(Terminé) Es-tu un robot aussi? [ft Sakhr] [FlashBack]

Parait qu’il faut bien une première fois à tout (sûrement dit aux infantiles pour les consoler), et je dois dire qu’après approximativement 5000 ans d’expérience, j’aurais cru pouvoir me passer d’un passage à l’acte aussi… incompétent! Je l’ai senti au fond de moi – que je pourrais me transformer, redevenir un être d’essence, si seulement j’arrivais à plier les lois de cet univers à celles du miens – des heures de pratiques infructueuses ont mené à ce changement oh, tellement réconfortant. J’ai pris la forme de Ptolémé sans me poser de questions – parce qu’elle était assez proche de la forme humaine que je possède en ce moment, et qu’il me semblait que ce serait plus facile (je suis, après tout, un fervent croyant en la phrase : travailler plus intelligemment, pas plus fort (et puis il fallait bien commencer quelque part)). J’y suis arrivé-

   Et l’histoire aurait dû s’arrêter là.
   
   Mais non-
   
   La transformation ne dura que quelque instants, après quoi mon corps se mis à croitre jusqu’à ce que je retrouve cette forme hideuse d’humain. Croitre – comme si je partais de zéro, comme si je pouvais sentir mes os s’étirer et ma peau se fendre puis se restructurer. À l’œil nu, rien de tout ça n’est arrivé – mais pour ceux qui, comme moi, arrive à voir sur plusieurs plans, disons que le spectacle dans le miroir n’était pas très ragoutant. Je me suis retrouvé au sol – comme catapulté dans un état recroquevillé alors que tous mes muscles sont pris de spasmes violents et douloureux (le parfait exemple de la phrase « faire une crise de bacon »). Il m’a prit – oh, combien de temps? Pour arriver à ramper vers mon lit pour me redresser, une violente migraine me poussant à expulser une partie de mon repas précédent? Je ne peux dire avec certitude combien de temps il me fallut pour sortir de la maison pour me diriger vers l’hôpital (en prenant le bus), mais je peux vous dire ceci : chaque instant fût un cauchemar, traversé de sueurs froides et d’une douleur que seuls les pires pièges sorciers vous font ressentir.
   
   Arrivé à l’urgence de l’hôpital, je me suis affalé – blanc comme un drap, vomir à nouveau, et hop, subitement je suis un cas prioritaire (je ne comprend pas trop comment fonctionne le triage, mais qu’importe). Tout ça pour me retrouver en jaquette d’hôpital sur un « lit », à trembler de froid, des larmes de rage coulant le long de mes joues alors que je n’arrive pas à contenir les gémissements de douleurs peu masculins que je puis bien rendre sonores. Et puis- un homme entre finalement dans la pièce, se présente (mais je ne retiens pas le nom, une largesse qu’on m’accordera certes vu les douleurs que je ressens).
   
   « Ergrmph» que je siffle entre mes dents en guise de réponse, alors que je tente de me redresser dignement (dignement) pour lui faire face. Mon visage se tord de douleur… et peut-être de quelque chose d’autre. Est-ce que mes yeux n’ont pas pris, là, la couleur de ceux de Ptolémé? Impossible à dire pour moi. « Douleurs musculaires doc » dis-je en me crispant comme si j’étais constipé. « Partout » mon souffle se fait court, ma respiration laborieuse alors que- « Ça brûle quand je respire » que je finis par ajouter, écouter pour la première fois ce que mon corps me disait vraiment. « Mal de tête, les lumières me donnent envie de vomir » pathétique, je finis par me laisser aller contre le petit lit d’hôpital pour me recroqueviller, comme si me faire plus petit allait arrêter la sensation d’os qui pousse à l’intérieur de moi.

« Okay » dis-je du bout des lèvres, bien content de pouvoir me laisser choir dans ce lit inconfortable mais quand bien même plus agréable que de devoir me plier en deux en me redressant. Un soupir m’échappe et je ferme les yeux; la lumière des néons au-dessus de moi sont comme aveuglants, étourdissants, et surtout ils me donnent un mal de cœur persistant; ma bouche se remplis d’une salive qui indique que je suis sur le point de rendre, mais je serre la mâchoire et commence à respirer assez fort pour contrôler la vague qui me prend. « Test sanguin? » dis-je, ne sachant pas du tout de quoi il en retournait. « Vous allez pas- » Oh, je me contracte et je me remets à respirer bien dramatiquement, mais c’est mieux que de rendre sur tes chaussures. « Pas les sangsues par pitié » dis-je; les restes de mes connaissances pas du tout à jour sur les pratiques de médecines humaines. Ces créatures (les sangsues, j’entends) me retournent l’estomac, et il m’est même arrivé quelques fois de me transformer en sangsues (pluriel, oui) pour dégouter les sorciers qui m’invoquaient. Les utiliser contre les autres, c’est une chose, mais les avoir sur cette peau humaine sensible… très peu pour moi.

