Aujourd'hui est un jour particulier pour Ophélie. Elle a rendez-vous avec May Parker, l'assistante sociale qui s'occupe d'elle depuis qu'elle est arrivée seule en ville à l'âge de 14 ans. May a été une figure maternelle pour Ophélie, lui offrant depuis les premiers instants un soutien inestimable dans les moments les plus difficiles de sa vie. Ophélie voue une tendresse toute particulière à cette dame, touchée par sa bienveillance et sa douceur en dépit des drames qu'elle vivait de son côté.

Elles ne se sont pas revues depuis le début de l'été, après que Ophélie ait décroché son diplôme de fin d'études secondaires et lui avoir annoncé sa volonté de voler de ses propres ailes, de quitter l'établissement d'accueil dans lequel elle logeait jusque là. La bienveillante mère de famille sait bien que la vie d'Ophélie doit être en train d'évoluer à toute vitesse. Elle sait certainement que l'entrée dans la vie adulte est une étape clef et c'est évident qu'imaginer une jeune femme seule aborder ce moment décisif doit inquiéter May.

La revoir sera l'occasion pour Ophélie de lui donner les nouvelles qui importent. Lui parler de son nouvel emploi dans le Musée, de ses projets de logement et peut être même lui parler de l'étrange réapparition d'une partie de ses pouvoirs perdus. Des pouvoirs qu'elle avait perdu à l'instant où elle avait été arrachée à son monde d'origine. Beaucoup d'éducateurs à l'époque avaient cru que les enfants qui parlaient de pouvoirs disparus affabulaient ou hallucinaient. Mais les années passant, de plus en plus de phénomènes bizarres en ville et de cas d'individus manifestement extraordinaires ont permis à beaucoup de réviser leurs jugements ...  

Pour l'occasion, Ophélie a pris un soin tout particulier à son apparence. Elle souhaite rassurer May et lui montrer que même si elle avance seule, elle arrive à se tenir à flot. Elle porte une tenue automnale : une robe en laine bleu marine, des collants épais et sa bien fameuse écharpe avec qui May l'a toujours vue. Ses cheveux bruns bouclés encadrent son visage aux traits délicats. Elle a fait des efforts pour essayer de dompter leur masse rebelle à l'aide d'un élégant serre-tête. Elle a enfilé son manteau à l'ancienne, un long pardessus en laine, et a enfilé ses gants préférés, usés par le temps.

Elle a pris le bus en direction du quartier de Lockwood Hill avant d'arriver avec un peu d'avance devant le bar qui leur sert de point de rendez-vous. Un comptoir, des tabourets, des tables et chaises épars. Une vague musique se fait entendre depuis l'intérieur tamisé. Pas le genre d'endroit que fréquenterait spontanément Ophélie !  Elle se tient debout devant, collée contre le mur pour ne pas gêner le passage des gens.

Ses yeux parcourent la rue animée, les passants pressés et les feuilles d'automne qui tourbillonnent doucement dans le vent. Elle passe ses doigts sur son écharpe, un accessoire qui a récemment acquis des pouvoirs inhabituels grâce à sa découverte de l'animisme. L'écharpe bouge doucement, se tortillant comme une créature vivante sous ses doigts. Ophélie caresse l'étoffe avec tendresse, appréciant la sensation apaisante que lui procure le retour de sa vieille amie à ses côtés. Le retour balbutiant  de son pouvoir a fait renaître l'espoir de peut-être un jour retrouver le reste de ce qui faisait partie d'elle autrefois. Plus confiante et centrée que jamais, elle est impatiente de partager cette découverte avec May, qui a toujours été une source de soutien inestimable.

Ophélie n'a pas à attendre longtemps. Il ne faut pas 5 minutes pour que la silhouette de May se distingue au milieu des passants et qu'un signe de main enjoué attire l'attention d'Ophélie. La vue de celle qui a tant fait pour elle réchauffe immédiatement le coeur d'Ophélie. Un sourire doux éclaire son visage alors que le verre de ses lunettes se teinte d'un jaune discret.

- Bonjour Tante May !

Tante oui. Le terme est venu naturel au fil du temps. Il retranscrit bien l'attachement que peut ressentir pour cette femme. May accueille Ophélie avec un énorme câlin qui dure, le genre de câlin qui traduit exactement ses paroles suivantes :

"Je suis contente de te voir, tu m'as manqué."

Ophélie ressent une émotion inexprimable. Elle ne peut s'empêcher de se serrer contre May. Bien rares sont ceux qui ont réussi, à force de patience, à se faire accepter dans la petite bulle personnelle de Ophélie. May a été la première à réaliser cet exploit. Elle sait que May est là pour elle, une figure maternelle dans sa vie chaotique. Gagnée par l'allégresse du moment, l'écharpe d'Ophélie vient également entourer les épaules de Tante May pour participer à l'étreinte.

