Le conte du pêcheur et du démon ▿ Kara & Kaecilius

Sous son dos, Kara sentait quelque chose d'étrange. De nouveau. De différent. Ce n'était pas la sensation agréable que lui procurait son matelas, mais ce n'était pas désagréable pour autant. Puis il y avait ce bruit. Reposant. Calme. Agréable. Les vagues. Kara se sentait bien. Elle n'avait pas encore conscience des dangers qui l'entouraient, persuadée d'être en train de rêver à un monde meilleur où il n'y avait que le confort et l'agréable. Un monde de paix, reposant et tranquille. C'était à ce genre de monde que Kara aspirait, après avoir passé toute une vie sans avoir conscience de ce qu'elle était réellement. Alors, elle se laissait bercer par ses illusions et par ses rêves.

Elle se persuadait qu'il n'y avait rien, qu'elle était juste dans un rêve. Elle s'en persuadait jusqu'à entendre une voix gronder. La jeune femme s'éveilla alors dans un sursaut. En une fraction de seconde, elle s'était redressée. Son regard s'était perdu un instant sur le décor, avant de se poser sur cet homme, puis sur cette créature. Elle ignorait où elle était et elle ignorait comment elle avait pu arriver ici, mais ce n'était pas ce qui l'inquiétait le plus à cet instant. Sans perdre une seconde, elle s'était redressée pour pouvoir prendre la fuite ou se battre, si la situation l'exigeait.

Elle croyait rêver - encore - alors qu'elle entendait l'homme, qui tenait une étrange chose dans les mains, parler de trois voeux à exaucer. Cette chose, cette créature - ce génie, si elle en croyait ce qui lui restait de souvenirs à propos des histoires des êtres humains - l'avait menacé. Elle l'avait très distinctement entendu alors qu'elle s'éveillait. « Qui êtes-vous ? » Elle s'adressait tant à l'un qu'à l'autre, ignorant tout de ce qui se passait sous ses yeux à cet instant, ignorant même si ces deux personnes avaient conscience de sa présence. Le génie n'avait pas eu le temps de répondre à la question de l'homme, avant que Kara ne les interrompe. « Vous êtes un... Un génie ? » Questionna-t-elle alors, essayant de comprendre ce qu'elle avait pu rater. « Et vous... Son maître ? » C'était bien comme ça que ça fonctionnait, non ? Il tenait bien une sorte de flacon qui devait abriter le génie en temps normal ? Alors, elle, que faisait-elle là ? N'était-elle qu'une victime collatérale ?

Kara était surprise par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il n'était pas courant - même pour une androïde qui s'était retrouvée dans un endroit aussi mystérieux que celui-ci après avoir vu une lune rouge - de voir un génie sortir d'un flacon, menaçant et prêt à tuer. Même si les choses paraissaient plutôt évidentes, elle cherchait à se faire confirmer ce qu'elle voyait. Le génie et son maître. L'homme, aussitôt, rétorquait qu'il n'était le maître de personne, ses hommes n'étant pas sur l'île. Et, mieux encore, il tendait l'étrange flacon à Kara parce qu'elle semblait s'y connaître mieux que lui. « Quoi ? Non ! » Non, elle ne s'y connaissait pas mieux. Simplement, elle avait eu en mémoire des centaines et des centaines d'histoire en tant qu'androïde destinée à s'occuper d'enfants et si elle ne se souvenait pas de tout dans le détail, il lui restait certains éléments de cette mémoire - dont de nombreuses histoires avec des génies.

Pourtant, elle attrapait le flacon, malgré sa crainte d'être désormais la nouvelle cible de cette chose. Kara tenait cette chose précieusement, aussi précieusement qu'un objet d'une valeur inestimable. Elle craignait tant que cette chose ne soit brisée ou dérobée par le génie... Dans un cas, comme dans l'autre, elle craignait qu'il n'y ait plus rien à faire, si ça devait se produire. Alors, même si elle n'avait pas envie d'avoir un lien quelconque avec cette entité mystérieuse, elle n'avait pas le choix.

