(abandonné) ⌜ff · tw⌟ ⊹ (( denial )) — .･✧ kai & winter.

CeCe n’en avait pas parlé à ses mères. Elle ne voulait pas les blesser ou réouvrir des plaies qui avaient mis du temps à cicatriser — elles étaient très heureuses maintenant, elles n’avaient pas besoin de ça. La jeune femme connaissait son histoire parce que Winter n’avait rien voulu lui cacher au sujet de sa conception. Hors de question pour elle que sa fille se construise sur du faux — il y avait déjà eu assez de mensonges comme ça et elle avait voulu l’épargner. Ca n’avait pas été simple pour CeCe de l’accepter. Elle avait même haï sa mère, pris le parti de Montana, vomi son géniteur avant de s’effondrer dans les bras de celle qui lui avait donné la vie. La préadolescence rendait tout le monde à fleur de peau alors quand on avait une histoire pareille… Heureusement, le temps avait fait son affaire. Lorsque son cœur s’était apaisé, CeCe n’avait posé qu’une seule question à sa mère : « Est-ce que j’ai été faite dans l’amour, à défaut d’être désirée ? » Winter lui répondit que oui et c’est tout ce que sa fille avait eu besoin de savoir. Son père avait déserté, mais il n’était pas le premier ni le dernier père de l’humanité à le faire de toute façon. Elle avait décidé de ne pas faire cas de lui, jusqu’au moment où elle eut besoin de réponse. Elle avait vingt-huit ans et malgré tout l’amour que ses deux mères lui avaient donné, il y avait encore des questions qui restaient en suspens et ça la bouffait. CeCe pourrait les poser à Winter ou même à Montana, mais elle voulait entendre les réponses de la bouche du principal intéressé. Elle connaissait son nom, avait déjà vu à quoi il ressemblait parce que Winter n’avait pas jugé nécessaire de lui cacher, mais CeCe ne savait rien de plus. Ce sont ses études qui l’ont amené à lui.

CeCe menait une thèse en doctorat en sciences politiques. Son sujet s’articulait autour des moyens rhétoriques et didactiques mis en place dans les discours des hommes et femmes politiques de droite et des groupuscules situés à l’extrême droite du spectre politique. Elle tendait à démontrer une émergence d’une nouvelle forme de propagande avec des mots et techniques qui diffèrent des discours politiques que l’on pouvait trouver dans les régimes fascistes des années quarante. Forcément, dans ses recherches, elle était tombée sur des discours de son géniteur. Et comme les autres, elle les avait étudiés, disséqués, classés et en avait tiré des conclusions avant de les regrouper avec d’autres qui usaient des mêmes techniques manipulatrices. Toutefois, en dehors de l’aspect très froid et chirurgical de son approche, elle n’avait pas pu s’empêcher de se poser encore plus de questions personnelles sur cet homme. Il représentait une moitié de ce qu’elle était, après tout. Les pairs de CeCe, ainsi que ses professeurs, soulignaient régulièrement la finesse d’esprit de la jeune femme ainsi que celle de ses analyses. Ils étaient admiratifs de l’intelligence avec laquelle elle abordait tout problème sociologique et politique et elle ne put s’empêcher de se demander si elle n’avait pas hérité ça de son père. Sa mère était très engagée, mais elle n’avait pas la force des mots comme son géniteur. Plein de petits détails comme celui-ci vinrent régulièrement parasiter son esprit au point que Kai Anderson devint une sorte d’obsession. La rencontre était donc inévitable.

L’avantage avec Kai Anderson, c’est que sa carrière politique sur l’ile n’avait jamais pris de pause. L’homme prolifique qu’il était avait bien évidemment un local pour accueillir son QG de campagne. CeCe se disait que c’était le meilleur moyen pour le croiser. Elle aurait pu le joindre par téléphone, par mail ou encore via les réseaux sociaux, mais elle préférait une confrontation plus franche, sans un écran entre eux. Elle était anxieuse, mais n’avait pas peur. Qu’avait-elle à perdre de toute façon ? Cet homme avait été absent de sa vie depuis toujours. S’il la rejetait, il ne créerait aucun vide puisque ce dernier était déjà là et Montana le comblait parfaitement depuis le jour où CeCe avait poussé son premier cri sur cette ile. Elle n’avait pas besoin de père à proprement parler ; elle avait déjà la meilleure des mères pour ça en plus de Winter. CeCe avait juste besoin de réponses, rien de plus. Elle vérifiait dans le reflet de la vitrine que son chignon était bien ajusté, que sa chemise était bien rentrée dans sa jupe fuseau et qu’elle ne faisait aucun pli avant de prendre une grande inspiration et d’entrer dans le QG.

