Ce monde est... facile.
Personne ne nous attend au coin des rues pour essayer de nous trancher la gorge, personne n'essaie de nous abattre à vue, on peut parler absolument à tout le monde sans se faire envoyer paître (ou du moins pas immédiatement). Le fait que ce soit aussi simple a retiré tout l'amusement qu'il y a dans le frisson de dérober quelque chose...
Non, pas toutes les choses.
Il est un objet dont je n'ai toujours pas compris l'utilité, qui est compliqué à substituer et qui peut rapporter très gros : ces espèces de rectangles noirs que tout le monde semble avoir. Certains les appellent les mobiles, les portables, ou autre. Sans même savoir quoi que ce soit de ces machins, j'ai appris qu'ils étaient précieux pour leur propriétaire. Le deal est simple : je les substitue et je les redonne contre un peu d'argent de ce monde. Je suis même parvenu à identifier ceux qui valent assez cher de ceux qui ne font naître qu'un haussement d'épaule à leur propriétaire.
Les restaurants, pour cela, sont une aubaine. J'ai repéré un couple, un homme et une femme. L'homme va être plus délicat à dérober parce que son portable est constamment dans sa main, la femme, par contre, a le regard triste qui traîne. Je me décide donc pour le chalenge plutôt que pour la facilité. Je m'installe à la même terrasse qu'eux, demande un jus d'airelles cranberry et observe. L'homme se lève probablement pour aller aux toilettes, mais emmène son portable avec lui. Il est long, très long. Je remarque alors qu'il a laissé son... sa... bourse... enfin là d'où sort l'argent en version papier... dans son manteau, plutôt bien en vue. Je me lève, et m'installe à sa place, devant la femme esseulée.
Je ne supporte pas de voir une femme esseulée, vous me connaissez.
"Très chère mademoiselle, je vous demande pardon de m'imposer à vous ainsi, mais je vous observe depuis un petit moment et vous n'avez pas l'air bien."Main qui farfouille dans le manteau et je trouve rapidement le cuir sous mes doigts. Du même temps, la femme semble surprise, un brin outrée par mon outrecuidance, mais finalement se détend et finit par soupirer.
"Rassurez-vous, je ne suis pas là pour vous offrir un verre, je veux juste m'assurer que vous alliez bien, sinon, je me connais, je vais passer une mauvaise après-midi, et par une telle journée, ce serait dommage, vous ne trouvez pas ?"Ma main entre à l'intérieur du cuir et je compte pas moins de quatre papiers qu'on appelle des billets. C'est plus onéreux que des pièces, ici. Leur nombre n'est pas important. Ce qui importe sont ce qu'il y a marqué dessus.
"C'est juste que je suis inquiète pour mon couple..."
Les billets quittent leur écrin pour venir dans ma poche.
"... plus comme avant ..."
Je fais un sourire charmeur à la miss tandis que je me redresse et fais semblant d'être intéressé par son histoire.
"... avec ma meilleure amie."
"Vous méritez une personne qui prenne soin de vous."Je pose un coude sur le dossier de la chaise, un coude qui entre en collision avec un monsieur pas content. Tiens, c'est le monsieur de la madame, et comme une merveilleuse ironie, il a son portable à la main. Il fulmine avant de commencer à brailler.
Ah oui, petit détail dans ce monde : les gens crient. Ils ne se battent pas, ne se menacent pas avec un petit air doucereux. Non, ils crient directement.
Paumes vers l'avant, je me lève de sa chaise et essaie de l'apaiser. La femme s'y met, et commence à crier aussi. Sur qui, lui ou moi, je ne sais pas, mais toujours est-il qu'un attroupement commence à se masser autour de nous. Mon instinct me pousse à me redresser et à faire face à l'homme. J'ai même la dague qui me démange en cet instant, mais je...
Hey !
Me voilà tiré en arrière brutalement par des bras forts qui ne meuvent appartenir qu'à une seule personne. Oh... OUAIS ! Elle gère la situation comme elle l'a toujours fait, les haches monstrueuses en moins. Je reconnaitrais cette voix et cette chaleur à peu près n'importe où.
"KARLAAAACH !!"J'hésite qu'un instant, avant de la prendre dans mes bras. Ce que c'est bon de la retrouver ici ! Ce que c'est bon de pouvoir la toucher aussi ! S'il y avait un de mes compagnons d'aventure que je voulais retrouver, c'est bien elle. C'était... c'est la plus marrante d'entre tous.
"Comme tu y vas... J'aiguise mon talent de séducteur, voilà tout."Je la regarde des pieds à la tête. Elle est plus petite, mais son sourire de braise est toujours au rendez-vous.
"Alors comme ça, tu es là aussi ? Comment tu t'en tires ? Tu sais s'il y a les autres ?"