Je pousse un profond soupir en rangeant mon téléphone dans la poche avant de mon jean. Elle ne viendra pas. Est-ce que je dois être surprise ? Il n'est pas rare qu'elle me fasse faux bond, pour des raisons plus ou moins bonne, que ce soit du fait de ses obligations que je déplore ou simplement parce qu'elle ne veut pas m'entendre la sermonner des heures durant sur ses choix de vie désastreux. Peut-être que cela passe parfois pour de la condescendance. Mon discours se fait souvent plus agacé qu'empathique à mesure que le temps passe et que j'ai de plus en plus de mal à supporter de la voir s'enliser dans des schémas qui la rendent malheureuse. Malheureusement, je n'ai pas sur sa vie le moindre pouvoir. Je peux au moins m'évertuer à être là pour elle si elle peut bien vouloir de moi...

C'est ce que j'avais avancé au moment de lui proposer de sortir prendre un verre toutes les deux. Je voulais vraiment qu'on se détende, qu'on bavarde, qu'on s'amuse, qu'on mette nos différends de côté. C'était véritablement mon intention, je n'en avais aucune autre... mais entre mes bonnes intentions et mes vieux réflexes, il y a une ligne très fine, que j'ai tendance à franchir un peu trop rapidement et sans forcément m'en rendre compte. Probablement que j'aurais fini par aborder le sujet qui fâche - les sujets qui fâchent. Et elle me l'aurait probablement reproché pour de très bonnes raisons. Elle a dû le sentir. Bref.
Padmé ne viendra pas.

Je suppose que je n'ai plus qu'à rentrer chez moi. Oui, mais je n'en ai pas spécialement envie. Pas plus que je n'ai forcément envie de jouer les piliers de bar toute seule installée à un comptoir... Mais un verre ne me tuera pas, et ce n'est pas comme si je m'inquiétais de quiconque déciderait de m'aborder. Au final, je n'ai pas le temps de mettre un pas à l'intérieur qu'un jeune homme que je ne connais pas me prend dans ses bras... Je reste un instant interdite. Si c'est sa méthode pour aborder le sexe opposé, il y a des choses à redire, mais mon intuition me souffle qu'il n'est pas question de cela. Il m'appelle Elizabeth, et le bonheur qu'il semble avoir à me retrouver n'est pas de ceux que l'on peut feindre.

❝Excusez-moi mais...❞ Je me recule et prend gentiment mes distances avec lui. Sans brusquerie mais avec un fond de défiance tout de même. ❝Vous faites erreur. Je ne suis pas Elizabeth.❞


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Dans le regard de cet homme, je peux lire une peine immense, qui me sert aussitôt le coeur. Je ne suis pas celle qu'il espérait, et il doit à présent faire face à la réalité de ma présence, une réalité qui lui déplaît forcément... parce qu'il ne m'a pas confondue avec n'importe qui. Je suis, apparemment, le portrait craché de son épouse. J'imagine sa peine autant que sa déception, cet ascenseur émotionnel que cela a dû être pour lui. Cela fait presque quatre ans, maintenant, que nous nous trouvons sur cette île. J'ai eu la chance, en ce qui me concerne, de retrouver les personnes qui comptent le plus pour moi... la personne, en fait. Mais tout le monde n'a pas eu cette chance. J'en suis navrée pour lui. Je ne peux pas lui reprocher sa spontanéité quand je devine à présent combien il doit souffrir de cette désillusion, de la réalisation de son erreur.

❝Ne vous excusez pas❞, je lui réponds avec un fin sourire sincèrement bienveillant. ❝C'est moi qui suis navrée... je regrette de vous avoir donné de faux espoirs.❞

Et maintenant ? Je ne veux pas qu'il se sente mal en ma présence, je ne veux pas lui faire endurer ma compagnie si celle-ci doit lui être douloureuse étant donné ma ressemblance avec sa femme. Mais il est impossible pour moi de ne pas me sentir intéressée, intriguée par ce que je viens d'apprendre, et assez naturellement, je veux en savoir, en entendre plus sur cette femme qui me ressemble tant. Tout en n'étant pas sûre que ce puisse être du goût de mon interlocuteur. Ce pourrait bien être la dernière chose qu'il puisse vouloir, ce que je peux très bien comprendre également.

❝Je m'appelle Sabé❞, je me présente à lui avec un fin sourire. ❝J'espère sincèrement que vous retrouverez votre épouse.❞

C'est on ne peut plus sincère, oui. C'est le meilleur que je puisse lui souhaiter. D'autant plus en ayant vu dans quel état le fait de comprendre que je n'étais pas elle.

