Il faudrait que je rentre chez moi, je le sais. Enfin, chez moi signifie avant tout l'endroit où j'habite actuellement, à savoir le minuscule nid sous les toits d'un ancien immeuble. Depuis que j'y suis, le lierre a attaqué les murs et commence à entourer mes fenêtres, comme si la nature elle-même cherchait à me rejoindre.
À l'intérieur, il n'y a pas grand-chose : un lit haut sur pied dont l'épaisse couverture se situe en dessous parce que c'est là que je dors. Mon endroit est constitué de plantes en tout genre, planté dans des pots, de divers emballages, parfois même directement dans des tiroirs de meubles. Je n'ai rien d'autre dans ma vie que mes plantes, même les animaux ici ne semblent pas vouloir m'adresser la parole. La plupart du temps, je me sens envahis d'une détermination farouche, je sais que tout va rentrer dans l'ordre, que j'aurais ma vengeance, ou que sais-je ? D'ici là, je m'occupe de la flore d'ici qui en a grand besoin, je contrebalance certaines parties de la forêt en l'agrémentant d'arbres qui seraient aptes à se défendre contre un certain type de parasite, ou de plantes qui aident les autres à pousser.
Mes pas se ralentissent à mesure que j'approche de l'endroit où j'habite actuellement. J'étais partie que pour quelques heures, juste pour aller chercher des graines et des champignons. Cela s'est transformé en quelques jours d'absence. Il parait que cela ne se fait pas de partir ainsi sans prévenir personne. Je n'arrive pas à me résoudre à vivre ma vie ainsi, en humaine. Déjà, je vois les premières maisons, et j'ai envie de repartir vers la forêt. Alors que le soleil se lève paresseusement, je me rends compte que ma détermination s'est étiolée au profit d'une certaine mélancolie. Je me sentirai presque sereine, ici, entre deux mondes, l'un que je connais presque mieux que lui-même et l'autre, le monde des humains, que j'ai toujours soigneusement détesté et dont je suis supposée faire partie à présent.
J'inspire, et recommence à marcher silencieusement, mon petit sac de toile pleine de trouvailles à la main. Il est plus que temps que je me mêle aux autres, je ne suis sans doute pas la seule à être délogée de mon monde d'origine, et surtout, si je veux rentrer chez moi, il va falloir que je m'intéresse à ce qui se passe. Péniblement, je monte les marches jusqu'à regagner mon toit. Que mes ailes me manquent, mon dos me tire encore, comme si mes deux membres étaient enfermés à l'intérieur et ne souhaitaient rien de plus que de s'étendre. Je sais que ce n'est pas possible, mais cela agit sur moi comme deux membres fantômes qui auraient leurs propres exigences que je ne peux malheureusement pas combler.
Une fois arrivée devant ma porte, je m'arrête. Il y a une présence ici. Je ne ferme pas à clé, je n'aime toujours pas le contact du métal. Cependant, au moment où j'actionne la poignée de la porte, je suis convaincue que je ne suis plus seule. Ce n'est pas un sentiment dérangeant parce que je ne considère pas cet endroit comme mon territoire, et je n'ai jamais rechigné à partager mon territoire avec d'autres, mais c'est étrange... Personne ne vient jamais me rendre visite...
Doucement, je me glisse à l'intérieur et referme derrière moi le plus silencieusement que je peux. Mon instinct s'éveille, et avec lui la tension, la vibration, voire l'exaltation.
"Qui est là ?"
Même ma voix, si calme et fluette ces derniers temps, semble avoir repris de l'aplomb. Il ne faut pas que qui que soit cette présence, elle me prenne pour quelqu'un de faible.
Invité
Jeu 16 Nov 2023 - 18:11
Je regarde le ciel, la lune au-dessus de moi, et je soupire de ne pouvoir la rejoindre. La lune, ou ma maîtresse ? Les deux sans doute. Dans mes mains, le rossignol saute et tressaute, tinte avec une mélodie presque impatiente. Je sais que la propriétaire des lieux est absente, je ne sais juste pas pour combien de temps, alors je dois agir vite. L’appartement ne paye pas de mine, avec ses feuilles de lierre qui envahissent la totalité ou presque de la façade, mais je sais que sous l’apparence se cache parfois le plus pur des joyaux. Je ne sais pas pourquoi cet appartement m’a attiré plus qu’un autre. Est-ce parce que la femme qui l’habite laisse derrière elle ce parfum de mousse et de sous-bois qui me manque ? Est-ce que c’est parce que ses cheveux libres dans son dos lorsqu’elle marche me rappellent les ailes de ma chère maîtresse ? Je n’ai jamais pu voir son visage, mais quelque chose chez elle me pousse à explorer son nid. Et je suis fatigué de lutter contre mes instincts.
