Penny n’allait pas souvent en ville. Elle devait reconnaître qu’elle aimait bien vivre en marge du monde à l’orée de la forêt. En ville, il y avait toujours quelqu’un pour vous ennuyer ou pour faire des histoires. Sa famille et ses proches, voilà qui suffisait à Penny. Bien entendu, il fallait faire les courses et il y avait un minimum de choses pour lesquelles elle se devait d’aller en ville, mais la plupart du temps, si elle pouvait se débrouiller autrement, elle le faisait. Elle avait un peu une réputation de la mystérieuse sorcière dans une cabane au fond des bois, mais ça lui plaisait bien finalement.

Mais aujourd’hui était un de ses jours où elle devait passer en ville. Marchant dans la rue, elle observait nonchalamment les différentes personnes qui passaient en se demandant où elles allaient et ce qu’elles faisaient. Un peu de curiosité, mais surtout une façon d’occuper son temps pendant qu’elle se promenait. Jusqu’à ce qu’un visage lui apparaisse à-travers la foule, un visage qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir voir dans ce monde. Il avait vieilli mais c’étaient bien les mêmes traits, le même regard, la même façon de… Elle se morigéna. Inutile de s’emballer, ce n’était peut-être qu’une coïncidence.

« Excusez-moi… »

Il fallait l’entendre. Elle avait l’air d’une adolescente énamourée. Elle, la sorcière puissante pétrie de confiance en elle, se sentait comme une gamine face au visage du seul homme qu’elle avait véritablement aimé. Son cœur battait à tout rompre alors qu’elle allait lui poser la question qui lui brûlait les lèvres et faisait trembler ses mains. Elle ne savait pas si elle avait le droit d’y croire, mais elle le voulait tellement. Est-ce que cela suffirait ? Ca n’avait jamais suffi jusqu’à présent mais on ne savait jamais de quoi l’avenir pouvait être fait et puis, elle était vraiment décidée.

« Allen… est-ce que c’est toi ? »

Il était devenu rare que Penny mette de l'espoir dans un événement ayant rapport avec le fait d'entretenir une relation amoureuse. Elle s'était un peu laissée entraîner par ce qu'elle avait ressenti pour Minerva, mais celle-ci avait disparu. Et elle avait promis à une part d'elle-même que son cœur ne subirait plus tous ces tourments. Elle avait déjà renoncé à quelque chose de concret avec les hommes, après la mort du seul qu'elle avait pu aimer. Elle renonçait désormais à toute forme d'amour égoïste pour préférer celui de sa famille. Aucun amour ne serait aussi grand pour elle que celui qu'elle portait aux membres de sa famille.

Mais la vision d'un homme ressemblant tant à son défunt mari n'avait pu que ranimer cet espoir de voir son cœur enfin récompensé. Comme une adolescente, elle n'avait pu se retenir de se précipiter vers lui pour lui demander s'il était celui qui avait rendu sa vie infiniment plus belle avant de disparaître. S'il était réapparu, cela voudrait dire tellement de choses pour la matriarche. Elle savait que cet espoir que son cœur chérissait était fou, mais elle avait envie d'y croire pendant quelques minutes. C'était pour ça qu'elle avait abordé cet homme qui semblait extrêmement surpris.

Évidemment, la chance ne pouvait pas lui sourire sur ce plan. L'homme n'était pas Allen. Il se présenta en toute cordialité et se traitant mentalement de vieille folle, Penny s'efforça de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Après tout, il ne serait pas correct d'ignorer cet homme après l'avoir abordé aussi cavalièrement dans la rue. Il n'était peut-être pas son époux, mais il l'avait traité cordialement malgré son erreur. Elle se devait d'en faire autant à minima, d'autant que l'erreur venait d'elle. Elle fit fi de son cœur brisé une fois de plus et se présenta en essayant de ne pas montrer trop significativement sa déception.

« Penny Halliwell. Je suis désolée de vous avoir importuné, Monsieur Jones, mais il se trouve que vous présentez une ressemblance étonnante avec mon défunt mari. Et je n'ai pu m'empêcher d'avoir un petit espoir. C'est idiot n'est-ce pas ? »

Elle se permit un sourire de contrition. Elle ne savait pas si cet homme allait se montrer compréhensif, mais elle espérait qu'il comprendrait son désarroi, et surtout cette espoir qu’elle formulait, malgré le fait qu'elle avait été obligé de faire le deuil de cet homme qu'elle aimait depuis bien longtemps.

Quelquefois, elle se comportait vraiment comme une enfant et il était facile de se rendre compte qu’elle avait les mêmes innocents espoirs que les petites filles qu’elle avait tellement essayé de prémunir de l'influence des hommes. Mais voilà, il en existait au moins un pour qui elle était prête à faire la différence. Malheureusement, il était mort mais ici, la vie et la mort n'avaient pas le même sens et la sorcière savait qu'il n'était pas impossible que la ville le lui rende un jour. Alors elle avait bondi sur cette ressemblance. Mais la vie ne lui avait pas rendu ce mari qu'elle espérait tant. Ce n'était pas lui, même si elle l'aurait accepté, même avec vingt ans de plus.

