Lay 'n' pray || ft. Lincoln Kom Trikru

e Malekaï était une structure à la fois pratique, accessible et incontournable en ville. Je m’y rendais régulièrement dans l’optique de rester en forme et de continuer à m’entrainer. Il était hors de question que mon âge soit un prétexte pour devenir casanier et fainéant. Ce n’était pas mon genre du tout.
Alors je venais ici. Plusieurs fois par semaine, pour pouvoir aussi bien m'entretenir que pour continuer à apprendre des nouvelles techniques. J'aimais apprendre de nouvelles techniques, ça m'avait toujours plu... Et c'était parfois surprenant de pouvoir ensuite les utiliser en situation réelle.

Depuis quelque temps, quand je m'essayais aux arts martiaux mixtes, je me retrouvais régulièrement avec le même homme. Lincoln. Un excellent partenaire d'entrainement, aussi réactif que puissant, aussi endurant qu'imaginatif... Autant dire que c'était vite devenu mon partenaire préféré pour le MMA. Et il me semblait qu'il appréciait partager ça avec moi.
J'avais toujours eu une bonne endurance et recevoir les coups ne m'avait jamais fait peur. J'encaissais plutôt bien et je pouvais rendre les coups aussi bien.

Dans la salle d'entrainement, les tatamis sur le sol évitaient qu'on se casse quelque chose en chutant trop brutalement. Je n'avais pas peur de ça, j'avais survécu à bien pire que des côtes cassées ou ce genre de choses. Quand Jazmin m'avait récupéré, il n'aurait pas manqué grand-chose pour que ce soient mes derniers instants, Blut m'avait salement amoché... et j'en portais de nombreuses cicatrices en tous genres... mais Lincoln avait la décence de ne pas poser de questions sur cela.
Une pudeur que j'appréciais. De mon côté, je faisais de même. Je n'allais pas interroger l'homme sur son passé. Mais je n'avais jamais été très curieux non plus, il était important pour moi de rester en dehors de bien des situations.

Aujourd'hui, vers 18h, quand j'arrivais, il était déjà là. Nous ne parlions jamais beaucoup de nos journées respectives, nous échangions juste quelques mots, mais c'était suffisant.

« Hello Lincoln. Tu vas bien ? »
Il devait avoir vingt ans de moins que moi, au moins, mais j'étais sûrement un partenaire correct pour lui, sinon, nous n'aurions sans doute pas ce lien, lui et moi.
D'ailleurs, c'en était au point où, après une journée un peu plus rude, j'avais pris l'habitude de passer mes nerfs dans des combats. Et il en allait de même pour lui, du moins, c'était ce qu'il me semblait.

« J'ai rencontré un emmerdeur récemment. J'ai eu envie de lui éclater la tête après quelques minutes seulement. »
Walter Graham m'avait énervé. Vraiment. Il ne m'aurait pas fallu grand-chose pour passer à l'acte. Mais j'avais tenu bon. Cela dit, ça ne m'empêchait pas d'avoir encore un peu de haine en moi.

e n’avais jamais été le genre de type à se faire facilement des amis. Peut-être parce qu’il était compliqué pour moi de pouvoir trouver des sujets de conversations « normaux » ou peut-être parce que j’avais du mal à imaginer m’attacher à qui que ce soit. J’avais très peu de vraies relations de confiance, en réalité, mais je préférais compter mes amis sur les doigts d’une main. C’était amplement suffisant.

Pourtant, venir dans la salle de sport et fréquenter ici des gens qui avaient envie et besoin de s’entretenir, ça me convenait. On parlait peu, on tapait bien. C’était précisément ce que je trouvais bien dans un lieu comme celui-ci.
Chacun y avait ses petites habitudes, mais ce qui était le plus intéressant pour moi, c’était l’espace où nous pouvions faire de la boxe, de la lutte, du krav maga… bref, toutes sortes de sports de combat. Mon partenaire habituel était un grand costaud, plus jeune que moi, toujours prêt à en découdre. C’était sans doute ce que j’appréciais le plus chez lui.

« On peut dire que ça va… » Je n’entrais jamais dans les détails. Et quand on m’interrogeait un peu plus, je parlais du boulot au funérarium.
Pourtant, je devais tout de même reconnaître que la dernière mission qui m’avait été confiée, en partenariat avec un mercenaire d’un autre temps, m’avait laissé une drôle d’impression. J’avais navigué entre des émotions contradictoires et étonnamment fortes. Cet acolyte m’avait énervé dès le départ. Je n’y étais pas habitué.

