Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux [PV Sarah Crewe]

Quand on proposait le service de fabriquer des bâtisses en bois, certaines personnes en profitaient pour demander des abris de jardin et d'autres, des espaces de jeux pour enfants. Il avait même reçu des demandes pour bâtir tout un espace avec des tonnelles et un petit pont en bois sur une mare chez de riches propriétaires. Mais d'autres étaient plus originaux dans leur demande. Paul était certain qu'il n'avait pas encore expérimenté toute l'originalité que les gens pouvaient avoir dans leurs demandes. Il se demandait bien ce que l'avenir lui réservait. Il en était un peu curieux, même si l'avenir dans cette ville était un mot un peu complexe à évaluer.

Le client d'aujourd'hui lui avait demandé de construire une maison pour les oiseaux. Mais il ne s'agissait pas d'un simple nichoir. Cela, il aurait pu le faire lui-même. Ce que le client voulait, c'était un espace devant chez lui dans lequel il pourrait aménager plein de choses pour les oiseaux avec des mangeoires, des perchoirs et même des petits nids, mais ouverts pour que les oiseaux puissent entrer et sortir comme bon leur chantait. Il était persuadé que c'était un moyen efficace pour pouvoir admirer les oiseaux de la ville sans risquer de leur faire du mal.

Si Paul avait trouvé l'idée originale, il avait également été touché par la bienveillance et la douceur de son client qui utilisait son argent pour des fantaisies de ce genre, plutôt que pour s'acheter des choses à lui-même. Cet homme avait tellement touché Paul qu'il s'était promis d’effectuer le travail le plus propre et le plus engageant possible afin d'offrir un lieu de vie particulièrement agréable aux oiseaux qui peuplait ce monde et un espace privilégié pour matérialiser les rêves de cet homme si généreux. C’était le genre de travail qui lui faisait plaisir en même temps qu'il était rémunérateur.

Dans le jardin qui donnait sur la route, Paul était donc en train de dresser les bases de la structure et était en train de donner des coups de marteau, afin de clouer les panneaux latéraux à celui qui allait se trouver être le fond de l'espace dédié aux oiseaux. Il était très concentré sur son travail et ne regardait pas ce qui se passait sur la route. Il n'y avait de toute façon généralement pas beaucoup de monde à cet endroit en dehors des personnes qui y résidaient et de ceux qui leur rendaient visite. Paul n'avait de craintes à avoir ni des uns ni des autres.

Quand il était dans un travail, Paul remarquait généralement très peu les personnes autour de lui. Il était extrêmement concentré sur son travail et passait le plus clair de son temps à cette tâche sans s'occuper de ce qu'il y avait autour. Cela expliquait qu'il n'ait pas eu conscience de la présence de la fillette qui l'observait avant que celle-ci n'ouvre la bouche. Il fut même surpris à ce moment-là de découvrir une enfant à côté de lui. Il œuvrait pourtant dans un jardin qui donnait directement sur la rue et il était donc logique que l'on puisse l’observer. Mais il n'y songeait pas avant de voir la jeune fille.

Paul avait toujours aimé les enfants et s'était toujours montré bienveillant à leur égard. La plupart du temps, les fillettes lui rappelaient la petite Pauline de qui il était le parrain. Avant de choisir de former une entreprise, il avait même envisagé d'enseigner. Mais quelque chose l'avait poussé à ne pas choisir cette voie. Il avait envisagé que ce soit la ville, maintenant qu'il savait que l'une de ses amies travaillait souvent avec des enfants. Quelque chose choisissait qui vous retrouviez et le moment n'était pas venu trois ans auparavant qu'il retrouve Camille qui avait fondé l'orphelinat.

« Bonjour, toi », dit-il gentiment à la petite Sarah. « Excuse-moi, je ne t'avais pas vue. C’est que j'étais concentré sur mon travail. Je construis des choses en bois pour les gens. C’est mon métier. Et le monsieur qui vit ici veut que je construise un gigantesque espace pour que les oiseaux sauvages puissent venir nicher en toute liberté. Il veut un espace où ils pourront se retrouver au chaud lorsque viendront des temps plus frais.

