Cela fait cinq ans...

...Et ça ne commence que

maintenant

Cinq ans…

Cela fait à présent cinq ans que je foule la terre, que je respire, que j'ai un cœur qui se bat pour me faire vivre. Je nourris ce corps et j'en prends soin, sans le surprotéger, sans le brusquer.

Ici, tout est cycle. La nuit succède au jour, parfois dans un sanglant spectacle céleste, les saisons se succèdent en une éternelle vie, mort, et renaissance. Les gens vont et viennent dans ma vie, défilant sans jamais réellement s'accrocher. J'aimerais tellement bousculer le cycle de vie d'au moins une personne, d'être l'imprévu qui devient l'indispensable. Ma personnalité s'est forgée. C'est amusant, je ne pensais pas avoir de personnalité et voilà que j'en compte deux à l'intérieur de moi, ou plutôt deux extrêmes qui se chamaillent, se battent, et occasionnellement œuvrent de concert sans que jamais l'une ait l'ascendant sur l'autre. Tout ce qui change, d'un cycle à l'autre, c'est que ces deux extrêmes s'éloignent de plus en plus.

Est-ce cela, vivre ? Devoir négocier, toujours, avec les autres comme avec soi-même, en un éternel recommencement ? Tout cela est simplement fascinant.

Depuis cinq ans, j'ai commencé à créer un culte. Il n'est pas très étendu pour le moment, mais je mets un point d'honneur à bien m'occuper de mes adeptes un par un, privilégiant la qualité à la quantité. Au départ, c'étaient des adolescents en recherche de nouveautés et d'exotisme. Je les ai aider à passer leurs examens et ils me sont devenus fidèles. J'ai eu des femmes aussi, envie de fuir leur quotidien… j'ai rapidement compris que la vie spirituelle n'était pas une chose qui passionnait les foules. Ce n'est pas grave, au moins son pouvoir est bien gardé et connu de moi seul. Me voilà donc obligé d'organiser des soirées à thème, faire de la musique avec des chants de gorge et des percussions, et parfois de déclarer des orgies spectaculaires pour calmer les tensions. Tout semble n'être que paraître et belles tentures, mais en vérité, c'est bien plus profond que cela : avoir un sentiment d'appartenance est puissant, le développer est tout un art.

Pour celui-ci, je suis un guide, pour ceux-là, je suis un psy, pour elle me voilà confident, ami ou figure parentale… et ils sont ravis de ne rien avoir à payer, alors ils sont généreux. C'est amusant combien les gens sont prêts à payer dès l'instant où c'est gratuit. Ils sont spéciaux, chacun d'entre eux. Ils sont uniques, et je sais les rendre fiers de faire partie de notre famille totalement anormale.

J'aide, ils me prient. Tout est cyclique.

Pourtant, ce n'est que maintenant, cinq ans après, que les prémices de mes pouvoirs me reviennent. Je le sens, parfois, sans m'expliquer pourquoi.

Il me faut un nouvel adepte. C'est cela ! Il me faut cette personne qui va complètement chambouler mon existence comme j'espère marquer la sienne. Cette nuit, je rassemble mes enfants autour de moi, ceux qui n'ont nulle part où aller cette nuit du 31 décembre. Leur foi est puissante, je le sens, elle crépite entre mes doigts et me fait frissonner d'excitation. J'annonce que je vais essayer d'invoquer un nouveau disciple, un autre monde, enfers, limbes, peu importe. Jamais je n'avais essayé une telle chose auparavant et le cercle autour de moi se rapproche. Nous allons manger, boire, danser, faire la fête entre nous. Nous allons aussi jouer, parler de nous, faire des rituels. Déjà les premières exclamations de joie se font entendre. Puis, nous aurons l'apogée de notre célébration à minuit. Enfin, nous tracerons un cercle d'invocation ensemble. Même si ça ne marche pas, ce sera une fête mémorable.

La vérité est que le cercle n'était pas même tracé quand ça s’est produit. Un corps masculin s'est matérialisé dans la nef, au beau milieu d'un chant. Les gens se sont tus les uns après les autres, ils ont baissé leurs bras, certains ont même soulevé leur capuche. Pour ma part, je le suis approché pour le regarder. Il est en vie, et conscient.

”Bon, ce n'est pas celui qu'on avait commandé, mais ça ira.”

