Qu’est-ce que je fais ici?

Bonne question. Quand on parle de moi, c’est plus souvent pour mon égoïsme et mon individualisme qu’autre chose. Et pourtant- pourtant, une fois tous les cent ans, je m’attache à un mortel. Bon; celui-là n’est pas si mortel que ça, finalement, il est même techniquement plus vieux que moi, mais qu’importe, je m’y suis attaché tout de même. Et dernièrement, de quoi est-ce qu’il me parle? Du nouveau guizmo-machin qui a été inventé en ville, un objet d’une technologie avancée (pour l’espèce humaine) qui lui permettrait d'avancer ses projets à une vitesse phénoménale. Et cet objet, il se trouve ici, à l’université de la ville. Oh; il y est pour être étudié de fond en comble, pour servir à la communauté scientifique tout entière. Mais est-ce que ça me dérange? Non – parce que pour moi la communauté scientifique toute entier peut aller se faire chier si ça lui plait, mais mon Jack…

Et cela soulève deux questions. La première, à savoir jusqu’où j’irais pour lui. La deuxième est à savoir de quoi je parler et, pour revenir au début de cet échange : ce que je fais ici. La réponse aux deux questions est liée! À savoir – que je m’apprête à voler le guizmo-machin pour Jack, juste pour lui remonter le moral parce que ça ne se passe pas bien, et ce depuis des jours, des semaines, avec son mauve. Je déteste le voir si troublé, et je l’ai déjà dit : le bonheur lui sied bien mieux. Il a y a des gens comme ça, qui portent en eux la tragédie avec grâce. Jack N'est pas de ceux-là, pas à mon avis. Alors je suis venu ici, à l‘université, pour voler le truc-machin donc je n’ai pas retenu le nom. Qu’importe, j’ai avec moi une photo de la chose, et puis c’est pratique, comme c’est un item de grande importance, je sais précisément où il est.

Me rendre à l’université n’a pas été difficile. Je n’ai même pas eu à changer de visage; seulement à prétendre être un des nombreux techniciens de surface, utiliser d’un peu de glamour pour changer l’allure de mes vêtements, emprunter une station mobile avec la moppe et les nettoyants et tout, croiser quelqu’un d’autre qui est sur la fin de son shift, chiper son trousseau de porte-clef, et puis attendre que tout le monde soit parti pour se diriger vers l’aile des laboratoires et tester les clefs une à une (elles sont annotées, de toute manière) pour entrer dans la salle en question. Pas de gardien de sécurité, pas de piège magique comme j’en ai l’habitude, je n’ai même pas eu besoin de me métamorphoser – un petit coup de glamour et j’ai l’air d’avoir un badge d’employé, c’est vraiment là l’étendue complète des pouvoirs que j’ai eu à utiliser. On doit pas s’attendre à ce que ça se fasse voler, je suppose. Ou alors, le piège m’attend à l’intérieur de la pièce même. Je verrai bien.

Je délaisse ma station de nettoyage mobile et j’entre dans la pièce à petits pas furtifs, laissant la lumière fermée parce que je vois plutôt bien dans le noir de toute manière, et je m’approche de l’objet, croisant les bras un instant avant de grommeler un peu; il semble être imbriqué dans quelque chose d’autre, et l’espace est trop étroit pour que je passe simplement ma main (de toute manière, ça laisserait des empreintes digitales et j’ai fini par apprendre que c’était mieux de ne pas en laisser) alors tout simplement, une tentacule pousse d’un de mes flancs et  se faufile sous mon haut, s’insérant dans l’espace sans trop de problème.

Et puis- contact.

J’aurais du y penser; objet technologie, j’ai beau avoir pris mes antihistaminiques, l’effet n'est pas parfait et l’argent pur qui entre en contact avec ma tentacule magique me fait bondir vers l’arrière, faire un boucan d’enfer en m’étalant sur une table de recherche que je fais basculer vers le sol, et je me retrouve, tentacule disparue, recroquevillé et sans défense, à gémir sans grâce alors que des spasmes se dispersent jusque dans mes os. Heureusement – heureusement que tout le monde est parti pour la nuit.

Tout le monde… ouais. Tout le monde. Absolument tout le monde, et l’histoire s’arrête là.

