Entre amis - Guenièvre

Se faire de nouveaux amis dans ce monde a été chose compliquée. Me faire de amis, de manière générale, n'a jamais été mon fort... Ce n'est pas vraiment comme si j'en avais l'occasion. Les personnes que je serais le plus susceptible de qualifier d'amies dans ma vie passée seraient ma dame de compagnie et sa langue bien pendue, et les maîtresses d'Arthur...

Dans un cas comme dans l'autre, on peut pas forcément dire que ce soit très sain, et que ce soient des amitiés qu'on puisse considérer comme vraiment... profondes ? J'ai par conséquent été la première surprise de cette amitié qui s'est très rapidement imposée entre Viserys et moi. Je suppose que je dois remercier le contexte, pour ça. On s'est très vite trouvé de nombreux points communs, à commencer par le fait que l'on vient tous les deux d'époques très différentes, qui nous font appréhender la technologie moderne avec une certaine difficulté. J'aime parler avec lui. J'ai l'impression qu'on se comprend, et qu'on a un paquet de points communs. Et puis, ça fait du bien de papoter avec un homme du monde qui vous envoie pas promener tous les deux mots sans que j'aie besoin de m'interroger sur ses intentions. Alors c'est avec plaisir que nous convenons de nous voir régulièrement. Nous retrouver autour d'un thé et de bonnes pâtisseries est devenu, par exemple, une habitude dont je ne me passerais plus.

Et d'ailleurs, nous avons rendez-vous dans un charmant salon de thé, un endroit qui ne réveille pas trop mon anxiété. Je suis arrivée en avance... surtout parce que j'avais pas grand-chose de mieux à faire de mon côté, et que j'aime bien cet endroit. Je trouve ce salon de thé coquet, cosy, une jolie décoration fleurie et des pâtisseries délicieuses... J'ai déjà bien entamé ma tartelette aux framboises, d'ailleurs (bien plus digeste que les plats que ma mère daignait préparer et certainement plus digeste que la nourriture certes fastueuse mais bien ennuyante de la cour de Camelote), quand je vois enfin Viserys arriver. Je l'accueille avec de grands signes et un sourire tout aussi grand.

❝Oh, t'en fais même pas pour moi !❞ fais-je avec enthousiasme tout en souriant à pleines dents. ❝J'ai même pris de l'avance❞, j'ajoute en désignant mon assiette bien entamée, ce qui ne m'empêchera pas de reprendre une pâtisserie ensuite pour ne pas laisser Viserys manger tout seul. ❝Alors ? Quoi de neuf ? Tout se passe bien pour toi ?❞
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J'affiche un sourire satisfait à la réflexion de Viserys. Lui et moi, nous partageons la même vision des choses : oui, il ne faut pas se priver des bonnes choses, surtout qu'elles font toujours du bien par où ça passe. Et oui, quand on se sent perturbé et qu'on ne sait pas trop à quel saint se vouer, on sait toujours trouver du réconfort dans la nourriture.

Je suis contente d'apprendre que du côté de Viserys, tout semble aller pour le mieux. Je ne peux pas prétendre comprendre grand-chose à ses affaires, maisi si elles sont fructueuses et que Viserys en est satisfait, c'est le principal, après tout, pas vrai ? Vrai. Totalement vrai.

Viserys m'apprend ensuite que cette ville des plus étranges, et qui ne nous épargne jamais, lui a réservé de nouvelles surprises. Ce n'est pas rare, ici, mais au moins, cette surprise est une bonne surprise - ce n'est pas toujours le cas.

❝Oh !❞ La surprise, puis le plaisir illuminent mon regard : je suis si heureuse pour lui ! Il mérite ce qu'il y a de meilleur, c'est une évidence, et je suis beaucoup trop heureuse de le voir d'être réuni avec les siens. ❝Je sais à quel point tu y tenais, je suis heureuse pour toi ! Comment ça s'est passé ?❞

Je veux tous les détails. Cette bonne nouvelle apaise mon humeur. En dehors d'Arthur qui, heureusement, a toujours été là depuis mon arrivée ici, je ne peux pas dire que les rencontres ou retrouvailles que j'aie faites ont toujours été bonnes, loin de là.