❝Parfois, cela fait du bien, de parler des personnes qui nous manquent...❞

C'est une suggestion prononcée à mi-mots, mais je m'épargne d'en dire plus, je lui donne l'occasion d'éluder le sujet, ou même de prendre congé de moi s'il le décide. C'est une chose que je comprendrais tout à fait, et que je ne reprocherais certainement pas à ce jeune homme qui ne me connaît pas, après tout, et qui, bien évidemment, ne me doit absolument rien.    
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J'affiche un léger sourire quand Will accepte mes excuses et m'en présente d'autres. En vérité, dans une situation comme celle-ci, il n'y a absolument aucun fautif. Ce sont les circonstances qui se jouent de nous, rien d'autre, et ça, c'est une chose que ni l'un ni l'autre n'aurions pu nous imaginer, vraiment pas. Alors oui, il n'est pas nécessaire de chercher un coupable, ou même encore de nous appesantir. Même s'il n'est pas simple d'appréhender cette situation, même si je regrette de ne pas être cette épouse qu'il a tant cherchée, je peux au moins être une amie, une oreille attentive. Une personne à laquelle il pourra décider de se confier s'il doit avoir le coeur trop lourd. Cela ne nous coûtera rien, ni à lui ni à moi, et ça pourrait, bien au contraire, nous faire le plus grand bien.

J'esquisse un léger sourire triste mais sincère alors que Will me fait remarquer qu'après quatre ans d'attente, il peut bien attendre encore un peu. Oui, quelque part. Ceci dit, je le comprends, et je n'ai aucun mal à me mettre à sa place, pour être honnête. Mais plus le temps passe, plus le poids dont on aimerait se délester paraît lourd, en réalité... Rien n'est jamais aussi simple qu'on ne le voudrait. C'est ainsi.

❝Il y a des pirates dans le monde duquel je viens❞, je réponds avec un sourire, en m'interrogeant de plus en plus sur ce que mon interlocuteur va m'apprendre, de plus en plus intriguée par son histoire, comme il ne tardera probablement pas à être intrigué par la mienne quand je l'aurais partagée dans le moindre détail. ❝Mais je doute fort que nous parlions des mêmes❞, je me permets d'ajouter.

Ou bien, dans le cas contraire, j'en serais particulièrement surprise, je dois dire. Mais je ne m'attends certainement pas à une telle surprise, loin, très loin de là. Nous venons, j'en suis à peu près certaine, de dimensions très différentes, tous les deux, ce qui ne veut pas dire que nous ne trouverons pas dans l'histoire de l'autre quelque chose qui nous touchera naturellement et profondément.

❝A moins que les pirates auxquels vous faites références naviguaient également à bord de vaisseaux spatiaux❞, j'ajoute avec un honnête amusement.

Je guette sa réaction avec intérêt. De manière générale, quand je fais mention de ma vie passée et de ce qu'elle comporte de caractéristique, ce discours est loin de laisser les personnes autour de moi indifférentes. Loin de là, même.



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C'est avec légèreté que je parle de mon ancienne vie. Au départ, je me montrais plutôt discrète sur la question, je ne voulais pas être regardée de travers, ou me justifier de ce que certains prendraient peut-être pour un signe de pure folie... Je suis fière de mes origines, je ne veux avoir honte ni de la dimension de laquelle je viens, ni de mon existence dans son ensemble, mais je sais très bien que ce n'est pas si simple. Quand j'ai compris que tout le monde ici avait une histoire étrange et singulière à partager, alors j'ai décidé d'appréhender et de prendre les choses différemment, et c'était une bonne chose à faire, je crois. Alors oui, je discute de ce  que j'ai autrefois connu sans détour, ne serait-ce que pour ne surtout pas oublier. Ce que j'ai vécu, ce qui m'a façonné en tant qu'individu, mérite que je m'en souvienne quoi qu'il puisse advenir, peu importe les circonstances et les coups du sort.

❝En effet❞, je dis en étant amusée de la fascination affichée de mon interlocuteur, alors qu'il doit accepter l'idée qu'il existe une dimension au sein de laquelle l'on peut voyager de planète en planète, indistinctement. Ce qui est impressionnant pour d'autres ne l'est pas tant pour moi, mais je sais que ce n'est pas une chose forcément simple à comprendre et à assimiler.

❝Nos pirates avaient des ambitions similaires, mais à l'échelle de toute la galaxie. Pillages de vaisseaux, prises d'otage, ce genre de choses.❞ Je frissonne. ❝Fort heureusement pour moi, je n'en ai jamais rencontré à titre personnel, mais...❞

Mais j'avais déjà eu fort à faire avec mes propres épreuves, mes propres aventures, qui n'étaient pas moindres non plus. Je me suis engagée dans une vie des plus compliquées, concernant laquelle mon unique regret est de ne pas avoir su soutenir Padmé autant que je l'aurais dû.

❝Vous avez l'air de vous y connaître, en matière de piraterie❞, je remarque en l'observant, songeuse. ❝Est-ce que je dois m'inquiéter ?❞

Je le dis sans le penser. Je sais de source sûre qu'il faut se méfier de l'eau qui dort et ne pas adresser sa confiance à autrui trop légèrement, mais dans le cas de Will, je pense très sincèrement n'avoir aucune inquiétude à me faire. Il m'inspire, assez naturellement, une certaine sympathie et presque autant de confiance, et je ne pense pas que je m'égare ou me trompe sur ce point.