Toutefois, il était gentil, il ne lui en tint pas rigueur. Il semblait même comprendre qu’elle ait pu faire cet amalgame, et il ne lui en voulut pas. Elle se demanda s'il avait, lui aussi, une épouse qu'il aurait aimé retrouver dans cette ville étrange. Au moins, il ne pensait pas que tout espoir était idiot et il l'encourageait même à continuer d'espérer dans la mesure où elle n'avait aucune preuve que les choses devaient se passer différemment. Rien que ces paroles réconfortèrent un peu la vieille dame, qui devait bien reconnaître que pour une fois qu’elle s'efforçait de croire vraiment en quelque chose, elle était contente qu'on ne vienne pas lui rire au nez.

« Oui, des sosies. c'est cela. Eh bien, je n'en ai pas encore rencontré moi-même, mais je sais qu'il y en a un certain nombre. Je n'aurais pas pensé, tout-de-même, que le sort soit aussi cruel de nous faire découvrir les sosies de nos êtres chers disparus. »

Cet homme semblait un peu enclin à la philosophie, ce qui n'était pas vraiment à la discussion de prédilection de la sorcière, mais elle se sentait un peu étrange face à cet homme qui semblait représenter ce que Allen aurait été qu'il avait pu vieillir à ses côtés. Elle s'était toujours demandé jusqu'à qu’elle point elle aurait changé s'il avait été auprès d'elle et elle en était résolue à dire que c'était grâce a sa mort qu'elle était devenue la sorcière qu'elle était et qu'elle avait donné naissance au Pouvoir des Trois par son éducation. Un mal pour un bien, mais elle estimait que le monde pourrait peut-être récompenser son sacrifice en lui offrant une nouvelle chance avec lui.

« Je dois dire que l'amour et l'espoir sont le moteur des bonnes choses que nous faisons dans ma famille. Aussi, je ne peux qu’être d'accord avec vous. Mais je dois avouer que je ne me sens pas fière maintenant que cet espoir est déçu. »

Il lui fit remarquer que la ville avait tendance à prendre et à rendre les personnes de manière tout à fait imprévisible et il avait raison. Cela ne changeait pas le fait que Allen n'était pas ici mais il était certain que cela ne voulait pas dire qu'il ne le serait jamais. C'était d'ailleurs parce qu'elle l'avait envisagé qu'elle avait pu y croire pendant un instant. Elle se contenta d'un hochement de tête plein de douceur. Il avait entièrement raison et elle ne trouvait rien à dire face à cela. c'était pourtant rare qu'elle soit muette.

Elle retrouva sa langue lorsqu'il lui présenta ses condoléances, en prenant en en considération le fait qu'ils partageaient une même souffrance. Elle avait tenté de calmer sa douleur auprès d'autres, mais aucun n'avait su faire la différence et il était évident que personne ne pouvait arriver à la hauteur de son Allen. Elle ne pouvait pas agir différemment que de comprendre la douleur de la perte de cet homme qui était similaire à la sienne, même si elle n'aurait jamais osé l'avouer, sans cette erreur initiale qui lui avait fait commencer à se confier à cet inconnu.

« Je vous remercie, je suis désolée, moi aussi, que vous ayez eu à passer par là. Mais peut-être cette ville vous rendra elle votre femme comme elle pourrait me rendre mon époux. Nous ne devrions pas cesser d'espérer, ni vous ni moi. Vous l'avez dit vous-même, il faut y croire. Cela vous dirait il de boire un verre avec moi ? Et nous pourrions échanger au sujet de nos familles puisque nous avons déjà commencé. »

En y regardant de plus près, sans même tenir compte de son âge, il était évident que l'homme n'était pas Allen. Les différences étaient subtiles et se caractérisaient surtout par des positions ou un port de tête ou d'épaule qui ne lui était pas familier. Pour autant, il semblait émaner de lui une telle bienveillance qu'elle ne pouvait s'empêcher de se rappeler avec émotion l'homme qui lui ressemblait tant et qu'elle aimait, cet homme qui, dans son souvenir, n’était empreint que de bienveillance et de tendresse à l'égard du monde entier. Allen avait toujours prôné de chercher à ouvrir les bras à son prochain.

« Je vous remercie. Il avait votre bienveillance et cette douceur pour les blessures des autres. C'était un homme inestimable, je dois le reconnaître. Et il me semble que vous ne l'êtes pas moins. »

Il semblait à la sorcière dont les espoirs avaient décliné que cet homme avait la chance d'avoir dans sa famille d'aussi belles valeurs que les Halliwell pouvaient avoir. Elle espérait qu'il avait ainsi pu profiter de ces valeurs avec les personnes qu'il chérissait le plus. Évidemment, en ce qui concernait son épouse, cela n'avait pas eu dû être le cas depuis longtemps. Probablement autant que c'était le cas pour elle et Allen. Elle partageait donc la douleur de cet homme et elle savait très bien que pour ce qui était de retrouver les choses dans le futur, ce serait de la ville que cela dépendrait.

« Il n'y a plus que à souhaiter de tout notre cœur que ce destin mystérieux nous permette de retrouver ceux que nous chérissons. »

Elle n'avait pas pu faire autrement que de lui communiquer son soutien face à la perte qu'il avait vécue, comme lui-même la soutenait de sa propre perte. C'était une souffrance qu'ils partageaient tous les deux et elle devait bien admettre qu’elle espérait pouvoir retrouver ainsi un peu de baume au cœur en échangeant avec quelqu'un qui comprenait ce par quoi elle était passée. Comme ils ne se connaissaient pas du tout, il était plus facile pour elle de se dire que ce moment resterait juste une parenthèse dans le temps et que ses enfants et petits-enfants n'auraient jamais à le savoir.

