« Merci » et le mot sonne timide entre ses lèvres, un mot qu'elle ne prononce pas souvent, surtout pas à toi. Mais elle est dans un tel état qu’elle en oublie presque sa rébellion perpétuelle. Elle s’installe sur le canapé, pot de glace dans les mains, cuiller dans la bouche, avec ce parfum de chocolat à la framboise qu’elle affectionnait tant. Première bouchée qui fond dans sa bouche, elle laisse la saveur et la fraicheur lui donner un frisson et ferme les yeux à demi, tel un chaton satisfait. La voilà emmitouflée dans une couverture (qu’elle ne partagera pas) et qui dépose le pot de crème glacée de manière à ce que le froid ne soit pas directement en contact avec ses mains. Et comme elle a demandé un câlin, un tout petit câlin de rien, mais que tu reste planté là comme un piquet (peut-être attendant qu’elle se lève pour le dit câlin), la voilà qui tapote l’espace à côté d’elle sur le canapé en roulant des yeux – mais quand bien même elle fait sa difficile, le voilà qui bouge pour venir se plaquer un peu contre toi, tête frisée sur ton épaule, et elle prend ton bras pour le mettre autour de ses épaules. Installée comme ça, elle finirait par avoir chaud… si ce n’était de cette crème glacée qu’elle mange, on peut supposer.

« Bah, tu comptes rester juste comme ça? » dit-elle, méchanceté qui cache sa reconnaissance; elle fait toutefois savoir un besoin, celui que tu ouvres la télé, que tu mettes un programme, n’importe lequel. Elle semble se calmer, toutefois; collée sur toi, elle semblait se sentir moins seule au monde, au fond. Elle n’ose pas te regarder (vous être trop près l’un de l’autre de toute manière), et elle reste silencieuse un moment; tu peux la sentir trembler contre ton corps, et elle retient manifestement des larmes qui coulent, impétueuses, malgré sa retenue. Et puis, comme sorti de nulle part : « T’as déjà été amoureux, le croulant? » oui, il lui était impossible de poser une question sans t’abuser au passage, et la fin était dit comme un défi, mais son intérêt pour ta personne était plus vrai qu’il n'avait jamais été. Clairement, elle ne posait pas la question pour rien, il y avait quelque chose qui s’activait dans son cerveau, et la réponse ne ferait que lui faire poser d’autres questions, qu’importe ce qu'elle était.

Est-ce ça, que d’être père, au fond? D’être la seule personne sur qui on peut compter pour poser les questions difficiles?

« Mh-mh » répond-t-elle simplement – se calant toutefois plus confortablement contre toi, cuiller dans son pot de glace avant de la diriger entre ses lèvres. Kitty est comme ça, toujours à envoyer des signaux mélangés. La vérité c’est qu’elle-même ne sait pas, ne sait plus si elle te déteste. Comment, après tout, détester quelqu’un qui est là sur notre chemin, à toujours nous épauler? Mais elle reste également convaincue que sa situation ne serait pas la même si tu n’avais pas fait… ce que tu avais fait.

« Mmph » dit-elle en continuant d’ingérer sa glace, et pourtant- pourtant tu avais toute son attention. À ton âge, il était normal que tu aies eu des amours, au fond, mais elle n’en avait jamais entendu parler, elle. Pour ce qui est de voir ça mal finir, c’était inévitable, au fond. Parce que tu étais ici et sûrement pas eux; pare que tu avais tourné ton dos à ceux qui comptaient le plus sur toi. Ce genre de chose, ça laissait des marques. Et puis tu avais mené les Décepticons d’une main de fer, tu avais même été par moment cruel, alors… Peut-être qu’une meilleure question aurait été de demander si tu avais déjà été aimé. Elle le demandera quand tu auras fini de parler; tu allumes la télévision et elle fixe l’écran d’un regard vide, plutôt concentrée sur ce que tu dis.

Une expression entre le rictus et le dégout se forme sur son visage quand tu nommes Optimus. Là, elle ne pouvait pas te donner raison. Optimus était un connard trop préoccupé par le statu quo pour vraiment aider les siens. Il avait Elita… et ça sonnait pathétique, dans ta bouche. Megatron, grand leader, amoureux de son ennemi. Peut-être avais-tu été amoureux de lui quand il n’était qu’Orion Pax, mais pour Kitty, Orion n’était qu’il petit nerd sans intérêt.  Puis Starscream; elle affiche une nouvelle grimace, parce qu’elle savait très bine comment ce dernier était, et ce que vous aviez vécut. Peut-on vraiment appeler ça de l’amour quand on dirait plutôt que tu avais voulu le posséder?