Sa réaction est sans appel. Je n'ai que très rarement vu un regard aussi sauvage et passionné. J'aurais aimé en être l'objet, mais ce sont les rires qui l'ont échaudé. Il apprendra. Il se retourne quand je m'essaie à un trait d'humour. Enfin, je le regarde. Des yeux noirs, sans fond, comme une grotte dont on ne sait jamais vraiment quelle bête elle abrite.

Les disciples se regardent, et commencent à murmurer. Je rétablis le silence. L'invocation a abouti alors que je n'y croyais pas moi-même. La foi n'a jamais été aussi grande.

”Qui es-tu, d'où viens-tu, que veux-tu ?

Que puis-je pour toi… et surtout… Que peux-tu pour moi ?

Vu d'ici ils sont décidément bien insignifiants. Non pas que je n'en sois pas déjà persuadé, mais à cette hauteur leurs silhouettes ne valent guère mieux que de vulgaires insectes dont on peut disposer librement, y compris en les faisant disparaître de la façon dont on le souhaite. La ville s'étend sous mon regard qui ne la connaît que trop bien. Tout a déjà été vu et revu, tout est fade et sans intérêt, même celui que j'espérais voir me tenir tête s'est avéré finalement des plus décevants. Il est du côté des anges, il est ennuyeux, il veut bien faire et respecter l'ordre établi malgré ses quelques bravades sommes toutes enfantines. J'attends sa venue d'ici quelques brèves minutes, j'écoute de la musique en songeant à la futilité de tout ceci, à cette existence où plus rien ne semble pouvoir me surprendre, où j'ai fait le tour de tout ce qui devait être vu, entendu, goûté...

Staying alive... so boring isn't it ?

Obscurité

Lueur rougeoyante fugace, comme un flash, et puis...

Ténèbres

Je perçois des voix, une odeur d'encens et de bougie, et soudain je heurte un sol de pierre dans un bruit qui ressemble à un choc sans en être un. Les voix se taisent autour de moi, je perçois un éclairage jaunâtre typique des bougies que j'aperçois, mes yeux peinent à faire le point, je suis désorienté comme si je venais d'être percuté de plein fouet et projeté... je ne sais où je suis, cela ressemble à un sous-sol, les murs, les pierres, le mobilier discret, les silhouettes autour de moi et ces marques au sol. Il ne m'en faut pas plus pour en déduire bien des choses, pour comprendre que j'ai quitté ce toit, mais la question qui m'interpelle est : comment ?

”Bon, ce n'est pas celui qu'on avait commandé, mais ça ira.”

Des rires fusent et je tourne immédiatement la tête dans leur direction, braquant sur eux un regard que je sais être noir, leur promettant en silence de les tuer en premier. Comment osent-ils rirent, ces misérables insectes ? Ils se croient à l'abri avec leurs soutanes ridicules ? Les rires meurent dans leurs gorges et je sens une sombre satisfaction m'envahir quand deux d'entre eux font un pas en arrière. Bien, craignez-moi bande d'imbéciles, vous ne savez pas de qui vous vous moquez. Lentement je me redresse, constatant que je porte le même costume que j'avais sur le toit. Je ne ressens aucune douleur physique, juste cette impression d'avoir fait un manège à sensations et d'avoir été secoué dans tous les sens avant d'atterrir brutalement sur le sol. Je me retourne pour porter mon attention sur celui qui semble présider à cette ridicule cérémonie. Je me suis déjà amusé à ce genre de choses, les insectes sont crédules et faciles à manipuler. Toi qui me fait face, es-tu l'instigateur de ma venue ici ? Autour de nous les murmures enflent, puis sont balayés d'un geste de la main du prédicateur. C'est lui qui les dirige, de toute évidence.

”Qui es-tu, d'où viens-tu, que veux-tu ?

Me prennent-ils pour un démon ? Ne sont-ce pas eux qui m'ont mené ici ? Je balaie la zone d'un bref regard morne et dédaigneux avant de reporter mon attention sur l'homme au regard intriguant. Croit-il que je vais lui donner si aisément mon nom ? Que ce soit en matière de pouvoir ou de croyance, un nom ne se donne pas juste parce qu'on le demande. Bien, puisqu'ils semblent tous vouloir se prêter au jeu, autant en profiter et c'est un sombre sourire qui étire mes lèvres, un de ceux que j'affectionne pour son efficacité à effrayer les simples d'esprit.

- Vos âmes.

Murmures de nouveau tandis que je pivote sur mes pieds, lançant des regards aux disciples qui semblent réellement y croire, finissant mon tour face au prédicateur.