L'étrange comportement du vêtement fait avoir un sourire d'excuse à Ophélie qui d'un regard paisible fait comprendre à sa tutrice que tout va très bien.

D'un petit pas en arrière, elles finissent par s'écarter.  Ophélie est submergée par le regard et le sourire bienveillant de sa tutrice. May la complimente sur son apparence. C'est le rôle qu'ont normalement les mamans dans la vie d'une jeune fille d'affirmer ce genre de chose, même quand ce n'est pas tout à fait vrai. Tante May a repris ce rôle et Ophélie fait semblant de la croire en retour. Elle a appris depuis le temps que la contredire sur ce sujet n'est pas très utile. Et qui sait, à force que May le répète et Ophélie finira peut être par le croire ?
 

Immédiatement après, exprime la toute première de ses préoccupations. Quoi de neuf dans la vie d'Ophélie ?

Tant de choses ! Des belles choses pour l'essentiel. Le plus difficile est de savoir par quoi commencer et comment rester concise et précise à la fois.
Comment passer sous silence les "petits inconvénients" quotidiens qu'elle peut vivre pour se concentrer sur le meilleur et rassurer la femme d'expérience inquiète pour celle qui fais ses premiers pas dans la vie d'Adulte.

Ophélie remonte ses lunettes et fais mine de réfléchir avant de répondre.

- Et bien ... j'ai trouvé un emploi au vieux Musée de Hogwart's place. La Ville m'a prise comme apprentie Archiviste, je suis vraiment très contente là-bas.

C'est la base d'une vie : Un emploi stable et pérenne. Une activité qui occupe le corps et l'esprit tout en apportant de quoi vivre.

- J'ai aussi trouvé une chambre à Baker Street Avenue. Le propriétaire est ...

Elle marque une courte hésitation avant de dire ...

- ... arrangeant.

Il lui semble inutile de préciser que le logement est au dessus d'un bar, Tante May risque de s'imaginer (à raison) que des tas de gens louches trainent dans les environs de l'endroit où elle loge.

- Et puis ... il y a ça aussi.

Du bout de son gant elle viens caresser le bout de son écharpe, comme quelqu'un le ferait avec un chat.

- ... J'ai l'impression que mon animisme revient petit à petit. Ca a commencé par l'écharpe et les lunettes.

Se souvient t'elle à quel point Ophélie a toujours été attachée à son écharpe ? Ophélie a été très malheureuse quand son vêtement autrefois animé avait d'un coups . Aux jours les plus sombres qui ont suivi la déchirure avec sa famille, Ophélie serrait contre elle le vêtement inanimé pendant des heures. Le seul et unique objet provenant de son monde qui l'a accompagnée ...

Ophélie n'a jamais été du genre à beaucoup s'ouvrir mais avec le temps, Tante May a sans doutes pu comprendre également que la perte de ses pouvoirs avait également perturbé la jeune femme, comme si en plus du déchirement familial elle avait perdu une partie de son identité. Le déni l'a d'ailleurs poussée depuis cette époque à conserver en presque toutes circonstances les mains gantées, bien que cela ne soit plus nécessaire depuis bien longtemps.

C'est pour ces deux raisons que la nouvelle tient une place toute particulière dans le coeur de Ophélie et que la jeune femme parait rayonnante en annoncant la nouvelle.

Immédiatement, Ophélie agite ses mains gantées, en signe de dénégation.

- Oh non, non  ! Rien de tout ça.

Elle rit un peu nerveusement. Non, heureusement, Eliott n'a rien d'un mafieux ou d'un escroc. Quoique à la réflexion, Ophélie se dit que le propre des escrocs est justement de ne pas avoir l'air malhonnêtes. Mais ce qu'il permet à Ophélie n'est certainement pas illégal.

- Il est très gentil. C'est juste que il n'a pas demandé de garants ou de dépot de cautions extravagantes comme le font les autres propriétaires. Beaucoup de propriétaires auraient fait la fine bouche devant mon dossier, même avec un travail stable.

C'est déjà beaucoup en terme d'arrangement aux yeux d'Ophélie.

- Et il a déjà laissé entendre qu'un retard de loyer à l'occasion ne serait pas grave. Que je pouvais également travailler un peu dans son bar si je traversais une mauvaise passe.

Une offre dont Ophélie n'a pas l'intention de profiter. Son travail au Musée l'occupe déjà bien assez comme ça et lui rapporte ce qui lui faut pour vivre correctement. Le loyer, la nourriture, le bus, de quoi s'acheter des vêtements. Il en reste même un peu pour commencer à mettre timidement de côté. Que peut-on rêver de plus ?

