❝Y en a encore pour longtemps ?❞

La voix de plus en plus plaintive, je constate définitivement que ma tenue n'était pas appropriée à la promenade qu'Arthur m'impose à travers la forêt de Mirkwood. Bon... D'accord, il ne me l'a pas vraiment imposée, c'est moi qui ai insisté pour l'accompagner... mais quand bien même ! J'ai beau avoir troqué mes habituelles robes brodées contre un pantalon en toile un peu plus pratique (et étrangement plus confortable que je ne l'aurais présumé au moment de découvrir ces habitudes vestimentaires inhérentes à ce monde et si éloignées de mes habitudes), j'ai l'impression de me mouvoir avec la lenteur d'un éléphant, et mes chaussures inadaptées s'enfoncent dans la terre rendue boueuse par la pluie tombée la veille.

Quand mon regard ne se perd pas dans la contemplation des arbres qui progressivement retrouvent leurs couleurs printanières, je jette des regards à la dérobée à Arthur, qui semble avoir une idée bien précise du chemin à emprunter, quand pour ma part, la seule chose que je sais, c'est que chaque pas nous éloigne un peu plus de chez nous et de l'agréable perspective d'un bon bain de pieds.

❝Vous voulez pas ralentir au moins ?❞ je demande en accélérant le pas pour me retrouver à son niveau.

Je l'ai cherché, je dois l'admettre... mais en même temps... il faut me comprendre.. J'en avais marre de tourner en rond chez moi. Rien ne m'interdit de faire un tour en ville et d'y prendre mes marques, d'accord, mais même après quatre années passées ici, je n'arrive pas à m'y faire. Toute cette modernité, toutes ces différences sensibles entre ce monde et celui auquel j'avais été habitué. Il y a bien sûr beaucoup de nouveautés très pratiques, et certaines auxquelles il est presque impossible de résister (la télévision, quelle invention), mais je me sens vite submergée quand je me retrouve seule en ville.

Il est plus simple de s'accrocher à mes repères les plus familiers. A ce titre, Arthur est mon pilier, mon point d'ancrage. Et les nouvelles habitudes que j'arrive à me façonner dans le même temps. C'est vrai que c'est réconfortant, de se retrouver ici, dans cette nature inchangée, qui n'a pas subi les ravages d'une hyper-industrialisation qui a pris des proportions que je n'aurais absolument pas pu imaginer. Je devrais être contente d'être là. Je le suis à moitié... mais ça coute rien de se plaindre après tout, pas vrai.

❝Je peux au moins savoir où on va ?❞


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❝Oh ça va, si on peut plus poser une simple question❞, je lui rétorque, de mauvaise foi, quand il me met en garde contre le fait de râler davantage.

Bon, il a peut-être raison, je râle peut-être - je dis bien peut-être - un peu, voire beaucoup. Mais faut me comprendre... j'me sens paumée, qu'est-ce que j'y peux. D'accord, c'est moi qui ai insisté pour venir, mais j'aurais été encore plus paumée si j'étais pas venue, après tout. "Vous verrez bien quand on y sera", il en a de bonnes, lui ! Si on doit y être encore demain... oui, je suis mauvaise langue, mais j'y peux rien, moi, si je commence à avoir les jambes qui chauffent à force de marcher. Le mystère, ça va bien cinq minutes, mais il s'agirait de pas exagérer non plus.

Au moins, il s'arrête pour attendre que je sois de nouveau à son niveau, et même si je le dis pas, ça me fait plaisir. C'est tout con comme attention, mais qu'est-ce que vous voulez, ça me fait plaisir quand même. Au moins, il ne me laisse pas me dépatouiller toute seule dans ces bois, et j'vais pas mentir, je préfère plutôt.

❝C'est pour ça qu'on a fait tout ce chemin ? Bah ça valait l'détour, dites-moi❞, je fais sans réussir à cacher ma déception quand on se retrouve devant une grande étendue herbeuse avec... littéralement rien d'autre.