« Et réciproquement, j’espère. » Je ne m’attendais pas à ce que Lincoln retienne ses coups. C’était hors de question. Lui et moi nous nous lâchions complètement quand nous nous combattions. C’était comme ça qu’on progressait, non ? Je n’étais pas sûr que l’on soit là dans un objectif de progression, mais plutôt, peut-être, vraiment d’entretien. Un adversaire comme lui, cela me poussait à me dépasser, à donner le meilleur de moi-même… et c’était ce qui comptait.

Torse nu, face à lui, mes cicatrices exposées comme à chacun de nos affrontements, je me mis en garde en serrant les poings devant moi.

« Toujours. Et toi ? » Notre conversation n’en était pas une et c’était parfait comme ça. Il nous était déjà arrivé de prendre un verre ensemble après une session d’entrainement, mais nous étions tous deux des hommes discrets, alors nous n’avions jamais rien révélé de plus que le strict nécessaire.
C’était peut-être pour cela qu’il m’était sympathique. De mon œil unique, je scrutais les mouvements, les possibles crispations de ses muscles saillants. J’essayais d’anticiper comme l’aurait fait toute personne dotée de ses deux yeux. Moi, avec un, je tâchais de me débrouillais, en me concentrant parfois surtout sur mon ouïe et mon instinct.

Lincoln savait que j’avais perdu un œil dans des circonstances qui m’avaient poussé à vouloir être toujours prêt à me battre et à défendre ma peau, mais c’était tout. Jamais je n’avais ébruité quoi que ce soit et les bruits de couloir qu’on pouvait entendre au Malekaï à mon sujet, je m’en foutais royalement.

’aimais ces moments, parce qu’on pouvait à la fois se défouler et se détendre. C’était un truc très simple, en fait : évacuer un maximum de colère et de frustration, exploser les quotas d’adrénaline et se retrouver, après un combat, aussi crevé que déglingué, mais avec une importante sensation de mieux-être.
Lincoln était un très bon partenaire, parce qu’il n’était pas nécessaire de parler, avec lui. Nous pouvions dire que lui et moi partagions quelques points communs, à commencer par notre rage au combat, puis nos cicatrices (de véritables vestiges que l’on exposait sans forcément vouloir le faire, mais ils étaient là, ils couvraient mon corps comme le sien). Nos échanges étaient brutaux, nous n’avions pas toujours en tête le respect des conventions, mais nous ne retenions jamais nos coups.

On en était à se toiser, avant de frapper le premier coup.
Et puis, le combat fut lancé. Peu importait qui frappait le premier, nous nous foutions pas mal de ça, ce qui comptait, c’était ce qu’on en retirerait de positif. Tous les coups étaient permis, bien que nous ayons tous les deux la décence de ne pas viser les parties intimes. Je prenais rarement la peine de porter une coquille, une gouttière de protection pour les dents ou ce genre de connerie.
Saigner, se prendre des coups mal placés et en donner du même genre. Comme on disait toujours : il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir… Je ne pouvais pas penser autrement. Je me pris un bon coup de poing dans l’estomac, le genre qui fait expulser d’un coup l’air contenu dans les poumons et qui donne juste envie de rendre la pareille. Je lui donnais l’un ou l’autre coup bien placé aussi, puis Lincoln usa du geste destiné à faire une petite pause.

Je boirais bien un peu d’eau fraîche. « Je trouve aussi… » J’étais couvert de sueur, mon corps luisait et j’attrapais une serviette éponge sur le côté pour m’éponger un peu, puis je pris ma bouteille d’eau pour en avaler quelques gorgées.

« T’as aussi parfois envie de cogner sur des types que tu croises et qui te gonflent ? » Je posais la question d’une façon innocente, mais je n’étais pas du genre à parler pour ne rien dire.
Je pensais à ce petit, Walter Graham, qui était venu m’emmerder à la morgue et puis au funérarium. Chaque fois que je le croisais, j’avais envie de le plaquer contre un mur et de faire en sorte qu’il se taise. J’avais un peu de mal à cerner pourquoi ce jeune m’horripilait à ce point, mais il était clair que je n’avais jamais eu ce genre de pulsion violente sans raison. « Une sorte de collègue, j'ai envie de le défoncer. »

Je n'en avais jamais parlé à personne, tout simplement parce que ce n'était pas vraiment mon mode opératoire. Mais justement, avoir un avis un peu "extérieur", ça pouvait peut-être être intéressant.
Je reposais ma bouteille d'eau, après en avoir bu la moitié. Je m'enfilais toujours près de deux litres d'eau par jour, alors, forcément, après des efforts physiques, le besoin d'hydratation était fort.