RAIPONCE ▿ Gregory & Alexandra.

Je me suis souvent pris des cuites mémorables, le genre où plus aucun souvenir ne reste en tête et où on ne sait même plus comment on est rentré chez soi. Je me suis déjà pris des gueules de bois tellement intenses que la mort semble être la seule option pour ne plus souffrir…
Mais aujourd’hui, non, ce n’était pas ça. Après le boulot hier, j’étais rentré chez moi, j’avais allumé la télé et je m’étais laissé absorber par un soap pour lequel je n’avais pas besoin de réfléchir. Parce que je réfléchissais à autre chose.
Un cas. Une jeune ado qui n’avait pas vraiment d’antécédent et qui perdait peu à peu la vue. J’avais déjà exploré toutes les pistes habituelles pour ce genre de symptômes et les tests réalisés jusqu’à présent ne donnaient pas grand-chose. Alors je me creusais la tête.

Je ne savais pas comment j’étais arrivé ici. Ni même ce que je foutais ici. Aux dernières nouvelles, mon canapé n’était pas un portail qui m’emmenait ailleurs sans que je le sache. Et je ne faisais pas vraiment des rêves bucoliques, habituellement.
Alors, une prairie, une tour, deux femmes… ah non, trois. Parce que je n’étais pas seul, en plus. Je ne me souvenais plus avoir appelé une call-girl hier. Et elle n’avait pas vraiment la tête de l’emploi. Pas de maquillage assez aguichant, je veux dire, parce que physiquement… elle semblait capable de bien des acrobaties !



Dans le genre, c’était l’entrée en la matière la plus nulle. Mais je n’étais pas super emballé par l’idée d’être ici, je ne savais même pas ce que j’étais censé faire.
Je fis mine de me relever et ma cuisse droite me fit aussi mal que si on me l’arrachait.



Satanée jambe… Et je n’avais pas ma canne, apparemment. Génial.



Je n’étais déjà pas fichu de me relever en une fois alors s’il fallait escalader cette tour, pour ma part, c’était mort.

Bon alors, on en était là… au milieu de nulle part, avec une grande tour dans une clairière, une inconnue à côté de moi et un challenge sportif impossible pour moi.



Avant cette connerie de jambe, j’aimais le sport, c’était frustrant de me retrouver handicapé comme ça. Je levais ma canne en direction de la fenêtre de la tour :


Je voyais déjà le tableau : une jeune vierge élevée en altitude, loin de la société, pour qu’elle soit offerte en mariage à un gros porc ou sacrifiée pour je ne sais quelle secte.



Sans blague… j’allais me retrouver à devoir faire le guet pour assurer les arrières de cette nana. Peut-être qu’il y aurait une récompense à la clef, mais peut-être pas.
En attendant, je plaçais deux doigts (l’index et le majeur) de chaque main dans ma bouche pour siffler comme lorsque j’assistais aux shows de Monster Trucks.
Le son se fit entendre assez fortement et bientôt, on vit du mouvement du côté de la fenêtre de la tour.

Cette saloperie de muscle mort ! Ça me faisait râler d’en être réduit à devoir faire le guet alors que j’aurais pu être le héros du jour avec cette fille, là, Alex…
Mais bon, d’un autre côté, elle prenait les risques et moi, j’assurais ses arrières. C’était mieux que rien… j’étais quand même un peu tenté de laisser cette nana gérer seule, j’aurais pu me barrer et rentrer chez moi, j’avais quelques épisodes de retard dans ma série médicale à deux balles du moment.

Je sortis mon téléphone pour lancer une application de jeu où un minion court et doit récolter des objets tout en évitant des pièges. Il fallait rester attentif pour ne pas se prendre un obstacle dans la figure… mais si j’arrivais à cumuler assez de points, j’allais pouvoir débloquer le skin hawaïen. Et ça, c’était classe. La chemise, le collier de fleurs, les noix de coco… voilà, ça c’était un vrai but à atteindre.