D’un geste vif, je saisis les morceaux de métal entre mes doigts, les empêchant de jouer leur musique qui me trahirais, et je profite de la sortie d’un résident pour arrêter la porte qui se referme juste avant qu’elle ne me claque au nez et me faufiler à l’intérieur. Je grimpe silencieusement les escaliers, regrettant mes ailes à chaque marche. Si seulement j’avais ma forme aviaire, j’aurais pu voler jusqu’à une fenêtre ouverte, et me glisser à l’intérieur sans même me faire remarquer de l’occupante des lieux. Mais je suis coincé dans cette forme bestiale. La porte se dresse enfin devant moi, seule sur le palier du dernier, et je me penche pour introduire mes outils dans la serrure, mais par réflexe, j’appuie sur la poignée avant.
Elle cède sans même que j’ai eu à utiliser mes crochets. Surprenant, je n’ai pas l’habitude qu’on m’invite de cette façon à entrer. Je pousse la porte, qui racle sur quelque chose qui ressemble à de la terre. Etrange, j’aurais juré que cet immeuble avait du parquet, et puis comment de la terre battue se serait retrouvée au dernier étage ? Je pénètre dans l’habitat, et referme la porte derrière moi. Le temps que mes yeux s’habituent à l’obscurité après la faible lumière du pallier, les odeurs m’ont pris à la gorge, menaçant de m’étouffer sous les souvenirs. Ça sent…La Lande. La mousse, les plantes, les fleurs qu’on ne trouverait pourtant pas dans ce monde…Je suis bouleversé. Et quand mes yeux dévoilent la jungle miniature, entourant dans un chaos savamment organisé un lit qui ressemble plus à un nid, je gémis. Ça pourrait être chez moi, si j’avais eu la main verte. Ça ressemble à ce que j’aurais pu faire dans la nature, mais confiné en un appartement.
Je glisse mes doigts sur les feuilles qui se tendent vers moi, et observe un peu plus l’endroit. A force, je parviens à distinguer les vestiges de civilisation humaine sous tout ça, la cuisine, dans ce recoin sombre, une salle de bain dont la baignoire sert de jardinière pour toute une colonie de plantes carnivores, mais dont le lavabo reste accessible, et puis ce lit, ce nid, sur l’encadrement duquel une plante grimpante rampe et s’accroche. Je sais instantanément que je ne trouverai rien de valeur ici, du moins pas pour mes receleurs. Je sais aussi que j’aimerais habiter dans un tel endroit.
Je cherche ma respiration, laborieusement, quand une voix me fige sur place. Je pâlis, vois trouble, sans savoir s’il s’agit d’un malaise ou des larmes qui me brouillent soudainement la vue. Je n’ose plus respirer en me retournant lentement vers la femme qui a parlé. Et quand je vois son visage, mes genoux se dérobent sous moi, et j’en pose un à terre. Je tremble, voudrait lever la main pour prendre l’une des siennes, mais je n’en ai plus la force. Soudain, un gémissement s’arrache à mes lèvres, et je perds toute contenance, et aussi toute dignité.
- Maîtresse…
Mes yeux se lèvent malgré mon échine courbée, et je cherche ses yeux dorés bordés de vert avec une certaine crainte. Va-t-elle me punir pour ne pas l’avoir cherchée ? Me transformer à nouveau en animal, peut-être même…en chien ? Je tremble, mais ne vacille pas. Je dois rester droit. Je lui dois la vie, et je me dois d’être fort.
