Comme un écho ( Adam vs Adam )

Adam était tellement fatigué, ce matin, qu'il était persuadé que toute tentative d'ouvrir un portail se solderait par un fiasco complet. À tous les coups, son claquement de doigts n'allait produire que des étincelles sans rien ouvrir, ou alors, il allait envoyer Lute du mauvais côté de l'île. Les deux situations risquaient d'être embarrassantes pour lui (et peut-être un peu pour Lute concernant la deuxième option). Alors, il n'avait pu s'empêcher de grimacer en se retenant de se couvrir les yeux au moment d'ouvrir le portail. Le commissariat apparut au centre du cercle doré. L'ancien ange camoufla son soulagement derrière une attitude suffisante, comme s'il n'avait jamais douté de réussir. S'accoudant nonchalamment sur le plan de travail de la cuisine, il fit un petit signe de la main à sa lieutenante en lui souhaitant une bonne journée.

Le portail refermé, Adam bailla en s'étirant. Bien... Qu'allait-il faire maintenant ? "Il est putain de trop tôt." Grogna Adam. Il regarda l'horloge. Sur un malentendu, peut-être que le six affiché se transformerait en huit. Quoi que... 8 h resteraient toujours trop tôt pour lui. Il n'arrivait même pas à savourer son café. Dès les premières gorgées, son cerveau embrumé lui avait fait clairement comprendre qu'il allait lui falloir beaucoup, BEAUCOUP, beaucoup d'autres mugs s'il voulait être productif aujourd'hui. "J'vais prendre le contrôle de ce putain de commissariat, et mon premier ordre sera d'interdire à Lute de combattre le crime avant 10... Non, 11 h du matin." Continua-t-il de divaguer tout seul à cause de la fatigue. À peine avait-il fini sa phrase qu'il laissa glisser sa tête sur le côté jusqu'à poser son front sur la surface froide du plan de travail de la cuisine.

Il était tellement fatigué qu'il ne réagit pas lorsque Lyra lui bondit dessus avec un miaulement. Le chaton s'installa au niveau de sa nuque en continua de miauler pour attirer son attention. Avec un grognement, toujours tête appuyée contre le plan de travail, Adam se concentra pour faire apparaître ses ailes d'ange. Il déploya lentement son aile gauche en des petits gestes pour attirer l'attention du félin. Adam rigola en sentait les coups de patte de Lyra. Un autre miaulement joyeux, suivit de bruit de course lui indiqua que le chaton avait sauté de son dos pour poursuivre quelque chose, sans doute une plume. Adam se redressa pour suivre la course du félin. Ouaip, c'était bien une de ses plumes. Il se rappela vaguement que Lute lui avait conseillé de ne pas encourager Lyra dans ce genre de jeu. Il haussa les épaules, s'étira en réprimant un nouveau bâillement et fit disparaître ses ailes.

L'option de se replonger dans les bras de Morphée en profitant du départ de Lute pour squatter son lit vide était très tentante, mais il avait un travail en cours, responsable direct de son manque de sommeil. Le genre d'idée fixe qui allait l'empêcher de faire quoi que ce soit d'autre tant qu'il n'en aurait pas fini avec ça.

Adam se dirigea alors vers le canapé et plongea sa main entre les coussins pour en sortir un cahier à partition vierge et un crayon. "Lyra ! Bordel ! Ce... Ce n'est pas des jouets !" Protesta-t-il en constatant les coups de dents sur les bords de feuille ainsi que dans le bois du crayon. Après avoir ouvert le cahier devant lui, il se laissa tomber sur le canapé, invoqua sa guitare et gratta quelques accords. "Ok... Essayons ça." Il commença l'intro musicale de la chanson 'Hallelujah' de Leonard Cohen. L'air devait figurer sur la liste des chansons du groupe, sauf qu'Adam la trouvait beaucoup trop douce. Il s'était donné jusqu'à la prochaine répétition pour dynamiser le morceau et le soumettre aux autres. Un exercice plus ardu qu'il ne l'avait cru en premier lieu. Adam pesta et barra la dernière suite du note inscrite dans son cahier. "Raté." Il se leva après plusieurs autres essais infructueux, alla jusqu'à son mug et grimaça en constatant que son reste de café avait eu le temps de bien refroidir.

Ok... Il allait devoir prendre un truc plus fort que le café d'ici... Et peut-être aussi changer d'air. Le Premier Homme regretta dès les premières secondes d'avoir tenté une douche froide pour se réveiller un peu. Il se dépêcha de se sécher et de s'habiller. Il retourna vers le canapé, fouilla de nouveau entre les coussins et en sortit un pot pour cookie. Le pot avait été vidé de ses biscuits depuis longtemps, il l'ouvrit pour en retirer quelques billets et ranger immédiatement le pot à l'abri des regards avant d'être tenté de prendre la totalité de l'argent qui s'y trouvait. C'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour ne pas dépenser immédiatement l'argent gagné avec le groupe. Il enfourna les billets, les froissant abondamment au passage, dans la poche de son jeans, attrapa son carnet et sortit.

Voilà comment il se retrouvait à attendre un café (au nom qu'il jugea fantaisiste) et qui avait intérêt à valoir le prix excessif qu'il avait payé. Attendant au comptoir, Adam ouvrit son cahier et nota rapidement les paroles de la chanson dans l'espace libre entre les lignes de partitions. Décidé de prendre le problème à l'envers en commençant à modifier les paroles, puis seulement de tester les accords pouvant convenir. Il écrivit le premier couplet, barra la mention de David pour la remplacer par 'les premiers hommes', puis testa sa modification en la chantonnant à voix basse. Satisfait, il poursuivit, jusqu'au moment où la barista appela son nom. "Ouais." Répondit-il en se redressant, avant de se stopper net en constatant qu'il n'était pas le seul à avoir répondu par l'affirmative.

