'instant présent. « Nous avons traversé des ténèbres ensemble, et nous avons survécu. Nous devons rester forts.»

Il tremblait légèrement, son esprit vacillant entre le présent et les souvenirs d'horreur. Il m’expliqua qu’il se demandait quand tout ceci allait recommencer… Sa voix portait le poids de la résignation, mais aussi d’une farouche détermination à ne pas céder. Du moins, c’était ainsi que j’interprétais les choses.

Je pris un siège à côté de lui, en maintenant mon regard fixe sur le sien. « La marque, » dis-je en désignant le triangle sur son bras, « elle n'est pas seulement un signe de ce que tu as traversé, mais aussi de ta force. Chaque fois que tu ressens sa brûlure, rappelle-toi que tu es encore ici, que tu combats encore. »

Les étagères de la bibliothèque semblaient se rapprocher, comme si les livres eux-mêmes écoutaient notre conversation. Les textes anciens, pleins de secrets et de connaissances oubliées, murmuraient doucement, apportant un étrange réconfort. Je savais que cette bibliothèque était plus qu'un simple lieu de savoir, c'était un sanctuaire, un bastion contre les forces du chaos.

Danforth baissa les yeux vers la lettre et le tatouage. Son désespoir était palpable, mais je ne pouvais pas permettre qu'il se laisse submerger par les ténèbres. C’était aussi pour gérer ce genre de situation qu’Integra Hellsing m’avait engagé. Je pouvais donner cours, enseigner les arts mystiques, ouvrir et fermer des portails… mais j’étais aussi capable de soutenir Danforth dans ses débâcles avec toutes ces horreurs qui l’assaillaient…

« Que dois-tu accomplir, Danforth ? »

Pouvais-je l’aider ? Je ne savais pas… mais j’avais envie d’essayer. Nous étions face à une situation assez inédite, j’ignorais si mes arts mystiques pouvaient canaliser les éléments horrifiques qui étaient à l’œuvre dans ce contexte étrange, mais je ne pouvais pas faire sans rien tenter. Integra m’avait accordé sa confiance, c’était quelque chose qui signifiait beaucoup pour moi. Elle m’avait accepté, avec mes défauts, avec mes fantômes du passé et avec mes désirs de grandeurs… J’aurais voulu pouvoir utiliser mes capacités pour ramener ma femme et ma fille, mais ce n’était pas possible pour le moment. En attendant, si je voulais me faire des alliés dans ce monde, il me fallait agir pour le bien commun, pour un monde meilleur… un monde où personne, jusqu’à présent, ne revenait de la mort et où personne (ou presque) n’était immortel.

« Je reste à tes côtés. Tu peux compter sur moi. »

Je me souvenais comme si c’était hier de mon entretien avec Mrs Hellsing. Il avait été beaucoup question de confiance, peut-être même plus de cela que de compétences. Nous avions eu besoin d’un peu de temps pour nous faire confiance, mais je voulais être à la hauteur de cette confiance qu’elle m’accordait. Travailler à l’université Miskatonic, c’était un véritable apostolat. Du moins, c’était comme cela que je le prenais.

Je pris la lettre et parcourus les mots tracés à la main. Détruis-le, cet objet auquel tu tiens tant. Cet artefact que tu aimerais tant protéger, tu dois t'en débarrasser. Détruis-le pour que la deuxième partie du tatouage disparaisse. Si tu ne réussis pas, un Shoggoth apparaîtra.
Un Shoggoth… c’était quelque chose que je ne connaissais pas dans mon univers. Mais nous étions ici dans un monde où j’avais pu constater que tout était possible.

Je relevai les yeux, rencontrant le regard de Danforth qui m’expliqua ce qui s’était passé avec son tatouage, lorsqu’il avait eu un premier défi à accomplir. J’écoutais en silence, observant l’écriture qui s’étalait sur la lettre. C’était une écriture particulière, qui ne ressemblait à aucune calligraphie de mes étudiants. Mais il y avait sans doute quelque chose de plus profond à creuser dans tout cela… Ce n’était pas une blague d’étudiant, bien sûr que non.
Edwin continua à m’expliquer ce que ces menaces lui inspiraient. Il insista sur certains pronoms, puis sa voix se brisa, et je pouvais sentir le poids de son dilemme.