« Je mange, je mange » s’énerve-t-elle pour la forme. Même elle peut concevoir que la question puisse te mettre à mal, mais elle n'a pas fini avec ses questions. « Et… depuis que t’es ici? » et son visage curieux se tourne vers toi, son regard rougit par les larmes de frustration plus doux et inquisiteurs qu’elle ne voulait laisser paraitre. La vrai question repose au bout de ses lèvres; as-tu aimé un humain? Trop longtemps, les Décepticons ont traités les humains comme des sous-être, alors… elle-même se sentait un peu sale d’en aimer un. Un qui ne parvient pas à quel point il est chanceux qu’elle lui accorde même toute attetion.

Elle sait qui elle est, Kitty. Elle connait sa valeur.

Et pourtant… Pourtant, elle est réduite en pleurs à l’idée que ce garçon ne puisse pas voir une seule chose en elle qu’il apprécie.

« Pfff » fait-elle en bonne ado, roulant des yeux. Bien sûr que toi, tu n’étais pas tombé amoureux d’un humain. Elle aurait dû s’en douter; le grand Megatron ne pourrait se contenter de vivre une vie normale, pas vrai? À vrai dire elle avait eu peu d’espoir en te le demandant, mais elle avait espéré – parce qu’à défaut d’autre chose tu aurais pu, peut-être, comprendre ce que ça lui faisait. Tu étais plus ou moins le seul avec qui elle aurait pu avoir cette conversation, après tout. Kitty s’ennuyait, c’était vrai, de son corps de robot félin, mais elle s’était acclimatée à son corps humain avec peut-être plus d’aisance que toi. Peut-être parce qu'elle était plus jeune, c’était plus facile. Quoique de facile, ça en n’avait que le nom, évidemment.

« Bah oui, j’aurais dû le savoir, t’es trop bien pour les gens de cette ville. Sont-ils si inférieurs qu’ils ne sont bons que comme faire-valoir? » Kitty est de mauvaise humeur, ça se sent de la pointe de ses cheveux aux bouts de ses orteils. Mais pendant qu’elle était de mauvaise humeur, elle ne pleurait pas – et à quelque part ça lui faisait du bien, de pas pleurer. Peut-être que c’était pour ça qu’elle tournait toujours sa rage vers toi; ça l’empêchait de devoir se concentrer sur les autres émotions, bien plus complexes, qu’elle ressentait. Soundwave aurait compris se dit-elle sans même réaliser qu’il n’était pas très juste de vous comparer. Soundwave avait toujours su comment communiquer avec elle; ils avaient la même passion en la musique, le même désir de justice. Toi, ce n’était pas vraiment un désir d’égalité qui t’avait mû dans la guerre, pas vrai? Alors tu ne pouvais pas comprendre que Kitty soit un électron libre.

Et puis une main tombe sur sa tête, ou plutôt sur ses cheveux. Kitty fige. Surtout de confusion, d’abord, et dans un geste qui était plus un réflexe qu’autre chose, elle chasse ta main; pas parce qu’elle ne veut pas se faire toucher, mais parce que… « t’sais peut-être pas parce que ça t’a jamais concerné » dit-elle en roulant des yeux vers le plafond à nouveau, se détachant ostensiblement de toi, comme si le moment était passé - « mais c’est très mal vu de jouer dans les cheveux de quelqu’un d’autre. Surtout avec nos différences de couleur de peau, tu vois? » oui, ça c’était autre chose que tu n’avais pas en commun avec elle. Tu t’étais incarné ici comme un homme blanc cis, alors qu’elle était une adolescente de couleur. Une minorité, que disent les humains. Juste un autre terme pour exprimer la différence. Au fond, n’avait-elle jamais été autre chose que différente – et vue comme moins que par la cause de ces différences qu’elle n’avait pas choisie?