- Ici vous m'appellerez Brook. Savoir d'où je viens ne vous apprendra rien, et je compte bien me repaître de vos lamentations et de vos supplications, jusqu'à-ce que vos âmes soient détruites et que vous succombiez tous dans les pires souffrances.

Ma voix est hargneuse d'une rage contenue sous un faux calme qui laisse percevoir la menace, le ton sombre et mauvais. Je ne plaisante pas et il vaut mieux pour eux qu'ils le comprennent sans attendre s'ils veulent espérer survivre à notre rencontre.

- A moins que vous ne me disiez comment je suis arrivé ici, pour quel motif, et que vous alliez me chercher de quoi me sustenter le plus rapidement possible.

Oui, j'impose mon autorité et cela est non négociable.


@Mendès Baphomet

...Et ça ne commence que

maintenant

L'homme, seul, sans rien, se montre particulièrement agressif, sans sommation, et sans réelle raison. Oh non, cher invité, ce n'est pas ainsi qu'on traite ses hôtes. Ses pupilles veulent se dilater, comme pour percevoir un maximum d'information, mais elles sont obligées de se resserrer quand il pose ses yeux sur moi, à cause des très nombreuses bougies. Je lui demande ce qu'il veut, et sa réponse me fait pencher la tête sur le côté.

Nos âmes ? Je ne suis pas certain d'en avoir une. De plus, qu'est-ce qu'il pourrait bien en faire ? Les âmes des mortels ne sont utiles à personnes, j'en sais quelque chose pour avoir essayé de les collecter. Ça fait joli en pendentif ou sur un lustre, mais au final, il n'y a pas réellement d'utilité.

Les murmures deviennent un peu plus buissonnants, un peu plus inquiets aussi. Quelques personnes se tournent vers moi, comme pour attendre ma réaction. Un sourire, un sourire d'envie. S'il ne sait pas ce qu'il veut, moi si.

La suite de son discours ne fait que renforcer mon avis sur lui, pas très grand pour le moment, mais le pauvre est désœuvré dans un nouveau monde, je le devine par conséquent sans pouvoir, si tant est qu'il en eût. Je devine aussi qu'il est un antagoniste de son monde, tout comme moi, il n'est jamais trop tard pour se racheter.

Brook.

Un nom d'emprunt, beaucoup trop commun pour lui, et l'étrange lumière qui anime ses yeux. C'est un peu comme de rencontrer Satan en personne, et qu'il dise quelque chose comme "Salut ! Moi, c'est Jeff !", ça ne colle pas, mais si tel est son souhait, alors Brook ce sera.

Il blablatte et cette fois, je ressens mes adeptes être nerveux. Je devrais dire quelque chose, mais j'attends qu'il ait fini. Il a menacé mes adeptes, ma famille, alors ce que je lui réserve n'en sera que plus brutal.

"Qu'est-ce qu'il aboie..."

À nouveau, des rires fusent. Une vraie menace ne s'exprime jamais, elle se laisse deviner. Je ne l'en blâme pas, moi aussi, j'étais perdu à mon arrivée ici. En tout cas, cela a l'effet escompté et tout le monde semble beaucoup plus calme. Parfait. Nous allons pouvoir commencer.

"Bon, nous allons commencer à enseigner à notre ami le chiot les bonnes manières."

Je m'approche de lui pour lui saisir le poignet comme une prise fraternelle, et lui glisse à l'oreille.

"Première et dernière fois que tu parles ainsi à mes adeptes."

Mon sourire est toujours là, naturellement. Ce serait dommage qu'il se couvre de ridicule à peine arrivé, vraiment. J'ai de plus grands projets pour lui que d'essayer de faire peur à des gens déjà en déroute.

"Mes enfants, je vous en prie, continuez à faire la fête, la nuit est encore jeune !"

Dans un soupir commun, les gens se dispersent. Certains sortent pour profiter de l'air nocturne, d'autres se dirigent vers les buffets dressés pour aller manger et certains retournent danser.

"Bien, je vais répondre à tes questions et à tes demandes... Brook." non, décidément, je n'aime pas cette appellation, pas pour lui, pas pour cet être qui dépasse en désir tout ce que j'ai pu connaître. "Les âmes des gens d'ici m'appartiennent. Si tu veux les avoir, il va falloir passer par moi, ils n'obéissent qu'à moi. Tu es arrivé ici par une volonté supérieure à la mienne" mon regard se perd sur la statue représentant un homme assis en tailleur sur une terre, une tête de bouc, des ailes d'anges, une main vers le haut, l'autre vers le bas.