Je réfléchissais à ses mots, comprenant la gravité de sa situation. Les entités obscures qui le hantaient étaient imprévisibles et impitoyables. Détruire un artefact pourrait apaiser temporairement les ombres, mais à quel prix ? L'équilibre des forces mystiques dans cette université était fragile, et une action imprudente pourrait déclencher des conséquences catastrophiques.

« Danforth, » dis-je lentement, pesant mes mots. « Les artefacts que tu protèges sont puissants, mais leur importance doit être mise en balance avec ta survie. Nous devons trouver un moyen de satisfaire cette demande sans risquer un cataclysme. Peut-être y a-t-il un artefact d'importance moindre, quelque chose qui pourrait contenter les entités et apaiser leur soif de destruction. »

Sans le détruire lui, évidemment.
Je redoutais bien que ces forces disposaient d’un pouvoir immense et qu’elles connaissaient sans doute la valeur de chaque objet ici.
Je posai une main rassurante sur son épaule.

« Nous devons essayer. Je vais t'aider à trouver un artefact approprié. Ensemble, nous pouvons chercher dans les archives et déterminer lequel pourrait satisfaire leurs exigences sans provoquer un désastre. »

Nous nous levâmes, et je le suivis à travers les rayons de la bibliothèque, nos pas résonnant doucement sur le sol de pierre. Les livres anciens et les parchemins murmuraient des secrets oubliés, et je sentais le poids de leur savoir nous observer, nous juger.
Danforth s'arrêta devant une étagère contenant des artefacts protégés par des sortilèges. Je tendis la main vers une petite boîte en bois, ornée de runes anciennes.

« Cette boite, c’est moi qui l’ai amenée ici… Elle contient un fragment d'un cristal ancien. Il est puissant, mais pas indispensable à la sécurité de l'université. » Je l'examinai attentivement, sentant l'énergie vibrer à travers le bois.   « Cela pourrait-il fonctionner ? Si nous pouvons convaincre les entités de sa valeur, cela pourrait apaiser leur colère. »

Comment cela allait-il se passer ensuite ? Si Danforth validait ma proposition d’artefact, il allaiit falloir l’aider à le détruire, mais il faudrait s’assurer que ce soit bien lui qui fasse ce qu’il fallait. Je ne devais pas empiéter sur son "travail". Il fallait qu’Edwin le fasse lui-même, sans quoi, ce sacrifice ne servirait à rien.
Je ne pus m’empêcher de songer à ce que j’aurais fait à sa place. Aurais-je été capable de détruire un objet qui était une source de pouvoir intense ? Aurais-je pu arriver à ce stade du désir de m’en sortir ?

Le statut de bibliothécaire de cet homme faisait de lui un conservateur et un protecteur de documents et d’objets très précieux. Tout devait rester en sécurité, mais c’était sans compter le danger qui pouvait venir de l’intérieur…

Je me tenais face à Danforth, observant l’ombre qui pesait sur ses épaules. Ses murmures s'étaient perdus dans le silence lourd de la bibliothèque, et je pouvais sentir sa détresse, palpable, presque tangible. Le poids des artefacts, ces fragments de pouvoir épars, semblait vouloir l'écraser. Je connaissais ce sentiment. Ce fardeau qui pousse un homme à remettre en question tout ce qu'il croyait savoir, tout ce qu'il pensait être juste. J'avais, moi aussi, porté ce poids. Mais ici, dans ce monde où les ombres prenaient des formes que je ne comprenais pas encore totalement, je savais qu'il me fallait être le roc, le phare dans la tempête qui dévorait son esprit.
Il murmura que sa survie n’était rien face à la mienne, une déclaration que je trouvais aussi noble que dangereuse. Je m'approchai de lui, plaçant une main sur son épaule, un geste à la fois pour l'ancrer dans le moment présent et pour lui rappeler qu'il n'était pas seul dans cette lutte. Le sacrifice, cette idée si ancrée dans les esprits héroïques, pouvait être une voie séduisante pour fuir la terreur, mais il fallait voir au-delà du geste, comprendre les conséquences d'un tel acte.

