(TERMINE) Le corps humain est si fragile [pv Rory]

Dans les premiers temps qui avaient succédé à son arrivée dans cet ville sans nom, Pearl n'avait eu de cesse que de se mettre en danger involontairement : que ce soit parce qu'elle ne savait pas gérer convenablement les sentiment de froid, de chaleur, de faim, de satiété, de sommeil... soucieuse de respecter ses anciennes habitudes, où elle n'était pas limitée par un corps qui, justement, ne lui autorisait pas toutes les largesses qu'elle avait à l'époque. Quand elle était une perle - et elle n'en revient toujours pas de ne plus en être une, elle pouvait s'activer et se battre sans jamais se fatiguer, elle ne dormait pas, ne mangeait pas, elle vivait l'écoulement du temps d'une manière très différente. Quand une gemme était "tuée", tant que sa pierre n'était pas endommagée, elle se regénérait, tout simplement. Oui, les gemmes pouvaient mourir, elle aussi, mais il fallait pour cela les briser, et cela arrivait finalement très rarement. Ici, elle se sent terriblement perturbée par tout ce qui l'entoure.

Comme si ce n'était pas assez de devoir se familiariser avec des sensations qui toutes lui étaient étrangères (qu'elle n'avait plus ou moins connues qu'en observant Steven et Greg, et cela ne suffisait pas à se faire une idée de ce que c'était réellement), elle devait aussi jouer avec des angoisses autrement plus urgentes, comme le fait qu'elle se trouvait dans un endroit qui même après deux ans d'analyse et d'exploration ne tolérait pas que l'on perce à jour ses mystères, comme le fait qu'après deux années, justement, elle n'avait toujours pas retrouvé Steven... probablement parce que Steven n'était pas là. Et si Steven n'était pas là, peut-être qu'il était resté seul à Beach City, sans personne pour le protéger et prendre soin de lui... non, peut-être pas, Garnet et Amethyst seraient là, et son père aussi... mais si tous les trois avaient atterri ici et pas lui ? Et si... ? Trop de et si ?

Après, il ne fallait pas s'étonner que, malgré tous ses efforts, elle finisse quand même par négliger sa santé. En deux ans, elle a eu le temps d'apprendre à se nourrir convenablement, à dormir un temps acceptable, à faire ce que font les humains normaux - aux compétences ô combien diminuées, donc. Mais parfois, elle s'en remettait malgré tout à des habitudes, à de vieux instinct. C'était arrivé alors qu'elle s'entraînait à l'escrime, une compétence dans laquelle elle excellait, au même titre que la danse... moins avec un corps qui se fatiguait trop vite. Et si elle avait fini par se faire une entorse carabinée, il n'y avait pas à chercher bien loin : elle avait été incapable de s'arrêter à temps, tout simplement.

C'est pour cela qu'elle se retrouvait à présent aux urgences, à attendre qu'on s'occupe d'elle... Sa blessure n'était pas bien grave, mais elle le sentait passer. En espérant qu'on la prendrait en charge rapidement...

Pearl adresse à l'infirmier un sourire aimable, soulagée d'être prise en charge. Les hôpitaux ont tendance à la rendre nerveuse. Elle n'a pas souvent eu l'occasion de s'y retrouver pour sa part, mais ça n'a jamais été dans des circonstances franchement heureuses (bon, qui se retrouve à l'hôpital dans des circonstances heureuses, en même temps ?), même pas du tout, d'ailleurs. Alors elle aimerait mieux être ailleurs. Mais si elle pouvait jouer les infirmières pour Steven assez facilement à Beach City, elle est incapable de les jouer pour elle-même ici.

Elle a besoin qu'on la prenne en charge. En bref, elle est dépendante des autres... ce qui a toujours été le cas avec les crystal gems mais rarement avec d'autres humains, et c'est un constat assez étrange à faire pour elle, en vérité. Dans tous les cas, l'infirmier a l'air attentif et sympathique, et cela a le don de rassurer Pearl qui l'accompagne donc jusqu'à la salle d'examen, l'aidant au passage à se déplacer, exercice devenu difficile avec sa jambe douloureuse.

Elle ne se fait pas prier quand il lui propose de s'asseoir sur le lit. Elle en a clairement besoin, elle tiendrait difficilement, pour ne pas dire pas du tout sur ses deux jambes. Certes, la blessure est bégnine, mais cela ne l'empêche pas d'être plutôt douloureuse, bien au contraire. Quand on n'est pas habitué à la douleur physique, c'est d'ailleurs d'autant plus difficile de l'appréhender, pour tout dire. Et elle comprend mieux la nature des lamentations de Steven parfois quand elle avait tendance à le pousser à bout sans même se rendre compte, en vérité, que c'était ce qu'elle faisait.