« Je comprends complètement ce que voulez dire. »

Elle ne savait pas pourquoi elle était tellement attirée par cet homme qui ressemblait tant à son défunt mari. S'il s'était agi d'une attirance physique, elle aurait pu le comprendre, mais elle avait seulement envie de passer du temps avec lui et d'apprendre à le connaître. Non seulement c'était inédit de manière générale, mais encore plus avec un homme. Elle avait tendance à ne pas leur faire confiance et à se défier de tout individu de sexe masculin. Elle l'avait d'ailleurs prouvé avec l'accueil qu'elle avait réservé à son propre petit-fils, même si elle devait reconnaître qu'elle le regrettait un peu. Mais là, elle le laissa prendre son bras et la diriger vers un café. Elle allait vraiment entamer une conversation avec un quasi inconnu sans avoir pour premier objectif de le mettre dans son lit.

« Si nous nous installions par ici, près de la fenêtre. Ce serait agréable pour converser je crois. »

Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas montrée aussi sentimentale avec quelqu'un. Cet homme avait ouvert une porte et il était évident qu'elle allait la refermer bien vite dès qu'elle ne serait plus avec lui. Il ne fallait pas que le reste du monde sache que Penny Halliwell avait un cœur, un cœur qui avait été brisé à la mort de celui qu'elle aimait, mais qui demeurait quand-même un cœur ouvert qui attendait encore son homme. Le simple fait qu'elle ait pu croire que cette personne qu'elle avait croisée était son Allen en était une preuve accablante. Penny n'avait pas complètement fermé son cœur à la possibilité d'un amour et elle trouvait la perspective dangereuse.

Mais pour un instant, elle avait envie d'imaginer qu'il était possible de se retrouver dans un cadre enchanté avec un homme qui ressemblait à son défunt mari et partageait avec lui la souffrance de la perte d'un être cher, qu'il connaissait exactement comme elle. C’était un moment de douce bienveillance, mêlée d'une confiance qu'elle n'avait jamais eu que très peu envers un représentant de la gent masculine. Mais alors qu'elle aurait pu le provoquer, voire l'insulter, elle choisissait une autre voie.

« Cela fait bien longtemps que je n'ai plus conversé, pardonnez-moi si je m'y prends comme un manche », répondit Penny d'une voix étonnamment douce.

Sa façon de rechercher le savoir et d'y trouver un message d'amour à partager avec ses proches fit à nouveau briller dans l'esprit de Penny cet époux disparu qui était, lui aussi, chargé de tellement d'optimisme. Allen avait toujours recherché la beauté dans ce monde et il aurait sûrement approuvé qu'elle en partage les expériences avec un homme qui savait ce que cela voulait dire de les vivre. La matriarche n'était peut-être pas aussi âgée que dans le souvenir de ses petites-filles, mais elle avait tout-de-même une bonne quantité d'expériences dont la majorité parlaient de sa fille et de ces deux petites filles si merveilleuses. Elle était certaine que le reste de sa famille ne l'était pas moins et quelque part, c'était une bonne chose qu'elle puisse apprendre à les découvrir.

« Le partage de ses expériences et des émotions qui les accompagnent. Mon époux aurait sûrement été d'accord avec vous. Pour ma part, depuis qu'il est parti je ne suis que méfiance et il est rare que je m'ouvre à propos de ma famille à qui que ce soit. Pourtant, il y aurait de quoi. J'ai une fille voyez-vous, qui a deux merveilleuses petites princesses. Elles ont cinq et trois ans. Ce sont des amours, mais j'ai appris que ma fille allait donner naissance à deux autres filles, dans quelques années par rapport à l'endroit d'où je viens. Ces quatre filles auront, à leur tour, des enfants et pour l'instant, je ne sais rien de mes expériences avec elle. Mais c'est tout-de-même une belle chose de savoir que l'on laisse un grand héritage derrière soi. »

Étonnamment, c'était peut-être elle qui avait des pouvoirs magiques, mais c'était lui qui avait parcouru le monde et qui avait vécu tellement d'aventures passionnantes. Comment le combat contre des démons, aussi passionnant et important soit-il pourrait-il rivaliser avec la découverte de mystères enfoui un peu partout dans le monde et la mise à jour de temps de trésor ? Partager cela avec son enfant était un beau cadeau que la vie faisait et il était clair que cet homme était chanceux de pouvoir partir ainsi à l'aventure avec son grand fils.

« Pouvoir partager ce qui fait notre véritable nature avec nos enfants, c'est un véritable cadeau de la vie. J'ai vu grandir ma fille en tant que sorcière, je lui ai transmis notre savoir, je lui ai appris à manipuler ses pouvoirs. Ce sont des expériences bien plus magiques dans la relation que cela nous offre avec nos proches que dans le pouvoir lui-même. »

Des cafés furent déposés devant eux, aussi naturellement et aussi simplement que ne l'était leur échange et l'homme se montra curieux de cet époux qui lui ressemblait tant physiquement. Un sourire se dessinait sur le visage de Penny alors qu'elle repensait à cet homme qui avait tellement compté dans sa vie. Pour beaucoup de sorciers, Allen serait considéré comme une personne ordinaire et sans grand intérêt. Mais pour elle, il avait constitué l'entièreté de son univers. Il lui semblait impossible de pouvoir considérer son souvenir comme quelconque.

