Rencontre musicale ft. Doctor Twelve

En ces cinq années passées en ce monde étrange, dans ce corps humain dont la vivacité l’étonnait encore, il avait eu le temps de se faire un trou dans le milieu de la musique. S’il n’avait pu sa voix aux tonalités surnaturelles ni sa puissance d’autrefois, avec de la patience et beaucoup de bonne volonté, il avait réussi à s’adapter à son oreille et ses cordes vocales humaine. Il avait commencé avec des concerts dans des bars et de petites salles, renouant avec le rock plus traditionnel, mais ensuite, il avait commencé à expérimenter, avait lorgner vers le métal et avait plongé dans la musique électronique. En devenant humain, il s’était senti encore plus connecté aux technologies. Celles-ci le fascinaient déjà quand il était immortel, mais la charge de souvenirs de plus de 5 siècles encombraient son esprit, ce cerveau humain plus souple s’était vite adapté aux réseaux sociaux et en un rien de temps, il avait atteint assez d’abonnés pour attirer l’oeil de quelques producteurs. Il avait envie de passer la vitesse supérieure, Lestat adorait attirer l’attention, il voulait faire des scènes plus importantes, séduire un public plus imposant. Aussi, quand ce producteur l’avait contacté sur les réseaux sociaux, Lestat l’avait invité chez lui sans même s’inquiéter.

Il soupira, il venait de passer plusieurs minutes pour ne pas dire une heure entière à ranger son loft. Les vinyles et claviers électroniques rétro avaient tendance à s’accumuler, à former des piles dangereusement hautes. Lestat accumulait tout ce qui pouvait être utile à sa musique. Ce n’était pas son unique passion, il adorait l’art de la scène, la peinture mais aussi tout ce qui touchait au surnaturel, au curieux et à l’extraordinaire. Mais en ce monde-ci tout paraissait étrangement ordinaire, même s’il était quasi certain que d’autres être surnaturels foulaient cette ville. Qu’importait, il ne devait se laisser dissiper. Il passa un coup de balai et s’estima content de l’effet. Son portable vibra quelques secondes après, un message de son invité qu’il descendit accueillir. Il s’était installé dans une ancienne usine qui avait été transformé en appartements, plutôt élégants, à l’architecture moderne. « Bonjour, je suis Lestat et voici mon chez moi. Venez je vous en prie. » l’invita-t-il avec un sourire charmeur. Il ne pouvait s’empêcher de flirter avec la plupart des gens, qu’importait leur genre. Et l’homme lui faisant face, élancé, aux cheveux blanc, dégageait quelque chose, indubitablement !

Noël avec les vôtres. L’expression convenue plongea néanmoins l’ancien immortel dans de sombres souvenirs. S’il avait eu une famille, constituée d’un compagnon vampirique et d’une enfant tout aussi vampirique, celle-ci s’était envolée ou plutôt déchirée dans les larmes et le sang, ainsi que les flammes et les hurlements d’horreur. Louis avait survécu et lui avait pardonné, mais Claudia, elle, ne verrait plus jamais l’astre d’argent. Il soupira. Sa famille, il l’avait détruite, quant à noël, il n’en était plus digne. Aussi secoua-t-il la tête, un sourire léger aux lèvres pour masquer la tristesse qui alourdissait son coeur. « Non, pas de famille, je suis tout seul. » Pas de hélas ni d’évocation de sa triste solitude, il s’employait à la noyer dans la musique, l’alcool puisque son corps pouvait à nouveau en ingurgiter sans avoir à vider un alcoolique de son sang et pourquoi pas dans les rencontres nocturnes, il avait repéré quelques nights club dans cette ville étrange. Tant d’être provenant d’univers si différent, cela l’avait étonné au début, à présent, il se disait qu’au moins, il n’avait plus à souffrir des tourments de l’éternité à ressasser. Ce qui le prenait de temps en temps, malgré tous ses efforts pour se distraire et tirer le diable par la queue, ce qu’il avait fait une fois littéralement !

Lestat avait débarrassé son appartement de tout ce qu’il laissait trainer, du tee-shirt sale à la pochette d’album défraichie en passant par les câbles XLR, et bien sûr, les cadavres de bouteilles de bière. Il était presque fier de son intérieur organisé, tapissé de tapis persans, aux murs couverts de pochette de vinyle, affiches de concerts et de copie de tableau qu’il admirait, il avait même découpé un livre abimé pour en coller les pages, c’était un Dickens. Il se tourna vers son invité dont il attrapa le manteau pour le glisser sur un porte manteau en forme d’arbre mort. « Vous voulez boire quelque chose, peut-être ? » Demanda-t-il en repoussant un vieux plaid et les coussins. « Installez vous, je vous en prie. » Il essayait d’être le plus professionnel possible, oubliant un peu vite que ses derniers invités venaient pour d’autres plaisirs. Il remarqua un string rose dépassent de sous les coussins qu’il venait de déplacer et pria pour que son invité ne tombe pas dessus. Lui-même se jucha sur un vieux fauteuil usé dont le cuir se déchirait à chacun de ses mouvements. « Vous êtes producteur, vous m’avez dit ? » Demanda-t-il, espérant bien lui faire écouter sa musique. De belles enceintes disposées derrière lui n’attendaient qu’à se faire entendre.