- C’est moi, Diaval…Je…je vous ai tellement cherchée…
Les larmes roulent sur mes joues sans que je ne cherche à les arrêter, ni même que je les remarque. Je déteste cette faiblesse que j’affiche, mais je ne parviens pas à maîtriser mon émotion. J’espère juste qu’elle ne me punira pas en m’envoyant loin d’elle…
- Vous…m’avez tant manqué…
Je croyais qu’elle était morte, et la voilà devant moi, bien vivante, bien que diminuée physiquement. Où sont passées ses ailes, ses cornes majestueuses ? Est-ce que quelqu’un les lui a volées de nouveau ? J’aimerais tellement lui poser toutes ses questions, mais ma gorge s’est nouée…
Dernière édition par Diaval Corvino le Mer 3 Jan 2024 - 9:51, édité 3 fois
Invité
Dim 19 Nov 2023 - 10:01
Il se déploie, et se retourne lentement. Quand il a atteint toute sa stature, je retrousse les lèvres comme pour feuler ou mordre, dans une envie primale que je n'avais pas écouté depuis très longtemps. Enfin, il m'offre son regard d'animal acculé. C'est un homme, un autre, qui se permet de venir sur mon territoire et d'en troubler le fragile équilibre que je me suis évertuée à mettre en place. Qu'est-il venu chercher ? Est-il venu juste tout détruire, comme les autres ? Au lieu d'avoir l'air menaçant, je suis surprise de constater qu'il se courbe immédiatement.
Au moment où il s'adresse à moi, je me fige. "Maîtresse" ? En voilà un qui a des manières, cela me plait. Est-ce qu'il s'agirait d'un de mes sujets dévoué ? C'est vrai que je n'ai plus fait l'effort de connaître tout le monde depuis que je suis petite fée. Cependant, lui ne me dit rien, ou du moins, rien dans la position du servant dévoué qu'on peut oublier. Il a des traits étranges, troublants, un regard ténébreux terriblement séduisants. Je lui souris... avant qu'il me dise la chose de trop.
Je lui ai manqué ? Du sentimentalisme ? C'est un homme ! Il cherche à me manipuler. Ils cherchent tous à me manipuler. Mon sourire se fane immédiatement et je me jette sur ce Diaval, l'allongeant de tout son long sur le sol terreux de mon appartement, ma main sur sa gorge.... Que son cœur bat vite ! Je me redresse, à califourchon sur lui, mes mains toujours sur sa gorge, sans serrer, mais bel et bien menaçantes.
"Qui-es-tu ?"
Je détache chaque mot. Il a l'air d'être humain, avec ses manières contraintes. Cependant, il a aussi l'air d'être le genre de compagnon idéal que j'aurais terriblement besoin en ce moment. Sur son visage, je vois ma signature, elle est ténue, mais elle est présente. Il me fait penser à ce genre de lettre oubliée qu'on retrouve des décennies plus tard, et malgré l'écriture qui vous appartient, vous ne vous souvenez plus de l'avoir rédigé. Il faut que je le redécouvre, que je le lise, petit-à-petit.
Oui, il a ma marque, mais à part le lendemain de mon éveil, jamais, je n'aurais créé un être aussi soumis à mon service... Ou alors l'aurais-je fait dans ce monde, sans m'en souvenir ? Ma main s'est desserrée sans que je ne m'en rende compte. Son visage apparaît dans la pénombre. Je remarque un peu plus ses traits maintenant qu'il est sous moi...
Un nez pointu, une chevelure en forme de M sur le visage, des cheveux noirs corbeau... Cette idée me fait avoir un flash... Un éclat de rire complice... une forme noire magnifique... un cheval... un chien... un dragon.
Puis, le souvenir s'évapore aussi rapidement qu'il est venu dans mon esprit. J'ai beau essayer de m'y accrocher, il file comme du sable entre mes doigts.
C'est un homme magnifique parce que ce n'en est pas un. Ses yeux sont vifs, beaucoup plus que la plupart des regards éteints que je peux croiser quand j'arpente ce monde.
"Dis-moi que tu n'étais pas esclave. Dis-moi. Raconte-moi. Je me suis éveillé ici après la trahison de Stephan. Je suppose qu'il doit être roi, à présent qu'il a donné mes ailes."
Lentement, je laisse glisser mes mains de son torse pour me redresser et me poster quelques mètres plus loin. Je ne lui tourne pas le dos. Je n'ai pas assez confiance. Je me sens perdue, désespérément perdue.