« C'était un homme, un homme tout ce qu'il y a de plus ordinaire pour une sorcière, dépourvu du moindre pouvoir et n'ayant que la parole pour convaincre. Il fut assez éloquent pour me guider sur un chemin où le combat n'avait pas sa place. Si sa mort a tout remis en question, j'ai tout-de-même tendance à penser que s'il était un humain comme les autres, Allen possédait un certain pouvoir dans sa pensée et sa façon de la verbaliser. Qu'est-ce qui vous marque le plus lorsque vous repensez à votre épouse ? »

Elle ne pouvait s'empêcher de se demander si comme elle, il avait eu l'impression de voir une personne particulière et spéciale là où d'autres ne voyaient que quelqu'un d'ordinaire. C'était sans-doute ça l'amour, être capable de prendre une personne ordinaire et d'avoir une image de lui qui le rendait prodigieux, simplement parce qu'on se sentait bien et en harmonie avec lui.

Penny n’avait pas voyagé dans des pays extraordinaires. Elle n’avait pas parcouru le monde à la recherche de trésors, elle n’avait pas fait de découverte prompte à changer le monde. Sa seule richesse était dans sa descendance, cette famille qui s’était construite, petit à petit, qui avait grandi, et qui transmettait au fil des générations la magie des Halliwell et toute la connaissance qui accompagnait cela. C’était son véritable pouvoir, plus que la télékinésie, plus que la conception de potions, cette famille qui se battait ensemble contre les Forces du Mal. Il n’y avait rien de plus précieux dans le monde.

« Ces petites-filles et mes arrière-petits-enfants sont devenus de belles jeunes femmes et de beaux jeunes hommes, qui détiennent leur part du pouvoir de la famille et qui s’en servent pour faire de bonnes choses. Il m’est doux de me dire que ceux qui sont issus de moi ont choisi de suivre le chemin de la paix et de la justice, à mon image. »

Le souvenir d’Allen et le sourire qui l’accompagnait, s’accompagna d’un même sourire à l’évocation de la femme de cet homme. Elle ne savait pas pourquoi, peut-être parce qu’il ressemblait tellement à son époux, mais elle se sentait chaleureusement émue à son contact. Et c’était merveilleux de pouvoir partager un peu de ce qu’elle éprouvait pour cet homme qui avait partagé sa vie, le seul que son cœur ait jamais voulu intégralement. Personne n’avait jamais pu le remplacer, personne n’avait jamais pu conquérir Penny aussi définitivement, même si le nécromancien avait su toucher son cœur. Mais pas pour toujours, pas autant que lui.

« Il était doux et pur, il était de ces hommes pour lesquels on pourrait tout abandonner, il inspirait l’amour, et il entraînait le monde dans son sillage. »

La femme de cet homme semblait elle aussi respirer l’amour et la bienveillance. Oubliait-on toujours les défauts de ceux qui étaient partis ? Probablement. Il était logique de se dire qu’à un moment donné, on préférait se souvenir de ce qu’il y avait de plus beau. Mais la pensée de cette femme et bonne qui savait faire de chaque instant un véritable conte plaisait à Penny. Elle n’aurait probablement pas été capable de faire ce genre de choses, pas alors qu’elle affrontait le monde à chaque instant, mais elle aurait sûrement tendance à veiller sur ceux qui le faisaient.

« Votre femme devait être une personne extraordinaire. Je comprends que vivre sans elle vous soit un tel défi. Il doit être doux d’imaginer toutes les histoires qu’elle aurait pu faire naître en un endroit comme celui où nous nous trouvons. »

Il lui demanda comment elle faisait pour vivre sans son mari et elle eut un rictus un peu jaune. Allait-elle se montrer parfaitement honnête avec cet homme. Elle pourrait. Elle savait qu’il n’allait pas se détourner d’elle, pas pour le moment. La suite était encore une question en suspens, mais pour une fraction de temps, un moment figé dans un monde en constante course, ils partageaient un instant de répit, une île de partage dans lesquelles les choses étaient dites sans y penser. Penny ne put que constater à quel point tout cela lui faisait du bien. Et malgré son étonnement, elle en sourit à nouveau.

« En faisant éclater ma peine comme du pop-corn, j’imagine et si je dois être tout à fait honnête, en reportant sur chaque homme de cet univers le crime de ne pas être Allen. C’est peut-être pour cela que j’accepte finalement plus mes descendants masculins que le reste des hommes de la planète. Ils ont un peu de leur aïeul en eux. »

Ils ne partageaient pas seulement un passé commun, mais aussi des valeurs communes. Celles de transmettre ses passions, son héritage, sa façon d’avancer dans la vie avec ses descendants. L’amour de l’histoire semblait être partagée entre cet homme et son fils, et la fierté qu’il éprouvait était la même que Penny pour ses filles. Elle comprenait quand il disait qu’il lui était compliqué que son fils fasse parfois les choses à sa manière. Mais il en était fier malgré tout. Elle était pareil. Elle avait tenté de forger ses descendants à son image, mais nul doute qu’ils ne l’étaient pas, ou alors, une partie d’elle qu’elle ne se reconnaissait plus.