Elle sourit, esperant que ses explications suffiront à rassurer Tante May sur son propriétaire.

L'annonce concernant son écharpe receuille la réaction escomptée de la part de sa protectrice. Ophélie hoche vivement la tête.

- Oui ! Entière, c'est le mot.

Même si c'est certain qu'il lui manque encore des bouts comparé à ce qu'elle était avant, May a su mettre le doigt sur l'émotion ressentie. Ophélie a l'impression de retrouver une part de son identité perdue. C'est peu de choses en apparence, une écharpe qui remue et des lunettes qui se colorent mais ca veut dire beaucoup pour elle.

La proposition de se mettre à l'abris et de boire une boisson chaude recueille l'assentiment immédiat de Ophélie. Elle hoche vivement la tête et emboite le pas de May qui semble connaître l'établissement. Elle s'installe après avoir pris un luxe de précautions pour tirer sa chaise et retirer son manteau sans bousculer rien ni personne. Ce n'est qu'une fois installée et son choix porté sur un thé à la bergamotte qu'elle sourit à May et commence à satisfaire sa curiosité concernant ses pouvoirs d'animiste.

- Oh oui je peux t'expliquer ! D'où je viens, nous descendons tous d'un esprit de famille qui a transmis ses pouvoirs à ses descendants.

Mieux vaut passer sur le fait que du coups, tout le monde sur l'arche d'Anima possède un degré de cousinage plus ou moins élevé. C'est, elle l'a appris, un sujet sensible dans beaucoup d'autres endroits que chez elle.

- Chez moi, tout le monde a une relation unique avec les objets. Ma tante savait rénover ou réparer le papier comme personne. D'autres dressaient leurs horloges comme des animaux de compagnie. Le lit de mes frères ne savaient pas rester pliés et notre vieux Poêle grinçait quand on ne lui donnait pas assez de charbon.

L'évocation de ces souvenirs fait avoir un sourire doux-amer à Ophélie. Elle remonte ses lunettes dont les verres avaient pris à ce moment une teinte bleu pâle.

- Chez moi et bien ... Il y a l'écharpe, que j'ai tricotée étant petite. Les lunettes aussi sont touchées mais elles ne font pas grand chose. Elles changent juste de couleur. C'est pas très pratique mais c'est comme ça.

Elle rajoute sur un ton d'humour.

- J'ai toujours soupçonné aussi mes chaussettes de s'animer pour se séparer et se cacher dans des endroits différents de chez moi mais je ne les ai jamais prises sur le fait.

Elle a un bref sourire avant de redevenir sérieuse.

- Autrefois ... je savais lire les objets quand je les touchais. Je voyais leur vie, les émotions de leurs anciens propriétaires. C'était un pouvoir très intrusif, permanent. J'ai pris l'habitude de porter ces gants depuis cette époque.

Elle triture ses doigts gantés pendant un instant. Même après toutes ces années sans ses pouvoirs, elle n'a jamais cessé de les porter. Par habitude. Ou par refus obstiné d'admettre le deuil de ce qu'elle était autrefois.

- Et puis il y a les miroirs. Je pouvais les traverser. Même si je suis restée coincée dedans une fois. J'en garde peu de souvenir mais c'était assez grave. J'ai perdu la couleur de mes cheveux et je suis maladroite depuis ce jour là ...

La question de Tante May fait bafouiller un instant Ophélie qui, visiblement, n'avait même pas encore considéré la question.

- Et bien heuh ... je ne pense pas que ce serait une très bonne idée de me confier la gestion de verres ou de bouteilles ...

Toutes les deux savent à quel point Ophélie est pathologiquement maladroite et peuvent imaginer à quel point lui faire porter en équilibre des plateaux de boissons serait tenter le diable. Sans parler du fait que les bars ne font pas vraiment partie des lieux de prédilection fréquentés par la jeune femme. En l'état, placer Ophélie en tenue de serveuse au milieu d'un groupe de jeunes en goguette serait comme faire un entrer un agneau dans une cage aux lions.

- Je gagne largement ce qu'il faut au Musée pour couvrir le loyer, je ne prévois pas d'avoir de souçis de ce côté là !

Elle affiche un bel optimisme, assez typique des jeunes gens de son âge. Elle ne connait pas encore les milles et un "imprévus" qui frappent parfois le budget des grandes personnes, même quand celles-ci se montrent raisonnables et prévoyantes.

