Le chant des sirènes...

Artemis ne se sentait pas à son aise. Cet endroit ne ressemblait pas à quelque chose qu'elle connaissait et elle avait la certitude de ne plus être dans son monde. Par ailleurs, elle avait pu expérimenter rapidement qu'elle n'était plus non plus la déesse qu'elle avait été. Elle s'était égratignée et elle saignait comme n'importe quel humain. La sensation était déplaisante mais Artemis avait connu pire. Pour autant, le fait d'être devenu une faible humaine la déroutait complètement, d'autant plus qu'elle n'avait pu remarquer aucun membre de sa famille dans la foule qui s'était trouvée autour d'elle au moment de son arrivée.

Elle s'était accordée un peu de temps pour découvrir les règles du jeu et savoir comment elle allait mettre en place sa vie ici en attendant que les choses aillent mieux, mais elle ne savait toujours pas. Certaines personnes avaient trouvé un emploi. Certains avaient commencé à installer des zones d'éducation pour les plus jeunes et un certain nombre de membres de la communauté avaient commencé à préparer des recensements. Artemis avait même dû se trouver un nom de famille et elle avait choisi Olympus en souvenir de son père et des dieux de l'Olympe.

Mais elle restait déstabilisée. Elle avait besoin d'une quête, de quelque chose qui la motive et qui lui permette de se construire autour de quelque chose. Même en tant qu’humaine, elle pouvait accomplir de grandes choses si on lui permettait de le faire et si elle trouvait de quelle façon employer ces talents. Alors qu'elle passait dans une rue, elle entendit un homme s'adresser à des femmes. De tout temps, il avait existé ce genre de femme qui pratiquaient des activités sexuelles contre de l'argent. Pour celle qui avait fait vœu de chasteté et qui entendait bien que ses chasseresses suivent la même direction, ce métier était aux antipodes de ses valeurs mais la voix d'une femme demandant à l'homme ce qu'elle pourrait bien faire d'autre alerta la déesse qui s'approcha.

« Il y a un souci ici ? Je peux peut-être vous aider ? »

Personne n'eut le temps de répondre que quelque chose se profilait à l'horizon. Il semblait que les fraîches autorités de la ville avaient décidé de marquer le coup en faisant une intervention. S'attaquer aux prostituées n'était pas la solution mais il était probable que les clients de ces demoiselles ne seraient pas vus de la même manière. Artemis se mit légèrement en retrait pour laisser les autorités agir. Elle sentait que son destin était en train de se jouer mais il n'était pas question qu'elle intervienne trop rapidement au risque de ne pouvoir prévoir les conséquences. Elle attendit donc de voir comment les choses allaient se dérouler.

Artemis ne comprenait pas vraiment ce qui venait de se passer. Là d'où elle venait, aucune femme ne se ferait arrêter pour avoir tenter de séduire un homme pour de l'argent. Les femmes qui se comportaient ainsi n'étaient pas forcément bien vues et il était clair qu’elles n'entraient pas dans la liste des femmes que Artemis voulait avoir dans sa proximité, mais elles n'étaient pas considérées non plus comme des criminelles. Quant aux hommes qui acceptaient de payer pour une nuit en leur compagnie, il valait mieux qu'ils ne soient pas arrêtés ou tous les notables auraient sans-doute été accusés de la sorte.

Cependant, elle avait bien vu que cet homme n'était pas comme les autres. Il n'avait pas cherché à acheter le corps de ces femmes mais seulement un peu de leur temps dans le but de les comprendre mieux et peut-être même de changer les choses. Mais elle ne comprenait pas ce qui le poussait à agir de la sorte pour des filles comme il en avait toujours existé. Elle ne voyait pas les différences entre des filles qui se comportaient mal et en même temps, elle l'avait vu choisir de protéger celle qui avait affirmé qu'elle avait une petite fille. Elle ne savait pas pourquoi mais ce geste ne lui était pas indifférent et elle avait envie de comprendre.

Il n'y avait pas beaucoup de façons de s'y prendre. Il fallait le rejoindre au poste de police et lui poser des questions. Mais pour cela, il faudrait encore qu'ils acceptent de lui laisser lui parler. En arrivant, et bien qu'elle se soit présentée avec tout le décorum qu'elle avait l'habitude de montrer dans ce genre de cas, il apparut évident que ce ne serait pas forcément facile d'arriver au bout de ses peines. Apparemment, il était soupçonné d'avoir tenté de payer ces filles pour coucher avec elles, comme à peu près tous les notables auxquels Artemis avait pensé. Elle n'aurait pas pu mentir pour le sauver mais elle avait pu constater que son intention n'était nullement de passer la nuit avec elles.