Le génie perdait patience. L'homme, alors, lui proposait un marché : l'envoyer dans une autre dimension en échange de leur vie - enfin, elle espérait qu'il comptait bien la protéger dans cette histoire et qu'il ne comptait pas sauver uniquement sa vie. Etait-ce un mensonge destiné à le piéger ou avait-il réellement le moyen de faire cela ? Kara ne disait rien. Elle laissait cet homme gérer la situation, pensant bêtement qu'il savait ce qu'il était en train de faire. En tout cas, jusqu'à ce qu'il propose d'échanger d'autres vies contre les leurs, trop précieuses. Kara se tourna brusquement vers lui. Comment savoir s'il bluffait ou s'il était parfaitement sérieux, puisqu'elle ne le connaissait pas ? « Non. S'il est réellement un génie, il doit nous servir et non l'inverse. » Elle ne tuerait pas, même pour sauver sa vie. Si c'était un plan pour faire gagner du temps ou pour le piéger, ce Kaecilius le lui ferait comprendre d'une manière ou d'une autre, mais elle lui faisait comprendre, de son côté, que s'il était sérieux, elle ne le suivrait pas. Kara s'était battue pour que chaque individu obtienne le droit de vivre, ce n'était pas pour sacrifier des innocents à la première occasion venue.

De toute façon, le génie restait sur sa première idée. Il tuerait ceux qui l'ont libéré de ce flacon, et personne d'autre. Et il semblait perdre patience. A tel point qu'elle s'étonnait presque qu'il ne se contente pas simplement de les tuer, sans plus de discussion. Leur destin était scellé. A en croire les mots du génie, il n'y avait plus rien à faire pour se tirer de cette affaire. « Si nous te laissons ta liberté, s'il peut te rendre libre dans une autre dimension, tu as tout à y gagner. Nous tuer, ça ne t'apportera rien. Au contraire, tu resteras toujours ici. Coincé. » Tentait-elle de le convaincre. « Dis-nous ce que tu veux, génie. » Et elle qui était convaincue un instant plus tôt qu'ils ne lui devaient rien était prête à entendre ses propositions. Et, d'un regard en coin à cet homme à ses côtés, elle espérait qu'il confirmerait ses propos. Ils feraient tout pour se sortir d'ici. Tout. Sauf tuer.

Les arguments de ces deux malheureux ne convainquaient pas le génie. Il avait décidé de leur sort à l'instant où il avait quitté son flacon et il n'en démordait pas : il allait les tuer tous les deux. Un génie, d'après les souvenirs que Kara avait conservé, devait pourtant obéir aux ordres. Il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas décider d'arrêter. Normalement. Il semblerait cependant que ce génie n'était pas un génie comme les autres. Il avait sa propre volonté et ne voulait pas céder. Elle non plus, n'allait pas céder. Et son compagnon d'aventure non plus, lui semblait-il. Il confirmait les dires de Kara à propos du rôle d'un génie, de la détermination dans la voix. A deux contre un, même sans pouvoirs phénoménaux, peut-être s'en sortiraient-ils ? Ils feraient tout pour, en tout cas.

Ils tentaient donc de convaincre le génie qu'ils pouvaient le libérer, lui donner une réelle liberté, s'il les laissait vivre. La liberté contre la vie. Mais rien ne semblait pouvoir le convaincre. Kaecilius semblait alors avoir une idée. Ils devaient comprendre ce que ce génie désirait pour espérer s'en sortir vivant. Ils ne pouvaient pas se contenter de lui offrir la liberté, il fallait lui offrir ce qu'il voulait vraiment. Lui qui avait été créé pour réaliser les voeux devait aujourd'hui voir l'un des siens se réaliser - et de préférence, pas celui qui concernait leur mort. « Très bien, je vous suis. » Souffla Kara, prête à tout pour s'en sortir vivante - sans renier ce qu'elle était et ses convictions les plus profondes, malgré tout.