Elle semble plus tard surprise que Tante May pose autant de questions sur ses pouvoirs et son passé. C'est vrai que le sujet avait longtemps été douloureux pour elle, elle comprend que peut-être May s'était retenue de laisser libre court à sa curiosité jusqu'à maintenant. Sans manifester de gêne et peut-être même avec un certain plaisir, Ophélie se laisse aller à évoquer ces souvenirs.

- Tu as peut-être raison pour les lunettes. Et pour le reste et bien ... non ca ne m'embête pas du tout d'en parler. En réalité on ne se posait pas trop ces questions sur Anima, tout paraissait normal et même très banal ... Les enfants naissent plus ou moins dépourvus de pouvoirs. Il apparaissent et se développent par la suite en grandissant.

Elle remonte ses lunettes, fouillant visiblement dans sa mémoire pour évoquer les choses au mieux.

- Mes souvenirs sont lointains mais non, notre Esprit de famille est une personne. Une femme rousse du nom d'Artémis. Ancêtre de tout le monde sur notre arche. L'âge n'a pas de prise sur elle, elle vivait reclue dans un observatoire, sans faire très attention à ses descendants. L'astronomie a toujours été sa passion ... Je ne l'ai vue qu'une fois, lorsqu'elle me remis une distinction pour ...

Elle tend ses mains gantées et remue les doigts, faisant un peu grincer le cuir usé de l'accessoire qui recouvre l'extrémité de ses membres.

- ... ce que je savais faire avec mes mains.

Elle a un bref sourire pour May, et même un léger rire lorsque celle ci évoque le cas des chaussettes en perdition. Ophélie répond avec bonne humeur.

- Peut êtres loges-tu sans le savoir une colonie de lutins voleurs de chaussettes.

Elle n'est pas très sérieuse en affirmant cela, ça s'entend à son ton léger. Même si dans le fond, est-ce qu'il faudrait être très surpris si ce genre de bizarrerie existait en Ville ? Elle redevient en revanche sérieuse quand le cas de sa lecture est évoqué avec plus de précision. Ophélie a toujours porté des gants. Du moins toujours depuis que tante May l'a rencontrée. Les psychologues ont du expliquer à l'assistante que ce trouble obsessionnel était lié aux souvenirs qu'Ophélie avait de son ancienne vie et à ses difficultés à tourner la page. Un attachement compulsif à son passé qui n'avait plus rien à voir avec le "pouvoir" qu'elle prétendait avoir possédé  (à l'époque beaucoup de spécialistes pensaient que ceux qui parlaient de "pouvoirs" partageaient une forme de délire. Contrecoups réactionnel à l'enfer qu'ils avaient tous vécu. ils ont fini par réviser leurs jugements au fil des années ...). Si demain son don revenait au moins Ophélie serait prête. Ses gants sont devenus sa seconde peau.

- Et bien ... non. Je ne pouvais pas vraiment m'empêcher de "lire" tout ce que je touchais ... Je pouvais bien sûr faire abstraction des choses que je ressentais mais ca demandait un effort de ma part. Porter des gants a toujours été plus confortable.

Bien sûr, Ophélie ne les porte pas vraiment en totale permanence. Comme toute personne saine et normale, elle se lave. (Vous admettrez que c'est peu pratique de se savonner avec une paire de gants de cuirs aux mains). Elle ôte également ses gants pour la nuit. Elle avait l'habitude de "sentir" à travers les draps de lit la présence bienveillante de sa mère qui avait mis tant d'énergie à les laver ... Ce sont des reflexes hérités de sa vie d'avant parce que bien sûr, plus aucune émotion ne traverse la paume de ses mains.

- Oh non rien de tout ça ! Je pouvais ... et bien ... passer entre deux miroirs qui m'avaient déjà refletée. Situés pas trop loin l'un de l'autre. Ce qui s'est passé le jour de mon accident est un petit flou je dois t'avouer ...

Elle ne souhaite pas expliquer qu'elle se souvient avoir ressenti l'appel de quelqu'un coincé à l'intérieur. C'est trop ... étrange. Trop flou. Et trop angoissant. La vie passée d'Ophélie est suffisament étrange et particulière comme ça pour ne pas en rajouter une couche.

- Ma famille racontait qu'ils m'ont trouvée à moitié enfoncée dans le miroir de ma coiffeuse, coincée jusqu'au bassin et que j'agitais furieusement les pieds comme si j'essayais de sortir sans y parvenir. Ils ont cherché en vain à travers quel miroir ma deuxième moitié pouvait être passée pendant que tous ceux qui le pouvaient me tiraient par les pieds. Ils ont mis l'accident sur le dos du somnambulisme ...

