Un peu de froid pour souffler le chaud avec Bruni

Un instant, qu’est-ce qu’un instant ? Quelques secondes ? Au plus une minute, mais jamais plus. Un instant, c'était la différence entre le passé et le futur. Un instant, c'était le présent. Mais le présent ne durait jamais bien longtemps. Un instant, on respirait l’odeur sucrée d’une rose et la seconde d’après le vent nous entrainer vers le futur en nous faisant sentir l’odeur d’un hot-dog plus loin. La rose devenait passée, le hot-dog présent et le futur restait incertain. Un instant, c'était à la fois beau et éphémère. Mais n’était-ce pas là toute la joie de la beauté ? La beauté était forcément éphémère et plus, elle était fragile plus, elle brillait. C’était sur ce sujet que philosophait le riche, mais oisif Henry accoudé à une barrière observant les Hommes avec un grand H, vivrent leurs petites vies bien étriqué et bien réglé. Il le faisait rire, ses moutons qui voulaient tous se ressembler. Il venait d’une époque où la personnalité n’était jamais mise en avant. Où l’on devait penser et agir comme les autres. Ce que lui n’avait jamais vraiment fait ou alors de mauvaise grâce. Ce monde-ci était légèrement différent, mais il avait vite compris que le poids de la société était toujours présent, toujours écrasant. Une machine inarrêtable qui vous laissez vider de toutes pensés quelque peu originale. Un petit sourire amusé s’étira sur son visage quand son regard limpide se vit un reflet dans une vitrine. Au sorbet Salamandre Fire, oui, il avait investi dans cette petite chose. Parce que pourquoi pas après tout ? Il avait de l’argent, il ne savait pas quoi en faire et beaucoup de temps libre. Mais, attention, ce geste n’était pas dénué d’égoïsme. L’égoïsme comme le disait Mary, sa sœur, devait toujours être pardonné, car il ne pouvait pas être soigné. Henry, en investissant dans cette petite boutique de glace, l’avait fait pour recevoir de l’attention et des remerciements. Henry était un acteur sans cesse en représentation, il vivait pour les applaudissements et les hourras.

D’un mouvement leste, il se redressa et lissa doucement le bas de sa veste de costume avant de traverser la rue d’une large enjambée. Il entra ensuite dans la petite boutique, vraiment petite boutique. La petite cloche tinta pour annoncer son arrivée. Le gentleman se concentra sur les glaces en vitrine. La glace, il connaissait, il y en avait à son époque, mais c’était beaucoup plus difficile de s’en procurer et bien plus couteux. De nombreuses saveurs lui faisaient de l’œil. Flirtant allégrement avec ses papilles. Enfin, le jeune propriétaire arriva. Henry se redressa un peu et habitué au monde s’inclina légèrement et d’un sourire joueur et engageant prit la parole.

-”Bonjour, j’aimerais une glace s’il vous plait, hum, un mélange à dire vrai. Caramel beurre salé et Rhum raisin s’il vous plait.” Son sourire perdura, son regard clair, n’avait pas quitté le visage de l’homme devant lui. Le reconnaîtrait-il ? On était censé reconnaître son investisseur non ? L’égo d’Henry en prendrait un sacré coup si ce n’était pas le cas. Il reprit cependant la parole. -”Comment vont les affaires ? Bien, j'ose espérer.” D’un geste lent, il glissa sa main dans sa poche pour en sortir sa carte de paiement. Voilà une invention des  plus merveilleuses d’ailleurs.

Salutation moins guindée que ce dont il avait l’habitude, mais cela lui convenait aussi. Il resta quelques secondes, silencieux pour habituer son esprit à la familiarité qu’on utilisait avec lui afin de se forcer à son tour de parler avec moins d’ambages. -”Eh bien, je vais très bien Bruni. Merci de t’en soucier.” Il espérait avoir réussi l’exercice. Il lui lança un sourire aveuglant. Toujours dans la séduction, toujours dans la représentation. -”Fais-moi ma glace comme tu ferais pour toi. D’accord ? Et ajoute-moi donc de ces paillettes de couleurs. Tu as le temps de faire une pause ? Je t’offre la glace de ton choix. J’aimerais discuter avec toi des affaires et des nouvelles idées que tu pourrais avoir. Et de l’investissement que je pourrais mettre dans ta petite entreprise pour t’aider.” Acteur et bien souvent don juan. Mais généreux et plutôt gentil dans une situation normale. Henry n’était pas un homme au mauvais cœur. Son but n’était pas la domination du monde, la mort ou le malheur. Au contraire, il voulait juste que chacun exprime ses fantasmes et ses sentiments les plus profonds. Il était juste né à la mauvaise époque. Parce qu’il se rendait compte qu’ici, sur cette île, son comportement était normal et même risible comparé à certains aux mauvais caractères. Il était gentil dans le fond, prêt à aider, prêt à séduire aussi, mais est-ce que ça faisait vraiment de lui un mauvais être ?  Il repensa à Fanny… Ha douce Fanny… Peut-être que si elle le voyait avec des yeux plus modernes… Il secoua ses bouclettes. Non. Il valait mieux ne pas penser à elle.

Il sourit un peu, son regard bleu pétillant, observant les gestes du jeune glacier. Henry n’avait jamais travaillé de sa vie. C’était des gestes qu’il n’avait jamais faits. Si cela l’amusait grandement d’observer les autres évoluer dans un monde qui lui était inconnu et s’amusait parfois à s’imaginer se lever le matin pour partir au turbin, il n’était pas prêt à le faire réellement. Merci à la providence d’avoir fait de lui un homme riche, ainé de sa famille. Devoir travailler aurait fortement affecter sa beauté et sa bonne humeur. Ses doigts se fermèrent sur la glace tendue et un merci chantant sortit de ses lèvres. Il glissa un doigt dans la crème glace et vient ensuite le glisser dans sa bouche en soupirant d’aise. -”Parfait ! Prends-toi  quelque chose et vient t’asseoir avec moi un petit moment. Nous avons à discuter du futur de cet endroit charmant. Et puis j’ai besoin de compagnie ! Une glace ne se mange jamais seul.” Sans se presser il partit s’asseoir, la boutique était vraiment petite. Peut-être faudrait-il songer à agrandir ? Pour l’hiver ? Et vendre autre chose que des glaces ? -”Alors parle-moi de tes projets pour la période hivernale ?” Tout en parlant, il dégustait sa glace, savourant le goût sucré qui éclatait sur son palet en une multitude de petites bulles glacées. -”Si tu as besoin de plus d’argent, je peux mettre la main au portefeuille. Après tout, si j’ai investi, c'est parce que je crois en cette affaire, pas seulement pour tes jolis yeux.” Dit-il en enfonçant son doigt dans sa glace pour en récupérer les paillettes de couleurs qu’il observa en penchant la tête.