"Je m'appelle Pearl, Pearl Pinkstone." Ou le nom de famille qu'elle s'est trouvée en arrivant ici, elle n'est toujours pas habituée au fait d'en avoir un. "Je m'entraînais à l'escrime", lui apprend-elle quand son interlocuteur lui demande ce qui lui est exactement arrivé. "Je suppose que j'ai trop forcé...", ajoute-t-elle d'un ton nerveux. "J'ai senti ma cheville brûler, mais j'ai continué, je me suis dit que ça passerait." Elle observe sa cheville, qui semble au passage avoir doublé de volume, avec un air consterné. Elle s'est intéressée à l'anatomie et à la médecine en théorie, mais dans la pratique et dans le ressenti, c'est autre chose. Aucun des schémas qu'elle a pu étudier n'auraient pu la préparer à ça. "Le corps humain est vraiment déroutant...", ajoute-t-elle presque plus pour elle-même que pour son interlocuteur.

Elle, elle n'avait eu de corps que... théoriquement, disons. Le corps physique d'une Gemme n'est jamais qu'une projection de lumière solidifiée issue de son cœur de cristal. Alors tout ça, c'est... du travail à appréhender. Elle n'a pas l'intention d'épiloguer sur la question, mais au-delà du fait qu'elle a sincèrement mal, en cet instant, la curiosité a une part aussi importante que la douleur dans son esprit, ce qui l'aide sans doute d'autant mieux à supporter cette dernière, en réalité.

Pearl affiche un sourire ravi tout en hochant la tête quand l'infirmier semble s'intéresser à son art de prédilection (car oui, l'escrime est bien plus qu'un sport pour elle, c'est quelque chose qui tiendrait presque de l'engagement et de la vocation, peut-être pour la symbolique que la maîtrise de ce sport renferme pour elle - on attend d'une perle qu'elle sache danser et divertir, mais certainement pas combattre, et Pearl a su aller au-delà des attentes que l'on plaçait en elle). Elle ne sait pas si cet homme qui se nomme donc Rory Williams, a dit cela uniquement pour lui faire la conversation et lui faire oublier la douleur, mais que ce soit le cas ou non, on peut dire que ça fonctionne, ou en tout cas en partie, car Pearl parvient à mettre davantage de côté sa cheville blessée quand elle se focalise sur ce qui l'intéresse et la passionne. Même si ça ne va pas durer bien longtemps, cela va sans dire.

Elle ne répond rien quand l'infirmier lui conseille, à juste titre, d'écouter son corps, elle sait que ce conseil et bon, et c'est régulièrement qu'elle cherche à l'appliquer, mais c'est compliqué pour elle. Son corps, pendant si longtemps, ne lui a tout bonnement rien dit, et maintenant, ce qu'il peut être bavard. Et ça peut paraître stupide, mais identifier tous ces ressentis et savoir précisément comment y remédier a été un vrai casse-tête pour elle. Savoir parfaitement combler le sentiment de faim, par exemple, a été une épreuve. Pour la douleur, c'est autre chose, et Pearl par ailleurs réalise combien elle peut s'exprimer par bien des biais, qu'ils soient concrets comme maintenant, ou plus insidieux. Elle a toujours eu ses émotions, elle est même très émotive, mais jamais la souffrance morale n'avait trouvé de traduction physique chez elle. Le cœur qui se tort, l'estomac qui se serre, la gorge qui se noue... ce ne sont pas que des expressions, mais ça, elle n'était pas capable de le voir, avant. Maintenant, c'est constant. Quand elle pense à ses amies introuvables, quand elle s'inquiète pour Steven... ou à chaque fois qu'elle pense à Rose, bien sûr.

"De me reposer...", répète Pearl, particulièrement dubitative, quand l'infirmer lui conseille de lever le pied - au sens propre comme au figuré - et d'éviter de faire de l'escrime pour un moment. Elle ne va pas prétendre ne pas savoir que le repos est souvent préconisé aux humains quand ils tombent malades ou se blessent, mais là encore, c'est une chose qu'elle a du mal à appliquer pour elle-même. Elle a du mal à se figurer dans une situation qui la pousserait à l'inaction, à l'immobilisme, à quelque chose qui mettrait à mal son impétuosité ou son dynamisme. "Qu'est-ce que je suis supposée faire pendant ce temps-là...", ajouta-t-elle comme désarmée à la seule perspective de juste... prendre soin d'elle, en fait. "Pendant combien de temps ? Pas trop longtemps, n'est-ce pas ?"

Oh ça y est, Pearl la névrosée pointe le bout de son nez. Et elle commence à paniquer.