J’étais peut-être un peu trop absorbé dans mon jeu pour observer efficacement les alentours. Alors, quand la vieille femme de tout à l’heure se pointa, je ne l’avais pas vue venir.
Merde. Merde merde merde.

Je criais plus que je ne parlais, mais il fallait bien qu’Alex puisse m’entendre de là-haut.


Je levais mon téléphone comme si je cherchais du réseau en vain. Autant pousser la comédie jusqu’au bout.



Comme si… elle semblait venir d’une autre époque, là où on ne connaissait ni la mode ni le savon. Ni le dentifrice.
J’espérais qu’Alex m’avait au moins entendu et que je ne faisais pas l’andouille pour rien.

La situation n’était pas aussi pourrie qu’elle en avait l’air, parce que la jeune sportive était dans la place et que, donc, nous étions chacun où il fallait.. sauf que la vieille mégère avait décidé de se ramener un peu plus tôt que prévu.
Alors je m’étais mis à crier aussi bien pour prévenir Alex que pour faire réagir la femme. Sauf que… je n’avais pas prévu qu’Alex allait descendre seule et venir tout bousculer.

Et j’ajoutais, à l’adresse de la vieille :

Je n’avais pas très envie de passer pour un vieux sénile alors que j’étais entouré de gonzesses qui ne semblaient pas être les pingouins qui glissaient le plus loin… ou pas les couteaux les plus aiguisés du tiroir, c’était selon. En tout cas, je devais me débrouiller pour que mon cerveau fasse son boulot et empêche Alex de faire une connerie.
Si je devais passer pour un vieux papa, autant jouer là-dessus pour faire ramollir la mémère.


Gagner du temps, c’était ça qu’il fallait. J’ajoutais pour Alex :

Si nous étions ici pour sauver la gamine de la tour, c’était sans doute un peu mal barré, à présent… Car entre Alexandra qui était descendue de la tour, ruinant ainsi toute possibilité d’infiltration par cette voie, la mère qui débarquait sans prévenir et les tentatives bizarres de la sportive pour… pour faire quoi, en fait ?



Au moins, ça avait un côté marrant de jouer le père râleur et un peu chiant. Je n’avais pas trop à réfléchir, j’avais moi-même eu un père carrément nul. Je savais que j’étais bien plus cool que lui et que j’étais sûrement assez génial pour montrer à la jeune fille que je pouvais jouer le jeu.
D’ailleurs, la façon dont la sportive jouait son rôle était plutôt pas mal aussi, dans le genre.



Je m’adressais à la mère de l’autre. Parce que dans ce genre de situation, on avait toujours besoin de quelqu’un pour être d’accord avec soi, sans quoi, ça partait vite dans tous les sens.



Cette discussion pouvait durer longtemps. Et si je n’avais pas eu une jambe à moitié morte, j’aurais sûrement laissé Alexandra en plan avec la vieille pendant que moi je serais allé sauver la demoiselle en détresse. Mais non, c’était pas comme ça que ça devait se passer…

Je n’avais jamais eu d’enfant (en tout cas, pas à ma connaissance) alors je faisais plutôt comme je pouvais, en imaginant comment mon propre père, cet imbécile, aurait agi, réagi et parlé à ma place.

J’occupais donc la belle-mère pendant que ma soi-disant fille allait s’occuper de la fille. Simple et efficace.
Donc, Alex alla chercher la fille et voilà qu’elle se ramena avec elle. Je ne savais pas si c’était le plan, mais je n’allais pas tout faire foirer maintenant. Ah, l'espionne et la princesse de la tour. Quelle histoire !



On s’en foutait, de toute façon. Le seul truc qui pourrait se passer, ce serait d’avoir à dénoncer la belle-mère aux flics… c’était pas vraiment mon genre, mais j’étais sûr que séquestration de mineure, ça pouvait aller assez loin. De quoi faire chanter la vieille, en fait…



Une façon simple de dire que la jeune fille, même mineure, avait son libre arbitre et qu’elle pouvait sans doute s’en servir pour attaquer la marâtre.



Je gobais un cachet de vicodin, puis j’ajoutais pour Alex :