(abandonné) Vous me l'emballez ? C'est pour offrir [PV : Duncan Vizla]

Le funérarium… ce n’était certainement pas l’endroit le plus joyeux du monde. D’ailleurs, bien souvent, les gens venaient ici la mort dans l’âme, pour des raisons pas vraiment heureuses… sauf quand il y avait un héritage conséquent qui entrait en ligne de compte. Et encore… même dans ces cas-là, il y avait des personnes qui semblaient avoir appris à pleurer de façon aussi crédible qu’au cinéma… bon, après, il y avait parfois des gens qui étaient vraiment tristes, ça pouvait arriver, mais je n’étais pas le mieux placé pour évaluer si les proches simulaient ou non…

Par contre, c’était plutôt rare de voir débarquer ici des gens qui cherchaient un cadeau. Et c’était assez rare, aussi, que quelqu’un m’adresse autant de mots en si peu de temps. Je préférais même, souvent, me faire passer pour sourd ou muet pour éviter d’avoir à supporter des flots de paroles aussi longues et aussi… inhabituelles.

Quand on venait me voir pour un cercueil, sans qu’il n’y ait de macchabée dans le coin, c’était que je devais m’occuper du vivant pour en faire un mort.
Je levais les yeux vers cette fille pour la regarder.

« Vous voulez que je me charge de quelqu’un ? »

S’il fallait tuer quelqu’un, moyennant un vrai contrat en bonne et due forme, je pouvais être l’homme de la situation. J’avais été capable de prendre de nombreuses vies au cours de la mienne et ça faisait de moi un vrai pro. Je travaillais vite et proprement, sans laisser de traces et sans faire courir de risques inutiles à mes employeurs.

Mais elle parlait de surprise et de cadeau. Okay…
Mon œil droit se plissa légèrement. Ce devait être une blague. Un enterrement de vie de garçon, de jeune fille ou quelque chose comme ça… je ne voyais pas vraiment d’autre possibilité.
« Je vois… » Je lui fis signe de me suivre pour lui montrer ce qui se faisait. « Vous avez un budget précis ? »
Si c’était pour un enterrement de vie de jeune fille et qu’elle avait dû récolter de l’argent en vendant des œufs sur la grand-place et en demandant aux passants de les lui éclater sur la tête, elle avait sans doute une certaine somme à ne pas dépasser.

J’aurais pu l’envoyer regarder sur le site web du funé. Parce que Lumen Vitae était quand même pas mal représenté en ligne et le site était régulièrement mis à jour… mais si elle venait là pour un défi et que sa bande de potes attendait dehors, un peu plus loin, ou qu’elle portait sur elle un micro ou une caméra miniature, elle devait jouer le jeu… et moi aussi.

« Vous voulez du vrai bois ou une imitation ? »

Je n'étais pas habitué à ce qu'on vienne ici pour faire du shopping. C'était peut-être pour cela que j'avais l'air un peu dubitatif face à la venue de la jeune femme et à cette requête un peu particulière. Pourtant, je ne cherchais pas à paraître désagréable ou désobligeant. Loin de moi cette idée.

Mais bon, pas de budget précis, juste l'envie de faire un cadeau pour le moins original... Je n'allais pas faire le difficile. Refuser de vendre un cercueil, c'était le genre de truc que mon patron aurait pu me reprocher... et j'étais plutôt dans l'idée de ne pas faire de vagues, évidemment, je n’étais pas un marin.

Face au caractère flamboyant de la demoiselle qui me lâchait des flots de paroles en quelques secondes a peine, je demeurais stoïque. Elle s’emballait.
Mais j’allais la servir comme toute cliente, alors, et puis on verrait bien.

« Nous avons des bois clairs ou plus sombres… le chêne clair est un des produits que nous vendons le mieux en ce moment, mais l’ébène reste bien plus élégant. »

J’avais l’impression d’être dans une pub pour des meubles. Pour les poignées, elles pourrait choisir, ce n’était vraiment pas compliqué à fixer sur les cercueils. Une bonne visseuse, et c’était fait.

