Is that a ghost ? ~ Abelforth

Abelforth était allé chercher de nouvelles bouteilles dans la réserve qui se situait à l'arrière et un peu à l'écart de la taverne. Il était en train de profiter d'un moment plutôt calme pour faire le point sur les réserves avant que le gros des clients n’arrive pour profiter de la soirée pour boire. D'ici une ou deux heures, l'endroit serait plein à craquer et il y avait fort à parier qu'il n'aurait plus une minute à lui. Ce ne serait pas si mal d'avoir quelqu'un pour l'aider et lui éviter de devoir laisser l'endroit vide quand il devait aller chercher un peu plus de produits. Mais pour l'instant, il n'avait trouvé personne qui lui inspire assez confiance pour le faire.

Alors qu'il ressortait avec un carton plein, il entendit un bruit du côté de l'enclos des chèvres. La petite chevrette semblait bêler mais ce n'était pas un bêlement particulièrement effrayé, plutôt d’un enthousiasme quelconque. Malgré tout, elle devait réagir à quelque chose qui n'était pas sa maman et cela ne plaisait pas du tout à Abelforth . Il ne tenait pas à ce que des inconnus s'approchent de ses chèvres. C'était tout ce qu'il avait en ce qui concernait la sensation d'avoir une famille. Ce n'était plus tellement vrai depuis qu'il avait retrouvé Albus, certes, mais les chèvres restaient sa famille pour lui. Et ce fut en s'approchant qu'il la vit.

Il savait qu'elle était en vie, évidemment. Comme Albus, elle avait eu une seconde chance. Mais il n'avait pas encore osé se mettre à sa recherche, comme s'il estimait qu'il n'était pas en droit de revenir vers elle. Il s'était toujours demandé avec culpabilité si ce n'était pas lui qui avait mis un terme à sa vie et il n'était pas sûr d'être digne de faire à nouveau partie de la vie de cette jeune fille qui n'avait pas encore subi les conséquences de la guerre entre ses frères. Mais elle était là, ou elle lui ressemblait beaucoup. Elle jouait avec la petite chevrette qui semblait enchantée de cette rencontre.

« Ariana… », demanda-t-il avec une voix tremblante, n'étant pas sûr de pouvoir le croire. « Ariana, c'est toi ? c'est moi… Abelforth … »

La main sur la nuque de sa petite sœur, Abelforth caressait ses cheveux, ne pouvant s'empêcher de verser des larmes de bonheur. Il pouvait être surprenant de voir ce vieil homme pleurer comme un enfant en bas âge, mais il était complètement impuissant face à ses propres émotions. Lui qui avait toujours pensé que c'était sa faute si Ariana était morte avait enfin une chance de réparer ses erreurs et de retrouver un peu le bonheur de la savoir heureuse. Il ne savait pas si elle l'était, mais si ce n'était pas le cas, il ferait tout pour qu'elle le soit.

Il finit par se détacher d'elle pour la regarder encore une fois. Elle était si belle, si douce, la même que dans son souvenir. Et elle se rappelait de lui. Il considérait que c'était un miracle, compte-tenu du fait que beaucoup de gens avaient perdu tout ou partie de leurs souvenirs et que le destin avait tendance à jouer avec lui d'une manière des plus sournoises et détestables. Mais elle était là et il était certain que maintenant, il pourrait faire le nécessaire pour que plus rien ne lui arrive jamais. Il la protégerait toujours et ne commettrait pas deux fois la même erreur.

« Ma chère petite sœur, comme tu es belle. Je n'aurais jamais cru avoir la chance de te revoir. Je suis désolé », dit-il en essuyant d'une main les larmes de ses yeux. « Tu dois me trouver bien plus vieux que dans ton souvenir. C’est que j'ai vécu si longtemps après t'avoir perdue et je te prie de me croire, ces années ont été une véritable torture. »

Il aurait pu lui mentir, mais ce n'était pas ce qu'il voulait et puis, même si elle ne saurait probablement pas de quoi il lui parlait, il éprouvait le besoin de s'excuser pour ce qui s'était passé. Il avait besoin de lui dire pour passer à autre chose à quel point il pouvait s'en vouloir de ce qu'il avait fait. Il n'avait jamais su si c'était vraiment lui qui était responsable de sa mort, mais la culpabilité qu'il éprouvait était aussi forte que s'il lui avait directement lancé le sortilège de mort. Rien ne pouvait justifier la mort d'une innocente, simplement parce que deux frères n’avaient pas su trouver un terrain d'entente.

« Tu ne sauras sûrement pas de quoi je parle, ma chérie. Mais je suis infiniment désolé pour ce qui s'est passé. Je suis désolé de ce qui t'est arrivé et je te promets que je ferai tout ce que je peux pour qu'il ne t'arrive jamais plus de mal. »

Joyeux Noël

Elle était si belle, si parfaite, sa petite sœur. Et elle n'avait même pas l'air de souffrir de quoi que ce soit, cette petite fleur. Abelforth ne se souvenait pas de l'avoir jamais vu aussi lucide depuis bien longtemps avant sa mort. Albus avait raison. Il n'y avait aucune trace de ce qui la tourmentait dans celle qu'elle était actuellement. Et s'il avait le moindre pouvoir sur la situation, il ferait en sorte qu'elle ne se retrouve jamais plus avec ce poids à porter, mais il était conscient qu’il lui serait impossible d'avoir la moindre influence sur ce qui se passait.