Il sourit quand elle dit que sa curiosité avait été piquée par ce qu'il était en train de faire. Elle était plutôt mignonne, et il ne connaissait pas beaucoup de jeunes de cet âge que ça intéresserait spontanément et sincèrement, ce métier. Mais il avait la sensation qu'elle était sincère et qu'elle n'était pas en train de se moquer de lui. Il pouffa de rire quand elle lui proposa son aide, se disant qu'il était peu probable qu'un professionnel ait besoin de l'aide d'une enfant sur un travail comme celui-là, mais elle était tellement gentille et sincère qu'il voulut lui faire plaisir.

« Si tu as envie de m'aider et que tu n'as rien à faire, tu peux toujours me tenir cette boîte à clous à portée de main. Ce sera plus facile pour les planter », suggéra-t-il avec un sourire.

Tandis qu'elle lui proposait son aide pour la tâche qu'il était en train de faire, elle en profita pour se présenter officiellement à lui. Elle avait un joli prénom, tout à fait du genre de celui qu'il aurait pu donner à l'enfant qu'il aurait eu avec Marguerite. D’ailleurs, c'était aussi le cas de Mary. Il sourit en pensant à sa fille à-propos de laquelle il n'avait pas de question à se poser concernant la capacité qu'elle pouvait avoir à l'aider dans son travail. Ce que faisait Paul, Mary en avait appris les bases durant son adolescence avec son père et sa famille.

« Enchanté, Sarah, je suis Paul d’Aubert. J’ai une fille qui doit avoir à peu près ton âge. Tu la connais peut-être. Elle s'appelle Mary Ingalls. Vous devez être à l'école ensemble j'imagine ? »

La petite curieuse qui venait de lui adresser la parole alors qu’il ne l’avait pas remarquée, occupé qu’il était à travailler, était bien mignonne. La façon dont elle se montrait compréhensive face à la tâche qu’il accomplissait lui donnait l’impression qu’elle ne manquait pas de maturité, tout en ayant la curiosité et la spontanéité de son jeune âge. Un tel enfant avait quelque chose de touchant et d’attendrissant. la façon dont elle parla avec admiration et une certaine empathie du geste de son commanditaire envers les petits oiseaux lui montra qu'il s'agissait d'une enfant de cœur que le sort de ces créatures qui pouvaient souffrir du froid n’indifférait pas.

C’était une mission qui avait tout de suite touché le jeune homme qui avait toujours beaucoup d'empathie pour tous les animaux. Il n'aurait pas été de ceux qui tirent les pattes des grenouilles ou qui découpent les araignées et la bienveillance pour ses semblables n'avait d’égale que celle qu’il avait pour toute créature vivante. Quand il rencontrait une personne douée de la même considération, il avait tendance à penser que c'était quelqu'un de bien avec qui il fallait compter et qui méritait qu’on lui fasse profiter de son attention. Avec son discours, la jeune fille se positionnait aussitôt dans cette catégorie d'entrée de jeu.

« C'est vrai que c'est un homme très attentionné qui m'a demandé ça. Et si tu veux tout savoir, il me semble que j'aimerais infiniment ne travailler que sur des projets aussi jolis, profitant à des créatures ou des personnes qui le méritent mais je suis sûr que tu comprends cela toi », affirma-t-il avec un clin d'œil à l'égard de la fillette.

Elle accepta de tenir sa boîte de clous et il lui fut reconnaissant d'écourter sa promenade pour lui venir en aide. Il n'avait pas forcément besoin de l'aide d'une personne, sinon il aurait des employés ou il aurait demandé à Mary de l'accompagner, mais il était persuadé que cela ferait plaisir à cette enfant de partager ce moment avec lui. Tandis qu'il travaillait, il se présentera et il découvrit que cette jeune fille était juste un tout petit peu plus jeune que Mary, qu'elle ne connaissait pas intimement. Il était vrai que sa fille ne lui en avait jamais parlé. Mais l'école comptait beaucoup de monde et les enfants jouaient généralement plus avec ceux de leur âge.