Je lui montrais quelques exemplaires de ce que nous avions en magasin, puis j’ajoutais :
« Après, pour l’intérieur, vous avez plusieurs choix aussi… soie, satin… avec des couleurs différentes. »

Et là aussi, on pouvait associer différentes choses. Si le budget n’était pas un souci, on pouvait même imaginer un cercueil tout à fait personnalisé, de A à Z, avec des éléments choisis méticuleusement parmi ceux proposés.

« On peut aussi commander des cercueils uniques, avec des essences de bois spéciales et des tissus particuliers.»
Parfois, il fallait même commander pour des tailles un peu hors normes…
« Vous connaissez déjà les dimensions ? »

Le commerce, ça n’avait jamais été mon fort. Je n’étais pas assez avenant. Pourtant, je faisais des efforts, j’essayais vraiment de faire ce qu’il fallait et de le faire comme il fallait… Mais ce n’était juste pas mon truc. Les gens avaient un peu tendance à se faire une idée un peu trop vite sur les autres… et puis merde, je n’avais pas les codes, c’était tout. Tout ça, c’étaient des règles informelles qui régissaient la façon de se comporter les uns avec les autres, dans différentes situations. Comportement, communication, langage corporel, apparence physique… cela faisait beaucoup pour moi. Parfois, je me sentais un peu en décalage avec le monde, avec la société en général… J’étais peut-être vraiment en décalage, mais ce monde-ci était aussi plutôt particulier…

« Ce sont des bois très différents. » Là, mon contrat stipulait que je devais expliquer ces différences. Minute barbante, go. « Le chêne est un bois dur et résistant couramment utilisé dans la construction de meubles, de planchers et de charpentes. L'ébène, en revanche, est considéré comme l'un des bois les plus durs et les plus denses au monde, et est souvent utilisé dans la fabrication de pièces d'instruments de musique haut de gamme, de sculptures et de pièces d'ameublement. » J’avais l’impression d’être une encyclopédie quand je récitais comme ça les choses… « Cela signifie aussi que l’ébène est plus résistant aux dommages, aux rayures et à l'usure que le chêne. »

Dureté, résistance, élégance et durabilité. C’étaient de bons arguments. Quand au tissu…
« Un cercueil d’ébène avec de la soie rouge… » Je l’invitais à me suivre dans le bureau.
« Asseyez-vous. » J’ouvrais le logiciel pour créer le modèle sur mesure pour cette cliente. « On peut faire une simulation tout de suite. Et selon les dispos de nos fournisseurs, vous pourrez assez vite savoir combien de temps il va falloir pour votre commande. »

Je commençais à encoder les données dont je disposais déjà. La couleur de la soie pouvait se décliner entre plusieurs rouges différents… « Rouge écarlate, rouge bordeaux, rouge rubis, rouge carmin, rouge grenat… » Je ne savais même pas qu’il y avait autant de variantes différentes. « Le rouge sang est sympa aussi… » Les images étaient montrées sur un écran plus grand, à la vue de la cliente, tandis que je m’occupais de toute la conception sur le petit ordinateur de bureau.

Pour les dimensions, on verrait bien… « C’est pas urgent. On peut encoder ça une fois que le modèle est dessiné. »
Travailler comme ça, sur l’ordi, ça me donnait presque l’impression d’être une sorte d’artisan. C’était assez amusant, même si je ne me considérais pas comme un véritable artiste.
« On peut faire ça… » Je pris une carte de visite du funé pour lui tendre. « Si vous mettez « Duncan » à la place de « Info », le mail me parviendra directement. »
Je ne cherchais pas à creuser le pourquoi du comment, mais cette idée de demander à quelqu’un sa taille pour un cercueil, cela me faisait quand même toujours un peu penser à un contrat. Ou à ce croque-mort verdâtre, dans les BD de Lucky Luke, qui prenait toujours les mesures de tous les cowboys qui passaient.
« Deux mètres, ça reste dans les standards actuels… Au-delà de 220cm, c’est plus compliqué. »

C’était la première fois qu’on venait m’acheter un cercueil pour une autre raison que des funérailles… mais ce ne serait pas la dernière, même si je ne le savais pas encore.
Je me trouvais donc dans la peau d’un vendeur et non d’un thanatopracteur. Je devais jouer la carte de la sociabilité… ce qui n’était vraiment pas mon fort. J’étais bien plus doué avec les morts qu’avec les vivants.