Mais qu'importe ce qui s'est passé cette nuit-là et tout ce qu'elle a perdu. Elle est comme elle est aujourd'hui et avoir retrouvé au moins sa compagne l'écharpe la comble de joie. D'ailleurs la créature textile n'avait pas manqué de manifester son existence au cours de son bref récit, en balançant et en ondulant faiblement, dans des mouvements vaguement serpentins. Connaissant la maladresse de sa maîtresse, celle ci se contracte d'ailleurs à chaque fois que Ophélie porte la boisson chaude à ses lèvres, comme si elle craignait de recevoir une goutte de liquide foncé sur ses délicates fibres colorées et devoir subir les tourments d'un passage en machine à laver.

Ophélie s'est longuement épanchée sur elle même, comme elle le fait souvent quand May est là. Mais forcément, même si la dame bienveillante respecte une distance professionnelle avec ses protégés, elles n'ont pu s'empêcher de parler un peu de la vie de May, au moins en surface. Du coups, Ophélie finit immanquablement par demander.

- Et toi ... ? Qu'est-ce qu'il y a de neuf ... ?

Les deux femmes papotent depuis un moment et déjà la première tasse se vide avait été déposée à l'écart, au grand soulagement de l'écharpe dont les gestes deviennent moins précautionneux et qui commence à tâter de ci de là autour d'Ophélie.

La question sur son ancien esprit de famille fait hausser les épaules à Ophélie.

- Elle était pas vraiment du genre à s'intéresser aux affaires de ses descendants non. Elle s'intéressait surtout aux étoiles et restait enfermée des décennies entières dans son  observatoire ... Je crois qu'il y avait un conseil des doyennes qui gérait tout pour elle.

Elle plisse les yeux un instant, comme pour essayer de se remémorer des souvenirs fugaces. Machinalement, ses mains gantées s'étaient mises à frotter l'une contre l'autre.

- Je ... ne suis pas sûre. Peut-être que mes parents m'ont déclarée à l'époque ... ? Ca ne faisait pas grande différence. Je ne crois pas qu'il existait d'enfants sans pouvoirs, non ... Ou du moins on ne m'en parlait pas.

Il faut dire que la société d'où elle vient avait beaucoup moins de moyens de communication et d'informations que la Ville et ses technologies incroyables qui permettent d'être connecté en permanence à tous les autres. On ne pouvait compter que sur deux sources "fiables" de renseignement : la gazette de l'Arche et le cancan entre voisins. Eventuellement il y avait bien quelques livres de cours et encyclopédies qui permettaient de comprendre un peu à quoi ressemblait le monde et quelques musées presque oubliés mais c'était pas terrible.  

Elle grimace un peu et acquiesce donc quand tante May suggère que ca aurait du être dur d'assumer une vie sans pouvoirs.

- Oh oui ... je ne peux qu'imaginer à quel point ca aurait été dur pour eux.

Ophélie avait déjà une place à part dans la société d'Anima, de par la couleur de ses cheveux. Seule brune au milieu d'un pays peuplé de gens roux et pâles. Heureusement que grâce au bouche à oreille, tout le monde était plus au moins au courant de l'accident qu'elle avait eue. Beaucoup de choses méchantes ont été dites dans le dos de ses parents à cause de ça, colportées par des personnes qui savaient que leurs sous-entendus étaient faux ...
Mais c'est inutile de s'attarder sur tout ça ... en dépit de toutes les thérapies et du travail de deuil effectué, trop repenser au passé provoque encore et toujours des émotions sinistres chez Ophélie. Voilà pourquoi l'histoire de la chaussette est la bienvenue et provoque en elle l'apparition d'un semblant de sourire qui s'estompe un petit peu quand elle évoque une dernière fois son pouvoir.

- Oui ... j'imagine que ca me plairait. Mais je préfère ne pas trop compter dessus. Tu sais, vivre avec trop d'espoirs irréalisables, ca ne me parait pas très bon.

C'est ce qu'elle déclare en tout cas. C'est ce que lui dicte sa raison. La vérité est évidement plus nuancée. L'espoir existe, il titille le cœur d'Ophélie même si ce n'est pas raisonnable et qu'elle refuse de le montrer. C'est difficile d'extraire ses émotions de la coquille qu'elle s'est forgée au fil des années, elle n'est pas du genre à facilement laisser transparaître les choses.

Vient le moment où Tante May accepte enfin de parler d'elle. Un peu. Elle parle de son neveu et du fait de l'avoir retrouvé. Un grand sourire nait sur ses lèvres et partage visiblement la joie de la dame.

- C'est formidable ! Après tout ce temps c'est incroyable.