L'ancien ange observa, ou plutôt jugea l'autre homme. La barista essaya de les départager avec le nom de la boisson. "Ouais... Putain, toi aussi ? C'est une putain de blague ?!" Réagit Adam en constatant un nouvel écho en guise de réponse. Il fronça les sourcils et regarda un peu plus durement l'autre homme, l'inspectant des pieds à la tête dans un jugement silencieux. Sa rencontre avec un ange provenant d'un autre paradis que le sien lui avait appris qu'il existait d'autres versions de lui (et soi-disant meilleur que lui s'il falait croire l'autre emplumé) et l'éventualité de potentiel tomber sur un autre 'premier homme' lui vint à l'esprit. Cette idée ne lui plaisait pas du tout et mit très vite en second plan (voir en quatrième plan) cette histoire de café. "Adam comment ?" Demanda-t-il, plus suspicieux que curieux.

Inconsciemment, il avait un peu rentrer son ventre, comme s'il avait craint d'être jugé par l'autre sur ce point, de la même manière qu'il n'avait pas hésité un seul instant à mentalement juger son interlocuteur.

Cette situation se serait produite au Paradis, Adam aurait pu la trouver amusante ou s'en sentir flatter. Ici, il n'arrivait pas à en rire, car, il y avait un risque qu'il ne s'agissait pas juste de la simple coïncidence de porter le même prénom, mais de faire potentiellement face à une autre version de lui. Adam n'avait aucun problème d'estime de soi. Il était le putain de Premier Homme. L'idée de ne plus être le seul 'Adam' de cette île, de se retrouver un jour face à une autre version de lui-même que certaines mauvaises langues qualifieraient de meilleur ne lui procurait aucun complexe d'aucune sorte. Et ne lui remettait absolument pas en tête la pique vicieuse que Lucifer lui avait lancer durant leur combat comme quoi il se serait soi-disant 'laisser aller'. Quiconque oserait sous-entendre ça en sa présence devait se préparer à être atomisé dans la seconde.

La réalité, pourtant, criait le contraire. Elle se reflétait dans sa mauvaise humeur en apprenant avoir en même temps un jumeau de prénom et de commande. Elle se ressentait dans sa manière inconsciente de rentrer légèrement le ventre en demandant le nom de famille de l'autre, ou dans sa manière de le juger du regard, se préparant déjà à un verdict empli de mauvaise foi si jamais il s'avérait que leur origine soit également commune. L'ancien ange nierait tout ça, bien sûr, en mettant ses réactions sur le manque de caféine ou la frustration de ne pas parvenir à obtenir un résultat satisfaisant pour la reprise de la chanson en cours d'écriture dans le carnet qu'il tenait en main.

L'autre ne semblait pas disposé à répliquer face à sa mauvaise humeur et fit un signe pour que la première commande lui revienne. Adam saisit le gobelet avec un mince sourire satisfait. Le genre de sourire qui voulait dire : ok, je t'épargne... Pour l'instant.

Rassuré sur sa capacité à massacrer sans problème son 'double'. (Enfin... Il aurait été rassuré s'il avait été inquiet dans un premier temps. Or, il n'était pas inquiet. À aucun moment de cette rencontre.) Le doute persistait tout de même, le poussant à demander le nom de famille de l'autre. De la simple curiosité, il était prêt à la jurer devant Dieu. Tout comme il était prêt à jurer n'avoir ressentit aucun soulagement particulier en entendant le nom de famille Alvaro.

"Firstman." Répondit-il en retour, détachant bien les deux mots composant son nom de famille, comme pour en souligner l'importance. Le malentendu (à sens unique) aurait pu s'arrêter là, de même que sa mauvaise humeur. Il aurait dû s'arrêter là. D'un autre côté... Un nom de famille ne voulait rien dire. Peut-être avait-il eu le meilleur et le plus explicité et les autres avaient eu les restes. Il détestait avoir pensé à l'éventualité d'autres Premier Homme au pluriel. Alors, il étouffa cette pensée, comme il le faisait toujours avec celles qui le dérangeait. L'autre Adam lui proposa de se 'poser' plus loin. Adam fronça les sourcils en entendant le tutoiement, mais, pour être honnêtement, il aurait eu la même réaction si son interlocuteur l'avait vouvoyé. Il n'y avait pas de bonne réponse, vu son niveau de méfiance à son égard. Cependant, l'ancien ange fini par accepter d'un hochement de tête, tout en buvant une première gorgée de sa boisson.

Il s'installa, posant son cahier et son café devant lui. Tout du long, il n'avait cessé d'inspecter l'autre avec un regard suspicieux. La subtilité n'étant pas son fort, il décida de prendre la parole. "Bien... Vu qu'on en est aux présentations. T'étais quoi avant cette lune rouge de merde et tu viens d'où ?" Demanda-t-il de but en blanc, en tapotant son cahier avec son crayon. Autant être fixé tout de suite. En plus, la double question était également une perche qu'il se tendait pour pouvoir potentiellement frimer par la suite. Et, par 'potentiellement', il fallait comprendre : à tous les coups. Autant joindre l'utile à l'agréable.