« Comme vous, je suis fière. Même si tous ne font pas les choses comme je les fais, ils suivent tous les traces de la magie blanche, et c’est magnifique. J’ai toujours eu envie de guider et d’épauler mes descendants, mais de leur propre témoignage, je suis morte avant de pouvoir le faire, quoique la mort ne soit pas une fin en soi chez nous. Toujours est-il que cette chance qui m’est aujourd’hui accordée est des plus précieuses. »

Lorsque Penny avait perdu son époux et que la rage avait rempli son cœur, c'était pour ses filles qu'elle avait continué, pour la petite qui était désormais orpheline et ensuite, pour ses petites-filles. Mais elle n'avait plus jamais été la même. Elle était devenue une sorcière froide et pleine d'amertume qui n'hésitait jamais à se battre pour ce en quoi elle croyait. La sorcière non-violente, la pacifiste qu'elle était, était morte avec Allen, et elle était certaine que vivante ou morte, cette sorcière ne serait plus jamais elle. c'était terminé pour de bon.

Toutefois, c'était cette force nouvelle qui avait permis de forger le Pouvoir des Trois, d'après ce que ces petites filles avaient pu lui raconter. Si leur grand-père n'était pas mort, il n'y aurait peut-être jamais eu de Pouvoir des Trois. Elle pouvait être dure, mais ce n'était rien si cela permettait de protéger sa famille. Cet homme n'était pas son mari mais il la comprenait, malgré tout. Il comprenait pourquoi elle prenait cette décision et ce chemin et pourquoi elle souhaitait plus que tout être fidèle à tout ce qui lui restait. Désormais, Sarah ferait partie également de cet héritage dont elle voulait laisser un maximum derrière elle.

« Malheureusement, il est triste de se dire que l'on doit en passer par des épreuves de ce genre pour que certaines choses se passent mieux mais c'est un fait, et la mort de mon époux est ce qui m'a permis d'assurer l'avenir de ma descendance le mieux possible. »

Si elle s'était plongée dans la magie, corps et âme, il semblerait que son interlocuteur ait eu le même comportement avec le domaine de l’Histoire et de la littérature. Ils se ressemblaient beaucoup plus qu'on n’aurait pu le penser quand bien même Henry n'avait pas de pouvoir magique. Elle se surprit à avoir envie de mieux le connaître et de partager avec lui quelque chose de solide tout en s’aidant mutuellement à accepter que le souvenir de leurs amours disparus ne soit désormais plus que ça. Penny n'était même pas certaine d'avoir réellement fait son deuil jusqu'à présent. Elle avait seulement essayé.

« Un dérivatif n’a jamais été qu'un moyen temporaire de faire le deuil. J'en sais quelque chose. Cela dit, mon dérivatif avait au moins l'avantage de me permettre de passer ma colère sur les hordes de démons. Ça vous calme un peu la rage », fit-elle remarquer en souriant.

Cet homme avait un côté philosophique qui rappelait des choses à la quadragénaire. Il y avait un temps où elle n'était pas autant dans l'action, mais beaucoup plus dans la réflexion et où elle se sentait plus posée. Cet homme lui rappelait cette époque. Elle considérait comme extrêmement vrai que l'héritage que l'on laisse à notre descendance peut être infiniment plus magique que ce que nous découvrons au fil de notre propre vie. Malheureusement, on pouvait autant laisser en héritage de bonnes choses que de mauvaises. Grams savait de quoi elle parlait.

« Ce que nous laissons à nos enfants est malheureusement autant le fruit de nos réussites que de nos échecs. J’ai offert en héritage la force le courage et l'envie de défendre le bien, mais je ne peux m'empêcher de penser que celle que j'étais sur le point de devenir a probablement provoqué l'orgueil de Prudence en la poussant à se considérer comme responsable de ses sœurs avant de mourir prématurément et de lui laisser ce poids sur les épaules. Je ne crois pas m’être mal occupée de mes descendants, mais je sais que les mauvais choix autant que les bons sculptent notre famille. Votre fils, lui même s'est autant forgé de votre amour de l'Histoire et de l'archéologie que de la solitude que votre abandon a provoqué. Malheureusement, la vie est fait des deux. »

Elle était à la fois étonnée et à la fois pas si surprise que ça de constater qu'ils avaient les mêmes rêves et les mêmes désirs, lui pour son fils et elle pour ses petites-filles. Les familles étaient un bien précieux et pour ces deux-là, elle était tout particulièrement importante. C'était probablement pour cette raison qu'elle se sentait proche de lui. Elle but un peu de thé et hocha la tête en l'entendant faire des commentaires sur ce qu'il ressentait par rapport à elle et sa famille et par rapport à lui et son fils. Il n'était facile pour personne de se construire une famille où régnait la sérénité. On faisait définitivement ce qu'on pouvait.