Tellement étrange même ... la Ville semble cacher des pans entiers de choses à ses habitants des fois. Comment est-il possible que malgré les innombrables tentatives de recensement, les familles arrivent encore à être séparées après tant d'années ? C'est encore une fois quelque chose qui défie la logique et mériterait à elle seule des heures de réflexions et de discussions. Clairement les deux femmes ne sont pas là pour ça.

Le garçon travaille à l'université et aide la police.

- Ce n'est pas banal du tout.

Quel statut ce garçon peut-il bien avoir ? Stagiaire ? Contractuel ? Ophélie ignorait que les forces de police employaient des extérieurs. Elle s'apprêtait à ouvrir la bouche pour poser davantage de questions sur lui et sur leurs retrouvailles quand May aborde de nouveau le sujet de l'espoir. Avant de l'interroger sur les connaissances qu'elle se fait au travail.
L'air vaguement contrariée, elle remonte ses lunettes et répond directement à la deuxième question.

- Pas vraiment. Enfin, si, je vois beaucoup de gens. Des visiteurs pour la plupart mais aussi quelques autres collègues venant d'autres organismes universitaires ou culturels de la ville.  

On ne peut pas parler d'amis, donc. Ophélie reste globalement une personne un peu isolée socialement, de par sa nature et ses goûts. Elle s'entends avec Bilbo, un autre oncle d'adoption qui tient une librairie paisible et donc May a déjà nécessairement entendu parler. Et puis il y a d'autres jeunes gens comme Wall-e, qui se trouve également et fortuitement être un des protégés de May.

- Mais ca me va bien.

Comme toute personne introvertie, Ophélie est capable de s'occuper par elle même et est même capable de se sentir parfaitement heureuse ainsi. C'est du moins ce qu'elle croit en son fort intérieur.

Elle s'essuie délicatement la bouche avec la serviette en papier presque aussi fine que du papier à cigarette qui est gracieusement mise à disposition de la clientèle via un petit distributeur en métal. Les deux femmes semblent bel et bien avoir fini leur café.

Voyant que la petite note avait été apportée entre temps, Ophélie s'en empare et alors qu'elle commence à ouvrir son porte monnaie, elle affiche un sourire fier à May et annonce.

- Un nouveau travail, ca mérite au moins que je t'offre un café !

Une manière toute symbolique pour Ophélie de fêter son indépendance financière nouvellement acquise.

Le volet papotage autour d'un café est sur le point de se fermer. May invite Ophélie à une sortie "vide grenier" et même si la proposition est inattendue, celle ci recueille une approbation immédiate de la part de la jeune-femme.

- Oh oui ca me plairait, c'est une bonne idée.

Il faut dire que appâter Ophélie avec de vieux objets, ce n'est pas difficile. Evidemment, elle risque de davantage s'intéresser à un vieux bibelot historique couvert de poussière plutôt que fouiller les bacs de vêtements pour se dégoter de quoi renouveler sa garde robe. Mais elle y trouvera son compte ! Quant à la suggestion de se faire présenter "des amis" par Tante May, ca ne semble pas non plus l'effaroucher. Des gens qui lisent et aiment les objets anciens, réunis en petits comités, ca devrait bien se passer, non ? L'image que Ophélie se fait de cette potentielle réunion n'est pas très effrayante. Moyennant quelques petits efforts de sa part, ca la sortira un peu de son ordinaire sans que ce soit trop brusque.

En revanche ce n'est paaaaaas du tout la même histoire quand soudain du bruit se fait entendre au fond de la salle et qu'une animation bruyante est lancée. Elle regarde avec effarement ce qui se trame avec les lumières, les cris et la musique et parait estomaquée quand Tante May lance la suggestion de se joindre aux festivités.

- Une .. chanson ?!

La jeune fille manque de s'étrangler. Heureusement qu'elle n'était pas en train de boire, ca aurait été un coups à tomber raide morte après avoir arrosé la pauvre May.  Elle pâlit immédiatement et regarde autour d'elle des grands yeux effrayés, comme si rien que d'avoir murmuré cette idée avait attiré le regard plein de jugement d'absolument tout le monde dans la salle. (ce qui bien sûr est rigoureusement faux).

- Je heuh ... hein ... ? Ici ? ... Nous ? Là-bas ? Devant tout le monde ??





Jooooyeuuuux Noëeeeel

Le coeur d'Ophélie avait d'abord failli s'arrêter de battre quand Tante May lui avait proposé de chanter. Avant de se remettre à doucement battre quand quelques secondes plus tard elle avait semble t'il renoncé à l'idée. Un vague sentiment de culpabilité la submerge alors qu'elle se demande si sa réaction épidermique ne venait pas de leur faire manquer une occasion ... La jeune femme mordille un instant la couture de son gant avant d'esquisser un sourire timide devant l'autodérision affichée par la tutrice.