Pearl ne peut s'empêcher d'afficher une moue insatisfaite en entendant l'infirmier lui confirmer qu'elle n'aura d'autre choix que de se reposer si elle veut que les choses n'empirent pas. Elle est techniquement capable de l'entendre, mais elle ne sait faire autrement que de songer à tout le temps précieux qu'elle va perdre, du temps qu'elle ne pourra pas consacrer à perfectionner ses compétences ou à déployer toute l'énergie nécessaire (mais qui semble si vaine) à retrouver Steven. Enfin, peut-être que c'est un mal pour un bien. Pearl n'a pas envie de l'admettre, mais ça reste un fait, elle vit à cent à l'heure, et à la longue, ça ne peut lui faire aucun bien. Elle a tout intérêt à freiner le rythme, car à force de vouloir être sur tous les fronts, elle n'est finalement nulle part. Elle brasse beaucoup de vent, et ça ne va pas forcément plus loin. De cela aussi, elle a tout à fait conscience.

Il lui parle du fait qu'elle pourra lire, durant ce temps... Oui, elle a des dizaines d'ouvrages qui l'attendent, c'est vrai, et ce ne sera pas forcément des lectures vaines... Sans oublier que son travail, même si elle est très souvent sur le terrain, consiste bien souvent à rester assise à un bureau à déchiffrer et analyser les données qu'elle a pu récolter (ce qui pour le moment ne lui a d'ailleurs pas permis de grandes percées scientifiques, à son grand dam)... Peut-être pourrait-elle aussi en revenir à son projet de construction de navette. Si elle réussissait à rejoindre ou même à joindre Homeworld, il lui serait plus simple de déterminer ce qu'il est advenu d'Amethyst, de Garnet et de Steven...

Car non, des amis et de la famille, Pearl n'en a pas, n'en a plus. Bon, de la famille à proprement parler, elle n'en a jamais eue, en même temps, mais les Crystal Gems sont sa famille, quant aux amis... Elle a bien rencontré quelques personnes qu'elle a appris à apprécier,  notamment Vanya, dont elle recherche de plus en plus la compagnie, mais la vie de Pearl n'en est pas moins relativement solitaire, et ça ne doit certainement pas aider sa fragilité psychologique, qui fait qu'elle se sent sur le point d'imploser à peu près... tout le temps, en fait.

L'infirmier s'éclipse le temps de chercher le médecin, qui lui fait passer quelques examens pendant que lui-même s'éclipse. La radio qu'il lui fait passer révèle qu'il s'agit bel et bien d'une entorse, relativement sévère, mais qu'au moins, elle n'a pas de fracture. Elle échappe au plâtre aussi. Elle a droit à une attelle et à des béquilles, ce qui est déjà beaucoup trop pour elle.

Quand le médecin en a fini, elle se retrouve seule à déambuler dans les couloirs de l'hôpital. Elle se sent envahie d'un certain vertige. Elle ne s'attendait pas à ça. Elle craque. Elle s'adosse à un mur et sent les larmes lui monter aux joues. C'est pathétique de craquer comme ça, et définitivement, on a raison de lui conseiller de se reposer. Mais Pearl a le sentiment que tout lui échappe, y compris son propre corps, sur lequel elle devrait pourtant avoir le plus de contrôle. Et c'est épuisant.

Pearl sait que ce n'est rien, objectivement, elle sait que ce n'est rien, mais elle est une cocotte-minute. Depuis trop longtemps, elle tente de contenir des émotions qui menacent d'exploser à tout moment. Elle a toujours été très émotive, mais avant, elle avait ses amies de toujours à ses côtés pour l'aider à passer outre ou à dépasser ses émotions les plus négatives. Ici, ce n'est pas le cas, et ça aussi, c'est une chose dont elle prend de plus en plus conscience. Bien sûr, Steven lui manque incroyablement et elle a peur de ne pas le retrouver, et que quelque chose de grave lui soit arrivé, mais il n'est pas question que de cela, en fin de compte. Voilà des millénaires qu'elle, Garnet et Amethyst font front commun, des millénaires qu'elles sont ensemble et ne se lâchent pas d'une semelle... Sans elles, comment aurait-elle réussi à surmonter la perte de Rose (enfin, si on admet qu'elle l'a surmontée, ce qui n'est pas forcément vrai) ? Sans elles, comment réussir à quoi que ce soit ? Fusion ou pas fusion, elles sont complémentaires... et là, eh bien... elle est seule, tout simplement. Seule avec elle-même et cette boule dans la gorge. Métaphorique, pour le coup, mais qui lui donne le sentiment d'être bien réelle. Encore une sensation tout à fait humaine qu'elle se serait bien épargnée.

