Le monde autour de lui était… méconnaissable. La ville, elle-même, était un labyrinthe de fer et de béton, un monstre immuable et en constant mouvement. Elle enlaçait ses habitants dans ses tentacules possessives, refusant de les relâcher. Clark avait appris à ses dépends à ne jamais se fier à ce qu’il voyait. La frustration était grande quand même ses propres yeux lui étaient traîtres.

La forêt, quant à elle, se dressait comme les barreaux d’une prison naturelle, dense et étouffante. Chaque arbre, chaque buisson, semblait être des gardiens silencieux, veillant à ce que personne ne s’échappe de son étreinte. De la ville. Marcher à l’intérieur, c’était comme errer dans les couloirs d’un rêve sans fin ; chaque pas ramenait inévitablement au point de départ… ou à un point de départ. Parce que parfois, elle rejetait Clark cruellement dans les pavés peu familiers de la ville, lui rappelant que sa captivité n’avait ni de fin ni de commencement.

Clark avait l’impression d’être un insecte dans les fils d’une araignée. Il avait beau se débattre, ses forces s’amoindrissaient à chaque vain effort. Il ne pourrait en sortir. Comme tous les habitants ici présents. Il était voué à résider comme un perpétuel prisonnier. Mais il ne serait pas spectateur. Non, il n’abandonnerait pas.

La forêt dans laquelle il se trouvait actuellement s’étendait à l’infini dans toutes les directions, plongée par une douce obscurité à peine brisée. Les premiers rayons de l’aube commençaient à filtrer à travers l’épaisse canopée, chassant le fin brouillard qui s’était posé là. Malgré tout, peu importe ce que quelqu’un pourrait dire, de l’épouvantable vérité derrière la cime des arbres, c’était une vision à couper le souffle. La lumière caressait le feuillage à ses pieds dans des colorations de verts et de bruns. L’air était chargé d’un parfum de paix, de terre, et les sons lointains appartenaient aux oiseaux errants, qui gazouillaient de branche en branche, provoquant dans leur passage un bruissement agréable.

Tout paraissait calme.

En vérité, rien ne l’était.

La poitrine de Clark se gonfla tandis qu’il prenait une profonde respiration. Elle lui envoya une secousse de douleur, résidus de ses blessures lors de sa chute dans ce monde. La forêt sembla retenir son souffle, reflétant la lutte de Superman, le héros maintenant sans pouvoir. Il serra les dents et les poings dans un effort de supporter la douleur. Elle lui était commune, mais à la fois singulière. “Tu as connu pire que ça, Clark.”

Il avait raison. Il avait affronté des ennemis redoutables, il s’était battu contre des menaces qui auraient pu détruire la Terre. Mais jamais sans pouvoir. Calme-toi, Clark. Il se dit à lui-même. Il lui était déjà arrivé de perdre ses pouvoirs, d’être rendu vulnérable à cause de la kryptonite et d’autres moyens laborieux. Ce n’était pas différent de toutes ces fois. Toutefois, la peur et l’incertitude gagnaient à chaque mouvement, un rappel de son impuissance.

“D’accord, je ne peux pas compter sur mes pouvoirs,” il prononça à haute voix, s’approchant d’une épaisse couche rocailleuse en face de lui. “Mes parents m’ont appris à être débrouillard et déterminé. Quoi qu’il arrive.” Je peux le faire. Je dois le faire.

Devant lui se dressait une imposante montagne de roches, dont les falaises abruptes s’élevaient comme les murs d’une ancienne forteresse. Sa surface était une tapisserie déchiquetées par des fissures inquiétantes et de pentes abruptes. Est-ce qu’il pourrait au moins le faire? Dans son état? Malgré le défi, la détermination était ancrée dans ses yeux. Il n’avait pas peur.

Le vertige n’était pas quelque chose qu’il avait connu. Toutefois, il se rappelait des hauteurs de son enfance, quand il n’avait pas idée de qui il était, de ce qu’il était capable. Il avait l’impression de revenir à ce temps-là, et la même sensation flotta dans ses veines. Ce n’était pas une question de force intérieure, c’était une question de résilience, bien au-delà des capacités physiques. “D’accord, mystérieuse forêt,” il se murmura à lui-même en posant sa main sur la paroi rocheuse. “Voyons ce que tu as dans le ventre.”