- Je crois ... que je ne suis pas meilleure. Peut-être qu'on pourrait essayer un jour quand ...

Elle regarde nerveusement l'intérieur de l'établissement qu'elles occupent.

- ... il y a aura moins de monde.

Et "moins de monde" dans sa tête, ca veut "juste toutes les deux". Ophélie manque terriblement de confiance en elle mais a une confiance aveugle envers la femme qui l'a tant aidée et pour qui elle a l'impression de compter.

Danser, chanter ... Ca revient plus ou moins au même pour Ophélie qui n'est pas quelqu'un qui sait extérioriser ce qu'elle ressent, que ce soit à travers le mouvement ou la voix. Les plus bienveillants diraient qu'elle manque trop d'assurance. Les mauvaises langues affirmeraient que cette jeune fille est coincée, voire emploieraient des expressions encore moins jolies qui impliqueraient un manche à balais ... Faute de pouvoir répondre par l'affirmative, Ophélie esquisse un sourire et répond un à côté.

- Oh heuh ... j'écoute de la musique. Sur la télévision ...

C'est à priori la seule chose qui se rapproche un tant soit peu d'une activité "normale" pour une jeune femme de son âge. C'est d'ailleurs assez surprenant d'imaginer Ophélie avec ses robes de grand mère regarder avec des yeux ronds les clips où des jeunes éphèbes trop peu vêtus se déhanchent au bord de piscines dans des textes à la pauvreté d'écriture navrante. Aussi loin que remontent ses souvenirs en Ville, elle a toujours regardé ces clips qui agissent comme une espèce de somnifère capable d'anesthésier ses neurones quand elle se met à trop cogiter. Ce sont avec les émissions culturelles ou scientifiques, les seules choses qu'elle regarde à la télévision ... Ophélie enroule une de ses mèches bouclées autour de son doigt ganté et ajoute avec incertitude.

- J'imagine que ... ca ne me ferait pas de mal d'apprendre à danser un jour.

Même si elle ne sait pas vraiment comment les gens sont supposés apprendre. Il doit bien exister des manières de danser qui soient compatibles avec l'ataxie qui l'afflige. Des mouvements qui nécessiteraient pas de ne pas trop remuer les pattes et éviteraient les risques qu'elle s'emmêle les pinceaux dans ses propres pas de danse ...

- Comment est-ce que tu as appris, toi ... ?

Pour son malheur, aucun livre scientifique ne semble réellement traiter la question et n'ayant pas d'amis proches dont le délire est justement de sortir et de se déhancher sur les pistes de danse, tout ce pan de la vie est recouvert en grande partie d'un voile d'ombre mystérieux à ses yeux.

Elle regarde Tante May avec des yeux ronds quand celle ci propose de mener la conversation "plus au calme". Ophélie regarde autour d'elles. Il y a des gens mais leur présence ne la dérange pas. Tant que d'une manière ou d'une autre elle n'attire pas l'attention publique sur elle, Ophélie se sent assez à l'aise au milieu de gens.

- Oh, je ne sais pas trop.

Dit elle, incertaine de savoir si tante May avait quelque chose derrière la tête quand elle lui propose ça.

- Ca ne me dérange pas de rester ici. Mais tu avais peut-être quelque chose derrière la tête ?

La perspective d'un karaoké en privé semble déjà beaucoup plus raisonnable aux yeux de Ophélie qui sourit alors et hoche un peu. Même si ca la fera sans doutes sortir de sa zone de confort, elle a confiance en tante May plus qu'en ses capacités de chanteuse. Elle sait que l'adulte ne la jugera pas.

- Ca pourrait être ... amusant.

Avoue t'elle, immédiatement après avoir évoqué ses exploits sous la douche. Elle n'a étonnamment aucune peine à imaginer Tante May chanter chez elle et l'image évoquée élargit quelque que peu son sourire. Entre le Karaoke et la participation aux oeuvres de son association de vide grenier (ou quelque chose du genre ?), ca fait déjà deux activités qui viennent s'ajouter au calendrier pas vraiment rempli de la jeune femme.  Lorsque Ophélie évoque l'idée de la danse, Tante May parle parle de ses souvenirs touchants qu'elle a avec son ancien mari. Un sourire compatissant teintée d'une douce amertume étire le visage de la jeune femme alors qu'elle l'écoute. Elle croit comprendre ce que May peut ressentir à l'évocation de ces souvenirs. Elle pense vivre quelque chose de très similaire avec sa famille qui lui manque tant. Ils lui manquent tant ... mais à mesure que le temps passe, la douleur devient moins vive. L'espoir fait peu à peu place à l'acceptation. C'est une étape normale du deuil dit-on ...