Il y avait beaucoup de monde. Une certaine agitation et ferveur aussi. CeCe connaissait mieux que quiconque cette effusion avec sa mère militante et qui le serait probablement jusque’à sa mort. Elle ne savait pas où donner de la tête entre les gens qui couraient d’un bureau à un autre, les nombreux téléphones fixes qui sonnaient de partout, les tapotements frénétiques sur le clavier… Au moins, Kai Anderson ne manquait pas de militants dévoués, en dépit de l’extrémité de ses idées. Interloquée par CeCe plantée au milieu du hall, la secrétaire à l’entrée vint à sa rencontre avec un charmant sourire. « Bonjour. Je peux vous aider ? » CeCe lui rendit la pareille. « Bonjour. » Elle farfouillait dans sa besace et en sortit une carte de visite, à son nom, que la secrétaire prit et lut pendant que CeCe parlait. « Je m’appelle Celeste Anderson-Duke. J’aimerais poser quelques questions à Monsieur Anderson dans le cadre de mon sujet de thèse, si c’est possible. » De son sac, elle sortait un énième papier signé de la main de son directeur de thèse qui prouvait qu’elle étudiait bien à l’université de la ville et qui précisait le sujet de sa thèse : « La droite en politique — émergence d’un nouveau mouvement prometteur loin des archétypes. » Le titre était bien évidemment mensonger afin de ne froisser personne : le sujet réel était en réalité voué à dénoncer. La secrétaire attrapait le papier qu’elle parcourait. « Vous avez pris rendez-vous ? » CeCe affichait une mine désolée. « Malheureusement non… Des semaines que je tente de contacter Monsieur Anderson, mais mes sollicitations restent sans réponse. » Un mensonge pour essayer de passer en force. D’ailleurs, la secrétaire mordit immédiatement à l’hameçon puisqu’elle expliquait à CeCe que ses demandes étaient possiblement passées à la trappe comme ils en recevaient beaucoup. Elle ajoutait : « Attendez-moi ici, je vais voir ce que je peux faire. » Elle partit pour revenir une dizaine de minutes plus tard en demandant à CeCe de la suivre.

« Monsieur Anderson ? Madame Anderson-Duke pour vous. » CeCe entrait après que la secrétaire l’avait introduite. Si sur le chemin, elle lui avait expliqué que leur nom de famille était une pure coïncidence, qu’il était très commun en vérité, elle savait parfaitement que cette excuse ne prendrait pas auprès de Kai et que ces deux noms collés l’un à l’autre résonneraient particulièrement en lui. Elle ne chercherait pas à lui faire avaler des couleuvres de toute façon, car s’il y avait bien une chose que CeCe respectait chez les gens, c’était leur intelligence, qu’importe qui ils étaient ou ce qu’ils avaient fait. Quand la secrétaire partit et qu’elle referma la porte derrière elle, elle se permit de l’observer quelques instants, simplement pour le jauger. Elle avait hérité de plusieurs choses de lui : la couleur sombre de ses yeux notamment, la sévérité des traits de son visage, mais aussi sa taille qu’elle avait rehaussée avec des chaussures à talons et la couleur brune, presque cendrée, de ses cheveux. Il y avait d’autres choses aussi, mais beaucoup moins flagrantes comme elle relevait du caractère et de ce qui remplissait sa tête. Pour le reste, elle ressemblait à Winter, mais difficile de départager Kai et elle à ce niveau-là comme CeCe était le fruit d’un inceste. « Inutile de vous servir les mêmes sornettes qu’à la secrétaire et de se montrer hypocrite, vous avez déjà dû deviner qui je suis. » CeCe était incisive comme lui, sans manquer d’une certaine autorité. Elle ne s’asseyait pas sur les sièges devant son bureau, préférant garder une certaine distance physique avec lui. « Je ne suis pas là pour vous chercher des ennuis. Mes deux mères ne savent même pas que je suis ici. Je viens juste pour obtenir des réponses. » Elle marquait une pause. Il n’imaginait pas à quel point c’était la tempête en elle entre son angoisse, son amertume, l’appréhension et l’excitation qu’une telle rencontre provoquait. Mais elle ne montrait strictement rien sur le plan physique — elle avait le contrôle total et parfait de ses émotions. « Qu’importe l’issu de la conversation, je ne chercherai pas à vous revoir ensuite. Vous avoir dans ma vie ne m’intéresse pas. » C’était juste pour faire la paix avec elle-même et parce qu’elle ne voulait pas être hantée par son passé et les choix de ses parents. Demi-mensonge. La petite fille en elle qui avait toujours cherché à la rencontrer n’était pas tout à fait de cet avis. Peut-être que cette rencontre ne donnerait rien, mais valait mieux vivre avec des remords que des regrets.