« Et tu te plais à l'école ? Il n'y a pas trop de choses incongrues pour toi ? Moi, vois-tu, je viens d'une époque où les voiture n'allaient qu'à cheval et je dois reconnaître que j'ai été un peu dérouté en arrivant ici. »

Elle avait également beaucoup de questions et elle se demandait notamment comment il se faisait qu'elle n'ait jamais rencontrée Mary à l'orphelinat alors qu'ils n'avaient pas le même nom et qu’ils ne se connaissaient donc vraisemblablement pas avant d'arriver dans cette ville. Paul ignorait si leur cas était spécifique ou si d'autres personnes en étaient passées par là, mais après qu'il eut protégé la jeune fille en lui promettant de la garder avec lui, les autorités s'étaient contentées de s'assurer qu'il ne lui ferait pas de mal et qu'il saurait l'élever correctement et avait accepté que les deux restent ensemble. Ils étaient suivis par quelqu'un pour s'assurer qu’aucun problème ne se poserait, mais il n'y avait aucune raison.

« Je suis tombé sur elle à mon arrivée ici. Je sentais bien qu'elle était perdue et inquiète et je lui ai promis de m'occuper d'elle tant qu'on ne retrouverait pas ses parents. Jusqu'à présent, nous n'en avons pas trouvé trace, malheureusement. »

La petite était curieuse et l'interrogea sur le métier qu'il avait choisi en arrivant dans ce monde. Il n'était jamais facile de se choisir une direction de vie quand ce que l'on vous offrait était radicalement différent de tout ce que vous aviez vécu jusque-là. Il ne pouvait vivre comme le riche héritier qu'il était, mais il n'était pas non plus sur une île remplie d'indigènes avec lesquels il saurait comment se comporter. Il devait trouver le moyen de survivre dans une ville où tout lui semblait mystérieux et obscur. En plus, il avait la charge d’une enfant à qui il avait promis d'offrir un minimum de sécurité. Il fallait bien qu'il trouve comment subvenir à leurs besoins. Il n'était pas facile de changer radicalement de vie. mais Paul était un combattant et un survivant et il trouvait toujours le moyen de s'en sortir.

« Vois-tu », dit-il en attrapant un clou qu'il planta sur une planche destinée être l'un des murs de l'abri, « je ne suis pas ce qu'on peut appeler un travailleur. Dans le monde d'où je viens, j'étais très riche et je n'avais pas besoin de travailler pour subvenir à mes besoins. Quand je suis arrivé ici, j'ai dû réfléchir à ce que j'allais faire. J’avais appris à bâtir ce genre de chose lors d'un voyage en Amérique après un naufrage quand je me suis retrouvé dans un camp indien. Je pensais que je pourrais m'en servir pour faire vivre la famille que cette ville m'a donnée. Il faut juste parfois savoir s'armer de courage et utiliser les quelques petites choses que la vie vous a appris à faire. On n’a malheureusement pas toujours le choix. »

Cette demoiselle pleine de vie et capable de bavarder sans s'arrêter pendant de longues minutes était extrêmement mignonne et pleine de volonté. Il avait déjà pu remarquer que les fillettes pouvaient faire d'adorables assistantes à chaque fois que Mary avait travaillé avec lui, mais ce qui était certain, c'était que la compagnie d’une enfant douce et intelligente lorsqu'on travaillait pouvait rendre l'effort moins désagréable. Elle avait l'air d'être une bonne élève malgré le fait qu’elle n'avait peut-être pas les connaissances nécessaires à cause de l'époque de laquelle elle venait. Paul avait connu des difficultés similaires, mais c'était sensiblement plus facile à gérer lorsqu'on n’était pas à l'école.