Il a lui dans mes pensées, parce que oui, c'est bien ce que je m'apprêtais à lui dire : qu'il y a strictement que dalle, et que ça valait probablement pas la peine de se tuer les pieds dans les hautes herbes pour se retrouver le nez sous une étendue significative de rien du tout... Mais il en a pas fini, et quand je tourne mon regard vers lui... je distingue quelque chose, une chose à laquelle j'avais pas trop fait gaffe... Ou bien à laquelle j'avais peut-être pas spécialement voulu faire gaffe non plus. Une lueur de détermination, mais pas que. Une lueur d'espoir aussi.

J'vais pas dire le contraire, oui, ça fait une paye qu'on est là est qu'on se tourne royalement les pouces (enfin, pas si royalement que ça, si vous voulez mon avis), là-dessus je peux définitivement pas le contredire. Enfin si, il a rassemblé ses chevaliers, de nouveau, et je sais pas si j'me réjouis totalement de ça ou pas. Je pense que ça peut lui faire du bien. Ou bien du mal. C'est encore difficile à dire. J'intègre l'information progressivement, alors que je comprends où il veut en venir.

❝Vous voulez reconstruire Kaamelott ici ? Là, sur ce terrain vague !❞ Un léger sifflement s'échappe de mes lèvres. ❝Ben mon vieux !❞ On est pas sortis du sable, si vous voulez mon avis. ❝C'est...❞ J'ai pas vraiment les mots. C'est un projet immense... Et en même temps... Est-ce que je n'ai pas envie de retrouver Kaamelott, plus que n'importe qui ? ❝Ca aurait été plus simple avec deux trois murs déjà en place mais...❞ Mais ça compte pour lui. Et ça compte pour moi. ❝Si jamais j'peux faire quelque chose pour vous aider... J'déplace pas des briques, mais j'peux bien être utile à quelque chose, pas vrai ?❞ J'esquisse un léger sourire. ❝Vous êtes sûr de vous ?❞

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Faut me pardonner d'être inquiète, mais j'ai une bonne excuse pour ça, en même temps. C'est pas comme si on écrivait une histoire à partir de rien, on a peut-être des bases neuves, mais on a aussi une bonne chose de réécrire l'histoire exactement comme elle l'avait déjà été par le passé, et on va pas se mentir, c'était pas franchement glorieux non plus. C'est pas que j'ai pas confiance en Arthur, c'est juste que j'ai peur, et ça, j'pense qu'il le ressent, dans le fond, parce qu'au moment où son regard se plante dans le mien, je vois bien que ce qu'il cherche et veut avant tout, c'est rien d'autre que de me rassurer... et... j'apprécie. Je sais que je lui tape sur le système en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mais dans le fond, on veut pas des choses si différentes, tous les deux.

Et s'il faut être honnête, c'est peut-être même la première fois depuis un bail que je le vois pas aussi sûr et déterminé concernant ce qu'il veut. Je le vois, qu'il est sûr de lui, je le vois, qu'il a pas l'intention de changer d'avis. Il est sûr de ce qu'il veut, alors comment j'pourrais faire autrement que de l'encourager.

❝Oh, les princes aussi peuvent être de sacrés pignoufs, vous savez❞, j'lui fais remarquer avec un sourire en coin, mais c'est pas vraiment pour le contredire, en vrai, juste pour apprécier la confiance que je vois briller dans son regard. Il sait ce qu'il fait, il sait ce qu'il veut, et ça... ça vaut bien de trimer un peu pour l'aider à l'obtenir. Et j'admets que s'il pouvait s'entourer de quelques personnes compétentes en plus de sa clique habituelle de bras cassés (mais qu'il me la fasse pas, je le sais, moi, qu'il les aime bien, dans le fond, ses pignoufs de chevaliers), ça lui ferait pas de mal. J'crois en lui, en vrai. J'peux me le permettre, puisque lui aussi crois en lui-même. ❝Vous avez l'air sacrément sûr de vous❞, je commente. ❝C'est qu'ça doit pas être pour rien.❞

Et je veux le soutenir parce qu'en même temps, j'veux pas grand-chose de différent non plus. Ses objectifs ont leur importance pour moi aussi.