L'homme s'intéressa donc aux souhaits de ce génie maléfique pour découvrir ce qu'il désirait réellement, puisque la liberté ne semblait pas être suffisante. « La vengeance pour avoir été enfermé pendant des siècles. » Répondit-il seulement de sa voix qui ne trahissait aucune émotion, si ce n'était une colère profonde. « Rien, jamais, ne pourra vous faire rattraper ces siècles perdus... » Souffla Kara, comprenant que cette vengeance serait impossible à obtenir. Rien ne pourrait lui faire oublier les siècles passés dans ce flacon. « Cependant, grâce à nous, vous avez la chance de mettre fin à ces années d'enfermement... » Ce n'était qu'un souffle, un espoir de lui faire entendre raison, mais son regard, noir et plein de colère, fit comprendre à Kara qu'il était inutile d'aller plus loin. « Dites-nous, au moins, ce que nous devons faire pour que vous obteniez votre vengeance... » Puisqu'il semblait évident qu'ils n’obtiendraient pas leur liberté gratuitement, autant découvrir ce qui était susceptible de le permettre.

Pour prendre ce génie à son propre jeu, il fallait rester calme et se montrer particulièrement rusé. Les choses n'étaient pas aisées. A tout moment, cette créature pouvait décider qu'il en avait suffisamment entendu et mettre fin à leur vie. Il en avait le pouvoir, Kara en était persuadée. Il lui suffisait d'un claquement de doigts. C'était une évidence. Il ne fallait donc pas le mettre en colère.

Comme il ne cessait de le répéter, il ne souhaitait rien d'autre que la vengeance. A quoi bon se venger, pourtant ? En oublierait-il, pour autant, les siècles passés dans la solitude ? La vengeance ne lui apporterait pas de réconfort, ne changerait rien aux siècles passés enfermés ici... Kaecilius matérialisait les pensées de Kara en les formulant de manière claire, elle n'ajoutait donc rien. Tout comme elle, il tentait de le convaincre de faire le bon choix - celui qui était bon pour eux, en tout cas.

Le génie n'en démordait pourtant pas. Il voulait sa vengeance et il voulait leur mort. Dans un souffle, alors, son compagnon d'infortune lui indiquait qu'ils devaient trouver un moyen pour détourner ce désir qui l'animait profondément et lui proposer quelque chose qui le libérerait véritablement. Kara était d'accord sur le principe, mais n'avait pas la moindre idée de ce qui pouvait fonctionner. Ils ne le connaissaient pas suffisamment pour cela. Pour mieux le cerner, l'homme interrogea le génie. Il cherchait à comprendre ses désirs et ses envies. La liberté paraissait être ce qu'il y avait de plus important. Ils le supposaient, tout du moins. Une fois encore, le génie n'avait rien d'autre à la bouche que la mort et la souffrance. C'était ça, la liberté, pour lui.

Son compagnon insistait alors. Kara, en retrait, se contentait d'écouter et d'analyser pour intervenir au bon moment. Kaecilius avait raison. La souffrance avait fait de cet être un être privé de toute raison et de tout désir, en dehors de celui de se venger. Il n'était plus qu'une âme guidée par cette vengeance et plus rien n'importait. Il était donc question de lui montrer que rien n'était jamais perdu, de rallumer cette petite étincelle de vie et d'envie au fond de lui. Plus facile à dire qu'à faire, cependant.

Suite aux propositions de l'homme, le génie restait silencieux. Au moins, il n'avait pas prononcé un non catégorique et direct. Il semblait, au contraire, réfléchir à la proposition faite pour Kaecilius. Kara attendait, sa respiration ralentie, prête à réagir si la situation l'exigeait. Tout semblait en suspens autour d'eux. Tout dépendant de la réponse de cet être. C'était terriblement angoissant comme situation, de savoir sa vie suspendue à une simple réponse et à la décision d'un seul être - et pourtant, ça ne lui était pas totalement inconnu. « J'accepte de vous donner une chance. » Commença-t-il après un interminable silence angoissant. Aussitôt, la jeune femme avait poussé un soupir de soulagement. « Si vous tentez de me piéger, vous mourrez. » Sa voix était catégorique, sa menace était claire. S'ils tentaient quelque chose, alors, ils seraient tués sur le champ, sans procès et sans chance de se défendre. « Ce n'est pas un piège, nous souhaitons sincèrement vous aider. » Expliqua calmement Kara après un nouveau silence du génie - supposant qu'il attendait une réponse.