Elle n'avait jamais envisagé les choses comme une quête, du moins, pas consciemment. Mais il avait raison, cela faisait partie de sa personnalité. Rien n'était jamais facile dans le monde où ne vivait pas l'être que vous aimiez le plus. Mais même si la vie pouvait être bien triste et vous condamner à une cruelle sensation de solitude, cela ne changeait pas le fait que parfois, la vie vous offrait une seconde chance et c'était tout particulièrement le cas dans cette ville. elle ne put que hocher la tête d'un air qui signifiait à quel point elle pouvait être d'accord avec sa façon de voir les choses. Il était évident qu'il y avait beaucoup réfléchi.

« Je dirais que le plus compliqué quand on est matriarche de la famille, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de se comporter comme une grand-mère qui s'occupe de ses petits-enfants, mais comme un professeur qui enseigne des valeurs et un contrôle et qui pour autant, doit laisser la place à l'individualité de chacun. Même celle qui possède les mêmes pouvoirs que moi ne les utilisera pas de la même façon que je le fais. Aussi proche que nous puissions l'être, elle n'est pas moi et je dois composer avec cela. C'est encore plus vrai pour les autres dont la personnalité et les dons sont encore plus éloignés des miens. Je suppose que c'était déjà compliqué pour la femme qui les a élevées et qui savait ce qu'elles allaient devenir. J'ai un autre défi moi, celui de reprendre cette place alors que je n'en suis pas passé par l'expérience de savoir tout d’elle comme cette femme que j'aurais pu devenir devait le savoir. »

Penny avait souvent réfléchi à ce qui se serait passé si sa meilleure amie ne l’avait pas trahie, si à un moment donné, la pacifiste que Penny Halliwell pouvait être n’avait pas été tuée par les forces du mal, en même temps que son époux. Elle aurait sûrement élevé Patty, puis Prue, Piper et Phoebe dans la culture de l’amour et avec cette volonté d’ouvrir les bras aux autres et de ne pas commettre de meurtre, même en ce qui concernait un démon. Et elles ne seraient pas devenues les sorcières puissantes et merveilleuses qu’elle avait rencontrées ici. Le destin avait une bien curieuse façon de faire les choses, mais en l’occurrence, c’était pour le mieux.

« Allen me manque. Je crois qu’il me manquera toujours. Mais je suis si fière de voir ce que le chemin que ma vie a pris a fait de mes petites-filles. Elles semblent si fortes, si puissantes et si courageuses. Et unies. Je suis si heureuse de voir combien ma famille est unie, actuellement. »

Il était tellement facile de s’oublier dans quelque chose qui pouvait vous prendre tout votre temps, comme la magie pour sa part, ou les recherches comme ce monsieur Jones. Mais cette fureur ne pouvait pas suffire pour évacuer tout ce que la douleur faisait subir dans ce genre de cas. Ce n’était qu’un premier exutoire qui permettait de ne pas s’écrouler au départ. Mais après, il fallait construire des choses plus solides pour guérir durablement, et Penny savait d’expérience que s’appuyer sur la famille était toujours une bonne façon de se construire. Pour elle, elle avait toujours œuvré dans ce sens et cela était important.

« J’ai choisi de m’efforcer de me guérir au-travers de ma famille avant tout. La magie est un vecteur pour évacuer la colère et la souffrance, mais cela ne permet pas de se reconstruire ensuite. Comment avez-vous vécu les choses quelques temps après, en ce qui vous concerne ? »

Elle était flattée par les compliments que cet homme lui faisait, mais elle n’était pas certaine d’avoir réellement géré les choses avec la maestria qu’il lui attribuait. Elle avait pu constater que Prue avait pris sur ses épaules un grand nombre de responsabilités, que Piper avait peur des conséquences de la magie dans sa vie. Elle n’était pas sûre d’avoir détecté tous les tourments des autres, mais elle avait peut-être manqué de discernement ou de soin en ce qui concernait leur éducation. C’était difficile à dire puisque cela appartenait à son futur, mais le constat était troublant.

« Je ne suis pas sûre d’avoir été si douée avec elles. Nous avons mis une telle pression sur Prue. Et puis, ses sœurs ne semblent pas forcément totalement en phase avec leur héritage, pas complètement. La douleur génère des choses qui peuvent avoir des conséquences auxquelles on ne s’attend pas. »

Elle avait bien l’intention de reprendre sa position de matriarche de la famille Halliwell et d’être là pour chacun de ses descendants. Elle voulait les aider à trouver le chemin de leur destinée, et la maîtrise de leurs pouvoirs lorsqu’ils reviendraient, avec toute la confiance qu’elle pourrait leur inculquer. Quoi qu’elle ait eu comme influence, elle pouvait choisir de quoi serait fait son avenir. Et elle pouvait être là pour ses proches et faire mieux que ce qu’ils avaient connu dans le passé. Mais c’était un défi malgré tout et elle n’était pas sûre d’être à la hauteur.

« Je ne sais pas si je le suis vraiment, mais je sais que j’ai envie d’offrir à mes descendants mon soutien et d’améliorer ce qui a été fait par le passé. Je ne sais pas ce que je serai capable de réaliser vraiment. Mais je pense que faire de son mieux est déjà beaucoup, n’est-ce pas ? Avez-vous vos descendants ici avec vous ? Peut-être pourriez-vous les aider de la même manière ? »

Si Penny avait un sens de la famille aussi aigu, elle pouvait cependant comprendre que la façon de gérer les douleurs et les chagrins pouvaient empêcher de voir ce qui était essentiel dans un premier temps. Oui, son analyse était pleine de sagesse et il était évident qu'elle savait de quoi elle parlait en mentionnant qu'il était important de se consacrer à ceux qui étaient en vie et de les protéger envers et contre tout. Mais ce n'était pas une sagesse qu'elle avait eu naturellement et même avec la perte de son époux, il lui avait fallu infiniment de courage pour passer de la détresse au combat.