❝Vous savez, y a toujours des choses à améliorer, même dans c'monde-ci.❞ Même si c'est vrai que les progrès sociaux dont on peut être témoins ici sont du genre même qu'on aurait jamais pu envisager d'où l'on vient, y a définitivement pas photo. Mais oui. C'est pas chez nous. Et ça peut pas être chez nous. ❝Vous redoutez de m'avoir dans les pattes, hein ?❞ je me contente de commenter sans répondre directement à ses propositions. Il s'agirait, pour répondre, que je sache moi-même ce que je veux. C'est pas le cas. ❝Bon, parlez-moi de ce nouveau Kaamelot ! Vous le visualisez comment ? Vous allez quand même pas nous pondre une copie conforme à l'ancien, pas vrai ?❞

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Au fond, si je dois être un peu honnête, je me moque un peu d'à quoi ressemblera ce nouveau Kaamelott. Alors oui, je serai contente de retrouver certaines de ces vieilles habitudes qui me manquent quand même pas mal, faut bien admettre, mais dans le fond, ce qui me plaît le plus, là, tout de suite, c'est de voir l'enthousiasme d'Arthur et de ressentir qu'il y croit, y a cette flamme en lui que j'avais vu consumer et s'éteindre, et qui a l'air de briller plus que jamais. Alors oui, et même si j'le montre probablement très mal, c'est ça qui m'importe, là, tout de suite, et c'est pour ça que je dois y mettre du mien, même si je sais pas forcément comment m'y prendre ni quoi faire, même si j'aurais toujours un peu cette peur d'être un boulet accroché à sa cheville, quand bien même il me dit et me prouve le contraire, et encore maintenant, où, parce que je suis pas forcément confiante, j'oublie peut-être un peu d'être tendre.

Je sais que je l'agace - et il hésite pas à me le montrer - quand il suggère que non, il a pas du tout peur de m'avoir dans les pattes. C'est en redoutant qu'il s'agace que je l'agace, comique, hein ? Non, pas vraiment. Mais quand il s'exaspère, moi, je peux pas m'empêcher de sourire avec une certaine tendresse, parce que l'air de rien, il m'apporte tout le réconfort que j'espérais, là, tout de suite, et peut-être même encore davantage. Je préfère ne pas me répondre, je me contente de cette réponse aussi épidermique que sincère.

Je m'efforce de tout visualiser avec attention quand Arthur évoque avec moi ce qu'il a l'intention de faire pour ce Kaamelott nouvelle formule, curieuse de ce qu'il peut bien avoir à l'esprit, déterminée à garder l'esprit grand ouvert, intéressée par tout ce qu'il pourra bien vouloir m'apprendre à ce sujet. En effet, reconstruire à l'identique d'avant ne servirait à rien, je hoche la tête tout en le laissant poursuivre. Aucun commentaire concernant mes parents. Vaut mieux pas et dans tous les cas, c'est pas comme si ça devait être une grande surprise non plus pour moi... Avant de me soucier d'où ils iront, j'aimerais déjà pouvoir les retrouver, pour être honnête, alors le reste, bon...

❝Je le vois d'ici❞, je souris doucement. ❝Il faudra un beau jardin aussi... et les cuisines pas trop loin des chambres mais juste assez pour ne pas entendre Karadoc mâchonner en pleine nuit.❞  
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Si un jour on m'avait dit que nous aurions une conversation comme celle-ci et discuterions en toute décontraction de la perspective d'installer un frigo américain dans la chambre de Karadoc, si un jour on m'avait dit que j'entendrais les mots frigo américain sans m'interroger sur la diablerie dont il peut être question, je peux vous dire que je l'aurais pas cru ! Même moi qui ai bien des difficultés à me familiariser avec toute cette technologie moderne, je réalise que je m'y fais en partie. En partie seulement. Jamais complètement.

Mon sourire disparaît tout de même quand Arthur évoque plus longuement ses inquiétudes, ce quelque chose qui se trame et qui l'inquiète sincèrement. Je vois bien qu'il est sérieux, je sens bien qu'il ne plaisante pas et qu'il s'inquiète très sincèrement de cette situation. Oui, je comprends son intuition. En même temps, comment ne serait-ce qu'envisager le fait que quoi que ce soit ici serait normal quand ce n'est, à l'évidence, pas le cas du tout ? Le seul fait d'être ici en dit long. Je sais pas si un nouveau Kaamelott suffira réellement à percer les mystères de cet endroit et empêcher un danger imminent, mais ce que je sais en revanche, c'est que ça ne pourra clairement pas nous faire de mal dans tous les cas.