« C'est l'avantage des adultes. On est parfois déphasé aussi, mais on n'a pas d'interrogation écrite sur ces notions qu'on ne maîtrise pas. Et finalement, il est toujours possible de se construire une vie à partir de ce qu'on maîtrise, quand on arrive ici à l'âge adulte. »

Ce disant, il se concentra sur un point épineux, devant faire attention pour que la structure ne cède pas. Un clou dans la bouche, il en planta un autre avant de prendre celui qu'il avait en bouche et d'achever le montage de la planche. Il se redressa pour admirer son travail. La structure n'était déjà pas si mal. Elle allait offrir un appui solide pour pouvoir installer tout ce qui serait nécessaire afin que les oiseaux se sentent bien dans ce nouvel endroit. Il se demanda comment il allait installer les nids. Il y avait plusieurs manières de faire mais il fallait que ce soit le plus confortable possible et le plus pratique pour eux. C'était sans doute ce qui serait le plus compliqué à établir.

« Dis moi, ma puce, j'ai besoin de ton avis. Comment construirais-tu les nids pour que les oiseaux se sente le mieux ? Je suis sûr que tu as plein d'idées. »

Tandis qu'il continuait son œuvre, il lui parla de sa fille et des raisons qui l'avait poussé à devoir travailler dans ce monde. Ils avaient tous les deux plus de points communs qu'ils n'auraient pu le penser au départ. Visiblement, la fillette avait, elle aussi, un passé de riche jeune fille de bonne famille. Finalement, elle se retrouvait pauvre et désargentée, et de plus orpheline. C’était le genre d'histoire triste qui avait toujours touché Paul, ayant des points communs avec celle de Sophie, qu’il regrettait de ne pas avoir pu aider quand elle en avait eu besoin.

« Cela n'a pas dû être facile pour toi. Tu t'es retrouvée dans un orphelinat ? Ma cousine aussi a perdu son papa et sa maman. Mais elle n'a pas perdu son héritage, heureusement. Malheureusement elle avait une belle mère qui n’était pas très agréable avec elle. Elle était même méchante. Je suis bien content qu'elle n'ait pas eu à vivre toute sa vie sous la coupe de cette femme. Certaines personnes peuvent être bien cruels envers des enfants innocents. »

Il était triste de penser que cette fillette n'avait personne dans ce monde. Paul était triste pour elle mais aussi parce qu'il avait conscience qu'il devait exister un grand nombre de petites filles et de petits garçons qui avait été séparés de leur famille comme tout le monde en arrivant ici et qui se retrouvaient à l'orphelinat, faute de quelqu'un qui s'occupe d'eux. Paul aurait bien été capable de prendre soin de tous ses enfants, mais quand il voyait déjà les difficultés qu'il avait pour gérer financièrement sa vie avec Mary, il était loin d'être sûr qu'il serait capable de leur offrir une vie meilleure que celle qu'ils avaient auprès de Camille à l'orphelinat.

« C'est triste que tu n'aies personne que tu connaisses dans ce monde. J'ai eu plus de chance que toi. Il se trouve que ma cousine et nos bonnes amies, Camille et Madeleine se trouvent dans ce monde. Tu connais peut-être Camille de Fleurville. Elle dirige un orphelinat. J’ai donc pu retrouver des amis chers. Le fiancé de ma cousine qui est aussi le cousin de nos amies est là aussi. Mais c'est ma fiancée à moi que je n'ai pas réussi à trouver. Peut-être un jour. »

Il était évident que Paul n'était pas celui qui était le plus perturbé par ce changement d'époque mais il était relativement adaptable. Il s'était bien forgé une vie complète chez les Indiens avec son père alors qu'il ne connaissait rien de leurs habitudes en arrivant sur place. S’il utilisait maintenant un téléphone avec lequel il était capable de communiquer instantanément et qu'il avait un site web pour son entreprise, il avait encore du mal à travailler avec les réseaux sociaux et avoir des comptes à ce sujet qu’il mettait régulièrement à jour. Pour certains, il en avait peut-être créé une fois pour voir. Mais il avait été incapable de les maintenir au milieu de tous ceux qui existaient.