La voix de l'infirmier parvient à son oreille de façon presque lointaine et il lui faut quelques secondes pour revenir à la réalité et prendre conscience d'où elle est : toujours à l'hôpital, la jambe immobilisée... C'est celui qui s'est déjà présenté à elle sous le nom de Rory qui est venu à la rescousse. Un jeune homme bien, à n'en pas douter. Elle hoche la tête quand il lui propose de s'asseoir. Oui, il a raison, c'est une bonne idée, déjà. Elle doit se reprendre, et ensuite, elle pourra... Se reposer, puisque apparemment, elle en a besoin. Dans le fond, c'est vrai à plus d'un titre. Elle y verra plus clair quand elle se sera ménagée. Mais ce n'est pas gagné. Mais à peine pense-t-elle s'être calmée qu'elle sent les larmes poindre de nouveau quand son interlocuteur demande si elle a quelqu'un à appeler.

"Non... personne...", parvient-elle à articuler entre deux sanglots. "Je n'ai plus personne." Elle essuie ses larmes d'un revers de manche. Elle a perdu Rose, elle ne peut pas perdre Steven et les autres, mais dans des circonstances comme celle-ci, elle a presque le sentiment que c'est inévitable. "Je suis désolée, vous avez mieux à faire que d'écouter mes jérémiades, pas vrai ?"

Elle donne un spectacle peu reluisant d'elle-même, et elle n'aime pas ça. Pearl est sensible, trop sensible, c'est vrai, mais elle es aussi déterminée, vaillante, elle ne doit pas se laisser arrêter, même par une entorse. Il faut qu'elle réussisse à dépasser la fatigue, la douleur. Mais c'est sûr, ce serait plus simple si elle avait quelqu'un sur qui se reposer.

Pearl affiche une esquisse de sourire face à la considération de son interlocuteur. Il est désolé, et elle est désolée qu'il le soit. Elle n'a aucune envie d'accaparer son attention, mais elle en a sans doute besoin, car les mots qu'il choisit ne sont certainement pas excessifs. En effet, c'est bien ça, elle est en détresse. Tant qu'elle se focalise sur ses recherches et sur son travail, elle parvient à l'occulter, mais quand elle se retrouve seule avec ses pensées, des pensées qui lui semblent inexorablement ralenties par sa condition d'humaine, ce n'est plus la même chose. Tout à coup, elle se sent submergée, tout à coup, elle ne se sent plus capable de rien, tout à coup, tout lui semble désespéré. Elle a de la chance d'être tombée sur un infirmier si empathique et attentif. Elle a l'impression d'accaparer son attention inutilement, mais en même temps, elle est contente qu'il soit là. La dernière chose qu'elle est capable de vouloir, ici et maintenant, c'est de se retrouver seule. Cette pensée la terrifie plus que nécessaire. Même si se lamenter en présence d'un inconnu n'est pas non plus la meilleure manière d'occuper son temps.

Elle se laisse entraîner dans une pièce vide où elle a le sentiment de réussir à un peu mieux respirer. Dans le couloir de l'hôpital, elle avait l'impression d'être oppressée. Ce poids sur sa poitrine ne s'est pas totalement dissipé mais il est devenu, tout du moins, plus supportable, et elle se dit qu'en inspirant, en expirant, en se recentrant, en parlant peut-être... ? Elle réussira à se sentir un peu mieux. Bon, ce n'est pas gagné encore, mais il y a déjà une petite amélioration. Elle ne doit pas cesser de penser à Steven et aux Crystal Gems, mais elle doit le faire d'une manière constructive, ça elle le sait pertinemment.

Pearl observe un instant l'infirmier, les yeux encore voilés de larmes. Oui, c'est vrai, elle a besoin de parler, elle en a terriblement besoin, même. Mais par où commencer seulement ? Et de quelle manière présenter les choses. Même ici, même dans ces circonstances, elle ne pense pas qu'ils soient beaucoup à vraiment pouvoir comprendre ce qu'elle éprouve, ce qu'elle traverse.. Pas que son drame personnel soit unique en ces lieux, loin de là, mais toutes les situations restent uniques. Et notre appréciation de ces situations l'est par conséquent tout autant.

"Je..." Elle l'observe un instant. Il promet de ne rien répéter à personne, et elle a le sentiment qu'elle peut lui faire confiance. Elle ne saurait dire d'où cela lui vient, mais elle est à peu près certaine qu'il ne la trahira pas. "Vous promettez de ne pas me prendre pour une folle ?"

Elle doit déjà avoir l'air folle, avec ses airs agités, sa patte folle et ses réflexions sans queue ni tête sur le corps humain, mais elle aimerait éviter de finir dans l'aile psychiatrique de l'hôpital.

