L'Opéra avait ses propres règles et, le plus souvent, se moquait de ce qui pouvait se passer en-dehors de ses murs. C'était cet effet bulle coupée du reste du monde qui l'avait charmé en premier. Moxxie en avait fait son refuge alors qu'il était décontenancé par cette nouvelle apparence et complètement perdu dans ce nouveau monde. L'Opéra lui avait permis de garder la tête hors de l'eau, de ne pas s'enfoncer dans la dépression la plus profonde pendant les sept horribles jours où il s'était retrouvé séparer de Millie.
Encore aujourd'hui, travailler ici, changeant de poste selon les besoins de la pièce du soir, lui permettait de garder l'esprit perpétuellement occupé, étouffant le millier de question qui menaçait de le rendre fou s'il commençait à vouloir comprendre cette mystérieuse lune rouge et la logique tordue régissant cette île. Et, en termes d'occupation, il avait largement de quoi faire ici !
Car, avoir ses propres règles signifiait aussi avoir ses propres méthodes pour régler les conflits. Contre toute attente, ce ne se réglait pas en coulisse, loin des regards des spectateurs, mais, plutôt en plein jour sur scène toujours d'une manière qui assurait de magnifier la pièce. Quoi de mieux, pour honorer les amours sulfureux de Carmen, que de placer deux amants de la mezzo-soprano dans les rôles de Don José et Escamillo ? Quel meilleur défi lancé au visage d'une soprano que de se lancer dans le rôle phare de La Traviata ? Et ainsi de suite. Le diablotin pouvait continuer ainsi à l'infini. Cette manière de faire n'était pas plus déroutante que les demandes si particulière dans l'exécution de certains contrats durant son ancienne vie. Il trouvait même assez touchant de mélanger ainsi la vie publique et factice au nom de l'Art. Bien sûr, il y avait également les petites mains (dont il faisait partie), les conflits les touchant étaient gérés de manière bien moins élégante. Quand le projectionniste avait le maître des chants dans le nez, cela pouvait faire des étincelles. Une expression qui s'appliquait parfois (souvent) au pied de la lettre. Moxxie faisait de son mieux pour ignorer ces petits
'couacs' qui ne correspondait pas à son idée de sacrifice et d'abnégation au nom de la scène. Sans cette ignorance volontaire, il aurait remarqué que le machiniste commençait à courir sur le haricot à pas mal de monde, chose qui ne pouvait rester éternellement sans conséquence.
Inconscient, donc, de ce qui se passait littéralement au-dessus de lui, Moxxie s'était préparer avec autant de soin que s'il allait tenir le premier rôle sur scène. Pourtant, après avoir réajusté son nœud papillon rouge dans le miroir, ce n'était pas au-dessus, mais bien sous les planches qu'il se rendait. Blotti dans l'alcôve au ras de la scène qui lui servait de cachette, le diablotin avait étaler les pages de texte avec la même application qu'un général le ferait de la carte du prochain champ de bataille. Il avait ensuite suivi la pièce, aux premières loges, aussi ému que s'il s'agissait de sa première séance. Ce qui ne l'empêchait pas de rester tout de même vigilant sur son travail, guettant le moindre prémisse d'un trou de mémoire et se tenant prêt à intervenir aussitôt.
Moxxie pensait avoir établi un plan pour toutes les éventualités. L'avenir lui prouva vite que non, sous la forme la plus étrange et inattendue possible. Quelqu'un chuta depuis les hauteurs des cintres et tomba pile sur le lit durant l'Aria du roi mourant. Moxxie lâcha un glapissement crispé. Le temps de terminer s'il devait opter pour la tactique 4Ab ou la 17c et l'inconnu commença à parler. Son expression paniquée vira à la grimace perplexe alors qu'il plissait les yeux en direction de l'intrus. Cette manière de parler... Cette évocation de roucoulade au pieu avec un prince... Était-il possible que...
Son cœur se gonfla d'un espoir fou, que son esprit tentait tant bien que mal de contenir, anticipant la déception de s'être trompé et d'à quel point elle serait très difficile à gérer, dès que la méprise sera clarifié. Car ça ne pouvait pas être réel, n'est-ce pas ? Ça ne pouvait pas être vraiment lui ? Après toutes ces années ? Mais... Que faisait-il ici ? Moxxie se pencha dans sa cachette et leva les yeux.
"Oh, crumbs !" Marmonna-t-il. Là, emprisonner dans les câbles des différents spots, pendait une arme. U
n mystère d'élucider !Le court laps de temps que dura son hésitation avait suffi pour que la situation empire. Les autres artistes demandèrent au fauteur de troubles de sortir de scène. Bien sûr, l'intrus ne pouvait pas s'empêcher d'en rajouter. Le doute, (si doute il pouvait y avoir encore), se transforma en une certitude blasée. Sentiment qui se marqua sur son visage trop expressif. Pas de doute, c'était Blitz.
Blitz avança sur scène, le mettant à porter de son alcôve. Les murmures de la foule tirèrent le diablotin de ses réflexions passives. Sans réfléchir, Moxxie se pencha de nouveau, sortant à moitié de sa cachette pour saisir Blitz par le mollet. Il le tira vers lui dans une tentative maladroite de le conduire dans un endroit plus discret et se mangea un regard foudroyant en guise de réponse, suivit d'une menace.
"Si j'avais reçu un penny à chaque fois que vous me menaciez, Sir, je serais riche à l'heure actuelle." La phrase avait fusé, sur son ton cynique habituel. Soudain, le doute était revenu à la charge. C'était une chose de le reconnaître par son caractère, mais, il était si différent sous cette apparence.
"Sir ? C'est bien vous ?" Hasarda-t-il, n'osant pas encore totalement y croire.
"Mox, tu le connais ce type ?" S'étonna le ténor déguisé en roi. Une simple question qui eut le mérite de ramener le diablotin à la réalité. Moxxie prit à nouveau conscience de tout ce qui l'entourait, des murmures de la foule en passant par les regards interrogateurs des personnes sur scène.
"Ah... Euh... Oui... C'est... Euh... Mon oncle." Improvisa-t-il, tout en lançant un regard suppliant à Blitz d'entrer dans son jeu. Il avait conscience que cela ne collait pas avec les menaces et insultes reçues, mais, sur le moment, il n'avait rien trouvé d'autres.
"Il... Euh... Je l'avais invité à venir voir l'envers du décor, et il a dû prendre la consigne un peu trop à coeur ?" La fin de sa phrase mourut sur un ton interrogateur comme s'il attendait que quelqu'un confirme sa propre explication. De préférence Blitz. Le sourire qu'il aurait voulu confiant se tordait déjà en une grimace d'excuse. Il sentait la sueur froide du stress commencé à perler sur son front.
Dans le pire timing possible, ce fut cet instant-là que choisit l'arme (retenue jusqu'ici par des câbles) pour tomber sur scène. Toute l'attention des autres ne tarda pas à se focaliser sur ce nouvel élément.
"Oh, crumbs !" Souffla Moxxie, en se demandant quelle divinité il avait bien pu contrarier pour se retrouver avec autant de malchance.