Oh bordel, fallait-il vraiment que quelqu’un entre dans la pièce pendant un moment de telle vulnérabilité? Je tente de bouger et de me relever, sans succès : le monde entier tourne autour de moi et ma nausée est plus forte que ma volonté d’être sur pied pour te faire face. « Bah j’suis passé par la porte » finis-je par dire – parce que ce n'est pas parce que je suis au bout de ma vie que je vais arrêter de faire de l’attitude aux gens, je suis sûr que tu peux comprendre, après tout c’est là un des petits plaisirs de cette vie. Mais je vais avouer que ton froid et calculateur ne me dit rien qui vaille, et un choc électrique se répond dans mon corps, impulsion qui me pousse à chercher à me défendre coute que coute, au risque de ma vie. Je finis par réussir, donc, au prix de quelques efforts, à me positionner assis en tailleur au milieu de la pagaille que j’ai causée.

« Voler des objets? Non » finis-je par dire, prenant une grande inspiration pour ravaler ma nausées et la bave qui se formait dans ma bouche. « pas des, uns. Maintenant si vous pouviez être gentille et m’aider à le retirer de son caisson, ça serait vraiment apprécié » dis-je, un large sourire carnassier s’étirant sur mes lèvres. Et puis je lève la main pour y faire apparaitre une flamme – oubliant comme toujours la douleur qui me parcours et l’effort monumental que cela représente sous cette forme -, mais ça fait plutôt office d’étincelle que de flamme. Qu’importe. « Sinon j’peux tout brûler, aussi. De nous deux, je serai le seul qui y survivra » oui bon, c’est faux, je ne suis pas immunisé à mes propres flammes, mais ça, tu n’as pas à le savoir. La menace devrait fonctionner normalement sur ton petit cerveau humain, au moins pour t’apeurer et me laisser tranquille…

Pas vrai?

« Le machin, là » dis-je de manière peu convaincante, et pourtant je lance mon indexe dans l’air pour te pointer de manière précise la machine duquel je tente de l’extraire. « C’est petit, vert et argent. Je crois que c’est un nouveau type de processeur » bon, tu as déjà dit que tu ne m’aideras pas, mais comme l'expression dit, un homme s’essaie. Si c’est bon pour les humains, alors pourquoi pas pour les djinni.  « J’pensais pas, mais il a dû…. De l’argent ou du fer, dessus. Quand j’y ai mis la main, ça m’a- enfin vous avez des yeux » dis-je en roulant les miens vers le plafond. « j’y suis hautement allergique, pauvre de moi » dis-je et, si c’était certes une erreur de dévoiler mes faiblesses, en tout cas j’espère plutôt que ça attirera ton attention. Après tous les chercheurs ont-ils toujours des questions et une soif de connaissance, non?

« Oh, pas entre les mains de n’importe qui! » dis-je en te corrigeant, me massant les cotes en tentant de ne pas tanguer sous le coup de la douleur. « Sûrement le plus grand inventeur de tous! » je ne prendrai jamais des gants blancs pour parler de Jack, jamais. Je l’apprécie trop. « Il est au moins aussi intelligent que cent de vos penseurs humains! Sa technologie st aussi bien, bien plus avancés. Il pourrait accomplir bien plus avec ce petit truc que vous le pourriez, sans offense. » je pense à respirer, c’est lamentable – j’en perd mon souffle et ma voix traine. « Mais il n’a pas l’habitude des matériaux un peu lamentables qu’on trouve ici. Mais je suis certain qu’avec ce truc, il pourrait faire plein de grandes choses. Il arrête pas d’en parler » oui – en même temps, je me suis dit que si je le lui apportais, il allait peut-être arrêter de me rabattre les oreilles avec ça. Un gémissement me quitte – aussi faible et inintéressant que la minuscule flamme de rien que j’ai fait apparaitre. Y’a trop de technologie, ici; je me suis aussi faible qu’un vieillard qui lutte pour avancer dans l’eau de mer.

« Il travaille sur les univers parallèle, ou quelque chose du genre. Si ça se trouve, grâce à lui, on pourra retourner dans nos univers respectifs. Pensez-y m’dame, c’est pour le bien commun au fond. J’suis comme Robin des Bois ou euh, l’autre mec là, Arsen Lapin » Lapin, Lupin, c’est proche, non? « Sans façon pour l’ambulance, j’ai pas l’intention de parler avec la police » dis-je très honnêtement, même si je n’aurais pas le choix si tu insistais. Je me voyais mal combattre pour me sortir d’ici, après tout, même contre une humain lambda.