Mais Soundwave lui avait dit, un jour, que le Allspark ne faisait pas d’erreur. Que si elle avait été incarnée ainsi, c’était parce que c’était le corps dont elle avait besoin pour être heureuse. Après-tout, ça ne pouvait pas être un hasard qu’elle ait tout juste la bonne taille pour entrer dans son châssis, n’est-ce pas? Et les larmes éparses sur ses joues reprennent de plus belle; entre l’absence de ses frères et sœurs cassettes, l’absence de Soundwave, et ce gamin insignifiant qui ne lui retournait pas ses sentiments…

« Justin c’est vraiment qu’un connard » lâche-t-elle, animée d’un sanglot. Et oui; elle lâche le morceau sur son bourreau de cœur parce qu’elle ne veut surtout pas avoir à te parler de Soundwave. Ça ne s’était jamais passé avant. « Je lui ai proposé d’aller voir un film, t’sais, une date, mais il a dit que j’étais vraiment pas son genre. Ça c’est du jeune pour dire que je suis moche et que je suis conne, si tu savais pas » elle fourre un peu de crème glacée dans sa bouche, mais le sucre ne fait plus son charme. Faut dire qu’elle a le nez qui coule à force et que sa morve menace de faire contact avec ses lèvres, là… rien de charmant. Alors elle te passe dessus comme si t’étais juste un bout de canapé de plus, elle tire la main et attrape la boite de mouchoir à tes côtés pour en prendre un et souffler dedans. Charmant.

Encore heureux, maintenant elle est capable de se moucher toute seule, hein. Ça a pas toujours été le cas…

« Noël? » et si elle avait eu son autre corps, son vrai corps, surement que ses oreilles de chat se seraient dressés sur sa tête pour montrer que tu avais toute son attention. Cela faisait bien trois ans que vous étiez ici, après tout, et comme elle allait encore à l’école, elle entendait parler des célébrations de la part de ses camarades de classe, quoique les publicités sur tous les médias durant cette période aient aussi contribués à l’image qu’elle se fait de la fête. Sa joie dissimulée ne dura pas longtemps, toutefois, et la voilà qui détourne le regard comme un enfant pris en faute; elle claque de la langue pour montrer qu’elle était énervée, mais au fond ça ne faisait que montrer de manière d’autant plus évidente qu’au fond, vous ne savez tout simplement pas vous parler.

« Pas le choix de lire entre les lignes » observe-t-elle quand même; « C’pas comme si on se connaissait vraiment » et c’était sa faute, aussi, parce qu’elle avait toujours tenue à garder une distance entre vous deux, parce qu’elle avait toujours tenue à te faire comprendre que tu étais le en attendant. Parce que dans sa tête Soundwave devait être ici, qu’il devait la chercher, qu’il était inquiet. Et puis elle y pense, là tout de suite; si Soundwave arrivait à la porte de votre appartement, qu’est-ce qui adviendrait de toi? Est-ce qu’elle s’ennuierait de tes plats fait maison? De… toi?

« Ça a peut-être pas d’importance pour toi, mais ça en a pour d’autres » qu’elle lâche finalement – les questions de couleur de peau c’était un peu compliqué, mais elle avait compris que chez les humains, ça avait marqué leur histoire à tout jamais. Puis la vérité c’est qu’elle n’aimait pas trop la sensation de quelqu’un qui lui touchait les cheveux, déjà qu’elle passait beaucoup de temps à les entretenir avec des produits coiffants, des techniques pour ne pas avoir à les laver trop souvent, qu’elle dormait avec un bonnet… toutes des choses qu’elle avait dû apprendre à la ramasse. Alors vu le temps qu’elle y mettait, valait mieux pas la décoiffer!

« Bah je dois pas valoir grand-chose s’il est pas capable de le voir » qu’elle dit, reniflant un peu avant d’utiliser un des mouchoirs qu’elle avait chipé pas trois secondes plus tôt. C’est un peu simpliste, comme manière de voir la chose, mais en ce moment, comment pouvait-elle le prendre autrement? Et ce n’était pas vers ta formulation qu’elle dirigeait sa tristesse, mais vers ce Justin qui lui a brisé le cœur. Puis c’était dur pour elle de se trouver jolie quand elle était dans un corps humain qui ne lui disait rien. Kitty ne trouvait pas les humains moches pour autant, juste, les humains semblaient bien différents des cybertroniens et c’était difficile pour elle de voir ce qui était agréable chez elle.