❝Finalement, tout rentre dans l'ordre, hein ? Enfin, si on veut.❞

Je hausse les épaules quand Viserys me pose plus de questions de mon côté. Je dirais que ma relation avec Arthur est en demi-teinte, elle l'a toujours été, bien sûr... mais je ressens tout de même une nette évolution, ne serait-ce que dans le regard qu'il daigne dorénavant poser sur moi...

❝Dans le genre qui changera jamais, Arthur est fidèle à lui-même, c'est table ronde et tout le tintouin tous les quatre matins. Oh, c'est bien, hein... Mais j'suis pas totalement sûr qu'il y trouvera son compte, c'est pas comme si ça avait été le cas un jour.❞

Il manque toujours quelque chose à Arthur... constamment... et y a pas grand-chose que je puisse faire contre ça,  même si je le voudrais vraiment, et en toute sincérité.

❝Oh, et j'ai revu Lancelot.❞

Je le dis en passant, comme sur le ton de la conversation, mais bien sûr, l'histoire est plus compliquée que cela, plus compliquée qu'on ne le soupçonnerait. J'ai raconté, en surface, mon passif avec lui, aussi, je sais que Viserys comprendra que tout est plus compliqué que j'en donne l'air.



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J'écoute avec attention Viserys évoquer ses retrouvailles ave sa famille. Je sais à quel point cette famille est importante à ses yeux, je sais aussi - sans tout comprendre parce que toutes ces histoires, ça me dépasse - que tout n'est pas un long fleuve tranquille, alors je ne demande qu'à entendre plus de détails à ce sujet. Ses retrouvailles avec sa fille, Rhaenyra, se sont apparemment passées pour le mieux, et je suis particulièrement heureuse de l'entendre, mais je devine qu'il y aura un mais, même si j'ignore encore d'où celui-ci viendra (faut pas s'attendre à ce que je sois plus intuitive que je le suis non plus). Je suis assez étonnée d'entendre qu'elle a changé physiquement, mais honnêtement. Oui, à ce stade, on n'est plus à ça près.

❝Oh, tu sais, de mon côté, j'ai revu Merlin, sauf qu'apparemment c'est pas Merlin, pas juste plus jeune mais compétent, et si j'ai bien compris tout ce mic-mac, il y a même un autre Arthur en ville, sans doute une autre Guenièvre, tu imagines ?❞ Je ris pour ne pas admettre que cette bizarrerie me perturbe quand même pas mal. ❝A ce stade, il n'y a plus rien qui peut me surprendre❞, j'ajoute avec humour.

Il parle ensuite d'Aemond, et de la complexité de leurs relations à l'heure actuelle, même s'il arrive à prendre des distances avec son discours, je ressens que ce n'est pas simple pour lui du tout. Je suis pas maman, semble-t-il que je le serai jamais... je crois que je peux imaginer quand même ce que ça fait, en tant que parent, de se sentir à l'écart de ses propres enfants.

❝Oh, j'suppose, oui...❞

Un héritier, ça aide, oui... On me l'a rabâché tant de fois, on a attendu tant et tant que je porte l'enfant du roi, mais avec un roi qui refuse de vous toucher, je peux vous dire que c'est pas le plus évident. Bon, maintenant, les choses sont différentes, mais ça changera rien pour autant. Les héritiers sont peut-être la solution, Arthur ne retrouvera pas la mienne.

❝Ca progresse bien, pour Arthur, et ça faisait longtemps que je l'avais pas vu aussi motivé❞, dis-je avec un sourire honnête. ça me fait du bien de le voir comme ça, moi qui l'ait vu dans ses moments les plus sombres, et qui m'avaient tétanisée. ❝On a retrouvé pas mal d'anciens de Camelot, aussi. Une sacrée bande de bras cassés si tu me demandes mon avis, mais ça fait plaisir de retrouver... un peu de chez soi.❞

Et qui dit retrouvailles, dit potentielles retrouvailles déplaisantes. Je ne veux pas trop m'attarder sur la question, mais je ne me voyais pas passer à côté.