« Je ne veux plus jamais avoir de maître, je ne veux plus jamais être enfermé. » Il listait ses conditions. Enfin, il commençait, mais c'était déjà une très bonne chose. Ils gagnaient une forme de confiance. Si Kara les comprenait, elle n'avait pas la moindre idée, en revanche, de comment les lui assurer. « Je souhaite être libre. » A son ton, il était évident que la liberté ne se résumait pas à vivre hors de ce flacon après des siècles passé dedans. Il souhaitait une liberté véritable et totale. Kara le comprenait mieux que personne. Peut-être que la solution se trouvait là ? Raconter son histoire pour le convaincre qu'elle était une amie, pas une ennemie ? Lui expliquer qu'elle avait vécu des choses similaires, qu'elle avait aussi cherchées cette liberté qu'il désirait tant ?

Après un court instant à observer son compagnon de mésaventure pour réfléchir, elle s'était éclairci la voix, elle s'était donné du courage et elle avait répondu : « Je peux vous assurer que je vous comprends mieux que personne. Cette liberté que vous espérez, cette vie sans maître, je l'ai recherchée moi aussi. J'ai dû me battre, mais j'ai fini par la trouver. Vous la trouverez, vous aussi. » Elle n'avait pas développé son histoire, mais elle espérait faire comprendre à cette créature qu'elle le comprenait réellement, qu'il ne s'agissait pas seulement de beaux mots sortis au bon moment pour le convaincre de leur faire confiance.

Peut-être que s'ils étaient là tous les trois, ce n'était pas juste un hasard. Peut-être qu'il y avait quelque chose de plus important, de plus profond, quelque chose à comprendre et à découvrir ? Peut-être qu'ils étaient censés s'apporter quelque chose, tous les trois ? Quelque chose au-delà de la liberté et de la survie. Bien que très différentes, leurs histoires semblaient se rejoindre sur bien des points et, notamment, cette quête de liberté. A son tour, Kaecilius tentait donc d'en convaincre le génie - qui commençait déjà à bien l'être, ils n'avaient plus qu'à continuer sur cette voie et ils vivraient.

L'homme lui proposait donc de devenir le seul maître de son avenir, de trouver ce qu'il voulait et de le faire. Il n'y aurait plus de maître, plus de devoir, plus de privation. Juste la liberté. La vraie liberté. Pas seulement celle qui lui permettrait de sortir de ce flacon, mais bien celle qui lui permettrait d'être maître de lui-même, en toute circonstance. Pour lui prouver qu'il voulait vraiment l'aider et qu'une certaine forme de confiance naissait entre eux - peut-être - Kaecilius tentait même de s'approcher du génie, d'un pas lent et mesuré. Il prenait le temps de détailler l'aide qu'ils pourraient lui apporter, bien au-delà d'une simple libération physique. Ils pouvaient lui apporter de l'aide pour décider de son avenir et de son destin. Pour trouver son chemin. A lui. Celui qui lui correspondait.

Kara, de son côté, restait silencieuse et laissait son interlocuteur faire sa part de travail. Il n'était pas question de tout gâcher par des mots malheureux, en interrompant une conversation qui semblait faire son effet. Mieux valait être prudents et attendre son tour pour parler. Kaecilius tentait de passer une sorte de pacte avec lui. La liberté absolue en échange d'une promesse : celle de ne pas devenir le maître du chaos et de la destruction. Il était évidemment tentant de croire en chacune de ses paroles, même pour Kara. Reconstruire le monde. En mieux. Le guérir. Comment ne pas avoir envie d'essayer ? D'y croire ? Comment ne pas avoir envie d'espérer que cet événement ne soit pas simplement un mauvais tour de la ville, mais bien le début de quelque chose de plus grand ? De merveilleux ?