❝Vous échouerez pas.❞ J'occulte le "cette fois" et j'affiche une assurance et une volonté de fer, dont je pourrais me surprendre moi-même si je ne me savais pas si confiante... peut-être pas tant dans notre situation que dans notre avenir qu'en Arthur. Je le vois et le sais déterminé. Et je veux appuyer autant que possible cette détermination. J'aime le voir ainsi, et ça me réconforte, parce qu'au fond, cette situation me fait un peu peur aussi... C'est en plein futur, ironiquement, que mes perspectives d'avenir me paraissent les plus floues. ❝Déjà parce que je suis là, et ensuite parce que vous avez pas le choix❞, tu suggères avec une fine esquisse de sourire.

Qu'il tienne compte de mes inquiétudes et soit en mesure de les comprendre, ça me touche et ça me confirme ce quelque chose que parfois je néglige parce que j'ai l'impression que si j'y attache trop d'importance - et c'est le cas -, ça va me filer entre les doigts. Il a conscience de ce qu'il m'a fait endurer, il le minimise pas, et j'apprécie, parce que je vais pas dire que c'était rien, je vais pas dire que c'était pas difficile. J'vais pas mentir.

❝Merci❞, je réponds plus sérieusement. Et en retour, je veux être la meilleure épouse possible, celle qu'il sera fier d'avoir à ses côtés. Même si bon, chassez le naturel...

J'hésite un peu au moment d'oser me serrer dans des bras qui ne me réclameront peut-être pas autant qu'ils m'attirent. Comme une manière de sceller cette complicité souvent maladroite, entre nous, car nous l'avons trop souvent mis à l'épreuve de nos fichus d'un tempérament, et d'une rivale invisible face à laquelle je ne faisais pas le poids.


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❝Pas la peine de me regarder comme un merlan frit, hein❞, je réplique quand même quand je le vois me dévisager comme s'il me voyait pour la première fois.

Bah, il a pas tort, c'est pas comme si j'avais toujours été d'un soutien indéfectible envers lui, mais faut me comprendre aussi, c'était pas toujours simple d'en placer une avec lui... et surtout, quand on part du principe qu'on comprend rien à rien, on finit par ne plus chercher à comprendre quoi que ce soit à quoi que ce soit... Mais on n'est plus chez nous, j'dois bien essayer de trouver ma place, et surtout, après tout ce temps, au-delà des prises de bec constantes, c'est pas comme si ma loyauté pouvait aller à quelqu'un d'autre.

❝Parce que sous prétexte qu'il baragouine et qu'il est bizarre, on ferait la paire ?❞ je rétorque quand il me cause de Viserys. ❝Je vous ferai savoir que j'ai parlé plus d'une fois à Viserys Targaryen et qu'il m'a paru parfaitement intellegible.❞

Enfin, une fois qu'on a passé outre toutes ses histoires complexes, là, parce que si l'écosystème politique à Kaamelot me dépassait bien souvent, je peux vous dire que tout ce qui concerne Westeros ou je sais pas quoi c'est encore une autre marmelade.

Dans tous les cas, ça change rien. C'est Arthur que je veux suivre, c'est Arthur que j'ai suivi jusqu'ici, y compris dans des moments où il aurait probablement préféré ne pas m'avoir dans les pattes (bon, on va omettre la période où j'ai eu la stupidité de fuir avec Lancelot... mais on a bien vu ce que ça a donné. C'est pas franchement comme si j'avais envie d'y revenir ou encore d'épiloguer sur le sujet).

❝J'en ai pas d'autre, de vie.❞ Ce qui veut pas dire que je pourrais pas essayer de m'en façonner une autre. J'entends si souvent que cet endroit est un territoire de nouvelles opportunités, qu'il faudrait saisir à bras le corps... Mais bon... on se refait pas, quoi. ❝J'en veux pas d'autre, de vie.❞ Je hausse les épaules. ❝Tant qu'j'suis avec vous, moi ça m'va.❞


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