Même quand elle avait eu cette force, il ne lui en avait pas fallu moins pour que ce combat ne prenne pas tout l'ensemble de ceux qui faisait partie d'elle et pour qu'elle laisse une place aux enfants à venir. Élever Patty en assurant sa sécurité, puis élever les sœurs pour en faire de futures sorcières de qualité, cela lui avait permis de canaliser sa force dans un combat qui en valait vraiment la peine. Elle trouvait ça dommage que Henry ait mis autant de temps avant de réaliser que la force de sa récupération se situait auprès de son fils.

« C'est une erreur faite assez communément lorsqu'on est confronté à une blessure. On ne veut pas y penser, alors on s'oublie, et parfois on oublie les proches qui pourraient nous permettre de voir les choses différemment. Quelque part, votre femme vivait encore dans votre fils et c'est en partageant avec lui des moments que vous pouviez la faire vivre. C'est dommage de se priver de cela. »

Penny savait que, à défaut d'être parfaite, elle pouvait se vanter d'avoir des bonnes intentions et de prendre soin des membres de sa famille de son mieux. Le fait de donner le meilleur d'elle-même lui donnait suffisamment de fierté pour pouvoir se regarder dans une glace, mais il ne faisait aucun doute qu’elle n'était tout de même pas autant à la hauteur qu'elle l'aurait voulu. Elle savait que sa fille et ses petites-filles connaissaient les raisons pour lesquelles elle avait fait preuve d'une telle dureté et il ne faisait aucun doute que aucune ne lui en voulait ou ne considérait qu'elle avait mal agi, mais pour autant, il y avait tout de même une certaine pression qui pesait sur elle et elle n'était pas sûre de pouvoir la contrôler.

« Il est impossible de savoir à quel point les erreurs qu'on a commises étaient évitables ou pas, mais si l'on commet des erreurs, la seule chose que l'on peut faire, c'est d'essayer de corriger le tir quand on s'en aperçoit. On ne peut peut-être pas tout réparer mais on peut réparer un certain nombre de choses. »

Penny avait l'impression que cet homme se sentait étranger à ses propres descendants dans le sens où il ne les connaissait pas vraiment. De plus, il semblait à Penny que l'évolution qu'ils avaient prise ne lui convenait pas vraiment et ne correspondait pas à l'éducation qu'il aurait voulu leur donner. Il regrettait d'ailleurs que son petit-fils n'ait pas pu profiter davantage de son père. Penny ne put se retenir de tendre la main vers lui et de prendre le bras qui était replié et qui lui donnait envie de lui ouvrir des portes. Il était si triste de le voir se sentir tellement coupable.

« Les rencontres que nous faisons. Vous avez entièrement raison. Cette discussion en est un parfait exemple. Nous avons vécu des choses similaires, nous avons des pertes qui se ressemblent, nous avons des doutes assez commun, mais nous pouvons tout à fait nous soutenir mutuellement, même si c'est le hasard qui nous a offert cette opportunité en vous donnant le visage de celui que j'ai perdu. Croyez bien que si je vous propose de prolonger cet instant en nous revoyant éventuellement, ce n'est certes pas parce que vous avez ce visage, mais parce que vous avez ce cœur qui me parait partager tant de choses avec le mien. Cela dit, je vous préviens, au cas où vous accepteriez de devenir mon ami, je peux être une femme bien acariâtre lorsque je suis contrariée. »

L'aveu qu’il lui fit au sujet de son bonheur de cette rencontre la fit sourire car elle était partagée. Ce qui aurait dû être une grosse déception au départ était devenu un cadeau de la vie, et peut-être que cela pourrait donner lieu à une nouvelle amitié qui ne manquerait pas d'apporter de la chaleur dans leur cœur à tous les deux. Penny se rendait bien compte que malgré la présence de sa famille, elle ne pouvait faire autrement que d'éprouver une certaine solitude devant les blessures qui faisait partie de son existence et qu'il pouvait être agréable de partager cette souffrance avec quelqu'un qui en connaissait une similaire.

Penny n'avait jamais recherché la validation et les compliments en ce qui concernait sa conduite vis-à-vis de sa propre famille. Elle avait toujours fait ce qu'elle espérait être le mieux dans le but d'offrir à ses filles quelque chose qui leur permettrait de vivre une vie sereine avec le moins de troubles possibles. Du peu qu'elle savait de ce qu'elle avait fait à la suite de la période de laquelle elle avait des souvenirs, elle avait accompli son but mais elle n’était pas certaine qu'elle l'avait fait de la manière qui convenait, même si les filles semblaient heureuses de ce que leur grand-mère leur avait apporté.

Mais même si elle ne se fiait pas à ce genre de commentaire pour être satisfait ou non de la vie qu'elle menait, voir un sosie de son défunt mari lui certifier qu'elle agissait comme il le fallait lui réchauffait tout-de-même le cœur. Elle aurait tout donné pour entendre ces mots prononcés de la bouche même de celui qu'elle avait aimé de tout son cœur. Ce n'était peut-être que son sosie qui parlait, mais elle avait un peu l'impression que son époux estimait qu'elle avait montré des principes qui étaient fidèles à ceux de leur famille. Elle ne savait pas s'il s'en était rendu compte.