Quand Kaecilius s'était tournée vers Kara pour chercher confirmation, cette dernière s'était contentée d'un signe de tête pour confirmer l'ensemble de ses paroles et de ses promesses. Elle était d'accord avec tout et prête à accepter toutes les conditions dictées par l'homme, puisque rien n'allait contre ses principes et ses valeurs. « Libérez-moi de cette prison pour commencer. » Commença par dire le génie, avant toute autre chose, après la confirmation de la jeune femme. « Et j'accepterai votre pacte. Vous resterez en vie et je ne ferai que le bien autour de moi, si vous respectez votre part du marché. » Kara souriait, heureuse de l'entendre. Soulagée, aussi. Avaient-ils enfin réussi à le raisonner ? Avaient-ils vraiment réussi à se mettre tous les trois d'accord sur les conditions de leur accord ? « Mais j'ai une condition... » A ces mots, Kara avait craint le pire. Après les avoir menacés de mort, il pouvait bien avoir n'importe quel genre de condition, n'est-ce pas ? Elle avait donc le droit de s'attendre au pire. « Je veux que vous me racontiez votre histoire. Sans rien omettre. Ainsi, vous me prouverez votre confiance. » Lui faire confiance au point de se livrer et de livrer ses pires secrets, les plus dangereux ou ceux qui les dévoilaient entièrement, avec leurs pires faiblesses ? Ce qu'il voulait, elle en était sûre, c'était entendre en quoi ils étaient semblables tous les trois, dans cette quête de liberté. Quelque part, elle le comprenait. « Je vous laisse commencer, si vous le voulez bien ? » Disait-elle en s'adressant à son compagnon de mésaventure, tout en venant s'installer sur le sol - se raconter sa vie installés ainsi donnerait certainement l'impression au génie d'une confiance plus grande encore puisqu'ils étaient en position de faiblesse, incapables de fuir facilement, mais c'était voulu. Quant au fait de ne pas être la première à se lancer... Elle avait besoin de temps pour s'y préparer - et elle avait conscience que c'était peut-être également le cas pour son camarade.

Il était temps de se lancer. Il le fallait. Kara avait la chance de bénéficier de quelques minutes supplémentaires pour se préparer, mais l'heure était venue pour Kaecilius. Pour respecter toutes les conditions du Génie, il fallait raconter son passé. Et il le faisait. Kara écoutait attentivement les informations qu'il donnait, comprenant que ce type de confidence n'était pas forcément simple à faire et qu'il fallait avoir un certain courage - courage qu'elle espérait trouver elle-même dans peu de temps.

Kaecilius racontait donc celui qu'il avait été, autrefois. Un homme qui avait cru, un homme qui avait tenté de s'élever, un homme qui avait cherché à comprendre... jusqu'au point de tout perdre. Tout perdre... Comme ce devait être horrible. Perdre ceux que l'on aimait et sa vie, perdre ses habitudes et ses rêves. Quelque part, même si l'histoire de Kara était différente, elle le comprenait. Elle comprenait la douleur que l'on ressentait face à une perte. Et elle ressentait cette douleur à travers sa voix. Cependant, il y avait une sorte de point positif derrière tout ça, une sorte de leçon à tirer. Il avait appris de ses erreurs, il avait appris la liberté. Une forme de liberté poussée à l'extrême, non pas seulement pour lui, mais aussi pour ce monde. Une liberté qu'il voulait offrir à ce génie pour en faire son égal. La liberté dont chacun devait rêver au plus profond de lui-même - et dont certains n'osaient peut-être même pas rêver. Une liberté que l'on devait prendre, saisir, choisir. Une liberté qui avait eu un coût pour Kaecilius, un coût que Kara comprenait, un coût qui lui brisait le coeur pour cet inconnu. Il lui parlait de la vraie liberté.