Alors, il se contentait de laisser transparaître ses émotions pour lui montrer à quel point il était heureux de la voir. Il était devenu si vieux qu'il était normal qu'elle peine à le reconnaître. Pour ce qui était de lui, elle ressemblait tellement à celle qu'elle avait été autrefois qu'il était impossible de ne pas la reconnaître. Le vieil homme se serait seulement demandé s'il ne rêvait pas. Il se l'était demandé quand-même mais la probabilité en était beaucoup moindre, du fait qu'il était au courant qu'elle était en ville. Forcément, il était plus facile de se dire que c'était bien elle et de lui ouvrir les bras sans aucun apriori. En revanche, pour ce qui était de se pardonner, c'était une autre histoire.

« Eh oui, et je te prie de me croire que je ne me suis pas améliorée en soixante ans. Je râle encore plus qu'avant, surtout sur Albus. Mais je suis quand même encore capable de mettre quelqu'un dehors de ma taverne s'il va trop loin ou qu'il me met trop de bazar. Peut-être vieux, mais pas si fragile, ton grand frère. »

Il lui sourit. Il n'y avait qu'elle pour pouvoir lui arracher ses beaucoup trop rares sourires. Enfin, ce n'était pas totalement vrai. La gamine qui était passé au moment de la tempête de neige, elle l'avait fait pas mal sourire aussi. mais bon, Ariana, c'était quand-même tout à fait spécial et très particulier. Elle avait toujours compté pour lui, beaucoup plus que n'importe qui d'autre. Elle était sa famille et il aurait voulu la protéger contre tous les malheurs du monde. Il voyait qu'elle était fière de ce qu'il avait accompli et un sourire se dessinait sur ses lèvres. Mais il ne put s'empêcher tout de même de s'excuser et elle lui fit comprendre aussitôt qu'elle ne lui en voulait de rien et qu'elle estimait qu'il était le seul à s'être occupé d'elle autant qu'il le fallait.

Elle avait raison, bien-sûr. Il avait toujours été le seul à prendre soin d'elle au-delà de ce que tous les autres faisaient. Ses parents avaient peur d'elle, même si son père l'avait défendue d'une manière que Abelforth trouvait des plus honorables. Quant à Albus, il avait semblé la considérer tellement comme négligeable que le vieil homme estimait que c'était à cause de cela que les choses en étaient arrivées là. Évidemment, elle s'inquiétait de ses retrouvailles avec leur frère, mais les choses avaient changé et quelque part, elles s'étaient encore plus compliquées.

« Oui. C’est lui qui m'a dit que tu étais en vie, et que tu étais ici. Si j'avais su, je t'aurais cherchée, mais je n'aurais jamais pu imaginer que tu sois encore en vie. Albus aussi est mort, tu sais. J'étais tout seul avant d'arriver ici. C'est compliqué mais… je suis heureux qu'il ne soit pas mort dans cette ville. »

Elle avait de la mémoire, sa petite sœur. Elle était pourtant l’élément le plus innocent de la fratrie. Elle était la seule à pouvoir calmer Abelforth quand il se chamaillait avec Albus. Ce n’était pas forcément des plus simples, mais elle avait ce pouvoir, ce don même, car c’en était un. Elle était un cœur, la bonté de l’âme au creux d’un monde plein de vicissitudes. Et pourtant, c’était elle qui avait été sacrifiée. La raison pour laquelle les âmes les plus nobles étaient celles qui se retrouvaient systématiquement sacrifiées dans les jeux de ce cher Albus dépassait un peu Abelforth. Mais c’était pourtant un fait que les choses se passaient ainsi.

« Heureusement que tu es là, Petite sœur. Tu éviteras peut-être que nous nous écharpions la prochaine fois », lança-t-il avec un brin d’humour avant de hocher la tête. « Oui, c’est chez moi. Je t’accorde que ce n’est pas très reluisant, mais je m’y sens bien. Cet endroit… me ressemble. »

Un peu trop, sans aucun doute. On ne voyait pas forcément d’entrée combien Abelforth était affaibli, meurtri, abîmé par la vie. Pourtant, il était à l’image de sa taverne, un mur avec des fissures, un sol avec de la poussière, un comptoir avec des coups qui ne disparaitraient jamais. Et une quantité non négligeable de ces blessures provenaient de l’époque juste postérieure à la mort d’Ariana. Sa présence pourrait donc apaiser certains tourments, même si cela ne réglerait évidemment jamais tout. Il sourit devant sa remarque. La vie ici donnait des deuxièmes chances et il ne fallait pas s’abrutir dans ses regrets.

« Je n’aurais pas pu être plus reconnaissant qu’on me rende quelqu’un… que toi. »

Concernant la mort de son frère, Abelforth se demanda si cela valait le coup de tout révéler à sa sœur. Albus avait été tué à-cause de son orgueil, comme s’il n’avait pas appris sa leçon à la mort de sa sœur. Et il n’était pas sûre que Ariana avait besoin de se rendre compte à quel degré il était. Cela dit, il ne savait pas non plus ce que cette ville avait donné comme leçons à Albus, mais il n’en demeurait pas moins qu’il n’était pas le meilleur pour retenir les leçons. Secouant la tête, il se dit que le mensonge n’était pas la meilleure option, en finalité.

« Il a trouvé une relique dont il n’a pas résisté à se parer. Mais elle était consumée par la magie noire. Les blessures causées par la magie noire… »