❝Je dirais que ça aurait pu se passer plus mal... J'ai pris la fuite, donc...❞ Je ne me reproche pas d'être lâche, je n'étais pas prête à l'affronter. ❝Mais Arthur est au courant... c'est déjà ça.❞


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❝Oh on va espérer que non, une seule comme moi c'est d'jà bien assez❞, je dis pour plaisanter quand Viserys s'interroge sur cette autre Guenièvre et sur ce qu'elle pourrait avoir de ressemblant ou de différent de moi. J'avoue que rien d'y penser un peu trop longtemps, ça me file un sacré vertige. Pas sûr de vouloir creuser trop cette question. C'est comme tous les mystères que renferme cette île... chaque fois qu'on creuse le sujet d'un peu trop près, y a vraiment de quoi te ficher le tourni... Merci mais sans façon, du coup, hein. ❝Mais je crois qu'on a deux-trois choses en commun, oui.❞

C'est très étrange. De se dire qu'il peut exister deux Arthur, deux Guenièvre, deux Lancelot, de Merlin... Et pourquoi pas trois, quatre, cinq, tant qu'on y est ? Y a pas à dire, t'apprécies pas des masses l'idée... Mais en même temps, c'est pas comme si tu pouvais l'ignorer non plus.

❝Ah bah on peut dire que t'es pas tombée directement sur les couteaux les plus affûtés du tiroir❞, je dis en souriant, quand il m'apprend qu'il a fait la rencontre de Caradoc et de Perceval, deux branques bien connus de l'équipe de bras cassés d'Arthur.

C'est pas en prenant ces deux-là en exemple qu'on vendra le prestige du Camelot qu'on a connu (d'un autre côté, je sais pas franchement qui on pourrait prendre en exemple pour que ça fonctionne, à ce compte-là. Dans tous les cas, quelque chose a définitivement l'air de clocher et de pas tourner rond). Enfin... je dis ça, mais je les apprécie malgré tout, et surtout, je suis contente qu'ils soient là pour soutenir Arthur. On a besoin de ça, de retrouver un peu de chez nous dans ce monde qui part en vrille, en espérant quand même que, tôt ou tard, on pourra juste partir, sans demander notre reste. Sur ce point, Viserys a totalement l'air de me comprendre, et ça me fait du bien... Comme toutes nos conversations. C'est pas tous les jours que j'ai l'occasion de parler à quelqu'un qui a l'air de penser précisément comme moi, et c'est pas pour dire, mais ça fait clairement un bien fou.

❝Oh non, t'as raison de le dire, je suis honnêtement pas convaincue de savoir défendre mon honneur seule, et c'est pas tous les jours qu'on propose de le faire pour moi.❞ Enfin... Arthur l'a déjà fait... mais il a sa manière bien à lui de présenter les choses quand il le fait. ❝Pour l'instant, j'espère surtout qu'il va nous laisser tranquille mais j'en attends un peu trop, je sais.❞ Je souris. ❝C'est pareil, tu sais. Si je peux faire quoi que ce soit pour toi...❞
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❝Probablement❞, je confirme en haussant les épaules pour me donner l'air plus décontracté que je le suis quand il me parle du fait qu'un face-à-face avec Lancelot sera probablement inévitable. Oui, il a raison, et j'en ai complètement conscience, bien sûr. Oui, il faudra bien, mais j'ai la gorge et l'estomac serré rien que de devoir y penser. ❝Je crois que je suis pas prête à ça pour l'instant.❞

C'est pas juste que je le crois, c'est que je le sais, je pense à ces semaines passées dans cette fichue tour, et je suis certaine de mon discours. Pour l'instant, je me sens pas la force de ça, alors c'est plus simple pour moi d'éluder et de me réfugier derrière tous les prétextes que je peux.