Invité
Mar 21 Nov 2023 - 9:56
Elle a souri, mais son sourire disparaît au moment où je comprends que j’ai commis une erreur. Elle ne m’a pas reconnu…et je désespère. A-t-elle perdu la mémoire ? Elle a été touchée au flanc pourtant…mais peut-être que chez les fées c’est différent. Après tout, elle a été touchée avec une balle de fer, peut-être que l’empoisonnement du sang a affecté ses souvenirs…Je vois son air effarouché, une seconde avant qu’elle ne me plaque au sol avec brutalité. Sa main sur ma gorge est un rappel que ma vie est encore entre ses mains, une fois de plus. De toute façon, je la lui dois, alors elle est libre de la reprendre quand elle le souhaite. Je ne me débats pas, mais mon cœur s’est emballé parce qu’elle est soudainement trop proche de moi.
Et puis la question que je redoutais arrive, elle me demande qui je suis. Je flanche, mais ma tristesse ne se voit que dans mes yeux fixés sur son visage. Ses mains sur ma gorge, sur les marques de plumes telles des cicatrices qui me rappellent sans arrêt que je ne suis pas qui je devrais être.
- Qui je suis ? Vous ne me reconnaissez pas maîtresse ?
J’essaye de maîtriser le ton de ma voix, de ne pas le rendre suppliant ou désespéré. Je suis certes son serviteur, mais je ne suis pas un faible. Elle me trouble, son parfum de mousse et de nature m’emplit les narines, et je garde la bouche entrouverte pour ne pas suffoquer sous les émotions qu’elle m’inflige. Elle desserre sa prise, et m’étudie comme un objet qu’on aurait oublié. Dans ses yeux je vois un éclair de lucidité, mais il disparaît aussi vite qu’il est apparu, et mon espoir avec lui.
Ses mains glissent le long de mon torse, et je tâche de réprimer le frisson qu’elle y fait naître tandis qu’elle se relève et s’éloigne de moi. J’inspire, et me redresse pour m’assoir en tailleurs dans la terre. Elle exige des réponses, et je comprends. Elle reconnaît probablement la signature de sa magie sur moi, bien qu’elle soit faible, dans ce monde. Comme si elle n’y avait plus accès. Est-ce qu’elle va pouvoir la retrouver un jour ? J’écarte vivement cette idée de moi, j’ai trop peur de la réponse, trop peur de rester coincé dans ce corps humain indéfiniment.
- Je ne suis pas esclave, je suis votre serviteur de mon propre gré. Vous m’avez sauvé la vie, et je l’ai mise à votre service.
Stephan ? Alors elle ne se souvient de rien depuis la perte de ses ailes ? Je comprends mieux qu’elle soit si méfiante…la dernière chose dont elle se souvient, c’est d’avoir donné son cœur à un homme et qu’il lui ait volé ses ailes…Et je suis un homme. Je baisse les yeux, en réalisant la portée de ce qu’elle a oublié. De ceux qu’elle a oublié.
- Il l’a été oui. Il a eu une fille, Aurore.
C’est compliqué, je ne sais pas bien par où commencer.
- C’est pour ça que vous m’avez sauvé, pour que je sois vos ailes. Je ne suis pas humain, je suis…j’étais un corbeau.
Est-ce que le fait qu’elle retrouve ses souvenirs lui rendra ses pouvoirs, ses cornes, ses ailes ? Elle est si belle, c’est étrange de la voir sans ses attributs.
- Je comprends mieux votre méfiance envers moi…Vous n’êtes pas obligée de me croire, ni de me faire confiance. Pas dans ce monde.
Je soupire. C’est dur pour moi d’être cohérent, elle a plusieurs années de souvenirs à rattraper, dont certains qu’elle ne retrouvera peut-être jamais. Que j’aimerais qu’Aurore soit là, elle aurait tellement plus de facilité à lui expliquer, et elle serait crue, elle. J’ai le souffle court. Est-ce que Aurore pourra s’en sortir, seule à présent ? Sans moi, sans sa marraine, presque une mère pour elle ? Croit-elle que nous l’ayons abandonnée ?