Kara restait silencieuse et immobile, tant face à toutes ces révélations que face aux gestes de l'homme qui se rapprochait du génie. Kaecilius avait fait ses révélations, ses aveux. Il avait offert son passé au génie pour lui prouver sa confiance, pour lui prouver qu'il en était digne et qu'il était sincère. Et, désormais, c'était à son tour. A elle de se raconter, à elle de faire part de son passé. De révéler ses faiblesses, ses erreurs et ses souffrances. Ce n'était pas facile, mais c'était la condition. Alors si Kaecilius l'avait fait, elle devait le faire également. « Si aujourd'hui je suis un être humain, ça n'a pas toujours été le cas... » Puisqu'il fallait commencer quelque part, autant commencer par-là. « Je suis - ou j'étais, plutôt - une androïde créée pour servir les humains, pour entretenir une maison ou pour s'occuper des enfants. Je n'ai pas été créée pour ressentir quoi que ce soit ou pour être libre. » Son programme n'était pas fait pour ça, la liberté n'était pas un concept que l'on avait programmé chez elle, et pourtant...  « J'étais au service d'un homme qui avait une fille, Alice. J'ignore comment ou pourquoi, parce que j'aurais dû rester insensible, incapable d'éprouver quoi que ce soit, mais lorsqu'il s'en est pris à elle, je me suis libérée de mes chaines, j'ai brisé ma programmation et je suis devenue ce qu'ils appelaient une déviante. » Il y avait eu bon nombre d'événements, mais elle ne pouvait pas tout raconter dans le détail, alors elle se contentait des grandes lignes.

« Il voulait s'en prendre à elle, je l'ai défendue et je l'ai tué. » Ce n'était pas un aveu à faire à la légère, mais elle avait promis à ce génie de ne pas mentir et de lui prouver qu'elle comprenait son désir de liberté. « J'ai dû fuir avec Alice, j'étais pourchassée parce que j'étais devenue une meurtrière et une déviante... Ils pourchassaient tous les déviants pour les détruire. Nous n'avions pas le droit de ressentir ou d'aimer, pourtant j'aimais Alice comme ma propre fille et je ressentais ce besoin de la protéger, quoi qu'il m'en coûte. Et je voulais qu'on soit libres. Libres d'aimer et de vivre notre vie. D'autres androïdes se sont soulevés à la même période pour réclamer la même chose. » Ils n'avaient jamais rien voulu d'autres qu'avoir le droit d'exister librement et de ne plus simplement être les esclaves de l'humanité. « Je n'ai pas participé à cette révolution des androïdes parce que je ne voulais que protéger ma fille, je l'ai emmenée loin de la guerre qui se préparait, alors peut-être que je ne méritais pas vraiment cette liberté, mais, au moins, je lui ai offert une chance d'être libre et heureuse. » Parce qu'après tout, Alice aussi était une androïde - longue histoire qu'elle n'allait pas raconter - et méritait cette liberté. « Et je suis arrivée dans ce nouveau monde, humaine, avec toutes les émotions qui accompagnaient cette humanité et, surtout, avec le droit d'être enfin libre. » Elle n'était plus pourchassée. Ce n'était pas simple parce qu'elle n'avait plus Alice, mais elle avait obtenu la liberté et n'avait pas perdu espoir de retrouver son enfant un jour ou l'autre.

Kara avait, à son tour, raconté son histoire et s'était approchée du génie. Il n'y avait plus qu'à attendre de savoir si le génie lui accordait sa confiance, désormais. S'il jugeait qu'elle avait rempli sa part du contrat. S'il jugeait qu'elle le comprenait et qu'il pouvait lui faire entièrement confiance pour le libérer et obtenir ce qu'il désirait tant.

Kara avait fait part de son histoire, de sa quête de liberté, du changement profond qui s'était opéré en elle lorsqu'elle avait découvert la signification du mot aimer. Aimer Alice l'avait libérée de ses chaînes et lui avait permis de découvrir la liberté. Cette quête l'avait obligée à dépasser ses limites, les limites de ce qu'elle avait été programmée à faire ou ressentir, mais elle lui avait offert le plus beau des cadeaux. Le droit d'aimer, de choisir, de souffrir, de douter... Le droit d'être humaine.