❝C'est tout ce que je te souhaite❞, lui dis-je avec un sourire bienveillant et la plus grande envie de l'encourager quand il me dit garder l'espoir de retrouver sa chère Aemma. Je vois bien que ce n'est pas simple pour lui, pas simple du tout, même, et qu'il doit faire beaucoup d'efforts pour ne pas succomber, à ce sujet, au défaitisme. J'espère vraiment que l'avenir donnera raison à ses espoirs. C'est le mieux que je puisse espérer pour lui, sans le moindre doute possible. ❝Mais tu sais quoi, j'y crois ? Cet endroit me sort par les trous de nez, parfois, mais si y a une chose de vrai, c'est qu'il finit toujours par nous donner ce dont on a besoin.❞

La présence de ses proches ou l'affection d'un ami, qu'importe, c'est une chose en laquelle tu crois. Alors oui, même si tu lui donnes peut-être de faux espoirs, tu l'encourages à pas baisser les bras, surtout pas.

❝D'où je viens, j'dirais que c'est plutôt l'inverse❞, j'observe, évasive, quand il me dit que les hommes sont plus solitaires que les femmes, ou qu'en tout cas ça s'observe chez ses enfants. Je pense à mon propre cas. J'ai porté ma solitude comme un fardeau pendant beaucoup trop longtemps. Mais ici, ce n'est plus le cas. Je me sens plus entourée que du temps de Kaamelot, c'est dire. ❝Présente-moi tes filles quand tu veux, je serai ravie de les rencontrer.❞


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Cet endroit nous pousse tous dans des retranchements qu'on ne soupçonnait pas. Ce n'est pas juste le fait de devoir s'adapter à un climat, une époque et des habitudes qui contrastent par plein d'aspects avec tout ce que nous avons connus, c'est aussi notre rapport aux autres qui est bouleversé. Et encore, moi j'ai eu la chance d'avoir Arthur à mes côtés directement. Alors c'est pas rose-rose constamment avec lui, on va pas dire le contraire, mais je suis heureuse de pouvoir me reposer sur lui, sans ça, j'aurais probablement pas tenu deux jours, là. Et bien sûr, il y a les amitiés façonnées sur le moment, et l'amitié de Viserys compte beaucoup pour moi.

❝Oh ?❞

Ainsi donc, la mère de ses enfants, la fameuse Alicent, serait en ville aussi ? A son sujet, je ne sais pas grand-chose. Par pudeur, d'un côté comme de l'autre, nous n'en avons jamais trop parlé, si bien que je ne sais pas vraiment ce qu'il ressent pour elle et comment il vit son absence. Je sais bien qu'on ne se marie pas toujours par amour (ah !), et toute fleur bleue puis-je être, je n'ai plus la naïveté de mes vingt ans. L'amour peut trouver un chemin en cours de route, comme j'aime à penser que c'est le cas entre moi et Arthur (contre toute attente).

❝Tu ne m'as jamais trop parlé d'elle❞, je remarque avec un léger sourire.

Et j'ignore s'il en aura l'envie, je ne l'oblige pas à dire quoi que ce soit. Mais je me dis que s'il aborde avec moi, c'est qu'il a envie d'en discuter, et je peux être l'oreille attentive dont il a tant besoin. Au-delà de ça, même, je me dois définitivement de l'être, au regard de toutes les occasions qu'il aura eues de m'entendre m'épancher sans jamais me le reprocher - ce que j'aurais compris, honnêtement. Et puis, je suis pas mal habituée aux reproches.

❝Tu as envie de la revoir ? Qu'est-ce que tu redoutes ?❞

Je me dis qu'il doit redouter quelque chose, oui, sinon pourquoi me signifier de la sorte qu'il se demande comment les choses se passeront avec elle. Je devine quelque chose de sous-jacent, et j'ai envie de comprendre quoi.

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