- Vous avez maudit la fillette à son baptême, l’avez condamnée à se piquer le doigt sur une quenouille à ses seize ans, et l’avez plongée dans un sommeil éternel que seul un baiser d’amour sincère pourrait briser. Stephan a ordonné qu’elle soit élevée par des fées, maintenue à l’écart des fuseaux jusqu’à ses seize ans et un jour, mais ces trois sottes ont manqué de la tuer dès les premiers jours, et nous avons veillé sur elle, vous et moi. Et puis les idiotes ont vendu la mèche à la veille de son anniversaire, et elle est retournée au château.
Je prends une inspiration, réalisant que je n’ai pas respiré depuis le début de ma tirade.
- Nous avons tenté de la rattraper, de la sauver, nous avons même trouvé le prince Phillip, qui l’aime sincèrement, mais cela n’a pas fonctionné, jusqu’à ce que vous lui donniez un baiser sur le front et qu’elle s’éveille. C’est vous qui l’avez sauvée.
Je doute qu’elle ait foi en cette partie. Elle était si butée, si convaincue que l’amour sincère n’existait pas…
- Ensuite Stephan a tenté de vous tuer, mais Aurore a retrouvé vos ailes et vous les a rendues. Et vous avez tué Stephan. Il est mort depuis des années maintenant…
Bon, je crois que je dois m’arrêter là maintenant. Il faut qu’elle digère toutes ces nouvelles, et j’ai un peu peur de sa réaction…Est-ce qu’elle va réellement me tuer maintenant, pour ne pas avoir à entendre plus de sornettes venant de moi ?
Dernière édition par Diaval Corvino le Mer 3 Jan 2024 - 9:52, édité 1 fois
Invité
Mer 13 Déc 2023 - 15:22
Il ne se défend même pas, le lâche. Pour peu, j'en aurais presque grogné de frustration. Cela ne me ressemble pas d'être si peu... humaine, en la présence de quelqu'un. Depuis quatre ans, je me suis résolue à n'être que l'enveloppe qu'on veut que je sois, normale, désespérément invisible. Les arbres ne se dressent plus à mon approche, les hommes ne tremblent pas, et le métal ne me fait plus rien. Alors pourquoi en cet instant précis, j'ai envie d'inverser le cours des choses, de repartir en arrière, et de retourner à la vie sauvage que j'ai toujours adoré ?... Mais de ne pas y retourner seule.
Il me donne des envies étranges : avancer, s'acharner, ne pas abandonner, aller jusqu'au bout. Mais au bout de quoi ? Je n'en ai absolument aucune idée.
Ce n'est donc pas mon esclave, mais juste un être qui s'est mis à mon service ? Cela me ressemble tellement peu. Non, cela ne me ressemble plus. L'être que j'étais auparavant aurait pu faire cela, recherchant le profit, recherchant le réconfort, même. J'espère juste que je lui ai sauvé vraiment la vie et que ce n'est pas moi qui l'ai mis en danger au départ.
Mes mains se crispent. L'amour de ma vie, marié ? Mais le jeune homme enquille directement sur une autre vérité... Il a eu une fille avec elle. Comme j'aimerais la maudire, de toutes mes forces ! Mes dents se serrent en une mâchoire crispée. Il m'explique alors le rôle qu'il a eu dans tout cela et je comprends à quel point j'ai pu avoir besoin de lui. Toute cette colère ne sert à rien, je ne peux ni la manifester, ni la canaliser dans une malédiction. Je pose donc ma main sur la joue de mon désormais seul et unique ami.
"Je suis certaine que tu es un magnifique corbeau."
Ce nom, Aurore, ne m'est pas inconnu... Mais ce n'est pas important pour le moment.
Je regarde l'homme et éclate d'un rire nerveux, un rire qui grandit, proche de la folie la plus pure. Je le crois infiniment. Cela ne m'étonne pas de lui avoir jeté une malédiction le jour de son baptême. Même à travers ses mots, je peux voir la malice et le chaos que j'ai pu devenir. C'est étrange de l'entendre me raconter ce qui aurait pu être, dû être, et que je sais déjà pour l'avoir longtemps fantasmé.
"Laisses moi deviner... Flora, Pâquerette et Pimprenelle ?"