A l'instant où elle avait terminé de conter son histoire, elle n'avait plus rien ajouté. Elle laissait le silence s'installer et l'occasion à l'homme ou au génie de parler. L'homme avait été le premier à reprendre la parole. Il parlait de cette liberté, durement acquise, de la lutte qu'elle représentait dans une vie, de la difficulté pour l'obtenir... Oui, il la comprenait. Il suffisait de le regarder dans les yeux pour le comprendre. Il la comprenait parce qu'il avait partagé une quête semblable. Différente, mais qui conduisait à un même but. Et, dans son histoire, il voyait l'espoir, la lumière.

Une histoire qui pouvait, comme celle de Kaecilius, inspirer le génie, lui faire comprendre qu'ils avaient été comme lui à un moment de leur vie et que, comme eux, il méritait d'obtenir la liberté désirée. Il lui proposait plus que cette lutte, il lui proposait leur amitié, une alliance. Kara confirmait silencieusement par un signe de la tête. Elle ne l'interrompait pas, elle l'écoutait. Elle sentait qu'il avait ce pouvoir de convaincre, elle sentait sa sincérité et elle ne voyait pas l'intérêt d'intervenir pour ne rien dire d'essentiel.

Kaecilius donnait de l'espoir. Par ses mots, il persuadait le Génie qu'obtenir sa liberté était possible. Ensemble, en s'entraidant, rien n'était impossible. Ensemble, ils semblaient pouvoir faire de grandes choses, rêver à ce qu'ils voulaient. Ils n'avaient peut-être pas été réunis par hasard, après tout. Face aux mots de Kaecilius, Kara se contentait de le remercier d'un signe de tête. Dans son monde, beaucoup avaient préféré voir l'imprudence de cette quête plus que tout autre chose, mais elle avait fini par être inspirée elle-même par les autres androïdes qui se libéraient les uns après les autres. Elle avait débuté seule, mais elle avait fini par comprendre qu'elle n'était pas seule en recherche de liberté. « Je n'aurais pas su dire mieux. Vous avez trouvé les mots justes. » Souffla-t-elle en lui souriant sincèrement. Kara avait l'impression qu'il la comprenait mieux que quiconque et c'était un sentiment agréable. « Génie, nous t'avons raconté nos histoires et je suis persuadée que nous n'avons pas été réunis par hasard. Nous sommes tous les trois en quête de liberté, nous cherchons tous les trois à obtenir le droit d'être ce que nous voulons être... » Comme l'avait dit Kaecilius, ils voulaient que leur vie soit guidée par le choix et non par les attentes des autres envers eux. « Quelque chose ou quelqu'un a voulu que nous nous rencontrions aujourd'hui et il y a une raison à ça. » Kara n'avait jamais cru en quelque chose de particulier, en un dieu ou en un destin, mais il y avait parfois des événements qui laissaient penser qu'il existait plus que le simple hasard.

Kara ne savait pas si elle devait continuer. Le Génie semblait en pleine réflexion. Particulièrement silencieux, il semblait imaginer les possibilités infinies de cette liberté que les deux compagnons d'aventures essayaient de lui montrer. Après un court silence, il avait finalement repris : « Vos histoires me prouvent que nous cherchons la même chose et que vous pouvez m'apporter beaucoup. » Kara était plus que soulagée de l'entendre prononcer ces mots. Ainsi, leur courage et leur sincérité l'avaient convaincu. « Vous aurez la vie sauve. » Cette information aussi était particulièrement agréable et rassurante à entendre. « Trouvez un moyen de me libérer de ce flacon pour que jamais plus je ne doive y retourner et nous pourrons commencer à penser cet avenir. » Pour qu'il soit totalement libre, ils devaient le libérer de cette prison dans laquelle on pouvait le contraindre à retourner, évidemment. Cependant, comment pouvait-on libérer un Génie de sa prison ? Kara l'ignorait et doutait franchement de trouver un quelconque mode d'emploi pour les y aider.