Il estimait pourtant s'en sortir mieux que certaines personnes qui venaient d'un monde encore plus ancien. Mais son adaptabilité naturelle n'était pas pour rien dans sa capacité à s'approprier les nouveautés que d'autres connaissaient moins bien. L’optimiste jeune fille semblait voir toujours le verre à moitié plein et c'était une nature que Paul partageait. Il était certain qu'il s'entendrait bien avec une petite qui avait de telles façons de penser. Il lui sourit franchement avant d'affirmer quelque chose dont il était certain.

« Je sais que j'ai de la chance. J’ai un travail qui me rapporte assez pour vivre et pour faire vivre ma fille et je ne suis pas malheureux ou à la rue. La vie n'est pas toujours facile mais ce n'est pas si grave quand on a des choses pour se convaincre que l'on peut être heureux. »

Le jeune homme avait eu très envie d'impliquer sa petite assistante toute nouvellement acquise pour participer à la conception de son petit projet. Il était évident qu'elle était ravie d'être impliquée et il était enchanté de la faire participer de son mieux. Mais ce ne serait pas pareil s’il ne faisait pas l’effort de lui montrer qu'il avait confiance en son jugement. Elles se sentirait alors vraiment impliquée dans le travail. Pour ce qui était des bases, il les connaissait déjà. Mais il était impressionné par sa perspicacité.

« C'est justement pour ce genre de détails que j'ai placé ces planches aussi haut, vois-tu ? Je compte préparer plusieurs petits nids, à intervalles réguliers. As-tu déjà observé des nids d'oiseaux ? Peut-être pourrais-tu m'aider à les tresser avec ces branchages que j'ai préparé dans ce but ! »

Il lui fit un clin d'œil alors qu'elle lui demandait entre quelles dispositions il semblait hésiter. Paul n'avait pas un nombre limité de possibilités qu'il pouvait envisager. C’était le genre d'ouvrages où il pouvait laisser parler son imagination et c'était de cette façon qu'il avait voulu impliquer Sarah. Elle semblait craindre de dire une bêtise mais la vision poétique de Paul impliquait qu'il n'y avait pas de mauvaises réponses. Il suffisait juste qu'elle écoute son cœur. C’était de cette façon que l'on pouvait le mieux concevoir pour des créatures innocente et douces. La maison d'un oiseau devait se construire pour cet oiseau là et non pour soi-même.

« Je ne suis pas en train de sélectionner des dispositions parmi celles que je connais mais de m’efforcer de faire travailler mon imagination. Je cherche comment disposer les nids pour que ce soit le plus agréable possible pour les oiseaux. Par exemple, savoir si on les dispose en ligne ou en quinconce sur des petites étagères, savoir si on les fait petits, moyens ou grands, choisir les matériaux chauds et confortables que l'on mettra à l'intérieur pour les oisillons. Il n'y a pas de réponse toute faite, ou alors on aurait des nids identiques à tous ceux qui sont faits par les autres. c'est beaucoup mieux d'avoir notre propre façon de faire, tu ne crois pas ? »

Tout en travaillant, ils échangèrent sur leurs propres situations de vie. La plupart des enfants avaient perdu leurs parents en arrivant ici, dans la mesure où ils s'étaient retrouvés dans un endroit où ceux-ci n'avaient pas été envoyés. Mais les choses étaient différentes pour Sarah, qui était orpheline avant de disparaître de son monde. C’était un peu pareil que pour Sophie, à la différence près que la jeune femme n'était plus une enfant et qu'elle n'avait jamais connu l'orphelinat, même s’il aurait peut-être mieux valu. Il sourit devant la gentillesse de la jeune fille qui compatissait à la douleur que Sophie avait évidemment éprouvé après la mort de ses parents, mais aussi à cause de son horrible belle-mère. La question était déjà réglée quand Paul l'avait retrouvée mais cela ne l'avait pas empêché de ressentir de la colère et une envie de frapper la femme comme elle avait battu Sophie.