"Moi, je suis là pour toi, pour t'accueillir. Je ne suis pas ton ennemi, et tu ne veux pas m'avoir comme ennemi, soit en certain. Accepte mon aide, ou pars, c'est comme tu le souhaites. Si tu as faim, tu peux aller manger au buffet avec les autres."

Cette fois, je lui fais face, totalement, jamais rassasié de cet éclat qui brille dans ses yeux. On dirait une flamme qui vient de s'allumer et qui n'a pas brûlé depuis longtemps.

"Que veux-tu ?"

Je sonde ses yeux, encore et encore. De l'argent ? Peut-être, mais sans doute pour servir une autre cause. Du pouvoir ? J'en doute. Retrouver quelqu'un ? Je ne sais pas...

S'amuser ? Pourquoi pas.

Les insectes ont peur, je le vois dans leurs yeux, je l'entends dans leurs murmures, je le sens même dans l'air avec cette pesanteur qui s'installe et...

"Qu'est-ce qu'il aboie..."

Lui n'a pas peur. Pire encore, il provoque une nouvelle cascade de rires qui, même s'ils sont encore nerveux pour certains, viennent balayer toutes les menaces que j'ai proféré. Je lui adresse un regard noir mais il semble tout sauf effrayé, plutôt amusé même.

"Bon, nous allons commencer à enseigner à notre ami le chiot les bonnes manières."

Le chiot ?! Tandis qu'il s'approche, ma main amorce un mouvement vers la poche de mon manteau, mais le prédicateur l'intercepte en saisissant mon poignet comme si de rien n'était, se penchant pour venir murmurer à mon oreille.

"Première et dernière fois que tu parles ainsi à mes adeptes."

Je tourne à demi la tête pour le regarder et aperçois son sourire qui sonne.. comme un parfait jeu d'acteur qui m'intrigue.

"Mes enfants, je vous en prie, continuez à faire la fête, la nuit est encore jeune !"

Et les insectes se dispersent, vaquant à leurs occupations avec une légèreté affligeante.

"Bien, je vais répondre à tes questions et à tes demandes... Brook."

Regard qui se plisse, il ne croit pas une seule seconde que cela soit mon nom, c'est l'évidence même.

"Les âmes des gens d'ici m'appartiennent. Si tu veux les avoir, il va falloir passer par moi, ils n'obéissent qu'à moi. Tu es arrivé ici par une volonté supérieure à la mienne"

Se prend-il au jeu ou bien est-il un déséquilibré pure souche ? Difficile à dire pour le moment, il faudrait que je l'observe et l'écoute davantage.

"Moi, je suis là pour toi, pour t'accueillir. Je ne suis pas ton ennemi, et tu ne veux pas m'avoir comme ennemi, soit en certain. Accepte mon aide, ou pars, c'est comme tu le souhaites. Si tu as faim, tu peux aller manger au buffet avec les autres."

Je pourrais dégager mon poignet, saisir l'arme qui se trouve normalement dans la poche de mon manteau et le tuer, lui ainsi que tous ses disciples. Ce serait facile, peut-être même divertissant si jamais certains se mettaient à supplier, cependant ce ne serait pas raisonnable, pas alors que j'ignore où je me trouve et comment je suis arrivé là. Le prédicateur se place face à moi et je l'observe, me demandant quel genre d'attitude il aurait face à la mort. Ses disciples sont de toute évidence ses points faibles ainsi que des leviers pour sa colère, mais quels sont les autres ?

"Que veux-tu ?"

Tant de choses, si tu savais. Je te fixe en me demandant si tu pourrais m'en apporter certaines, je pèse le pour et le contre de ce que je pourrais faire ici -massacre, prise d'otages- puis finalement l'envie d'en apprendre davantage prend le pas sur le besoin de se divertir.

- Ton nom pour commencer, tout ce que tu sais sur comment je suis arrivé là ensuite et...

Je jette un regard alentours, m'attarde sur la statue, le buffet, puis revient à mon... hôte de ce soir ? Il me dévisage, non, il sonde mon regard du sien et je perçois sa volonté de chercher à percer la mienne pour y faire jour. Peine perdue, prédicateur, il n'y a pas de lumière là où tu regardes.