Faire l’inventaire des possibilités, tant au niveau du bois que de l’intérieur, des finitions, etc. Tout ce qui était faisable à l’heure actuelle, c’était facile d’en faire le tour. Un logiciel, quelques clics… et puis voilà, c’était chose faite.
La cliente opta pour l’élégance et la durabilité. Un très bon choix… que mon patron adorerait pour l’aspect financier que cela allait lui apporter, évidemment. Même sans la TVA, on était là dans du cercueil grand luxe. La Rolls des boites à cadavres.

« Parfait… Vous voulez quelque chose de particulier pour les parties sculptées ? »
Nous pouvions travailler avec un artisan pour les commandes les plus particulières, sinon, les gravures et ciselures prévues étaient plutôt simples. Mais j’avais l’impression que cette cliente ne pouvait pas se contenter de choses basiques. Je la comprenais amplement. C’était sûrement ce que je ferais, moi aussi, si je devais faire un achat de ce genre-là pour quelqu’un qui m’était cher. Mais je ne m’attachais pas très facilement… alors c’était compliqué d’imaginer pour qui je pourrais me lancer à ce point. Camille, peut-être ? ou un ami comme Héraclès ? Adam était sympa, mais je ne pensais pas y être attaché. C’était compliqué de s’y retrouver dans les relations humaines, parfois. C’était plus facile avec les chiens.

« Vous savez, ça ne presse pas. Si votre type n’est pas encore mort, le cercueil peut attendre. » lâchai-je.

Je ne savais pas comment faire correctement le boulot pour ce qui concernait une commande qui pouvait ainsi faire penser à un contrat placé sur la tête d’un homme dont elle ne me disait pas grand-chose.
J’imaginais bien la scène, d’ailleurs : elle, allant demander à un homme de taille importante combien il mesurait pour ensuite pouvoir le tuer. Ou le faire tuer.
D’ailleurs, une partie de moi se demandait toujours un peu si ce n’était pas pour que je tue cet homme que la jeune femme était venue ici. Mais elle avait semblé assez fermée quand j’avais tenté d’aborder ce sujet… fallait-il que je retente ?

« Généralement, c’est une première moitié lors de la commande. Et la seconde quand le travail est fini. »

Je n’acceptais pas de tergiversation par rapport à cela, le mode de fonctionnement ne changeait pas. Et de toute façon, ça avait toujours très bien fonctionné comme cela, alors, pourquoi changer ?

J’encodais sur l’ordinateur les informations concernant cette commande.
« A quel nom dois-je enregistrer tout ça ? »

Je n’étais pas du genre à faire semblant que j’étais quelqu’un d’autre. J’étais pas le meilleur vendeur, ni le meilleur baratineur… je faisais le boulot et je ne faisais bien. Alors… j’étais pas le meilleur, mais je le savais. Pas besoin de mentir ou de me donner un genre.
Cette cliente, même si elle venait acheter un cercueil, savait ce qu’elle voulait. On avait rarement des clientes et clients aussi précis dans leurs demandes, ici. Souvent, on fonctionnait dans l’urgence… il y avait un cadavre, il fallait une boîte. Et rapidement.

« D’accord pour le croquis. Je verrais ce que je peux faire. »

Je ferais au mieux, évidemment. Un liseré de motifs végétaux, ça pouvait être joli. Pas le genre de commande qu’on fait pour une personne qu’on n’estime pas.
Et voici enfin toutes les explications.
Cette jeune femme connaissait un vampire. Et ce cercueil était un cadeau pour lui. On ne me l’avait jamais faite, celle-là… mais il était vrai, aussi, que sur cette île, il y avait vraiment de tout… j’avais rencontré un type qui venait du Moyen Âge, une jeune femme qui se prenait pour Wonder Woman, des gens de toutes sortes et des personnes qui n’étaient pas forcément toutes humaines.