Lestat ne s’aperçut même pas du regard troublé du producteur musical à l’évocation de ses fêtes de fin d’année en solitaire. Le vampire regrettait de ne pouvoir rendre visite à Louis et Armand, de n’avoir de nouvelle de Jesse et de Marius, mais il avait toujours été un solitaire. N’avait-il pas passé des décades parfaitement seul ? Il se savait en proie à des émotions intense et des tourments violent quand il fréquentait trop longtemps d’autres immortels. Il avait cessé de fréquenté les mortels quand le Talamasca lui avait déclaré la guerre. A présent, il baignait dans l’humanité, il était lui-même redevenu mortel. Pour autant, il ne se sentait pas l’envie de fêter noël. Cette fête ne lui évoquait rien du tout. De son vivant, son père était d’humeur ombrageuse et parfois violente durant ces fêtes quand à sa mère, elle s’enfermait alors dans la bibliothèque pour fuir les éclats paternel. Il en faisait tout autant en allant chasser dans la forêt. Le souvenir de ces instants ne lui inspirait guère l’envie de fêter quoi que ce soit.

Il réceptionna la longue veste et la déposa sur un porte-manteau en forme de guitare. Lestat avait le goût pour une décoration ostentatoire et baroque. Il avait aimé les années 80 et son intérieur le démontrait. On pouvait découvrir aux murs les concerts comme les films l’ayant marqué dans les poster aux murs. Mais il avait surtout mis en valeur des pochettes d’album et quelques citations d’auteur l’inspirant. Après tout, il avait lui-même écrit sa biographie, il avait même quelque part une vieille Underwood. Loin de renier son passé, Lestat aimait l’époque l’ayant vue naître, la comedia del Arte, Venise et ses masques, mais ces objets coûtaient plus cher et étaient plus difficile à trouver, n’ayant pu emporter avec lui tous les objets liés à son passé. Peut-être était-ce mieux ainsi ?

Il abandonna quelques instant son invité pour se rendre dans la cuisine. Il batailla avec la machine à café afin d’en tirer du thé. Il avait une passion dévorante pour la caféine, en bon français qu’il était, et le thé demeurait à ses yeux une préciosité digne des anglo saxons qu’il boudait la plupart du temps. Néanmoins, il avait déjà eu des invités, souvent féminines, qui appréciait cette boisson. Il glissa donc un sachet dans l’eau chaud et se prépara pour lui-même une tasse d’un café aussi noir que l’ébène. Il ramena le tout sur un plateau où il avait disposé quelques gâteaux sec.

« Oh vous avez rencontré Dickens ? » Il avait raté tant de choses, de création, d’oeuvres majeurs, d’artistes mémorables, pendant qu’il dormait, pensant que jamais plus il ne pourrait aimer après Louis, qu’il ne pourrait jamais se pardonner tout ce qu’il s’était passé, jusqu’à la mort de Claudia. Dormir pour oublier, des siècles. Quelle idée. Mais à dire vrai Dickens il aurait pu le rencontrer, s’il avait accepté en premier lieu de suivre Claudia en Europe. Le remous des regrets le submergea, comme toujours, à chaque fois qu’il y songeait. Il ne voulait oublier ni s’excuser, il avait payé le prix et la citation lui rappelait le poids des souvenirs. Toutes ces émotions se déversaient dans sa musique. Il avait d’ailleurs un morceau qui parlait de ces rendez-vous manqué.

Lestat sourit à l’évocation de sa musique. Un brin narcissique, il se moquait un peu de savoir qui donc le docteur avait pu signer, enfin, il était un tantinet curieux, mais il songeait surtout avec impatience à la réaction qu’il aurait en écoutant ses créations. Il sourit donc et se leva pour aller chercher une télécommande. D’un clic, il réveilla les deux énormes enceintes endormies, sur lesquelles il avait laissé trainer quelques trucs qu’il enleva prestement. « Bien sûr, je peux vous faire écouter mon dernier morceau. Il s’appelle Au fond du puit. »

Les premières sonorités étaient abyssale, profondes et mélancolique, la guitare s’enfonçait dans les ténèbres et la voix du vampire, caverneuse, évoquait l’enfant qui pleurait seule dans le noir. Cette chanson parlait de Claudia, l’enfant vampire qu’il avait créer, pour retenir Louis. Il évoqua son agonie, d’abord au milieu de la peste, où Louis la trouva. Un éclat déchirant de guitare puis l’arrivée tonitruante de la batterie évoqua l’arrivée des deux vampires dans la vie de l’enfant, son retour à la vie, sa découverte de ses pouvoirs, de la soif. C’était électrique, palpitant, secouant. Et puis, brusquement, il y a des fausses notes, des accords sonnant faux, discordant. Volontaire. Il évoque la rébellion de l’enfant qui ne peut grandir, sa déchirante tristesse, son tourment intérieur. Le rythme devient effréné au moment de la bataille, où il meurt. Ou se croit mourir. L’enfant triomphante gagne l’ancien continent, pense être heureuse. La musique se fait guillerette, presque pop. Dansante. Virevoltante. Puis un nouveau fracas de guitare et de batterie alors que la loi vampire s’exerce implacable. L’enfant n’est plus seule, au fond du puit l’accompagne sa mère de substitution. Tous deux pleurent, crient, se déchirent. Comme les sonorités. Puis enfin, l’obscurité retombe. Les notes s’égrainent encore. Quand la musique s’arrêta, le vampire tamponna ses joues. Ce morceau, il l’avait cherché au plus profond de lui-même, se mettre à la place de Claudia avait été douloureux. Mais nécessaire.

« C’est un morceau personnel, un peu trop, peut-être. » s’excusa-t-il en tamposant ses joues d’un mouchoir aux lettres L entrelacée.