Repartir de zéro ? - Alicent

S’il y avait quelque chose que Viserys avait appris dans cette ville, c’était que Noël était une tradition que tout le monde suivait. Il y avait évidemment les anniversaires, quelques grandes fêtes, mais dès le mois novembre pour certains, c’était le moment de faire leur liste de cadeaux. Il avait appris que c’était le Père Noël, cet homme venu du Pôle Nord, qui avait un traîneau rempli de cadeaux et qui les distribuaient partout dans le monde. Evidemment le concept avait été particulièrement abstrait pour lui. Mais il avait trouvé un certain intérêt dans cette fête pour le côté familial. Le rassemblement de famille et d’amis qui avaient pris soin d’emballer de papier cadeau leurs présents, avant que les petits comme les grands puissent les déballer. Chacun avait ensuite sa façon de mettre le tout en œuvre, mais surtout de savoir s’ils allaient ouvrir leurs cadeaux la veille de Noël ou le jour même. Il avait donc appris à faire son sapin, que ça soit chez lui ou dans son magasin. C’était d’ailleurs ce qu’il était en train de faire depuis le début de la matinée. Dessus, des guirlandes simples, des guirlandes lumineuses et des boules venaient orner le tout. Il avait opté pour du bleu et or cette année.

Souriant, il sortit de son magasin pour mettre quelques décorations sur la porte. Sentant quelque chose de froid arriver sur l’arrière de la tête, il se tourna, voyant des enfants grimacer. Il eut un léger rire et leur fit signe que tout allait bien. Les regarder jouer, il pensa à ses propres enfants. Il savait que cet évènement serait compliqué pour un moment avec eux. Pourtant, il se souvenait qu’avant sa mort, ils avaient partagé un repas. Mais, il ne les voyait pas se retrouver tous à nouveau autour du table à manger de la dinde et une bûche glacée.

Il faisait pourtant des efforts, mais il ne savait pas si ça serait assez. Sortant de ses pensées, il pensa alors à Alicent. Il avait rendez-vous avec cette dernière un peu plus tard dans l’après-midi. S’il avait eu la joie de la voir organiser son anniversaire en septembre dernier, il n’avait pas pu le revoir depuis ou en tout cas très peu. Il avait pourtant songé que cet évènement les aurait aidés à se rapprocher. Mais au fil des semaines, elle n’avait plus répondu à ses appels. Il n’avait pas non plus cherché à en savoir plus. Il s’était dit qu’elle ne voulait sans doute pas le voir. Donc, quand elle lui avait dit de venir jusqu’à chez elle, il avait dit oui. Il ne savait pas du tout à quoi s’attendre, mais il était curieux de savoir pourquoi elle l’avait contacté.

Passant le reste de la matinée à sculpter du bois pour en faire de petits animaux, il avait toujours pensé que cela servirait dans certains sapins. Il avait même quelques clients qui semblaient apprécier ses créations et qui revenaient tous les ans. Etait-ce alors une collection ? Il n’en savait rien, mais quelque part, il était flatté. A l’heure du déjeuner, il eut l’idée de faire de petits biscuits pour amener chez Alicent. Il ne se voyait pas arriver les mains vides. Laissant le tout cuire au four, il mangea, profitant pour lire le journal. Oui, Viserys était plus journal papier que nouvelles sur son téléphone. Malheureusement, il ne vit pas le temps passer et c’est en sentant une odeur de brûler qu’il comprit qu’il n’avait pas fait attention à la cuisson des biscuits. Sortant ces derniers du four, il se brûla la main et grimaça.

Bravo, c’est malin, poil au sapin.

Levant les yeux au ciel, il se demandait comment faisant l’humain pour retenir des phrases aussi bête parfois. Cela devait venir d’un film qu’il avait vu récemment. Comprenant alors que le tout était fichu, il attrapa sa veste et partit faire des courses. Il ne comptait vraiment pas arriver les mains vides. C’est dans un magasin qu’il commença à arpenter les rayons. Passant devant des décorations de Noël avec des boules à neiges, des rennes et des lutins … ou étaient-ce des gnomes ? Il ne saurait pas faire la différence. Arrivant au rayon nourriture, il tomba d’abord sur les fruits et légumes. Il ne se voyait pas amener des carottes ou des clémentines. Il opta alors pour des gâteaux. Il ne connaissait pas les goûts de la jeune femme, alors il prit un mélange de pâtisseries. Se rendant ensuite chez elle, il sonna à la porte du manoir, quelque peu nerveux, car il ne savait pas du tout à quoi s’attendre. Quand elle ouvrit la porte et qu’il la vit devant lui, il ne pu s’empêcher de sourire.

Bonjour Alicent.

Il attendit d’être invité à l’intérieur, avant de lui tendre le sac de pâtisserie.

J’ai tenté de cuisiner, mais ça s’est mal terminé, du coup j’espère que tu aimes les pâtisseries.