Pearl dévisage un instant l'infirmier, à travers un voile de larmes contenu du mieux qu'elle le peut, pour jauger sa sincérité quand ce dernier lui affirme qu'il a vu des choses que beaucoup de personnes auraient bien du mal à croire. Elle n'a aucun mal à le penser sincère quand il affirme qu'il ne la jugera pas. Même si elle ne le connaît pas, elle le sent tout à fait sincère, certainement pas du genre à se moquer des possibles élucubrations d'autrui. Il paraît attentif, à l'écoute... Pour ce qui est d'avoir vu des choses invraisemblables, elle ne sait pas si elle doit le croire et accorder du crédit à ce qu'il affirme, mais elle en a envie, ne serait-ce que parce que ce ne serait pas si improbable. Pourquoi donc serait-elle la seule à avoir eu une destinée si singulière sur l'entièreté de cette île ? Non, ce n'est sans doute pas le cas, d'autant plus que le simple fait de se trouver sur cette île, justement, contribue d'ores et déjà à une destinée ce qu'il y a de plus singulière.

Alors elle lui adresse un très fin sourire. Elle a bien envie, oui, de lui adresser sa confiance, mais non sans une certaine parcimonie. Elle sent qu'elle va devoir bien choisir ses mots, sans compter qu'elle n'est toujours pas certaine de ce qu'elle se sent capable d'apprendre ou non à son interlocuteur. Ce n'est pas si simple, et elle ne veut pas donner des informations si précieuses et si personnelles trop rapidement... Rory est sympathique, il est prévenant, mais il reste un inconnu. Et elle ne l'oublie pas. Elle serait bien à mal de l'oublier, même.

"Je veux bien, oui", répond-elle avant toute chose quand l'infirmier lui propose un verre d'eau.

Oui, se désaltérer un peu avant de décider de s'engager dans quelque discours que ce soit, ça lui semble plutôt bienvenu... Les humains et cette nécessité de s'adresser. Après que Rory lui ait apporté un verre d'eau et qu'elle en ait bu une petite gorgée, elle daigne finalement prendre la parole, toujours hésitante.

"En fait, je ne suis pas... humaine." Elle baisse le regard. "Je sais, ça doit sembler invraisemblable. Mais cette apparence, ce corps, ce n'est pas moi... Et ça fait deux ans que j'essaie de m'y faire, et je n'y arrive pas. Je suis ici, limitée par un corps qui ne m'appartient pas, je n'ai aucune nouvelle de mes amis, et je... je perds pied."

Et finalement, elle en a dit beaucoup trop. De toute manière dès l'instant où elle a avoué ne pas être humaine, elle en a trop dit, mais tant pis. Même si elle ne sera sans doute pas comprise, ça lui fait un bien fou que de confier cette simple vérité qui est si importante pour elle. Peu importe sa nouvelle apparence, elle ne peut oublier qui elle est pour commencer. Une gemme, une perle... Et pour Steven, pour Garnet, pour Amethyst... pour Rose... Elle ne doit jamais l'oublier.

Quand l'infirmier, avec toute la sincérité du monde, sans remettre en question son discours un seul instant, sans envisager ne serait-ce qu'une seconde de la traiter de folle ou même de contrecarrer ses propos avec des arguments médicaux, Pearl éprouve d'office un vif sentiment de soulagement. Elle n'aurait sans doute pas eu la force de se justifier, pas dans l'état où elle se trouve actuellement. Elle a besoin de parler de ce qu'elle traverse, mais ce n'est possible que si elle se montre un tant soit peu honnête, et cette sorte d'honnête suppose d'être rapidement prise pour ce qu'elle n'est pas : une affabulatrice, une folle, une menteuse. Oh, quel soulagement c'est que d'être immédiatement cru sans avoir besoin d'avancer une profusion d'éléments auxquels, dans les circonstances actuelles, il est plus que difficile d'apporter des éléments de preuve concrets ! Si elle n'estimait pas cela déplacé, Pearl prendrait Rory dans ses bras en guise de remerciement tant cette simple affirmation compte pour elle.

Elle hoche doucement la tête quand son interlocuteur suggère qu'elle vient d'une autre planète. Elle n'a pas eu besoin de l'expliciter, et pourtant il l'a compris. Serait-il familier des voyages interstellaires ? Qui sait, peut-être que lui aussi vient d'une autre planète ? Ca n'aurait rien d'incongru, après tout... Pearl a d'ailleurs tendance à penser qu'à cet endroit, ils sont tous d'ailleurs. Cette planète n'est peut-être pas celle qu'aucun d'eux croit avoir connus. Alors accepter l'idée d'être des aliens, c'est peut-être quelque part plus simple quand on est depuis longtemps apatride, comme c'est le cas de la gemme devenue humaine. Il lui confirme avoir rencontré bien des individus, visité bien des endroits. Peut-être est-il bel et bien un voyageur spatial. Cette pensée le réconforte. Elle a trouvé, sans s'y attendre, le meilleur interlocuteur possible, et il lui devient tout à coup plus simple d'envisager de lui parler, de se confier... Elle ne pense pas qu'il cherche à l'embobiner dans l'intention de la voir atterrir dans l'aile psychiatrique de l'hôpital. Sa considération est réelle. Et elle lui fait du bien.