Il n'y a qu'elles. Le "roi" ne ferait jamais confiance à des fées intelligentes pour ce genre de rôle. Il ne l'était pas lui-même de toute façon.
Le reste de son histoire me paraît bien insolite tout à coup. J'essaie de cacher ce que je ressens, mais c'est très délicat. Je n'ai aimé qu'une fois, et j'ai été abusée. Comment pourrais-je me dresser contre mon propre sortilège ? Comment pourrais-je même le vouloir ? La seule chose que j'entrevois...
... Mon regard se plante dans ceux d'abysse du corbeau que je vois en face de moi....
...Nous avons élevé un enfant ensemble. Il m'a appris à aimer à nouveau, et j'ai porté mon amour pour cette fillette que j'avais toutes les raisons de détester. Cet être, il m'a appris à aimer à nouveau. Cela ne peut être que cela. Cette fillette devait m'aimer aussi, si elle s'est dressée entre nous, qu'elle m'a rendu mes ailes. Je me demande ce qu'elle devient aujourd'hui. Son manque se grave en moi d'une manière très étrange, comme si je connaissais le dessin sans jamais l'avoir vu.
"Et toi et moi n'avons jamais été plus que... des partenaires de vie ?"
Cela non plus ne m'étonne pas de moi. Avant Stephan, je ne me suis jamais laissée approcher par qui que ce soit. Je suppose que dans cette autre vie, il a dû en être de même. Je me suis laissée simplement séduire, domptée, et mes émotions relâchées, grâce à un corbeau que je ne pense pas avoir suffisamment considéré.
"Est-ce que je te traitais bien ?"
Juste cela, j'ai besoin de savoir cela, au-delà de la "maîtresse" que j'étais pour lui. Un corbeau, ça ne se soumet pas si facilement, même par la vie. Un corbeau peut mentir aussi, mais cette idée ne me traverse pas l'esprit.
Cependant, chassez ma nature...
Je me relève, aidant ce pauvre ami de longue date à faire de même.
"Dis-moi que Stephen a souffert..."
À présent, je n'ai plus de vengeance dans le cœur, mais une question me reste. Puis une autre... et encore d'autres, toujours plus nombreuses.
"Comment ai-je disparu ? Comment m'as-tu retrouvé ? Diaval est ton vrai nom ? Pourquoi n'es-tu pas corbeau ?"
Invité
Mer 3 Jan 2024 - 10:49
C’est tellement étrange de revoir son visage après tout ce temps. Elle a tellement changé, et ce n’est pas seulement dû à l’absence de ses cornes et ses ailes. Son visage s’est adouci, comme si ce qu’elle avait oublié avait été retiré des angles de ses pommettes. Ses yeux flamboient d’une lueur que je suis surpris de trouver là, quand je mentionne la fille de Stephan. Est-ce que c’est…de la jalousie ? Envers lui pour avoir eu une fille, ou envers sa femme pour avoir pris la place qui revenait à ma maîtresse ? Je ne la savais pas sujette à ce genre de sentiments.
Sa main sur ma joue me fait dresser les cheveux dans la nuque, parce qu’elle ne m’a jamais touché de la sorte. Jamais elle n’avait manifesté d’attention particulière à mon égard, je n’ai toujours été qu’un pion. Et là, qu’elle soit si…tactile, en m’ayant totalement oublié au passage ? C’est trop étrange…et j’aime un peu trop ça. Je rougis, détourne un peu mes yeux, qui parcourent la courbe de son cou et suivent le tracé de son épaule. Et puis son rire me fait décrocher, parce qu’il a cette parcelle d’insanité, c’est le même rire qu’elle a eu quand elle a découvert les trois fées à qui on avait confié la petite.
- Elles-mêmes…Elles ont bien failli la faire mourir de faim dès les premiers jours…si vous ne m’aviez pas envoyé avec une fleur de lait, ça aurait été le cas.
Et puis je poursuis mon récit, et elle plante son regard dans le mien, accroché malgré moi à ses reflets dorés. Elle semble réfléchir, me voir différemment d’un seul coup, et sa prochaine tirade me fait lever un sourcil de surprise une seconde.
