Ravagé par les larmes, le visage de Padmé ne parvenait pas à exprimer autre chose que de la douleur. Elle pleurait tant, elle était si angoissée qu’elle en avait la nausée et l’odeur des lieux n’aidait en rien son état. Elle avait sursauté quand elle avait entendu cet homme crier une obscénité. « Ta gueule ! » Lui était-ce adressé ? Dans le doute, elle posait sa main ensanglantée contre sa bouche et rassemblait davantage ses jambes contre son corps pour se sentir comme dans un cocon protecteur sous ce bar. Même si le juron n’était pas pour elle, Padmé n’était pas rassurée de savoir qu’il y avait un survivant en plus d’elle. Était-il le tueur ? Elle préférait se faire toute petite plutôt que d’attirer davantage son attention. N’essaie pas de transférer ta culpabilité sur une autre personne, Padmé… Tu es la seule coupable. La Voix recommençait à l’attaquer, vicieuse, sans scrupule. Non, c’est faux…C’est faux ! Elle secouait la tête, noyée dans ses pensées dévastatrices. Même si la voix la désignait comme seule et unique meurtrière, l’ancienne reine avait bien du mal à s’imaginer autrice de ce massacre. C’était tout bonnement contraire à ce qu’elle était, à sa personnalité. Il n’y avait pas plus doux, tendre et attentionné qu’elle… La Voix, vile, se chargeait de lui rappeler que parfois les monstres pouvaient se dissimuler chez les anges les plus purs.

En tout cas, malgré sa crise d’angoisse apparente, Padmé menait un combat intérieur des plus titanesques. Elle se battait, se rebellait contre cette voix infernale qui semblait n’avoir que pour unique but l’effondrement psychique de la jeune femme. Il était si facile de jouer sur ses faiblesses, d’appuyer là où cela faisait mal. Il suffisait juste d’associer « Anakin » au mot « assassin » pour que la sénatrice s’emballe. Être marié à lui ne la rendait en rien complice de ses crimes odieux. Être marié à cet homme violent qu’elle ne reconnaissait plus ne faisait pas d’elle une mauvaise personne, au contraire, en temps voulu, elle s’était opposée à lui, comme c’était le cas à cet instant avec cette voix démoniaque. Je n’ai rien fait. Je ne suis pas complice du massacre au Temple. Je ne suis pas autrice de ce massacre dans le bar. Padmé reprenait du poil de la bête et affrontait la Voix comme il se devait. Je. N’ai. Rien. Fait. Le son d’outre-tombe qui envahissait depuis le début son esprit ricanait. Il s’amusait de la piètre et pathétique rébellion de la jeune femme. En plus de ce rire insolent, la Voix balançait avec arrogance Ah oui, tu crois ça ? Toi innocente ? Tu m’expliques alors pourquoi tu as ce couteau dans les mains ? Une froideur inimaginable terrassait la jeune femme quand ses doigts se retrouvaient sur la lame du couteau acéré alors que l’instant d’avant ils tutoyaient encore le plancher. Elle blêmit. Elle en avait le tournis. Elle fit l’erreur de le prendre dans ses mains et de le porter à sa vue.

Un couteau de boucher. Il était terriblement grand, imposant. La lame était si épaisse et surtout témoin des crimes qui avait été commis avec. Avec effroi, Padmé remarquait que des bouts de chair étaient encore accrochés à l’arme dégoulinante de sang. Elle voulait hurler, mais elle n’en eut pas le temps avec David qui la débusquait sous le comptoir. « Il s’est passé quoi ici ?! » Ne l’ayant pas entendu arriver, elle le regardait aussi apeurée qu’un lapin prit dans les phares d’une voiture. Elle n’arrivait même pas à lui répondre. Que pouvait-elle lui dire de toute manière puisqu’elle n’était pas plus avancée que lui ? Elle balbutiait, saisie d’émotion et surtout paniquée à l’idée d’être la coupable toute désignée à cause de ce couteau qu’elle avait dans les mains. « Je… Em… » Elle se levait brutalement et sortait de sa cachette pour, d’une part, prendre ses distances avec David qui l’effrayait, mais d’autre part pour avoir une issue de secours si jamais il venait à l’attaquer. Elle ne savait rien de lui, après tout. Peut-être était-il le meurtrier ? Debout, devant lui, elle avait encore ce foutu couteau dans les mains qu’elle oubliait de lâcher. « Je n’ai rien fait ! Je vous le jure ! Je me suis réveillée ici et je ne sais rien de plus ! » Padmé, apeurée, tournait brutalement la tête vers Belle quand elle découvrit qu’une troisième personne avait survécu à ce bain de sang. « Qui a fait ça ? » Ce n’est que maintenant qu’elle eut la présence d’esprit de lâcher enfin cette arme de malheur, cliquetant quand elle tombait sur le sol. Padmé levait les mains pour montrer autant à David que Belle qu’elle était inoffensive avant de toute suite déclarer. « Je vous le jure que je n’y suis pour rien ! Je vous le jure ! J’ai trouvé le couteau, mais je ne m’en suis pas servie, je vous le jure sur ma vie ! » Un torrent de larmes se déversait à nouveau sur ses joues. Pouvait-elle leur dire qu’une voix mystérieuse l’accusait elle et son mari de ce crime et qu’elle était à deux doigts de la convaincre ? Absolument pas.