« Du coup… le cercueil, c’est comme si vous lui offriez un nouveau pieu ?… enfin, un nouveau lit… » J’avais hésité mais c’était vrai que les pieux étaient censés être des armes anti-vampires. Mauvais choix de mot. Je grommelais un instant contre moi-même… parce que même si ça avait été de l’humour, ça aurait été archi nul. « Vous voulez lui faire passer un message sexuel ? » Je n’avais pas de filtre. C’était pas nouveau, ça non plus. Mais je ne voyais pas ce qu’il aurait pu y avoir de malvenu, d’impoli ou d’indélicat dans tout ça… « Je pense que le message est clair… mais honnêtement, je ne sais pas ce que valent nos cercueils pour les galipettes. »

Je ne savais pas si je pouvais dire ça. Mon boss n’allait peut-être pas apprécier. Mais tant pis. J’étais honnête et je disais ce que je pensais.

« Peu importe pour le paiement. La maison fait même crédit. »

Aux vivants, bien sûr. Mais peut-être qu’il allait falloir réfléchir à nos clients vampires, dans ce cas…
J’encodais les infos et quand elle me donna son nom, je ne sourcillai pas.

« Morningstar… » Étoile du matin. Aurora, c’était aussi un prénom qui faisait penser à tôt le matin. Mais à part le jeu de mots possible, je ne connaissais ce nom que pour le proprio d’une boîte qui n’était pas spécialement très fréquentée ces derniers temps. « Voilà, je pense qu’on est bon. »

Et donc, elle allait m’envoyer un motif dessiné de ce qu’elle souhaitait exactement, comme ça, tout allait pouvoir être nickel. Je n’avais rien contre l’idée, c’était même plutôt sympa un peu d’originalité dans ce domaine.

« Parfait. Et n’hésitez pas à ajouter une note pour bien expliquer ce que vous voulez… les menuisiers ont parfois un peu de mal avec les demandes spéciales. » C’était surtout que dès que cela sortait des habitudes ou des sentiers battus, il y avait des chances que ça parte en grand n’importe quoi. Certains se croyaient l’âme créatrice ou artistique et pensaient réaliser de belles choses alors que c’était parfois tout le contraire.

Le contexte de ce cadeau particulier n’était pas si anodin, finalement. C’était un peu comme les parades nuptiales des animaux. Le cercueil pouvait alors être comparé à un nid fabriqué par l’un des deux tourtereaux pour séduire l’autre.
« Oh, ça me regarde pas, vous savez. Je me demandais juste. Mais j’imagine que si c’est agréable pour vous deux, ça pourra l’être pour d’autres aussi… Je ne sais pas si mon boss apprécierait ça comme pub, mais on ne sait jamais. »

Si elle n’était pas forcément sérieuse, moi je l’étais toujours. Je n’avais pas vraiment envie de passer pour un rigolo alors que j’avais un job sérieux.

Je compris aussi assez vite que j’avais affaire à quelqu’un qui n’était absolument pas dans le besoin. Pouvoir payer un cercueil de cette qualité en une fois, sans avoir à demander un crédit, ça n’était pas donné à tout le monde.
Je pris sa carte et fis le nécessaire pour que le débit puisse se faire.
Personnellement, je me fichais un peu de qui était qui, de l’importance des noms des uns et des autres… Ce qui m’importait, c’était plutôt de voir que de savoir.

« Mmmh… eh bien… c’est une bonne chose pour vous, j’imagine. Je ne connais pas, les boites c’est pas trop mon truc. »

Il me semblait que ça devait se voir, en fait, que j’étais pas trop dans ce trip-là. Mais je ne jugeais pas. Chacun son truc, après tout. Tant que ça n’emmerdait personne, il n’y avait pas de souci.

Tout semblait conclu et au point, alors j'ajoutais juste :

« Ça marche. » Pas besoin de faire de longs discours.