- P-partenaires de vie ? J-je…Non, enfin, ça dépend de ce que vous entendez par « Partenaires de vie »…
J’ai rougi, je bégaie comme un adolescent stupide. Et puis sa question suivante me désarçonne. Est-ce qu’elle me traitait bien ? Objectivement, non, mais ce n’est pas ce qu’elle a envie d’entendre. Et puis, honnêtement, elle a été dure, m’a manipulé à sa volonté, mais je ne m’en suis jamais vraiment insurgé…A part quand elle m’a transformé…
- Vous m’avez transformé en chien.
Mon ton est plus boudeur que je ne le souhaitais. Je réalise qu’elle ne s’en est jamais excusée, mais que je lui avais déjà pardonné. Et aussi que je n’ai pas vraiment répondu à la question, que j’aurais pu lui mentir, mais que j’ai préféré ne pas le faire. Elle se relève, et me tend la main pour m’aider à en faire de même, et j’ai une seconde de retard avant de répondre à son invitation, et une seconde de retard quand il s’agit de la lâcher aussi. Mes doigts ont trainé dans sa paume malgré moi.
J’ai un rictus haineux quand elle me demande si Stephan a souffert, parce qu’il n’aura jamais souffert autant qu’elle, et puis elle enchaîne les questions, et j’ai un petit rire. Elle est si curieuse…c’est amusant. C’est dans ces moments que j’ai envie de ramener une mèche de ses cheveux derrière son oreille, et de caresser sa joue au passage. Mais je connais ma place, je suis à elle, mais elle ne sera jamais à moi, alors je ne bouge pas vers elle. En fait, je me retiens en reculant jusqu’au premier meuble derrière moi, pour m’appuyer nonchalamment dessus.
- Stephan a souffert oui, mais jamais assez.
La haine déforme à nouveau mon visage. Je ne parviens pas à comprendre comment il a pu infliger ça à ma maîtresse. En tant qu’oiseau, avoir les ailes coupées, c’est aussi radical que si l’on vous tranchait la gorge. Je ne comprends que trop bien la douleur de ma maîtresse. Elle me pose une question que je ne pensais pas si difficile, et je la remercie d’enchaîner avec les autres, parce que je ne suis pas certain d’arriver à en parler tout de suite. J’ai un petit sourire, un peu triste, en lui répondant.
- Mon nom est vraiment Diaval, en tant qu’humain en tout cas c’est le nom que j’ai choisi.
Je bute sur la question d’après, c’est encore douloureux pour moi de ne pas avoir ma forme ailée.
- Je ne suis pas sous ma forme de corbeau…parce que vous ne m’avez pas rendu cette apparence. Et puis vous avez été touchée par une balle de fer…Vous êtes tombée dans la rivière. Je vous ai crue morte, et j’ai été transporté ici, dans cette ville bizarre…
Je perds mon souffle un instant, parce qu’une certaine angoisse m’étreint. Elle n’a pas ses pouvoirs ici, je le sens. Et si elle ne pouvait jamais les retrouver ?
- Je vous ai cherchée, mais je n’ai rien trouvé, pendant quatre ans…Et puis j’ai suivi cette femme qui portait votre odeur…Je n’aurais jamais pensé qu’il pouvait s’agir…de vous. J’avais…perdu espoir de vous retrouver.
Je crains à nouveau son courroux. Qu’elle décide que je ne suis pas à la hauteur, qu’elle me punisse pour ne pas en avoir fait assez. Et je le mériterai, j’ai si vite abandonné…Et c’est quand enfin j’abandonne que je la retrouve. Malgré moi, ma posture s’est recroquevillée, comme dans l’attente d’un châtiment qui ne viendra pas, puisqu’elle a perdu sa magie.
- Pourquoi croyez-vous tout ce que j’ai dit ? Je veux dire, je suis sincère, mais même les corbeaux mentent…Et vous êtes si méfiante d’habitude…Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis digne de confiance ?
Qu’est-ce qui vous l’a fait croire au premier abord, maîtresse ? Qu’avez-vous vu en moi que je ne perçois pas ?