"Je n'ai pas envie de rencontrer du monde", répond Pearl, un peu trop catégorique, avant de se rattraper. "Non, je serais ravie de rencontrer du monde, mais ça ne les remplacera pas." Elle l'observe attentivement, un instant. "Vous aussi vous venez d'ailleurs, c'est bien ça ? Vous êtes un explorateur galactique ?" Elle se montre sans doute indiscrète, mais tant pis, elle ne peut que vouloir laisser parler sa curiosité dans les circonstances présentes. "Je viens d'Homeworld, vous en avez entendu parler, peut-être ?" suggère-t-elle avec un vague espoir dans la voix.

Quel soulagement ce serait de rencontrer quelqu'un qui aurait ne serait-ce qu'entendu parler de sa planète natale ! Même si sa planète de coeur est la Terre dans tous les cas, et depuis longtemps, rien que cela lui ferait le plus grand bien.

Bien sûr, les paroles de l'infirmier ne manquent clairement pas de bon sens. Pearl ne peut pas juste se renfermer sur elle-même, ce n'est pas ainsi qu'elle parviendra à être plus efficace qu'elle n'espère l'être. Elle le sait d'expérience, on ne réussit jamais rien mieux que lorsqu'on est entouré... mais elle doit conjurer pour cela une peur un peu absurde mais qui la poursuit toujours et quoi qu'elle fasse : celle d'oublier, de se fondre dans ce nouveau décor au point d'oublier l'ancien. C'est stupide, bien sûr. Quand on sait à quel point ses sentiments pour Rose demeurent vivace près de quinze ans après sa mort, il y a peu de chances pour qu'elle renonce aux gens qu'elle aime si facilement, mais les peurs irrationnelles sont bien souvent les plus profondes et les plus difficiles à occulter, et Pearl, pour sa part, peut difficilement faire autrement que d'en tenir compte et de les partager. Raison pour laquelle ça lui fait tout de même beaucoup de bien de pouvoir en parler avec quelqu'un qui lui offre de poser un autre regard sur cette situation... Elle doit prendre les conseils bienveillants d'où qu'ils lui viennent, c'est ainsi qu'elle progressera, et Rory ne lui inspire définitivement que la plus pure bienveillance.

Pearl est un peu déçu quand son interlocuteur lui assure que non, il n'est pas un voyageur intergalactique, rien d'autre qu'un simple infirmier. Dommage, elle a eu le vague espoir, l'espace d'un instant, qu'il soit capable de se mettre totalement à sa place. Malgré tout, elle revient bien vite sur cette déception : même si cet homme n'est donc pas un grand habitué des voyages spatiotemporels et interplanétaires, ça ne l'empêche pas d'être prévenant et attentif. Pas un seul instant elle n'a le sentiment qu'il cherche à la duper ou à se jouer d'elle. Elle a vraiment le sentiment qu'elle peut se livrer à lui en toute confiance, et c'est une chose dont elle a impérieusement besoin.

Elle cache au mieux sa déception quand son interlocuteur lui apprend ne jamais avoir entendu parler d'Homeworld, sa planète d'origine. Au fond, ça ne doit pas être une surprise, elle ne doit pas particulièrement s'attendre à ce que qui que ce soit la connaisse ici... en dehors bien sûr de ceux qu'elle espère encore trouver malgré les circonstances. Ceci dit, entendre Rory ajouter que d'autres connaissent peut-être cet endroit lui communique un vague élan d'espoir. Qui sait, peut-être bien que c'est vrai ? Peut-être, oui, qu'en cherchant bien et en semant des indices, elle trouvera des personnes capables de comprendre son expérience et sa nature, parce qu'ils comprendront également d'où elle vient.

"Je n'ai pas beaucoup d'affinités avec Homeworld, même si c'est là que je suis née. C'est la Terre, ma patrie d'adoption. Homeworld est une planète complètement minérale, on y trouve rien d'organique, tous ses habitants sont des gemmes..." Là, elle a de bonnes chances de perdre totalement son interlocuteur. "Homeworld a longtemps été soumise à un régime totalitaire, les conditions de vie, là-bas, étaient... difficiles. Mais ça a sûrement dû changer, maintenant." Puisque les diamants jaune, blanc et bleu étaient revenus à la raison. Malheureusement, elle n'avait pas eu l'occasion d'en juger. "Je me demande à quoi la planète ressemble aujourd'hui..." Elle laisse passer un temps de silence, observe son interlocuteur. "D'où est-ce que vous venez, vous ?"