Les feuilles bruissaient doucement derrière lui, comme si elles savaient quelque chose qu'il ignorait. Clark se figea, sentant une présence émaner de la forêt derrière lui. Ce n'était pas du tout alarmant ou dangereux - rien qui ne déclencherait son instinct de survie et lui indiquerait de la confronter ou de fuir. Non, cette présence était différente - subtile et non menaçante. Ses années de vie parmi les humains avaient affiné sa capacité à discerner l’intention derrière une approche (ou du moins, de la deviner), et ça, même sans ses sens surhumains. Il lui arrivait de se tromper, mais dans ce cas-là, il était confiant.

Il pivota avec grâce pour faire face à la nouvelle arrivée. Ses yeux bleus rencontrèrent celle d’un jeune homme. Il se tint droit, un doux sourire se dessina sur le coin de sa bouche. “Bonjour,” Clark commença, la voix posée, malgré la douleur persistante dans son corps. “Je ne cherche rien en particulier.” Sa tête se tourna vers la grande montagne rocailleuse dressée maintenant derrière lui. “J’essaie juste de donner un sens à cet endroit, et à moi-même.” Il fit un soudain geste vers elle, comme si l’emphase de cette action ferait comprendre quelque chose à l’inconnu.

“J’étais capable de voler avant d’arriver ici. Maintenant, j’appends à grimper,” il finit par expliquer. Clark éclata soudainement de rire devant sa propre situation, un rire profond qui réverbéra dans l’air vif de la forêt et atteignit les profondeurs des cimes des arbres qui les entouraient. “Au fait, je suis Clark ; Clark Kent.”, il se présenta quelques instants plus tard. "Y a-t-il quelque chose de particulier qui t'attire ici ?"

Peut-être il était dans le même prédicament que lui?

“Ce n’est pas grand chose, vraiment. C’est juste quelque chose que j’ai toujours été capable de faire.” Clark sourit en minimisant l’étonnement dans les yeux de son nouveau compagnon. Il avait toujours eu du mal à expliquer ses pouvoirs aux autres. Ils étaient naturels pour lui. Quelque chose qu’il avait toujours connu, qu’il avait toujours eu. C’était comme essayer d’expliquer une chose si simple comme respirer, face à un être qui n’avait pas besoin d’air pour vivre. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il se sentait seul la plupart du temps. Il était le seul. Le seul à être comme ça. À être ‘lui’, un kryptonien.

Il était seul.

Clark écouta attentivement Terra se présenter à son tour. Il remarqua une légère hésitation dans sa voix lorsqu'il mentionna son nom, ou peut-être l’hésitation venait après, mais il décida de ne pas y prêter attention. Il était reconnaissant d'avoir rencontré quelqu'un de plus ou moins comme lui, même s'il n'était pas exactement comme lui. Au moins, ils avaient quelque chose en commun : tous les deux cherchaient leurs eux-mêmes dans les mystères de cette forêt les emprisonnant.

"Enchanté, Terra." Il dit poliment. Il se souvenait d’une phrase, il ne savait plus très bien où il l’avait entendu : mais n’importe qui pouvait se permettre des civilités et du temps quand cette personne était la plus puissante de la Terre. Maintenant… Maintenant, c’était différent. Ce n’était plus pour la raison d’être puissant et d’avoir le temps de tout, mais d’être qui il était, comme il avait été éduqué. “Je peux comprendre ce sentiment.” Le vent soufflait en direction de son visage; c’était doux et électrisant. L’air tiède lui léchait les joues, pour se fracasser contre la roche fissurée derrière lui.

“Ce monde a le don de nous mettre face à nous-mêmes.” Un murmure. Simple, qui relevait toute la complexité de leur situation. Ils étaient arrachés à leur monde natal, dépourvus de leurs repères et de ce qui faisaient d’eux ‘eux’.

“Et, bien sûr, Terra. J'apprécierais un peu de compagnie.” Clark répondit avec un sourire amical. Après coup, il se retourna vers son objectif. “Tu as déjà grimpé des montagnes comme celle-ci?” Il demanda en faisant face à la forteresse rocheuse. Elle s’élevait haute et fière, ridiculisant les cieux et les éléments en-dessous d’elle. Il avait déjà pu grimper des géantes de pierre, mais les conditions n’étaient pas les mêmes, et il n’en avait jamais rencontré de si imposante. Les fissures paraissaient sûres, il savait que ce n’était qu’une illusion. Un mauvais mouvement le laisserait encore plus amoché qu’à son arrivée.

Même le fait de ne pas être équipé ne l’empêcha pas de poser la première main dans un creux flanqué. Il sentait les pierres rugueuses se plantaient sur l’épiderme de sa peau et presser. Douloureux, mais supportable. L’ascension commençait.