Invité
Sam 6 Jan 2024 - 18:42
Quelque chose me plait, dans cette image. Lui en maman poule (ou corbeau), moi lui donnant des ordres. Je nous vois presque l'un et l'autre, allongés dans l'herbe, à regarder la petite courir en pleine nature sous le nez et la barbe des trois fées marraines. Oui, quelle belle vie ç'aurait été ! Ou ça a été ? Je me surprends avec un sourire rêveur avant de me reprendre. Je suis en présence du seul homme qui pourrait m'aider, et cela remplit ma gorge de bille de le constater. Certes, je m'accroche à l'idée que ce soit aussi un corbeau.
Je me souviens quand je suis arrivée ici, j'aurais vraiment pu user de la fidélité d'un corbeau.
Un corbeau... nerveux... par ma simple présence, d'ailleurs.
"Ce que j'appelle 'partenaire de vie' est simplement pour ne pas utiliser le mot esclave. Après la trahison, je sais dans quel état d'esprit j'ai pu être, et je sais ce que j'aurais pu faire, en particulier à la seule personne présente auprès de moi."
Oh oui, je l'ai maltraité. Je m'en informe auprès de lui, et je me mets à rire, non pas un rire grandiose et grandiloquent que j'aurais pu faire alors, mais un petit rire amusé comme s'il avait fait une blague.
"Je suis persuadée que tu dois être un chien magnifique."
Je ne trouve pas les hommes beaux. Je ne peux plus les trouver attirants, ou même digne d'un quelconque intérêt. Mais lui, cet homme qui n'en est pas un, c'est différent. Il a des yeux noirs dans lesquels j'aimerais me plonger, j'aimerais connaître jusqu'à la plus petite fibre de son intelligence de corvidé, savoir ce que cela fait que de voler à nouveau, partager nos impressions, nos idées, nos envies.
Je devais sincèrement être en colère pour garder la main mise sur la forme d'un corbeau. Pourquoi ne l'ai-je pas laissé à sa liberté, une fois qu'il m'a bien servi ? Je le regarde dans les yeux, et un soupçon de réponse se formule dans mon esprit.
"Oui... je suis bien différente ici aussi. Je suis vulnérable. Je me déteste en tant que vulnérable. Mais au moins le fer ne me fait plus rien."
C'est une maigre consolation. Je baisse la tête. J'aurais préféré être vaincue, plutôt que de vivre cette existence misérables aux côtés d'autres personnes toutes aussi misérables.
Diaval se met à me poser des questions. Je relève le visage vers lui et me tourne afin de lui faire totalement face.
"Les corbeaux mentent, oui. Les hommes aussi. Un homme corbeau ne devrait donc avoir aucun mal à me manipuler. Cependant, je n'ai parlé de moi et de mon histoire à personne. Comment pourrais-je avoir eu besoin d'ailes, si tu ne savais pas que j'en avais eues ? Même le plus intelligent des êtres ne peut pas inventer une telle histoire et espérer s'adresser à la bonne personne. Tu connais mon monde. Et... je me vois, un peu, en toi."
Moins intrusive, cette fois, je prends sa main dans la mienne. Je la pose, paume contre paume, contre ma propre main.
"Toi et moi sommes rescapés d'un autre monde. Tu es la seule personne qui m'ait reconnue, et tu es la seule personne qui me parle un langage que je comprends, depuis bien longtemps. L'heure n'est pas à la méfiance. Si ce que tu dis est vrai, et que Stephan est mort, alors je n'ai plus d'ennemis."
Je baisse les yeux sur nos mains et plie les doigts pour qu'ils s'entrecroisent avec les siens. Je le serre fort, contre moi, comme une étreinte qu'on ferait à un vieil ami qu'on retrouve après des années, cette même étreinte que j'ai été incapable de lui donner... Que je n'ai jamais été capable de donner à quiconque après avoir eu le cœur brisé.
"Je sens une blessure en toi, une blessure qu'on aurait faite pour y accrocher une chaîne, fermement, sans possibilité de fuite. Si tout ce que tu dis est vrai, alors j'ai une lourde dette de vie envers toi. Je ne vois pas quel serait ton intérêt de revenir me voir si ce n'est pour en être acquitté."
Je vois ces doigts caresser un plumage d'un noir bleuté. Je ferme les yeux.
"Si tu n'es pas digne de confiance, alors personne ne l'est."
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Why be nice when we can be wicked ?
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