- Manger pourrait finalement être une bonne idée.

J'ignore pourquoi, mais j'ai faim, et si cela vous semble étrange que j'en ignore la raison, c'est parce que mon appétit avait fini par se tarir en même temps que toute source de divertissement intéressant.


@Mendès Baphomet

...Et ça ne commence que

maintenant

Son regard passe de moi aux autres. Je le sais, ce ne sont que des enfants, mais même s'ils sont imparfaits, ce sont des enfants auxquels je tiens. Une fois que j'ai la certitude que mon invité à bien compris de quoi il en retourne, je m'éloigne, un peu, pour le laisser respirer et ne pas l'oppresser. C'est qu'il a l'air tendu, suspendu par un nerf en mauvais état. Il me laisse parler, et je reprends ma question, plus simplement. À nouveau, il ne répond pas et exige mon nom tout en passant par le tutoiement. Cela ne me dérange pas.

”Alors que tu prétends t'appeler Brook ? Mon nom est Mendès, et il a peu d'importance. Je suis prêtre de Baphomet.”

Voilà un nom que tu sera amené à entendre de nouveau, non pas parce que j'ai la prétention de te convaincre de rester, mais bel et bien parce que je te suivrai, où que tu ailles. De plus, si mes mains ont crépitées à cette fabuleuse invocation, je sens mon énergie revenir, je sens mon corps changer. Déjà, je peux percevoir mon ancienne ombre cornue du coin de l'œil. Brook, ou qui qu'il soit, a désormais ma reconnaissance.

”Ce monde absorbe les gens des autres mondes. Il l'a fait de manière ponctuelle il y a cinq ans. Le pourquoi du comment ne m'appartient pas. Je ne suis qu'un humble prêtre. Je n'ai pas la prétention de savoir quoi que ce soit d'autre. Nous venons ici en tant qu'humain. Vu ton manque de réaction quant à ton propre corps, j'en conclut que tu étais déjà humain auparavant.”

Peut-être que je me trompe, mais dans ce cas, il a au moins gardé son corps. Je me rappelle de moi-même, moins que rien, à peine apte à respirer, agissant comme un enfant et à apprendre à utiliser mes mains, mon corps, ma parole. J'avais tout à apprendre. Aujourd'hui, voilà que je me mets au service de la personne même qui m'a menacée.

”Quand je suis arrivé ici, il y a cinq ans, j'étais seul. Aurais-tu préféré que cela soit ton cas aussi ?”

Je fais un large geste en direction du buffet. Il y a de quoi manger ce matin du premier janvier. Viandes, légumes, céréales et fruits, tout est présenté de manière à donner une sensation d'abondance.

”Je t'en prie, restaure toi. Nous parlerons plus tranquillement après.

J'espère juste que personne n'a ajouté quoi que ce soit à la nourriture. Cela arrive, parfois. C'est pourquoi je ne me sers pas, pas tout de suite. J'ai bien l'intention de garder toutes mes facultés pour la nuit restante et la journée à venir.

Mes yeux n'ont pas quitté mon nouvel enfant rebelle d'une seule seconde.

Prétends ? Il n'est donc pas dupe, soit, il est probablement fin observateur pour pouvoir mener ses brebis par le bout du nez. Beaucoup de manipulateurs le sont après tout, moi y compris. C'est assez intéressant finalement, cela pourrait même devenir amusant.

- Prêtre de Baphomet ? Voilà un culte peu commun pour ce qui n'est pas réellement une divinité mais plutôt une construction de l'esprit humain, mais soit.

Les explications qu'il me donne me laissent perplexe.

”Ce monde absorbe les gens des autres mondes. Il l'a fait de manière ponctuelle il y a cinq ans. Le pourquoi du comment ne m'appartient pas. Je ne suis qu'un humble prêtre. Je n'ai pas la prétention de savoir quoi que ce soit d'autre. Nous venons ici en tant qu'humain. Vu ton manque de réaction quant à ton propre corps, j'en conclut que tu étais déjà humain auparavant.”

Est-il fou en plus de diriger cette secte ? Comment peut-il croire que je vais avaler un traître mot de ces inepties ? Mon regard plonge dans le sien à la recherche de l'éclat du mensonge mais non, il n'y a rien, il est on ne peut plus sérieux et croit sincèrement à ce qu'il raconte. Mon côté cartésien tente de garder l'ascendant mais ma curiosité et les faits tendent à le mettre de côté pour envisager cette folle possibilité : je ne suis pas mort en tombant du toit où je me trouvais, j'ai été téléporté, amené ici sans que je n'ai le temps de comprendre comment.