Elle hoche lentement aux suggestions que finalement Tante May lui fait mais Ophélie ne semble qu'à moitié convaincue.

- Bien sûr mais ... tu sais que bouger n'est pas très facile pour moi.

C'est un euphémisme. Son ataxie rend tout geste coordonné beaucoup plus difficile à réaliser pour Ophélie que pour la moyenne. Mais ca ne veut pas dire que c'est impossible. Il faudra juste beaucoup de travail. Pour un résultat sans doutes un peu en dessous de la moyenne ... et comme le disait Tante May, avec pas mal de pieds écrasés et de chutes.
Le goûter terminé, les deux femmes s'interrogent sur ce qu'elles vont faire du reste de l'après-midi. Ophélie n'avait naturellement pas grand chose de prévu quant à elle ni d'envies particulièrement marquées. Parmi les suggestions proposées par l'accompagnatrice, il y'en a une qui retient son attention.

- Oh, il y a un concert bientôt ... ?

Elle semble au moins curieuse de savoir quel groupe se produit. Ou quel sera le genre de la musique. Elle sourit un peu à Tante May et explique.

- Non non, je n'ai rien contre être en présence de monde.

Le bruit de fond est un peu plus fatiguant mais elle n'est pas dans une bibliothèque ou dans un musée calme, il n'y a pas lieu de s'agacer pour un peu de brouhaha. Au pire elle finira avec un léger mal de tête, comme n'importe qui dans cette situation.

- C'est davantage ... attirer l'attention que je n'aime pas, tu vois ... ?

Son apparence est neutre pour ne pas dire terne. Ophélie peut rester dans une pièce bondée sans que personne ne la remarque pendant des heures durant. En adepte de la tranquillité, ca lui va très bien comme ça.

Ophélie avait accepté, parfois avec timidité, quasiment toutes les offres qu'avaient faites Tante May. Certaines sortaient un peu des choses qu'elle a l'habitude de faire mais aucune ne lui paraissaient vraiment insurmontables. Même si elle s'attendait à ce que les tentatives de danser rencontrent un échec assez cuisant, elle n'a pas vraiment peur d'essayer tant que ca se fait en petit comité. La douceur et la patience de May avec elle la mettent en confiance. Elle lui sourit et semble prête à la suivre presque n'importe où. Savoir qu'elle aura toujours le choix de changer d'avis et de renoncer est sécurisant.  C'est donc de manière assez logique que pour la toute dernière activité, Ophélie finisse par accepter, après quelques secondes de réflexion à peine.


- Ca peut valoir le coups de rester, oui.

Au moins par curiosité. Elles sont bien installées là où elles sont. Et au pire si c'est atroce, rien ne les retiendra de partir.

Quant à la question concernant ses goûts musicaux préférés, Ophélie s'exclame assez machinalement.


- Oh, c'est une bonne question !

La vérité c'est que Ophélie n'en a pas l'air, mais les clips musicaux ont toujours été une des seules choses qu'elle regardait à la télévision. Depuis ses toutes premières nuits d'insomnie, séparée de ses parents, elle avait anesthésié son cerveau en regardant bouche bée les soupes commerciales que les chaînes musicales diffusent non stop. Elle a conservé cette habitude, bien après la fin de ses insomnies. Rester bouche bée, hypnotisée devant ces rythmes sots, c'est un devenu un peu son doudou mental. Ca calme ses angoisses, arrête son cerveau de tourner pendant quelques instants. Des fois ca fait du bien.

Mais entre tous les styles, lequel préfère t'elle dans le fond ... ? Ca demande un peu de reflexion.


- Eh bien ... je crois que je n'aime pas trop le rap et le hip hop. Mais je crois que je préfère plutôt la pop ... et la variété.

Elle ne se sent pas l'âme d'un blouson noir ni d'une rebelle, alors le rock n'est pas vraiment son genre. Si elle avait des horizons musicaux plus larges, elle aimerait sans doutes la musique classique ou le jazz. Mais ce n'est pas le genre de trucs diffusés sur les télévisions grand public. Elle est victime de son environnement. Elle découvrira que du coups, elle disposera d'un avantage notable au karaoke puisque la majorité des chansons lui seront déjà connues.


- Mon ami Wall-e m'a sinon fait découvrir les comédies musicales. Et je crois que j'aime beaucoup aussi.

C'est kitch et gnangnan mais ca lui plait beaucoup. Voir des gens heureux, chanter en cœur et danser en belles chorégraphies synchronisées. Elle est heureuse que le garçon plus âgé qu'elle lui ait fait découvrir ça.


- Et toi, tu as quelles préférences ?