Jamais tu ne t’étais sentie aussi seule qu’en cet instant. David et Belle se faisaient juges du moment avec des preuves fabriquées afin de te désigner coupable alors que tu étais aussi innocente qu’eux. Tu ne savais même pas quoi dire. Toi qui d’ordinaire étais connu pour ton talent oratoire, ce dernier t’avait quitté, rendant toute sortie de mot de ta gorge impossible. Tu te contentais bêtement d’ouvrir la bouche avec pour seul chant tes sanglots. En plus de devoir composer avec le choc de la situation, tu devais te faire aux accusations fallacieuses portées à ton encontre. Un cauchemar qui ne prenait pas fin. Tu leur tournais le dos, fis quelque pas pour t’isoler dans un coin non loin d’eux. Dans un premier temps, tu tentais de calmer tes larmes et surtout de reprendre consistance. Il fallait que tu sois en pleine possession de tes moyens pour assurer ta défense. Une bonne dizaine de minutes était nécessaire pour arrêter tes pleurs. Cela n’enlevait en rien le choc que tu avais subi face à cette scène de crime qui restait imprimée dans ta rétine, mais au moins, tu retrouvais un peu de calme. Te concentrer sur ta respiration t’aidait beaucoup. Ensuite, tu essayais de rassembler tes pensées. L’un de vous trois mentait. C’était la raison la plus logique et cohérente qui te vint à l’esprit. Puisque David, autant que Belle, jouait sur les apparences, en suivant cette logique, tu te dis qu’il pouvait être le seul auteur de ce massacre. Belle était aussi menue et apeurée que toi. Tu la voyais mal étriper de sang-froid la totalité des clients du bar, même dans un accès de folie. Seulement, cette logique ne te convainquit pas : David semblait tout aussi décontenancé, sincère et innocent que vous deux malgré ton hystérie. Pourquoi vous aurait-il épargné ? Parce que vous êtes des femmes ? Argument stupide puisque des femmes gisaient également sur le sol. Il ne vous connaissait pas — et vous non plus — alors l’attachement à vos âmes ne pouvait pas être une raison de sa grâce s’il était l’auteur de ce massacre sans pitié. Cet argument était également valable si tu étais la meurtrière ou Belle. La logique te poussa donc à penser qu’une autre partie était l’auteur de cette boucherie. Cela n’expliquait toujours pas votre survie. (Peut-être que lae vrai·e meurtrier·ère vous pensait mort ?) Puis tu te souvenais des nombreuses hallucinations dont ton fils fut victime, surtout une particulièrement violente où une tempête s’était mystérieusement déclenchée aux abords de l’université dans laquelle il fut enfermé avec Anna et où il fut la victime d’un fantôme de son passé qui manqua de le tuer. Luke n’avait jamais trouvé d’explications à cela. Tout comme vous en ce moment face à ce bain de sang. Mais Luke avait senti que quelque chose de maléfique émanait de cette île sur laquelle ils étaient tous perdus… Perdue depuis trop longtemps dans les abymes de ta réflexion et ton silence (depuis une trentaine de minutes si on devait comptabiliser cela en temps précis), tu te tournais enfin vers tes juges du jour. Tu tremblais encore sous le coup de la peur, tu sanglotais encore un peu, mais tu gardais la tête haute, redevenant cette femme de poigne que tu as toujours été. Il fallait que tu gardes la face devant eux et que tu sois la plus claire possible, car pour le moment Belle et David n’étaient absolument pas acquis à ta cause.

« Je crois que la ville nous joue des tours. Ou une tierce personne. » Reste dans la cohérence. Ne pars pas dans ce qui passerait pour farfelu aux yeux des deux personnes avec toi. Vous veniez de monde différent et la Force, l’intuition et autres fantaisies n’étaient pas des choses admises dans le leur. Tu ne pouvais pas leur dire que ton fils avait senti cela, restons pragmatiques. « Si j’étais la meurtrière, prise dans un accès de violence et de folie, pourquoi vous aurais-je épargnés ? Je ne vous connais ni d’Eve ni d’Adam, rien n’aurait pu me freiner dans ma folie. Si j’ai décimé tout le bar, j’en aurais fait de même avec vous. Et cet argument est autant valable pour vous, monsieur, que pour vous, mademoiselle. Tous les trois, nous n’avons aucune raison de nous épargner mutuellement. » Quand tu évoquais David et Belle, tu les désignais respectivement avec ta main avant de t’en servir pour essuyer tes joues dont les sanglots avaient par moment saccadé ton discours. « Pour le couteau, je jure que, lorsque je me suis dissimulée sous le bar, il n’y était pas. Je ne sais comment il s’est retrouvé en ma possession, mais dès que je l’ai eu en ma main, j’étais sous le choc, d’où mon hystérie passagère. »  À ce stade, tu ne cherchais même pas à les convaincre, juste que tes explications paraissent plausibles. « Nous devrions fouiller les lieux pour tenter de comprendre, mais si aucun de vous n’a confiance en moi, vous pouvez me ligoter. » Pour preuve de ta bonne fois, tu tendais tes mains vers eux, l’air encore ahuri, saisie par cette terreur qui ne se dissipait pas.