Working Day ft. Abelforth Dumbledore

Au fond, la vie ici n’était pas bien différente de celle que Karube avait connu à Shibuya. En dehors du fait qu’il y avait pas mal d'occidentaux, et qu’un tas de gens étaient capables de tours de magie dont Karube avait bien du mal à expliquer la possibilité. En même temps, il avait arrêté de chercher des explications. Ici, il n’était pas en danger, et au fond, il avait clôturé un chapitre de son existence avant d’arriver ici, alors… Il avait continué à faire ce qu’il avait toujours fait : servir des verres. Si ses meilleurs amis lui manquaient, il s’était fait à leur absence, avec le temps. Cinq ans avaient passé, et Karube pensait qu’il ne les reverrait jamais. Quoi que la nouvelle lune rouge avait attisé sa curiosité, mais il ne voulait pas se porter de faux espoirs, et avait donc continué sa vie sans s’accrocher à des illusions. Une existence qui se résumait à bien peu de choses. La plupart de son temps, il le passait à la Tête de Sanglier.

Le vieil homme qui tenait la taverne était un peu bourru, parfois il avait un sale caractère, mais Karube l’aimait bien. En fait, il se rapprochait de ce qu’il connaissait le plus d’une figure paternelle. Il n’avait jamais été très proche de sa famille, et avait été livré à lui-même très tôt dans sa jeunesse. Abelforth avait davantage les traits d’un père que son propre géniteur à ses yeux, c’était tout de même un comble. Cette vie était plutôt agréable, quand il y réfléchissait. Il ne se plaignait pas. Le temps avait fait son oeuvre, les traumatismes et les manques s’étaient apaisés depuis longtemps, et ses cicatrices refermées. Karube avait définitivement réussi à embrasser cette nouvelle existence, malgré des souvenirs qui le hanteraient toute sa vie durant. Il dealait avec.

Et en parlant de dealer, le voilà en chemin, une cigarette dans la main. Il s'en allumait toujours une avant de commencer sa journée, ce qui ne l'empêchait bien entendu pas d'en fumer d'autres au cours de son service. En fait, ça lui avait même créé certains liens avec des clients réguliers : le grattage de clopes, ça rapproche. Il poussa la porte de la Tête de Sanglier pour la millionième fois depuis son arrivée ici. Sa journée débutait toujours de la même manière : il entrait, trouvait le vieux déjà à son poste derrière le bar, et il lui lançait.

- Bonjour Abelforth. Quelque chose de particulier aujourd’hui ?

Etant donné que le propriétaire était maître de l’endroit, Karube préférait savoir tout de suite s’il y avait un départ ou une arrivée à préparer, ou n’importe quoi du genre. C’était peut-être tous les jours la même rengaine, mais ça lui plaisait bien. En plus, si son arrivée était toujours la même, ses journée, elles, étaient toutes bien différentes. A la Tête de Sanglier, il y avait un tas de gens pas toujours très nets qui traînaient. Et souvent, cela offrait son lot de divertissement.

En arrivant devant la Tête de Sanglier, Karube écrasa sa clope dans l’un des cendriers qui se trouvait à proximité, avant de pousser la porte. Si le rituel d’arrivée était toujours le même, les tâches différaient souvent malgré tout, et il n’avait jamais eu de quoi s’ennuyer. Le jeune homme était habitué des endroits mal fréquentés, déjà avant d’arriver ici. Se diriger vers Lockwood Hill avait été pour lui une évidence. Les beaux quartiers, ce n’était pas pour lui, il l’avait toujours su. Il ne s’était jamais projeté dans un grand avenir brillant. D’une certaine manière, il avait toujours été conscient d’où était sa place. Un jeune en roue libre qui faisait son possible pour ne pas sombrer dans la délinquance, mais qui n’irait pour autant pas bien loin dans la vie. Sa seule ambition étant de demeurer un bon soutien pour ses amis et avoir de quoi vivre, on pouvait dire qu’il n’avait pas besoin d’un métier haut placé et richement payé. Il se sentait bien à la Tête de Sanglier, et c’était amplement suffisant.

Un mince sourire se dessina sur le visage du jeune homme lorsqu’Abelforth lui mentionna les chèvres. Il les aimait bien, ces bestioles, même s’il n’y aurait jamais cru à la base. Franchement, il n’avait jamais côtoyé beaucoup d’animaux dans son ancienne vie et il ne pensait pas que ce soit aussi apaisant. C’était aussi une manière pour lui de prendre davantage de distance avec son monde originel. Tout ce qui était différent était bon à prendre, pour ne pas ressasser.

