Quand Jaden m'interpella, je fus surpris de le trouver si engagé dans les activités de notre colocation, lui qui semblait toujours ailleurs, conversant avec des entités que seuls ses yeux pouvaient percevoir. Chance et moi avions appris à apprécier sa compagnie, aussi énigmatique qu'elle puisse paraître. Sa curiosité pour les émissions que Chance regardait me fit sourire, un sourire qui se voulait un pont entre nos mondes si différents.

« Bonjour Jaden, » , répondis-je, m'avançant vers le salon où il était installé. L'humidité de l'air et le grondement lointain du tonnerre me rappelaient les orages soudains de Florence, ma ville natale. Je m'assis à ses côtés, posant un regard amusé sur l'écran. « "L'amour est dans le pré" ? C’est… un concept… comment dire ? »

Je me tournai vers lui, une lueur de malice dans les yeux. « Tu cherches à comprendre l'intérêt de Chance pour ces émissions, n'est-ce pas ? Laisse-moi te dire, mon ami, que parfois, les passions des hommes sont aussi mystérieuses que les ombres qui se cachent dans la nuit. Peut-être y trouve-t-elle un écho de la simplicité ? »

Pharaon, le chat au pelage sombre, semblait observer notre conversation depuis son perchoir sur le canapé. Son indifférence feinte ne trompait personne ; je savais que les animaux, tout comme les hommes, cherchaient leur place dans le tumulte de ce monde.
« Chaque personne que tu rencontres porte en elle un univers entier, Jaden. Peut-être que pour Chance, ces histoires de cœur et de terre lui rappellent que, malgré tout, l'humanité partage un désir commun de connexion, d'amour, et de terre sous leurs pieds… »
Mais j’avais du mal à saisir l’intérêt.

Je me levai, allant chercher deux verres et une bouteille de vin, un geste d'hospitalité que j'avais appris à apprécier au fil du temps. « Peut-être qu'ensemble, nous pourrions déchiffrer le mystère de ces émissions que regarde Chance… mais j’ai besoin d’un peu de vin pour pouvoir regarder ça… »

Alors que la pluie tambourinait contre les vitres, créant une mélodie apaisante, j'espérais que cette soirée serait l'occasion pour nous de tisser des liens plus forts, de partager nos histoires et nos mystères. Après tout, n'était-ce pas la raison pour laquelle le destin nous avait réunis dans cette colocation, dans cette vie ?

« Je n’ai aucune idée de ce qui peut bien se passer dans la tête de Chance… parfois, je dois avouer que je suis un peu déconcerté…»
Par sa façon d’être qui était loin de celle que j’avais pu observer chez les jeunes femmes florentines de mon époque… mais aussi par la diversité de ses compétences et de ses centres d’intérêt.

Je hochai la tête, absorbant ses mots, puis me levai pour aller chercher une bouteille de vin et des verres. Revenant, je versai le vin avec un geste fluide, une habitude de mes années passées, et en offris un verre à Jaden.

Sa réponse me fit rire doucement, appréciant sa sincérité et son ouverture à l'expérience.  « Est-ce que l'idée d’en boire un peu te semble aussi étrange que ces émissions télévisées ? » Le vin en cuisine… c’était une pratique que je n’avais pas eu souvent l’occasion de découvrir, à mon époque, mais j’avais goûté à cela ici. Certains mettaient même de la bière dans certaines préparations… La cuisine avait beaucoup changé par rapport à ce que j’avais connu jadis, mais je n’étais pas contre les découvertes de ce genre.

« Il faudrait un jour que je vous prépare un vrai plat de chez moi. » Pas juste des pâtes, on en mangeait régulièrement, mais j’avais quelques recettes qui devaient être facilement faisables, même avec des ingrédients modernes. « Non, en fait, on devrait instaurer ça et cuisiner chacun son tour, une fois par semaine, par exemple, un truc bien de chez nous, pour le faire découvrir aux autres. »

Une idée intéressante. J’étais sûr que Leonard aurait aimé ce principe. Je ne savais pas grand-chose des compétences culinaires des autres, mais Chance, avec son foodtruck trouvait souvent une manière ou une autre de nous faire goûter ses inventions, avant de les vendre. On était de braves cobayes, dans ce sens.

Je levai mon verre de vin à hauteur de mon visage pour trinquer avec Jaden.
« A ta santé, Jaden ! »
En travaillant dans un bar à cocktail, il était sûrement habitué à trinquer, avec des collègues, avec des clients… C’était un métier social, en quelque sorte. Pas comme moi qui travaillais ici dans des domaines liés aux renseignements… je passais énormément de temps à analyser des données pour essayer d’y trouver des choses anormales ou louches, pour alimenter mes interrogations et mes recherches.

Quand je levai mon verre pour trinquer avec Jaden, une légère perplexité se dessina sur son visage, ajoutant une teinte d'étrangeté à son expression déjà compliquée par les multiples facettes de son être. Moi qui étaits accoutumé aux masques des courtisans et aux visages figés des conspirateurs, je discernais aisément les nuances subtiles d'une âme tourmentée. J'observai attentivement Jaden tandis qu'il prenait une gorgée de vin, et je remarquai immédiatement un changement soudain dans son regard, comme si une lumière intérieure venait de s'allumer.
Son murmure d’excuse me fit poser doucement mon verre sur la table, mon regard fixé sur le sien, cherchant à comprendre l’invisible.
« Non, mon ami, n'excuse pas ce qui te rend plus vivant. Ces moments imprévus sont souvent ceux où notre vérité se dévoile. Parle-moi de ce que tu ressens, Jaden. »

Je hochai la tête, un sourire de compréhension éclairant mon visage, bien que j’ignorasse ce dont il s’agissait dans le cas de Jaden.
« Qui est Yubel ? » Il avait prononcé ce nom sur un ton interrogateur, ce qui était une forme de piste que tout Assassin n’aurait pu que relever, comme je le faisais moi-même.

Je fixai Jaden, capturant chaque infime détail de son changement. Sa confusion se mua en un éclair de reconnaissance, presque une renaissance dans ses yeux, qui maintenant scintillaient sous l'effet d'une émotion profonde.
Alors que le silence retomba entre nous, je remplis nos verres, permettant à Jaden de rassembler ses pensées. Le vin, symbole de partage et de communion, me rappelait les dîners longs et chargés de discussions que nous avions à Florence, où chaque rencontre était une opportunité d'apprendre et de se découvrir.

Je le regardai attentivement, notant chaque nuance de son expression. Sa réponse pourrait révéler bien plus sur son monde intérieur, un monde que j'étais désireux de comprendre. À Florence, nous disions souvent que chaque personne est un livre ouvert si l'on sait comment tourner les pages. Jaden était un mystère, mais aussi une promesse d'histoires non racontées.
En attendant sa réponse, je me levai brièvement pour ajouter un peu de fromage et de pain à notre table, des mets simples pour accompagner le vin.

« Tes yeux ont changé. Et toi aussi, il me semble. » Ma vision d’aigle me permettait de percevoir des détails que d’autres n’auraient peut-être pas repérés comme je le faisais. « Tu m’expliques ? »

Oh, je pouvais mener ma propre enquête, mais pas au sujet de mes colocataires. Je respectais ces personnes et leur intimité, même si certains de leurs comportements m’échappaient. Et ils me respectaient, eux aussi. Nous avions trouvé une sorte d’équilibre assez stable, même si c’était un peu compliqué parfois, vu comme nous étions tous très différents, venant de mondes vraiment variés et ayant vécu des choses diverses qui n’avaient rien en commun les unes avec les autres…