Je le sais. Je suis suivi. Quand on est une proie éternelle, ce genre de chose est limite instinctif, du domaine de la survie. Moi qui voulais aller gambader sur les toits dans le but criminel avoué -tout du moins à moi-même- de poursuivre une minette dans une course qui aurait fait pâlir d'envie le plus robuste des athlètes… je pense que je vais m'abstenir. Mais pourquoi il me suis ? Je ne suis pas un lapin blanc ! Allez, qui que tu sois, rentre chez toi !

Une poubelle me murmure à mi mot que c'en est fini de moi. Une vitrine m'indique qu'il ne fait ‘que’ me suivre, sans chercher à m'attraper. Un panneau sans issue me murmure ‘par ici’. Je m'engouffre dans la ruelle et bondis de mur en mur jusqu'à être à une hauteur satisfaisante. Quand le monsieur entre, je bondis au sol, entre lui et la sortie. Je me redresse de toutes mes jambes, épaules et oreilles.

”Qui est-ce qui pense pouvoir m'attraper ?”

Me faire attraper est impossible. Je cours plus vite qu'une voiture. Cependant, me faire suivre est plus gênant. Imaginez qu'il me suive jusqu'à mon salon et… me vole ma nouvelle recette de thé ?

Il suivait juste. Ah, cela explique absolument tout, dans ce cas ! Ouf, me voilà rassuré ! Non, attends, cela n'explique absolument rien. Il n'y a que les gens malintentionnés et les chiens qui suivent les gens comme ça, sans raison apparente. Du coup, c'est peut-être un gens malintentionné, ou un chien, ou un chien malintentionné... Quoique ça s'annule peut-être ?

Aucune idée, mais je ne suis définitivement pas à l'aise. Ma gêne se transforme en colère sourde, et je soupire en essayant de me calmer. Quand est-ce que les gens arrêteront enfin de confondre un lièvre et un lapin ? Le prochain qui fait cette même erreur, je vais l'appeler le bonobo. J'attrape mes oreilles et les tire de frustration...

Mais le lampadaire a raison, il faut que je me calme, alors je me calme.

"Hé bien, en réalité, je ne suis ni une orange, ni un citron, et pas même un lapin. Sur ce, je vous souhaite une excellente journée, mon bon monsieur."

Je m'incline, bien bas, et m'apprête à continuer ma course, s'il ne veut pas me dire ce qu'il me veut.

D'accord, ce monsieur est fou, et pas comme j'aime. Lui il a l'air réellement perdu de chez perdu. Bon, autant me montrer sous mon meilleur jour, encore que je préfère la nuit en ce moment. Oh, je devrais faire des nocturnes dans mon salon de thé ! C'est une idée, ça !

"Ce n'est pas du tout le même animal ! Je n'aime pas que le lapin soit plus populaire que le lièvre, dans ce monde."

...Comme dans l'ancien, d'ailleurs. Mais il faut croire que les blancs sont les préférés, quel que soit le monde. N'est-ce pas ?

Est-ce une vraie question ? Ou est-ce que c'est une question à laquelle il faut répondre "non non" et fuir ? Est-ce que dans son monde, il y a beaucoup de lièvre qui se baladent avec une veste ? Finalement, je décide de ne pas répondre à sa question, mais d'en poser une autre, à mon tour. S'il ne veut toujours pas me répondre, alors je partirai.

"Qui étiez-vous ?"

Oui, bon, peut-être deux.

"Est-ce que vous avez besoin d'aide, monsieur ?"