« Il n'y a pas de pire tragédie que de perdre une personne qu'on aime. Tu as cent fois raison, ma petite. Et c'est encore plus tragique quand on se retrouve sous la responsabilité de quelqu'un qui n'a aucun respect pour vous et vous veut du mal. Je suis très triste que tu aies dû vivre quelque chose de similaire. »

Paul ne savait pas comment les choses s'étaient passées pour tout le monde à leur arrivée ici, mais il ne voyait personne de plus logique pour fonder un orphelinat que son amie Camille, exception faite peut-être de sa sœur Madeleine. Elles étaient toutes les deux si bienveillante et tournées vers les autres que s'occuper des orphelins était certainement ce qu'elles feraient de mieux. La fillette faisait donc partie de ses enfants pour qui Paul avait construit une maison de jeux sous les consignes de Camille. Ce projet était l'un des plus précieux qu'il ait réalisé et il était enchanté que son amie en soit l'instigatrice. C'était quelque chose de formidable à partager ensemble.

« Eh bien dans ce cas, je pense que tu sauras de quoi je parle si je t'évoque le nouveau terrain de jeu qui a été bâti à l’orphelinat récemment ? C'est moi qui l'ai construit. Je suis content que tu te sentes bien là-bas. Voilà quelque chose qui ferait plaisir à cette chère Camille. Peux-tu me parler des amis que tu y as ? Sont-ils heureux aussi ? »

La petite bavarde fit sourire Paul. Elle semblait en accord avec lui sur sa façon d'essayer de voir le positif en toute chose et de se satisfaire de ce qui peut contribuer au bonheur. Paul était simple et pensait que ce n'était pas en se montrant éternellement insatisfaits que l'on pouvait profiter des petits bonheurs de la vie. Il était parfois si simple de rêver à être l'un de ses oiseaux et de se contenter de voler et de profiter des petits que les humains étaient en train de leur construire. Oui vraiment, il allait faire bon être un oiseau dans ce petit quartier. Sarah lui parla de ses rêveries sur les conversations entre oiseaux et Paul sourit avant de lui partager avec amusement l'objet de ses pensées.

« Penses-tu que les mamans oiseaux sont comme ces femmes qui comparent les mérites de leurs enfants ? Regarde, mon oisillon est sorti de son œuf ! Oh magnifique ! Le mien a volé pour la première fois ! Tu dois être tellement fière ! » fit Paul en imitant le caquètement de deux oiseaux femelles.

Tout en tressant les nids, Paul expliquait à la fillette la raison de ses choix. Ils décidèrent d'en tresser de plusieurs tailles et de plusieurs formes et de les disposer pour que les oiseaux aient le choix. Paul se surprenait à penser qu'il aimait partager son travail comme avec une petite apprentie et il se demanda si ça ne serait pas une bonne idée de voir à former quelqu'un de cette façon. Cela permettrait peut-être à quelqu'un de trouver un travail rémunérateur à moindre frais, même si cela nécessitait beaucoup de travail exactement comme Paul l'avait fait. Faire fructifier sa petite entreprise n'avait pas été facile, mais il était à présent indépendant et il pouvait nourrir aussi sa fille.

« Tu as de très bonnes idées. Je suis convaincu que le métier de conceptrice de nid d'oiseau t’irait à la perfection. Malheureusement, je crains qu'il n'y ait pas beaucoup de demande », plaisanta-t-il avec bonne humeur.