« Non. »

Alicent était ferme. Exigeante. C’était la cinquième fois que l’ébéniste en face d’elle recommençait la sculpture en bois qu’elle lui avait commandée. Il ne savait plus quoi faire parce qu’elle trouvait toujours un défaut. Ce n’est pas de sa faute si elle voulait que tout soit parfait, surtout pour son ex-époux. Il se souvenait qu’il avait toujours affectionné le bois, le sculpter, faire des miracles avec ses dix doigts. C’était peut-être la chose qu’elle appréciait le plus chez lui ; sa créativité, cet artisanat. Sûrement parce que cette activité le ramenait davantage à sa condition d’homme simple aux désirs simples. Une simplicité qu’Alicent avait toujours cherchée au fond. A Westeros, peut-être qu’Alicent aurait sincèrement aimé Viserys s’il n’avait pas été roi et si leur mariage n’avait pas été gangréné par des conflits voraces. Elle n’avait donc pas été surprise d’apprendre qu’il avait profité de la chance que ce monde lui avait accordée pour embrasser un vieux rêve : travailler encore et toujours le bois au travers du métier d’ébéniste et de menuisier. Cette sculpture, en plus d’être un cadeau, était un pont entre leur ancienne vie et la nouvelle, pleine de promesses.

Jamais Alicent n’aurait cru trouver un allié en Viserys. Il l’ignorait, mais il fut d’un grand soutien après la débâcle que fut sa brève histoire avec James March. Elle avait beaucoup aimé cet homme. Il était même le premier à avoir suscité un tel sentiment dans son cœur froid et hermétique. Mais son penchant pour les crimes barbares au service de ses pulsions sadiques avait eu raison de cet amour que la pieuse Alicent ne pouvait cautionner. En revanche, cette histoire avait ouvert une porte qui profitait désormais à Viserys. Alicent apprenait à l’aimer, doucement, mais sûrement. Ce nouveau sentiment profond était vécu avec appréhension tout en se mêlant aux regrets découlant de son histoire avec James qui l’avait laissé sur sa faim. Ce qui expliquait pourquoi elle n’avait pas particulièrement revu Viserys depuis septembre. Elle était déboussolée, perdue avec elle-même qui s’était toujours refusée à de telles passions.

Pour autant, cette désertion ne prouvait pas qu’elle n’avait pas pensé au moins une fois à Viserys. La preuve : voilà des mois qu’elle donnait des cheveux blancs à ce pauvre ébéniste pour qu’il lui sculpte la plus parfaite des figurines — un cheval cabré d’une vingtaine de centimètres. « Vous voyez, comme quoi avec un peu d’effort, vous êtes arrivé au résultat que j’attendais. » Ce n’est qu’à l’approche des fêtes de Noël que l’ancienne reine trouvait enfin satisfaction dans le travail de l’artisan. Il lui tardait de l’offrir à Viserys, plus encore depuis qu’elle l’avait convié chez elle.

Le Jour-J, assise devant son miroir dans sa chambre, Alicent réalisait qu’il pouvait être plaisant de se préparer, de s’embellir. Elle avait le cœur qui palpitait un peu, ce qui lui arrachait des sourires tendres — une véritable adolescente en proie à ses premiers émois. Elle pouvait être attendrissante quand elle voulait, même lorsque c’était purement inconscient. Plairait-je à Viserys ? songea-t-elle. Une part d’elle espérait que oui, même si ces retrouvailles après des mois étaient supposées être informelles. La gouvernante la sortit de ses songes lorsqu’elle l’avertissait que quelqu’un avait sonné à la porte. Alicent la remerciait, vérifiait une dernière fois son reflet devant le miroir puis attrapait la sculpture qu’elle avait soigneusement emballée pour la descendre avec elle. Au salon, elle la posait sur la table avant d’ouvrir la porte à son ancien époux. Un sourire éclatant illuminait son visage lorsque ses yeux se posaient sur lui. « Viserys. Entre ! » Elle était toujours un peu gênée de le tutoyer, elle qui avait toujours opté pour le vouvoiement en vertu de sa position de roi. Mais ici, ils n’étaient que de simples mortels, ce qui seyait bien à Alicent.

Elle refermait la porte derrière lui avant d’être attirée par cette boite qu’il lui tendait. Elle était incroyablement touchée. Rien que de l’imaginer en train d’essayer de cuisiner… pour elle… Elle en avait des papillons dans le ventre et dans le cœur. « Il ne fallait pas ! Merci. » répondit-elle avec politesse même si rien n’aurait pu lui faire plus plaisir que cette délicate attention. « Je ne sais pas dire non à un petit gâteau vois-tu. » Elle riait tout en ouvrant la boite. « Surtout quand ils ont l’air aussi délicieux ! » Cette fois-ci, c’était un sourire plein de tendresse qu’elle adressait à Viserys. « J’espère que tu vas en manger un bout avec moi. Il faut leur faire honneur. Surtout à ceux disparus dans la manœuvre. » Elle riait à nouveau en pensant aux gâteaux ratés avant de faire signe à une domestique de leur apporter des assiettes, une cuillère et de quoi boire. « Fais comme chez toi. Ma demeure est tienne. » disait-elle tout en posant la boite sur la table. « Je suis contente de te voir, en tout cas. Je suis désolée de ne pas avoir pu reprendre contact avant… » avouait-elle sans s’épancher sur cette période de doute intérieur dont elle venait enfin de s’extirper.

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