Rory a dû en voir, des choses étranges, dans sa vie, pour réagir à ce point sereinement à ce que Pearl lui apprend. C'est ce que cette dernière ne peut s'empêcher de penser quand elle considère la nature de ses questionnements. Et elle est rassurée, pour tout dire, de l'entendre lui parler de cette manière. Ses questions tiennent de la légitime curiosité, mais à aucun moment elles ne viennent remettre son discours en question, et ça, pour Pearl, c'est vraiment quelque chose de précieux.

Elle est capable d'entendre qu'accepter l'idée qu'elle vienne d'une autre planète peuplée de gemmes à conscience humaine soit difficile à intégrer, mais l'infirmier se montre sacrément patient, et cela donne à la perle l'envie de s'ouvrir d'autant plus au sujet de l'endroit d'où elle vient. C'est si rare qu'elle puisse en parler à ce point librement ! Forcément, elle ne résiste pas à la tentation de vouloir en dire davantage, même si adviendra peut-être un moment où elle en aura trop dit et où son interlocuteur décidera de ne plus la croire.

"Oui, c'est ça, je sais que c'est difficile à conceptualiser... J'avais un corps, à peu près semblable à un corps humain, mais c'était plutôt... disons, une illusion de lumière solide générée par ma perle. Oui, j'étais une perle - d'où mon nom", ajoute-t-elle avec un rire nerveux, parce qu'elle sait que plus elle en parle, moins tout ceci doit sembler avoir le moindre sens pour son interlocuteur. "Et en effet, ce n'était pas la joie, sur Homeworld, mais j'ai vécu des moments heureux..."

Elle esquisse un fin sourire. C'est sur Homeworld, après tout, qu'elle a fait la connaissance de Rose, sur Homeworld qu'elle en est tombée amoureuse. Elle y a eu des amies, précieuses... Son vrai foyer est la Terre, parce que c'est là que sa vie a pris tout son sens, mais elle ne peut pas cracher sur ses origines pour autant. Même si ces origines ne riment plus à grand-chose dorénavant. Elle a donc répondu à la question de Rory. Oui, elle était une gemme, une perle, plus précisément. Avec tout ce que ce statut implique normalement, puisque les perles ne sont pas supposées avoir un autre rôle que celui de serviteur sur Homeworld.

"Je ne suis jamais allée en Angleterre. Mais je suis sûre que Leadworth doit être une très belle ville." Elle marque une pause. Elle reste intriguée. La facilité qu'il a eu à la croire, les paroles qu'il a prononcées plus tôt. Cela lui laisse tout de même à penser que tout Terrien qu'il est, il n'a pas eu l'histoire d'un Terrien banal. Non, il y a forcément autre chose, elle en est absolument convaincue.

"De quoi parliez-vous quand vous m'avez dit que vous aviez rencontré de nombreuses personnes différentes, et visité des endroits inconnus ?"

Elle s'est montrée si honnête, elle espère qu'il saura l'être tout autant.

Elle esquisse un sourire quand son interlocuteur traduit de façon imagée ce qu'elle a essayé d'exprimer au sujet de son apparence passée. Elle s'attendait à ce qu'il résiste davantage à ses explications, mais là encore, il se montre particulièrement compréhensif et c'est une chose qu'elle apprécie. Pour la peine, elle hoche la tête. Comme une enveloppe, oui. Ce n'est pas forcément ainsi qu'elle aurait songé à le résumer, mais c'est bel et bien une manière de le traduire qui correspond à sa situation. Plus à sa situation présente que passé, en réalité. L'enveloppe, c'est ce costume de chair qu'elle est contrainte de porter et qui lui va si mal, même si elle est convaincue que Steven, s'il pouvait la voir, lui arguerait le contraire avec son enthousiasme habituel, mais il n'est pas là, et elle n'a que sa perception ma foi peu engageante des choses.

L'infirmier est philosophe, et il a bien raison de l'être. En effet, il a raison de le souligner : qu'importe l'endroit où l'on vit, rien n'est toujours tout blanc ou tout noir, encore moins sur Homeworld, d'ailleurs, où tout était infinité de couleurs. Elle a vécu sur Homeworld les pires désillusions mais aussi les moments les plus intenses. De même sur Terre, d'ailleurs, qui a recueilli ses rires autant que ses larmes. Pour ce qui est de cette ville... il n'y a pas que de mauvais moments, c'est sûr, mais le désarroi et les incertitudes ont tout de même tendance à prendre le pas sur absolument tout le reste.