« Eh bien je crois qu'il leur a effectivement donné de l'argent, mais dans tous les cas, ce n'était pas pour une prestation sexuelle. Il semblait, au contraire, désireux de leur démontrer que ce genre de comportement ne les servirait pas. Je ne crois pas que vous réussirez à limiter la décadence de ce quartier en arrêtant quelqu'un avec ce genre d'intention. C’est probablement une des personnes qui pourraient aider la situation. »

Ses propos eurent au moins le mérite de faire réfléchir le policier quant à la culpabilité de l'homme qu’il avait arrêté. Mais au lieu de le libérer purement et simplement, il préféra demander à Artemis si elle acceptait de se porter garante pour lui. D'après ce qu'elle comprenait, il valait mieux qu'il se tienne désormais à l'abri des problèmes, que ce soit pour elle autant que pour lui. Elle avait la certitude que ça ne serait pas éternel mais dans l'immédiat, il allait avoir du mal à poursuivre son désir de prêcher la bonne parole aux femmes de mauvaise vie. Mais elle accepta parce qu'elle tenait à parler avec cet homme.

Une fois sortie du commissariat avec l'objet de sa venue, elle le regarda avec circonspection. À première vue, il avait l'air d'un homme gentil, naïf et innocent, que l'on pourrait rouler dans la farine sans faire trop d'efforts. Mais Artemis était persuadée que ce n'était qu'une façade et qu'il y avait autre chose à découvrir chez lui que cette apparente douceur et bienveillance. Ce n'était pas tant qu'elle doute qu'il soit bienveillant, mais elle avait la certitude qu'il était plus solide qu'il en avait l'air. Pour le moment, il demeurait surtout mystérieux et elle ne songeait qu’à percer le mystère.

« On peut dire que vous l'avez échappé belle, Monsieur le bon samaritain. Je ne crois pas que la police acceptera de se montrer aussi complaisante si l'on vous retrouve dans une telle situation. Je m'interroge. Qu'est-ce qui vous a fait penser que vous pourriez raisonner ces jeunes femmes ? De ce que j'en sais, quand elles ont choisi cette voie, elles ne font pas facilement machine arrière. Je vous offre un café ? Je doute qu'on vous ait gâté, en cellule. »

L'homme semblait être très surpris par l'initiative de la déesse de lui venir en aide et il pouvait l'être. D'abord, il était évident que ce n'était pas forcément dans la nature des gens du coin de rendre service de cette façon. Et ensuite, Artemis n'avait pas tendance à aider les hommes. Mais il lui semblait qu'il fallait qu'elle aide celui-là en particulier où il risquait de ne pas pouvoir faire quelque chose de bien en rapport avec des femmes qui en avaient besoin. Dans ce genre de circonstances, elle pouvait être une alliée si elle avait la moindre idée de ce qu'il fallait faire pour l'être.

Elle sourit lorsqu'il protesta sur le terme de bon samaritain. Il semblait que l'humour ne soit pas quelque chose de familier chez lui ou en tout cas, l'humour du monde tel que celui dans lequel ils étaient tombés. Au moins accepta-t-il de réfléchir sur la raison qui faisait qu'il avait cherché à aider ses femmes, malgré ce que ça risquait de lui coûter. Elle secoua la tête lorsqu'il parla de la jeune mère pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas que cela, mais bien plus qui lui posait questions. Il finit pourtant par lui répondre et elle fronça les sourcils en songeant qu'elle n'avait même pas envisagé cette possibilité. Elle s’en voulut soudain et estima qu'il y avait un tort à réparer.

« Vous dites que ces femmes ne veulent pas se trouver là ? Si vous en êtes sûr à ce point, il faudrait trouver une solution pour les aider. Mais je dois reconnaître que je ne la connais pas. Auriez-vous la moindre idée de ce qu'il serait possible de faire pour aider des jeunes femmes dans une telle détresse. Je ne peux supporter l'idée que des hommes s'en prennent à des innocentes jeunes femmes. »

Tout en discutant, elle le fit s'installer à un café et ils commandèrent alors que sa question lui faisait prendre conscience qu'aucun d'eux ne s'était présenté à l'autre et qu'elle ne savait toujours pas à qui elle avait affaire. L'évidence de ses intentions avait dépassé son besoin de sécurité mais il apparaissait maintenant évident que se présenter était des plus naturels. Elle ne voyait même pas de mal à le faire la première puisque c'était lui qui lui avait posé la question. il ne s'agissait même pas de confiance, pas tout à fait encore, juste de la plus élémentaire politesse.