”Quand je suis arrivé ici, il y a cinq ans, j'étais seul. Aurais-tu préféré que cela soit ton cas aussi ?”

- Je l'ignore.

Réponse sincère qui fuse presque par réflexe tant mon esprit foisonne de pensées et de calculs impossibles à quantifier. Le geste vers le buffet attire mon regard vers ce dernier et j'observe la nourriture à disposition avec une méfiance toute naturelle, surtout au vu des circonstances.

”Je t'en prie, restaure toi. Nous parlerons plus tranquillement après.

- La faim peut attendre, merci.

Ce qui est des plus vrais, la soif à la rigueur a besoin d'être étanchée, mais pour ce qui est de la faim je suis en train de réfléchir et je n'aime pas mélanger les plaisirs. Je dédaigne de mon attention le buffet pour reporter mon regard noir sur celui qui se retrouve être mon hôte.

- Si je veux sortir d'ici, j'imagine que tu ne comptes pas m'en empêcher. Y a-t-il quelque chose dont je doive me méfier à l'extérieur ?

Non, je ne crois pas être arrivé dans un autre monde, mais même en étant dans une ville inconnue il peut y avoir des menaces qu'un homme seul, aussi intelligent qu'il soit, peut ne pas pouvoir gérer : cartel, gang, policiers un peu trop zélés, couvre-feu... Je me dirige finalement vers le buffet afin de voir quels liquides sont proposés, grimaçant de méfiance faute d'un étiquetage en règle des denrées, jetant un regard à Mendès qui semble vouloir m'accompagner.

- Tu étais seul il y a cinq ans, cependant maintenant tu possèdes ton propre ordre. Y a-t-il une autorité autre qu'un Maire qui régente cette ville ? Dois-je m'adresser à quelqu'un suite à mon arrivée ?

Oui, la curiosité s'est belle et bien emparée de mon esprit, un vent de renouveau semble vouloir souffler et je n'ai rien contre de quoi me revigorer un peu.


@Mendès Baphomet

...Et ça ne commence que

maintenant

J'hausse les sourcils. Que connait-il de Baphomet ? "Une construction de l'esprit humain" ? Est-ce réellement ce qu'il pense ? Il n'en est pas même proche. Je dois admettre qu'il m'amuse un peu, même si je n'aime pas réellement le fait qu'il arrive ici en terrain conquis. Je devrais sans doute le laisser partir, qu'il se débrouille un peu là au-dehors.

Je lui explique ce que je sais, et il me répond laconiquement. Quand cessera-t-il de se mettre un masque ? Cela gâche ses jolis yeux pleins d'envie. Bon, de toute façon, la question ne se pose même pas.

"Je t'en prie, tu peux sortir. Et non, il n'y a rien dont tu doives concrètement te méfier." Petit regard pour m'assurer que ma pique passera bien. "C'est rempli de gens comme toi."

Oui, des gens comme lui, imbus de leur personne, absolument pas impressionnables, qui pensent tous savoir mieux que les autres dans leur propre domaine. Certes, il y en a qui sont plus que cela, mais très sincèrement, ils sont rares. Plutôt que de partir, il préfère se restaurer. Je hausse un sourcil. Je suis persuadé qu'il doit être magnifique quand il est en pleine possession de ses moyens, mais pour le moment, il essaie juste de s'en donner l'air. Dommage.

"Peu t'importe mon parcours. Tu ne suivras pas le même."

Je secoue la tête.

"Tu n'as à te présenter à personne. Tu as uniquement à trouver un endroit où dormir, et te trouver une activité pour gagner de l'argent... Comme dans ton monde à toi, j'imagine."

En tout cas, pour ma part, j'ai réellement faim. Je regarde la nourriture et décide de m'emparer d'un épi de maïs, grillé comme je les aime.

"Quel a été ton vécu pour prendre tout le monde comme un ennemi acquis ?"

Je demande cela d'un air totalement nonchalant. Non pas que je sois déçu de mon invocation, mais sa volonté de se maîtriser lui-même m'exaspère. Qu'il garde cela pour les autres, à l'extérieur, pas pour ici. Bon, certes, nous verrons. Si ça se trouve, il va juste partir et je n'entendrai plus jamais parler de lui.

"C'est rempli de gens comme toi."