"Oh, je m'y serais plue, alors", dit Pearl quand Rory évoque cette petite ville où tout le monde connaissait tout le monde. "A Beach City, c'était pareil, on se connaissait tous entre nous. On pourrait presque dire qu'on était une grande famille." Quand ils se rendaient dans la vraie grande ville, à Empire City, ce n'était plus la même chose, en revanche. Ce n'était pas déplaisant, mais c'était l'anonymat qui primait. "C'est sûr que ça change d'ici."

Ici, tout le monde est plus ou moins un inconnu pour tout le monde, et personne ne se sent vraiment à son aise dans cet univers inconnu, changeant, mouvant, et qui parfois apparaît des plus hostiles. Rien à voir avec le calme et la tranquillité de certains petits microcosmes citadins, en somme.

Après quoi, Rory accepte de se confier davantage au sujet de sa vie, et elle apprécie cette marque de confiance qu'il lui accorde en retour de la sienne. D'autant plus qu'elle est vraiment très intriguée par ce jeune homme qui, elle le sent, possède une histoire véritablement hors du commun, qui sort des sentiers battus.

Ainsi, oui, il lui confirme que oui, il a été un voyageur spatial, il a même fait encore plus fort qu'elle : il a visité comme elle de nombreuses planètes, mais il a aussi voyagé dans le temps. Rien de plus fascinant pour Pearl que ceci.

"Vous avez dû vivre des moments exceptionnels." Elle esquisse un sourire. "Quel moyens utilisiez-vous pour voyager ainsi ? J'ai toujours cru le voyage dans le temps possible, mais je n'ai jamais eu connaissance de la technologie adéquate."

En effet, Pearl pense que Rory, certains ne sont pas faits pour les petites villes ou les villages, pour les communautés restreintes et pas forcément très agitées, mais à Pearl, ça lui convient bien, ça lui a très bien convenu...bien plus que cette ville qu'elle a toujours du mal à décoder et qu'elle a tendance à trouver beaucoup, beaucoup trop grande pour elle. Malheureusement, elle est coincée ici. Pour combien de temps ? Va savoir. Peut-être pour toujours. Et ça y est, elle sent la déprime la gagner une nouvelle fois.

"Oui, c'était un nom à l'image de la ville, l'océan tout autour", répond Pearl avec un sourire quand Rory commente le nom de la ville terrestre dans laquelle elle a vécu très longtemps après son départ de Homeland. "Au moins, pour ça, je ne suis pas dépaysée", ajoute-t-elle avec un de ces rires nerveux dont elle est sans doute un peu trop coutumière.

Rory ajoute que la ville, ici, est bien particulière. Et en effet, Pearl ne peut être que de cet avis. Cette ville recèle bien des mystères, et Pearl n'a pas été capable de mettre à jour la grande partie d'entre eux. Une ville qui change de forme, une ville qui semble s'étendre à l'infini, une ville qui aime vous perdre et vous perdre aux yeux des autres par la même occasion. Oui, cet endroit ne ressemble définitivement à aucun autre, et c'est définitivement perturbant.

"Oui, cet endroit est incompréhensible... J'ai beau essayer de m'y repérer, de comprendre où nous sommes, de le comprendre vraiment, tout continue de m'échapper. Et à chaque que je pense m'approcher un tant soit peu de la vérité, je réalise que je suis loin du compte."

Mais elle sait aussi qu'elle ne doit pas désespérer, pas le moins du monde. Que ce serait même la pire chose à faire. Parce que s'il n'était question que d'elle, ce serait une autre affaire, mais elle doit penser à Steven, elle doit retrouver Steven, il est important qu'elle le retrouve par tous les moyens possible.

Puis Rory lui parle de ses expériences, de ce qu'il a vécu, d'à quel point ceci a été formateur pour lui, beau et effrayant en même temps. Elle boit ses paroles. Il a donc un ami, qui est un extraterrestre, un seigneur du temps (Pearl ne sait pas ce que ça veut dire), un extraterrestre que Pearl aurait sans doute eu plaisir à rencontrer.

"Dommage, je crois que j'aurais aimé voyagé à bord de ce Tardis."

Elle n'est pas vraiment surprise à l'évocation de la cabine téléphonique. Non, ça ne la surprend pas. Elle a été directement menacée par un gigantesque vaisseau spatiale en forme de main géante alors, à partir de là, rien n'est véritablement susceptible de la surprendre au bout du compte.

"Cet extraterrestre vous a-t-il suivi jusqu'ici ? Je crois que j'aurais bien aimé le rencontrer."