« Lui et son foutu sourire plein de dents, aussi » sanglotte-t-elle doucement, de grosses larmes coulant le long de ses joues. Difficile de savoir si elle était en train d’essayer de l’insulter ou si elle aimait ce sourire, d’ailleurs, vu comment c’était amené. « Si ça se trouve je vais mourir sans avoir connu l’amour » qu’elle continue, spirale descendante de ses pensées et ses émotions. « Ou alors je vais mourir de honte et même pas voir ce que tu veux préparer pour Noêl » bah quoi- d’un le dramatisme ne tue pas, et de deux, elle n’avait pas oublié que tu avais tenté de changer le sujet de la discussion plus tôt. Peut-être que c’était ta chance pour la consoler un peu, qui sait.

« Est-ce qu’on va… » le mo s’arrête dans ma gorge; si j’avais mon apparence féline, alors certainement que tu pourrais voir mes oreilles s’hérisser avec attention et ma queue s’agiter dans tous les sens. Mais à la place je suis dans ce tas d’os, alors passons. « Est-ce qu’on va inviter des gens, ça veut dire? Comme on est pas une famille » les mots qui font mal, n’est-ce pas? Et pourtant sur mon visage aucune trace de culpabilité, pas plus que de méchanceté à vrai dire. C’était venu à mon esprit tout naturellement, parce que je ne pouvais pas admettre que tu étais une figure parentale, pas à moi et certainement pas à toi; tu avais dit que c’était pour les familles et les amis, et donc tout naturellement, comme nous ne sont pas une vraie famille, alors je me suis demandé si on allait inviter des gens.

« Oh et je sais que tu dois inviter » dis-je, roulant sur le canapé et étirant mon bras pour retirer du mur le fameux calendrier de pompiers sexy (tu te souviens? J’ai hurlé que t’avais pas le droit de mettre la page où t’étais, sous menace de me faire brûler les yeux et le reste de notre appartement en même temps), tournant à une page en particulier; « Ton capitaine! » est-ce que j’allais m’expliquer? Non. Je veux juste que tu le fasses, et allez savoir, je m’attendais à ce que te le fasses, c’est tout. La vraie raison c’est qu’il est trop canon et, qui sait, s’il est peu scrupuleux, j’suis peut-être son genre…

« Décorer ce sera trop bien, je le dis toujours, notre appartement est moche » notre. Le mot était sorti tout seul dans mon excitation, je ne remarque même pas qu’il a roulé sur ma langue. « Tu feras quoi à manger? Oh, non, me dis pas. Oh, on pourrait faire, tu sais, les humains ils ont une tradition, pas vraiment de Noël en soit mais je crois pas que ce soit mutuellement exclusif, enfin, ils font un potluck tu vois, tout le monde apporte des à-côtés pour manger ensemble. Je sais déjà ce que je veux faire! » est-ce que j’allais être capable de cuisiner toute seule sans tout salir et sans tout casser? Ça restait à voir.

« Oh, les cadeaux, ça c’est une tradition humaine respectable quoi » que j’ajoute en me réassaillant plus droitement sur le canapé, pliant mes jambes l’une sous l’autre. « Heureusement j’ai sauvé des sous, je pourrai faire des cadeaux je crois » sauver des sous, ici, ça veut dire en emprunter périodiquement de ton portefeuille. Mais c’est pas de ma faute, hein, s’il est toujours bien fournis. Rendu là, c’est une invitation, et qui suis-je pour refuser… « Oh, tu crois? » parler de Noël m’avait mise de bonne humeur, et ça rendait parler de mes amourettes infructueuses plus facile. « C’est difficile, je trouve. Les humains ne vivent même pas longtemps, en plus. Si ça se trouve, j’ai un sparkmate qui m’attend sur Cybertron, et maintenant je le rencontrerai jamais » une perspective assez triste, faut l’avouer. Mais ce qui est triste, c’est que moi, enfant de pendant la guerre, enfant d’après Cybertron, je crois qu’il y a un espoir encore pour notre peuple d’y retourner…

« J’aiderai, oui. SI tu me forces pas à me lever à huit heures du matin. Tu m’attendras? Je veux venir avec toi au magasin, je voudrais pas que t’achètes des décorations moches » sourire sur mes lèvres alors qu’il m’est trop facile d’essayer de te rabaisser dans mes paroles, le venin devenu habituel depuis.