« Je vous remercie pour ces compliments. Je ne sais pas si je les mérite, mais j'espère de tout cœur que oui. J'espère surtout que mon époux aurait eu la même opinion de mes choix que celle que vous venez d'exprimer. Ce serait le plus beau cadeau que la vie pourrait me faire. »

Ce qu'il se proposa de lui partager, elle accepta qu'il le fasse avec un simple regard qui lui manifestait à quel point elle serait ravie d'entendre une philosophie qui avait du sens pour lui. Et lorsqu'il prononça ses mots, lorsqu'il partagea ce qu'il éprouvait au fond de son âme et ce qui avait un rapport avec l'amour que l'on pouvait avoir pour les autres et pour la vie, elle se sentit apaisée et en phase et elle sut aussitôt qu'elle tenait absolument à ce que cette rencontre ne soit pas juste un hasard de la vie mais qu'il y ait un sens, qu'il y ait quelque chose de plus.

« C'est très profond. J'aime à penser que cette rencontre nous enrichira tous les deux. Je pense que c'est déjà le cas pour moi. Mais j'ignore ce que vous espérez vous de tout cela. »

S'il affirmait être un vieil homme acariâtre, elle n'en était pas moins une vieille dame tout aussi acariâtre. Pourtant, durant un bref moment, ils avaient tous deux été dans l'écoute et dans le soutien de l'autre d'une manière qui n'était probablement pas arrivé dans leur vie, ni un ni à l'autre depuis bien longtemps. Penny n'avait pas envie que ça s'arrête. Elle avait l'impression qu'il pouvait y avoir entre eux bien plus qu'une simple rencontre de passage et elle voulait que ça arrive. Elle avait besoin de retrouver des personnes dans sa vie qui ne soient pas simplement sous sa responsabilité mais qui soient avec elle aussi parce qu'ils en avaient envie. Elle n'avait aucun doute sur le fait que c'était le cas pour les membres de sa famille mais ils étaient sa famille.

« Je ne demande pas mieux que de partager ça avec vous, mais je vous préviens, je suis moi aussi une vieille dame bien acariâtre. Vous pourriez le regretter », déclara-t-elle avec humour.

En ce qui concernait la force qu'elle pouvait avoir, Penny n'avait pas l'impression qu'elle avait réellement le choix. Cette force lui avait peut-être été insufflée par le décès de son époux, mais il ne faisait aucun doute qu'elle s'était rendu compte de la nécessité d'être forte, afin de mener sa descendance vers la vie et non vers la mort. En se rendant compte que les Halliwell étaient devenus de puissantes sorcières grâce à son influence dans leur vie, elle avait su que la mort de Allen n'avait pas été inutile. Ses petites filles vivaient grâce au sacrifice de leur grand-père. Ce n'était pas hypothétique, c'était un fait vérifie.

Elle était reconnaissante à cet homme de vanter ainsi ses mérites, mais elle ne croyait pas que sa seule force personnelle était en jeu. Il y avait beaucoup de choses autour et même s’ils en avaient parlé et reparlé, elle continuait de penser que cette influence avait changé les choses d'une manière qu'il aurait été impossible de prévoir au moment où sa meilleure amie s'était détournée du bien. Ce faisant, elle avait offert un cadeau au monde auquel elle s'opposait beaucoup plus franchement que si elle était restée de leur côté.

« La force et la lutte qui sont générés dans l'adversité et la trahison ne sont pas les plus faciles à acquérir, un traître ne se rendra jamais compte à quel point cette trahison a profité au camp adverse. La force de lutter arrive quand un adversaire la provoque. »

Elle saisit la main tendue et posa son autre main sur le bras de cet homme qui ressemblait tant à celui qu'elle aimait sans pour autant l'être réellement. On aurait pu penser que cet état de fait la traumatiserait et cela aurait sûrement été le cas si cet homme n'avait pas été des plus réconfortants et tellement en harmonie avec ce qu'elle éprouvait. Au lieu d'avoir perdu une opportunité, elle avait la sensation que cette opportunité s'ouvrait à elle et elle ne savait pas encore exactement ce qui se cachait derrière. Mais la promesse d'une amitié était déjà quelque chose de très fort.

« C'est une belle perspective que la promesse d'une telle amitié. Autant que vous le sachiez, il n'est pas beaucoup d'hommes qui peuvent se vanter que j'ai souhaité leur amitié de cette façon. »

Elle tint quand-même à l'avertir qu'il fallait qu'il se méfie. Elle avait un méchant caractère et s'il y avait une chose qui était certaine, c'était que personne ne l'envierait de devoir supporter la matriarche des Halliwell. Il était probable que la plupart des gens aurait tendance à le plaindre. Pourtant, il n'en démordit pas et maintint sa promesse. Il affirma que cet enjeu, aussi difficile qu'il puisse paraître était un défi qu'il avait envie d'entreprendre. Elle sourit et lui tendit son bras d'un geste sans équivoque, comme une manière de sceller leur pacte.

« Alors cheminons un moment ensemble, très cher monsieur. »