Paul s'intéressait à la vie de la fillette et s'il trouvait ça triste qu'elle ait perdue ses parents si jeune, il la trouva pleine de sagesse pour affronter les difficultés que la vie avait mis sur son chemin. Il était presque étonné qu'une telle enfant soit encore à l'orphelinat car elle aurait certainement fait le bonheur de beaucoup de parents. Cela dit, cette perspective lui permit de lui montrer un peu de son travail puisqu'il était le concepteur du terrain de jeu de l'orphelinat, à la demande express de cette chère Camille. Nul doute qu'elle devait se retrouver dans cette enfant modèle qu’était Sarah.

« Pourquoi je ne suis pas tellement étonné ? Remarque, j'ai toujours été plutôt comme toi, à adorer lire des histoires. Mais avec Sophie, nous aimions aussi beaucoup jouer dehors et surtout nous occuper de notre petit jardin. »

Il n'avait aucun doute sur le fait que les enfants de l'orphelinat étaient bien traités. Avec Camille, ils devaient être gâtés autant que faire se pouvait. Pour autant, il était curieux d'avoir l'opinion d'une des fillettes du lieu sur l'ambiance qui y régnait. Être sûr d'une chose et se le faire témoigner par quelqu'un qui était sur place, c'était deux choses différentes. Paul eut l'impression que le petit Henry dont elle parlait lui plaisait beaucoup et un sourire se dessinait sur les lèvres du jeune homme au moment où elle le mentionna.

« Tu as l'air bien complice avec ce petit Henry, dis-moi. Je me trompe ? »

Cette petite était un savant mélange d’imagination et de sagesse, ce qui donnait un mélange à la fois touchant et plein de saveur aux yeux de l’ébéniste. Même s’il avait joué le jeu en parlant de mères comparant les performances de leurs petits, il trouvait ça bien qu’elle ait la mesure des choses et qu’elle ne saute pas sur l’occasion d’humaniser les oiseaux comme il proposait de le faire. Elle avait une certaine maturité et c’était une bonne chose pour son avenir. Un oiseau vint justement inspecter le travail qu’ils étaient en train de faire. Le client de Paul n’aurait probablement pas de mal à avoir quelques petits pensionnaires réguliers.

« Tu as bien raison de ne pas vouloir aller trop loin. Mais j’aime à penser qu’ils ont une forme de communication. Et j’espère qu’ils aiment se parler. Bonjour toi, tu verras, tu auras une belle maison, ici bientôt. »

Il plaisantait sur le métier de conceptrice de nid d’oiseaux, mais il espérait que cette petite pourrait travailler plus tard en utilisant son esprit si aiguisé et sa capacité d’imagination et d’inventivité. Ce serait le meilleur cadeau qu’on pourrait lui offrir, tant elle était touchante par sa façon de voir le monde. Elle avait toutefois la capacité de résilience à ne pas se précipiter immédiatement sur le premier choix venu, et il trouvait cela bien de sa part. Mais cela allait avec le côté raisonnable qu’il avait déjà observé chez elle. Elle ressemblait beaucoup à ce qu’il était plus jeune.

« C’est une bonne idée de demander des conseils aux adultes, mais ne te laisse pas trop influencer. C’est d’abord à toi de choisir ton destin, ne l’oublie jamais. »

Il sourit en l’entendant parler de ce jeune garçon qu’elle aimait beaucoup. Il était peut-être un ami, de son point de vue, mais Paul sentait que son cœur battait probablement plus vite quand elle le voyait et que ses yeux brillaient un peu plus fort. Toutes les petites filles aimaient les princes charmants et si cela changeait avec le temps, parfois, il avait l’intuition que ce n’était pas le cas pour cette enfant aux doux rêves féeriques. Toute réaliste qu’elle fût, il avait la conviction qu’elle aimait bien ls jeunes hommes doux et galants qui la courtisaient avec des fleurs et des poèmes.

« Un prince charmant, vraiment ? » demanda-t-il avec un sourire un peu taquin. « Serais-tu donc une petite princesse, alors ? »