Je n'ai pu m'empêcher d'avoir un sourire amusé et moqueur sur mes lèvres lorsque j'ai entendu ces mots.

- Permet-moi d'en douter.

Même si j'ignore exactement ce qu'il entend par là, le fait est qu'il n'y a pas autant de gens que cela qui me ressemblent, même de loin.

"Peu t'importe mon parcours. Tu ne suivras pas le même."

J'acquiesce en silence, approbateur : il n'y a rien de plus vrai, au vu de nos différences comportementales, il est peu probable que mon parcours s'approche du sien. Le fait est cependant que j'ai face à moi un esprit suffisamment aiguisé pour que l'échange soit relativement intéressant, ce qui est en soi une chose fort positive.

"Tu n'as à te présenter à personne. Tu as uniquement à trouver un endroit où dormir, et te trouver une activité pour gagner de l'argent... Comme dans ton monde à toi, j'imagine."

Esquisse de sombre sourire tandis que je me remémore en une fraction de seconde mes activités habituelles. Si cet endroit ressemble ne serait-ce qu'un peu au mien, alors je ne tarderais pas à me faire une place dans l'ombre. La question est : ais-je seulement envie de repartir de zéro ? J'avise une carafe et la soulève pour la porter prudemment à mon nez afin d'en humer le contenu : aucune odeur inhabituelle ni d'amande amère. J'ose me verser un verre, après tout il y a quelques instants de cela -si tant est que le temps ne se soit pas dilaté- j'étais assis sur le bord d'un toit d'un immeuble suffisamment haut pour qu'une chute me soit fatale, alors du poison serait, à défaut d'original, une façon comme une autre d'en finir même si cela manquerait de panache.

"Quel a été ton vécu pour prendre tout le monde comme un ennemi acquis ?"

Nulle hésitation dans le mouvement de ma main qui porte la coupe à mes lèvres. Je ne suspend mon geste que pour regarder mon hôte droit dans les yeux, d'un regard abyssal où le fond semble perdu dans les ténèbres, puis j'esquisse un sourire irrépressiblement cynique et mauvais avant de boire une gorgée du liquide sombre, le gardant en bouche une seconde avant de l'avaler : un vieux réflexe dont je n'ai jamais su me défaire, pas même en buvant la simple eau du robinet.

- Quel a été le tien pour ne pas les voir tous ainsi ?

Je jette un regard alentours, passant sur ses brebis inconscientes du danger qui se trouve dans la même pièce qu'eux, puis reporte mon attention sur mon interlocuteur.

- Mendès... Menda, la faute, l'erreur, celui qui a le sens de la rectitude et de la justice, mais aussi la tribut, le groupe, ou même pour les plus croyants, le "Petit Moïse", le meneur... Tu portes un prénom qui semble en parfait accord avec ce que tu dégages en apparence, et pourtant il émane de toi quelque chose de bien plus sombre et dangereux, et que tes ouailles ne semblent pas réaliser, en tout cas pas pleinement.

Je m'approche de lui, accrochant son regard d'un vert singulier, auréolé d'une touche de doré et où l'ombre semble pourtant pouvoir s'accrocher aisément. Oui... C'est là, tapis derrière cette bienveillance écœurante et ennuyeuse, je le vois tandis que je m'approche davantage, venant presque au contact tandis que mon regard s'embrase de curiosité et d'excitation : il ne s'agit pas d'un homme bien, pas au sens strict du terme, c'est une bête déguisée en homme et qui protège son troupeau.

- Je ne comprendrais jamais que l'on veuille protéger des moutons, mais tu sembles pourtant y trouver ton compte alors que tu pourrais très bien faire sans.

Que je souffle à mi-voix pour lui seul, le fixant avec un sourire ravi.

- Comment cela se fait-il ? Tu me ressembles bien plus que l'air que tu te donnes, est-ce pour mieux passer inaperçu ?

Se dissimuler au grand jour est un concept que je n'ai jamais apprécié, si ce n'est pour mieux faire tomber son adversaire comme je l'ai fait avec Sherlock, mais même s'il était amusant d'incarner ce cher Richard Brook et de voir tout le monde tomber dans ma toile, ce fut aussi très irritant de voir à quel point les gens étaient crédules et faciles à berner. Toi là qui me fait face, tu n'es pas dupe, n'est-ce pas ?

- Tu sais quoi, Mendès ? Je pense que tu peux m'appeler Jim, ce sera plus... approprié.