« Ne te sous-estime pas, Danforth, » lui dis-je d'une voix posée, mais chargée de l'autorité d'un homme qui a vu au-delà des simples illusions du sacrifice. « Chaque décision, chaque action que tu entreprends a un poids. Tu n'es pas seul à en subir les conséquences. Si ces entités réclament un acte de destruction, il faut que ce soit fait avec discernement, non pas par désespoir, mais par nécessité calculée. »

Nous déambulions entre les étagères chargées de livres anciens et de reliques poussiéreuses. Leurs présences silencieuses semblaient presque juger chaque mot que nous échangions, chaque idée que nous évoquions. Lorsque Danforth s’arrêta devant une étagère, j’observai son hésitation, sa lutte intérieure. L'objet qu'il avait choisi d'abord, cette statuette aux formes tentaculaires, émanait une énergie que je pouvais à peine percevoir, mais dont l'impact sur lui était évident. Sa réaction, lorsqu'il la toucha, fut instantanée et violente. Je le vis vaciller, et je fus prêt à intervenir si nécessaire. Mais il lâcha rapidement l'objet, son visage marqué par une douleur que je connaissais bien.

« Pas celui-ci, » murmurai-je en écho à son propre rejet. « Ce qui est lié à toi doit être détruit, mais cela doit être un lien que tu ressens profondément, pas simplement un objet d'étude ou de curiosité. »

Il mentionna alors la maquette de l’église, un choix qui semblait plus chargé de sens, plus personnel. Une église qui avait un lien direct avec les forces qu’il essayait de combattre, avec l’obscurité qui tentait de l’envelopper. C'était une bonne direction, une piste à explorer.

« Oui, » acquiesçai-je, plongeant mon regard dans le sien pour y chercher la résolution (à moins que ce ne soit de la résignation ?) que je savais nécessaire. « Cet artefact, cet objet chargé de souvenirs et de pouvoir, pourrait être le lien que ces entités cherchent à briser. Si tu choisis de le sacrifier, ce doit être fait en pleine conscience de ce que cela implique. Satoru et Alucard pourraient certainement nous prêter main forte si le besoin s’en fait sentir. Mais ce choix, Danforth, doit venir de toi, de ta volonté de protéger non seulement ta vie, mais aussi cet équilibre fragile que nous maintenons tous. »

La maquette de l'église ne représentait pas seulement un bâtiment ; elle était un symbole, un point d'ancrage pour les forces mystiques que Danforth essayait de contenir. Détruire un tel artefact n’était pas un acte anodin. Il s’agissait de briser un lien avec une puissance ancienne, d’affronter directement les conséquences de cet acte.
Je me souvenais des rituels, des sacrifices nécessaires pour maintenir l’équilibre dans mon propre univers. La destruction d’un artefact de ce calibre pouvait soit libérer un pouvoir inimaginable, soit apaiser les forces qui le désiraient. Dans ce cas, il était primordial de s'assurer que l'acte soit accompli avec précision, en tenant compte de toutes les variables.
Je fis un pas vers la maquette, la regardant avec attention. L’énergie qui en émanait était subtile, mais réelle. Elle avait sa propre volonté, son propre esprit, lié à quelque chose de plus grand, de plus ancien. Ce ne serait pas un simple objet à détruire, mais une relique imprégnée de la force d’une autre époque.

« Si tu es prêt à aller jusqu’au bout, Danforth, je t’aiderai. Mais sache que cet acte pourrait avoir des répercussions bien au-delà de ce que nous pouvons anticiper. Nous devons être prêts à en assumer les conséquences, quelles qu'elles soient. »

Je me tus, laissant à Danforth le temps de considérer ses options. Le silence de la bibliothèque devint presque oppressant, les livres et les artefacts semblant retenir leur souffle, comme s'ils attendaient eux aussi la décision de cet homme. Car au final, c'était son choix, son chemin à tracer dans ce labyrinthe d'ombres et de lumière. Je serais là pour l'accompagner, mais la dernière étape, la véritable confrontation, lui appartenait.
Et dans ce moment suspendu, entre la décision et l’action, je me préparai intérieurement à ce que nous allions devoir affronter ensemble. Les ombres étaient toujours là, prêtes à bondir au moindre faux pas. Mais avec Danforth à mes côtés, je savais que nous pouvions naviguer dans ces ténèbres, pour trouver peut-être, juste peut-être, un semblant de lumière.

« De toute manière, il vaut mieux éviter qu’un shoggoth vienne ici, n’est-ce pas ? »

C’était sans aucun doute l’argument de la raison. Il était impossible pour moi d’imaginer ce qu’était exactement cette chose, mais le regard de Danforth quand il évoquait ces créatures était assez clair : il fallait éviter une telle abomination.