- C’est comme si c’était fait, patron.

Bien qu’il sache qu’Abelforth n’appréciait pas des masses ce surnom, Karube s’amusait souvent à l’en affubler, pour l’embêter un peu. Il se sentait assez familier avec lui pour le faire. Et puis, il respectait en réalité beaucoup Abelforth. Ce train d’humour en était l’une des preuves. Il ne se montrait pas aussi familier avec n’importe qui. Karube se dirigea donc d’un pas assuré vers l’enclos des chèvres, récupérant au passage de quoi les nourrir, légumes, foin, et autres aliments adaptés. Depuis quelques temps, il y avait un petit, en plus de cela. Il fila droit vers les bacs de nourriture vides pour les remplir avant de se faire rappeler à l’ordre par les bestioles. Bien entendu, elles avaient bien compris ce qu’il venait faire, et il ne fallut pas longtemps pour qu’elles se retrouvent dans son dos.

- Et ben, c’est pas la patience qui vous étouffe.

S’amusa-t-il en se retournant. Il caressa les têtes de chacune des chèvres pendant quelques secondes, avant de faire un pas de côté pour les laisser manger. Karube pouvait, en réalité, être aussi doux qu’il ne pouvait être impulsif. Une force tranquille prête à devenir une tempête dès que la situation l’exigeait. Il referma l’enclos derrière lui.

Karube s’était toujours contenté de peu, et il était parfaitement heureux dans sa situation actuelle. Il n’avait jamais eu besoin de grand chose, et la Tête de Sanglier lui prenait déjà assez de temps pour lui occuper l’esprit. Il ignorait comment il se serait débrouillé, sans Abelforth. Il aurait sans doute fait le tour des bars et des tavernes du quartier, peut-être aurait-il poussé jusqu’à Raccoon Square. Quoi qu’il en soi, sa vie aurait été bie différente. Après Borderland, il avait eu bien besoin d’un peu de calme, de stabilité, et surtout, de savoir qu’un laser n’allait pas jaillir du ciel pour lui transpercer la cervelle. Se sentir en sécurité avait pris du temps. Réaliser que non, il n’allait pas mourir s’il ne jouait pas à un Jeu dans les trois jours n’avait pas eu lieu du jour au lendemain. C’étaient des habitudes qui s’étaient progressivement réinstallées. Mais il continuait de s’entraîner, au cas où. Il voulait être prêt en cas de problème majeur, et puis, ça lui permettait de se défouler.
Mais lorsqu’il était à la Tête de Sanglier, il se sentait apaisé, et c’était pour lui quelque chose qui n’avait pas de prix.

De retour de sa micro escapade auprès des chèvres, le faux blond sourit, amusé. Abelforth passait plus de temps que lui avec les chèvres, et il savait certainement mieux encore si elles allaient bien, mais il appréciait tout de même la question. Et puis, on ne savait jamais, ça pourrait avoir changé en quelques secondes, qui sait.

- Affamée. Je commence à croire que vous les rationnez !

Et évidemment, il était certain que ce n’était pas le cas. Abelforth aimait beaucoup ces chèvres, et il était convaincu qu’il se laisserait mourir de faim plutôt que les voir souffrir de la famine. Il hocha la tête, et se dirigea vers la cour pour s’assurer de la livraison du lait venant du ranch non loin.

- Je m’en occupe.

Karube disparut du champ de vision d’Abelforth, le temps d’aller réceptionner le paquet qui avait été livré à l’heure, comme d’habitude. Franchement, si un jour on lui avait dit qu’il s’occuperait de chèvres et boirait du lait avec un vieux tous les matins, il ne l’aurait clairement pas cru. Mais c’était parce que Shibuya était une ville particulièrement mouvementée et animée, aussi. Un centre-ville rien à voir avec Lockwood Hill. Il retourna dans la taverne, avec la cargaison de six bouteilles, et les posa à leur place, derrière le comptoir. Habitué, il en sortit une du bac, pour la poser sur le plan de travail.

- Toujours à l’heure, sans surprise.

Une qualité qu’il trouvait rare, dans cette ville. Disons qu’au Japon, tout était très carré, les choses roulaient avec une exactitude absolue. Aucun métro n’avait la moindre minute de retard, et les gens en faisaient de même.

- La nuit a été bonne ?

Il prenait ainsi des nouvelles d’Abelforth, s’assurait qu’il allait bien. Karube s’en souciait, bien entendu. On ne dirait pas comme ça, mais derrière son apparence de gros dur qui faisait parler ses muscles avant sa tête, il avait toujours veillé sur ses proches avec ferveur.