Plus vrai. Cette ombre que je ne connais pas et que je vois chez toi m'intéresse, mais on ne saurait se rapprocher d'une chose sans se dévoiler, au moins partiellement. Appelle-moi donc Jim et laisse-moi voir plus avant qui tu es vraiment, toi aussi.


@Mendès Baphomet

...Et ça ne commence que

maintenant

Oui, être comme les autres est un sujet... Non pas sensible, mais disons qu'il n'apprécie pas être "rabaissé" au rang de personne normale. Malheureusement pour lui, personne n'aime l'être, et c'est un vrai concours de bizarreries, là au dehors. Cependant, je suis persuadé que cet homme pourrait concourir avec peu de personnes qui lui tiennent le menton. Il est encore un peu effrayé, comme un petit chiot, mais c'est normal. Qui ne le serait pas ? Pour ma part, j'éprouvais la peur pour la toute première fois quand je suis arrivé ici, c'était un sentiment grisant, qui donne la sensation d'à la fois de ne pouvoir rien faire, mais la force de pouvoir tout accomplir. Je me souviens encore de l'air froid sur ma peau, j'avais une peau, je sentais l'air froid.

Nous sommes différents, lui et moi, et pour autant, nous sommes pareils. Il commence à s'en rendre compte, petit à petit.

Il hume le verre comme s'il allait y trouver un quelconque poison. J'imagine qu'il vient d'un monde dans lequel le poison peut se humer, ou qu'il avait ce pouvoir-là. Devrais-je lui dire que si j'avais voulu le tuer, je ne m'y serais pas pris ainsi, qu'il n'aurait eu aucune chance, et qu'en plus... on ne peut pas sentir un poison par l'odeur, dans notre monde ? Non, je vais le laisser découvrir tout cela tout seul, comme un bon chien. Il garde la boisson en bouche avant d'avaler. Même le cyanure chimique ne se détecte pas aussi vite.

"Tous ainsi ? Tu veux dire comme des alliés potentiels ?"

Je suis son regard et vois des êtres d'énergie de prière. Ils nous regardent. Oh, je les aime, comme je les aime. Je ressens leur foi au plus profond de moi, et le crépitement dans mes mains me fait avoir un frisson proche de l'orgasme. Mes pouvoirs me reviennent ! J'aime quand il prononce mon nom. Je sonde dans son regard tandis qu'il me parle. Oh oui, les idées et les envies fulminent là-derrière. Tout cela m'enivre, me donne envie d'éclater de rire.

"Mais de quoi est-ce que tu parles ?"

Un faible rire, moqueur, s'échappe de mes lèvres.

"Ce ne sont pas des moutons. Les moutons sont des animaux qui vivent généralement dans des bergeries et qui font de la laine."

Ce pouvoir est en train de remonter le long de mes bras, de me picoter les jambes, d'atteindre ma colonne vertébrale et de venir jusqu'à la base de ma nuque. Tout mon corps est en tension. Ma respiration se fait plus profonde, et chaque inspiration est un délice, chaque expiration est une jouissance.

"Passer inaperçu, oui, c'est cela."

Un rire, plus sonore, franchis mes lèvres tandis que le pouvoir gagne encore quelques centimètres le long de ma nuque. Je pose ma main sur l'épaule de Jim alors que quelques un de mes oies-moutons se retournent pour savoir ce qui m'arrive.

"Enchanté, Jim..."

Ma voix a changé, elle est devenue plus grave, rocailleuse. J'ouvre les yeux sur lui, je sens qu'ils sont dorés, lumineux.

"Je ne peux pas faire sans ma famille. Ne sous-estime pas leur pouvoir, jamais, ou ce serait bien la dernière chose que tu feras."

Je finis dans un frisson plus fort que les autres, visible, un léger gémissement irrépressible me vient, et tout redevient normal. Je me demande ce qui se serait passé si j'avais poussé plus loin cet... état... Mais il a raison, il ne vaut probablement pas en dévoiler trop ce soir.

"Me laisseras-tu lire en toi ?"

Ce serait ma seule et unique requête. Que veux-tu un homme comme toi ? Me pourchasser ? Me détruire ? Tout ce que tu voudras, je te dois bien ça. Je te promets de gagner ton affection, et que tu me détesteras autant que tu m'aimeras. Je te jure que je serai tout pour toi, tout ton monde. Tous les autres te paraîtront fades, j'en fais le serment !