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Je souris en découvrant l'intérêt que mon interlocuteur porte à mon ancienne vie, que je ne peux que comprendre et trouver légitime, étant donné ma propre curiosité vis-à-vis de ce monde. Nous venons tous de très loin, au sens propre comme au figuré, il est plutôt normal, par conséquent, que nous nous trouvions bien souvent décontenancés par ce que nous découvrons, et par le contraste manifeste entre ce que nous avons été, ce que nous avons vécu... ce que nous sommes et nous a défini.

❝Nous étions dépendants d'une politique à échelle galactique, mais chaque planète avait ses propres représentants. A dire vrai, si je devais vous brosser le paysage politique du monde duquel je viens, nous en aurions probablement pour plusieurs heures.❞

Mais cela ne me dérangerait pas pour autant. Et pour cause, j'ai toujours eu une grande affinité avec le champ politique, exacerbé par mes propres choix, mes propres convictions, ma propre vision. C'est autant d'éléments que je ne peux que vouloir partager avec mon interlocuteur. Je ne veux pas l'assommer avec tout ça, je ne suis pas convaincue que tout ceci ait encore du sens, dans tous les cas, vu les circonstances qui nous préoccupent.

❝Devient-on réellement pirate malgré soi ?❞ dis-je avec un sourire entendu quand William me partage son histoire... qui me passionne immédiatement. Je ne me verrais certainement pas m'engager dans la piraterie, bien sûr que non, mais je ne peux tout de même qu'avoir de la curiosité à l'adresse de celui qui semble y avoir été enrôlé presque malgré lui et n'a eu dès lors d'autre choix que de se laisser porter par le courant... et advienne que pourra. ❝Si vous n'êtes pas ce genre de pirate, quel genre de pirate êtes-vous, exactement ?❞

Je ne le mets pas à l'épreuve, je ne cherche pas à lui poser ce genre de questions, je ne cherche pas à contester ses dires, j'affiche seulement une curiosité que je sais qu'il partage en retour. Il est un pirate, et un pirate pas comme les autres. Je suis, de toute évidence, tombée sur un sacré énergumène. Ce William Turner est quelqu'un d'énigmatique et d'intéressant, et je prendrais toujours le temps de m'intéresser à toutes ces personnalités énigmatiques qui croiseront ma route, parce que je m'imprègne de leurs expériences, et qu'elles m'intéressent immensément.

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Le discours de mon interlocuteur me fait sourire sans en revanche me surprendre. Je veux continuer d'avoir foi dans la nature humaine, quoi qu'il advienne. Mais j'ai pu en contempler les aspects les plus insoutenables et les plus terribles. C'est une chose de laquelle l'on ne revient pas, qui vous ronge de l'intérieur comme un vers et fait germer en vous les graines de la peur et de la désillusion. Les hommes se battre pour des centaines de raisons... La haine en fait partie bien sûr, mais elle naît bien souvent d'autre chose, à commencer par le sempiternel besoin de protéger les siens, quitte à devenir la personne dont il faudra se protéger en retour. Et bien sûr il y a l'ambition, l'aveuglement, la soif de pouvoir. Tout ceci est probablement commun à grand nombre d'humains, et je ne suis pas sans l'ignorer.

❝C'est inimaginable en effet❞, dis-je avec un fin sourire en réaction aux propos de mon interlocuteur quand il peine à se figurer ce que peuvent représenter des conflits à l'échelle de toute une galaxie - et pour cause, il y a de quoi s'en trouver particulièrement abasourdi. ❝Même quand on est aux premières loges pour y assister❞, je complète avec un fin sourire qui veut en dire long.

Je n'en dis pas davantage, expliquer tout ceci me paraît difficilement possible, et je ne suis pas entièrement certaine que cela en vaille réellement la peine. En revanche, je ne peux qu'être intriguée par le passé de pirate de mon interlocuteur et par ce que cela peut bien représenter à ses yeux. Je veux, bien évidemment, en entendre davantage, et je ne doute pas du fait qu'il saura me passionner par son récit.

❝L'amour nous fait faire des choses improbables❞, je confirme avec un fin sourire, et en connaissance de cause.

Des choses terribles parfois, j'en ai été le témoin. Des choses désespérées, également, j'en ai de toute évidence été l'actrice. Ce que je me sens prête à faire et à endurer pour Padmé, alors que je ne suis même pas certaine de la revoir un jour, en atteste de façon on ne peut plus claire et évidente.

❝Votre Elizabeth a de la chance de vous avoir. Si vous vous battez pour elle ici aussi, je ne doute pas que vous finirez par la retrouver.❞

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