A travers cette épreuve, Kara comprenait à quel point la quête de liberté, celle qu'elle avait cherchée elle-même, était importante. Elle comprenait qu'elle n'était pas seule. Elle comprenait qu'elle pouvait exister de bien des façons. Elle comprenait, surtout, l'importance pour chacun d'être libre. De ses choix. De ses décisions. De sa vie. Bien sûr, elle en avait toujours eu conscience, mais désormais les choses lui apparaissaient comme encore plus... Claires ? Certaines ? Et elle était plus déterminée que jamais à l'offrir à chaque créature qui souhaitait l'obtenir.

Face aux horreurs qu'ils avaient connues, face aux difficultés, ils étaient ressortis plus forts et mieux armés. Grâce à tout cela, ils avaient pu trouver les armes nécessaires à leur liberté et ils l'avaient gagnée. Ils étaient devenus plus forts. Et, surtout, ils avaient gagné la plus belle des récompenses : le choix.

Leurs histoires respectives, leurs combats, semblaient avoir convaincu le Génie. Cette créature qui lui paraissait monstrueuse et effrayante quelques minutes auparavant lui paraissait désormais presque aussi humaine qu'elle. Qu'eux. Kaecilius achevait ainsi de le convaincre, lui promettant la liberté, la vraie, celle qu'il avait toujours recherchée. Il lui promettait de se battre pour lui, de lui offrir ce cadeau. Kara, toujours silencieuse, se contentait d'acquiescer. Elle n'abandonnerait pas. Elle lui offrirait ce cadeau parce que chaque être le méritait plus qu'aucune autre chose. Ce ne serait pas un chemin facile, mais ce serait un chemin qu'ils parcourraient tous ensemble, tous les trois. C'était une sorte de promesse qu'ils venaient de se faire. Une promesse qui les lierait à tout jamais tous les trois. Kara, en tout cas, voulait y croire.

Le problème résidait dans la première étape. Comment libérer le Génie de sa prison physique ? De ce flacon ? Face à son absence de réponse aux questions de Kaecilius, il était facile de deviner qu'il n'en savait strictement rien. Non, il n'en savait rien. Il n'en savait rien, mais Kara refusait d'abandonner, de le laisser là. Et le Génie ne le permettrait pas, de toutes façons. Les belles paroles prononcées, les promesses qui avaient été faites, Kara ne voulait pas en faire des mensonges, ne voulait pas qu'il ne s'agisse que de vent. Elle voulait honorer ses promesses, elle voulait être quelqu'un de bien et bien agir. Elle voulait mériter cette liberté, cette humanité. Elle voulait être plus humaine que les humains eux-mêmes.

Cependant, les choses apparaissaient compliquées. Personne ne savait comment libérer ce Génie. Kaecilius le confessait même clairement en se tournant vers Kara. Cette dernière hésita un instant, fouillant dans sa mémoire - et elle regrettait de ne plus être cette androïde capable de stocker des centaines d'histoires ou pouvant avoir accès à une base de données. « Je n'ai jamais eu à le faire auparavant, moi non plus. » Affirma-t-elle avec franchise. Autant dire la vérité, cela faciliterait les choses pour toujours. « Mais nous allons trouver. » Promit-elle au Génie en lui lançant un regard plein de certitudes et de promesses. « Dans certaines histoires, il me semble qu'un voeu permet de libérer un Génie. Je crois que... Je crois que si son propriétaire le souhaite réellement, il a la possibilité de le libérer de sa prison. » Mais était-ce le cas pour ce Génie ? Son souvenir était-il exact ? Ce n'était que des fragments, des restes d'une mémoire impossible à conserver pour un être humain... « Peut-être pouvons-nous détruire ce flacon également... Mais je ne sais pas si cela peut fonctionner... » A vrai dire, elle était aussi perdue que le Génie et que l'homme. Elle n'avait pas la réponse à cette épineuse question. « En dehors de ces deux solutions... Je n'ai rien à proposer. » Pour l'instant. Si rien ne fonctionnait, elle n'abandonnerait pas. Elle trouverait autre chose. Elle chercherait jusqu'à trouver la bonne réponse à leur question.