« Je suis la déesse Artemis. Mais ici, je suis redevenu simple humaine et je ne possède pas les capacités de venir en aide aux autres de la même façon que lorsque j'avais tous mes pouvoirs. Et vous-même, qui êtes-vous ? Je peux déjà dire que vous n'êtes pas un samaritain », dit-elle avec un petit rire.

S’il était certain que c'était contre leur gré que toutes ces femmes étaient là, il devait avoir ses raisons. Artemis ne doutait pas de lui. En revanche, il lui semblait important de notifier qu'il ne s'agissait pas que de jeunes femmes dans ce genre de trafic. Il y avait aussi des hommes qui étaient les victimes, tout autant que les femmes, peut-être pas parmi celles qu'ils avaient vues, mais cela existait. Le trafic d'êtres humains déplaisait quoi qu'il en soit à Artemis, mais il était vrai qu'elle avait un regard plus protecteur envers les femmes. Il y avait fort à parier que cela ne changerait pas de sitôt.

Elle avait toujours été la protectrice des femmes innocentes et des jeunes filles fragiles, mais aussi des enfants, tous sexes confondus. Si la plupart des hommes ne pourraient trouver refuge auprès d'elle, il en était autrement des petits garçons qui pourraient compter sur sa protection. C’était une chose à laquelle elle devait également réfléchir, mais ce n'était pas le sujet pour le moment. Elle se recentra sur la perspective de venir en aide à ces jeunes femmes en trouvant un moyen pour qu'il ne leur arrive rien. Ce n'était pas quelque chose de facile à imaginer.

« Vous avez sûrement raison. Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais pu faire confiance facilement à un homme mais je suis extrêmement concernée par le sort des femmes. Vous en serez peut-être fâché, mais c'est ainsi que je suis. Cela dit, je tiens beaucoup à réfléchir à ce qu'il est possible de faire pour protéger ces jeunes femmes. »

S'il la trouvait toujours aussi agréable après quel eût exprimé ses préférences personnelles, il avait tout le mérite nécessaire pour qu'elle accepte d'échanger avec lui sur des solutions. c'était pour ça qu'elle l'avait libéré de toute façon. Elle voulait devenir un élément fort de cette ville, qu’elle ait des pouvoirs ou non. Ce serait donc ce qu'elle deviendrait, la protectrice des femmes et elle trouverait un moyen pour le faire. Elle ne savait seulement pas encore lequel.

« Je vous remercie. »

Protéger une femme, elle savait ce que cela voulait dire, mais il n'était de meilleure protection que d'apprendre à une femme à se protéger elle-même. On ne peut être constamment derrière quelqu'un pour veiller sur lui, mais l'on peut parfaitement exercer sa propre autodéfense dès lors que l'on s'en prend à vous. Une idée germa alors dans sa tête. Cette capacité à se défendre pourrait peut-être être utilisée pour défendre les autres. Tout le monde pouvait apprendre à se battre. Ce n'était pas donné à un seul type de femme. Elles auraient du travail et elles reprendraient une image d'elles-mêmes.

« Et pourquoi ne pas leur apprendre à protéger les autres, plutôt ? Je pourrais former au combat ces dames et en faire des combattantes courageuses, qui pourront protéger les autres et devenir de brillantes gardes du corps. Avec une telle entreprise, nous serons bientôt toutes connues pour être les meilleures. »

Elle n'était pas contre l'idée d'intégrer son interlocuteur à cette aventure, même si elle ne savait pas de quelle façon dans le sens où elle préférerait éviter d'inclure des hommes dans ses plans. Mais pour le moment, ce qui germait dans son esprit était un peu léger et dénué de véritable contexte. C'était une idée qu’il allait falloir travailler un peu avant de la présenter aux prostituées qu'elle voudrait engager. Elle releva la tête vers lui en apprenant qu'il avait été esclave sexuel toute sa vie. Le pauvre garçon. Il lui proposa de goûter son repas et elle lui sourit avec bienveillance. Peu d'hommes pouvaient se vanter d'avoir vu un tel regard sur son visage. Pas à l'âge adulte.

« Merci, j'ai tout ce qu'il me faut. Je suis vraiment désolée d'apprendre que l'on vous a utilisé de cette façon. Peut-être pourrions-nous trouver un moyen pour que cela ne se reproduise jamais plus, n'est ce pas ? »