   « Depuis une heure, environ. Le pire vient par vague » que j’admets, pas certain que la temporalité soit exacte, mais ça donnait une idée de la chose, pas vrai? Ça ne faisait pas des jours non plus, je suis honnête sur le sujet. « Euh, oui- » que je murmure, ma main se portant vers mon visage comme pour le nettoyer de la honte qui m’envahit. « Je- » regard qui se porte vers le côté. Comment avouer? Je serre la mâchoire, mais si je ne le dis pas, comment pourrais-tu m’aider? Mais il m’incombe de t’informer de ma nature et – toute chose considérée, je ne l’ai jamais fait jusqu’ici, de peur qu’on me retrouve. Peut-être était-ce un piège; je suis faible et invalide, je ne pourrais pas me défendre si tu venais à abuser de la confiance que je t’octrois. Tout ce processus semble évidemment me peser, amis je finis par glisser, tout bas; « L’écrivez pas dans mon dossier, m’sieur » dis-je bien pitoyablement, mon habitude habituellement supérieure (avec raison) s’effritant à vue d’œil. « J’suis un… Djinn. Un démon. Ce corps humain ne m’appartient pas, et- »
   
   Je me retourne, me pliant et me recroquevillant alors que je retiens des larmes que je ne comprends pas. Dramatique; je le suis, mais habituellement avec une intention de manipuler. Ici, je suis faible et pathétique, et ça ne me plais pas. « J’en ai marre de cette forme. Alors j’ai essayé de ma transformer. Changer les lois de mon essence, pour ne plus me sentir confiné. Le résultat… » haussement d’épaules alors que mon visage se tourne dans l’oreiller tout mince. Ma voix se brise -dégoutant- « vous l’avez sous les yeux »
   
   Oh; je m’attends à des moqueries. C’est ce que j’aurais fait si quelqu'un s’était présenté ainsi à moi. Je le méritais, sûrement, en tout cas. « Ouais. Très fragiles. Et dégoutants » que je dis -comme rassuré que tu sois d’accord avec moi. Et puis je me dis; « Vous êtes.. pas humains vous non plus? » que je dis, incertain qu’on veuille me répondre, mais l’idée était quelque peu rassurante. Peut-être, après tout, comprendras-tu ma détresse. « Aucune idée de quoi vous parlez, mais faites-vous plaisir surtout » dis-je en tentant d’esquisser un sourire narquois alors qu’on insérait une aiguille dans mon cœur. Je serre les dents à nouveaux, ferme les yeux; ça pince, certes, on m’a averti, mais avec la condition de mon corps, c’est plutôt une brûlure qui se soulève et persiste alors qu’on prend la fiole de sang et qu’on laisse le papillon en place au cas où il faudrait y faire une autre intervention.

« Mais qu’est-ce que j’en sais, moi?! » que je lâche dans mon agonie, paniqué parce que je suis dans le flou et que je n’ai aucune idée de ce qui se passe – et se passera. Pour toi l’ami c’est tout à fait normal ce qui se passe, mais pour moi? Quand même, je tente de me calmer et de dire plus doucement : « C’est ma première fois dans un hôpital. Aucune idée de ce que c’est, une seringue » pas eu le temps de recevoir une réponse qu’on me tend plutôt un bol à rendre (ça, je connais, même si ce n’est pas pour moi que je les ai utilisés par le passé). Tout naturellement mon repas précédent s’y rend, non sans me brûler la gorge, et non sans essayer de sortir par les narines également, un processus qui me coupa complètement de l’oxygène que ce corps a besoin et m’obligeant à galérer pour avaler de grosses goulées d’air pendant que le liquide acide sort – bref on va passer à autre chose mais disons que je finis plié en deux, les larmes coulant de mes yeux sous le coup de l’effort et pantois. « Oh, ma vie pour un mouchoir docteur » dis-je en réalisant qu’il restait du liquide dans mes narines, dont l’odeur me fit recommencer le processus douloureux.

« Trop compliqué à expliquer » dis-je entre deux gémissements. Te tendant le col de rendu faute d’espace où je puisse le poser (et disons que l’odeur me retourne l’estomac, vaut mieux l’éloigner) « J’sais pas si ça m’rassure, en soit » dis-je d’un haussement d’épaule, « mais c’est gentil d’essayer » dis-je bien pitoyablement. J’ai l’impression d’être au bout de ma vie, alors que pourtant, ça ne pouvait pas être si difficile que ça, non? Après tout il m’est arrivé souvent de me prendre des boules de feu ou de me retrouver à deux pouces de la mort… mais tout ça c’était dans un corps bien plus résistant que celui-ci, donc je suppose que je ne suis même pas au bout de mes peines. « Dégoutants, aussi, oubliez pas, dégoutant » dis-je en instant bien sur la chose – au moins c’était rassurant d’avoir un médecin qui semble d’accord quand au fait que nos nouveaux corps sont désagréables. « Et étroits, aussi » dis-je, que trop conscient en ce moment des limites de mes membres qui se tendent sous l’effet de la douleur. Je peux sentir mon cœur battre à tout rompre et ma vue s’embrouiller. Ma bouche est sèche et goute les poubelles, un mixte qui n’est pas idéal, disons.

« J’vous souhaite que la vôtre soit pas si douloureuse, doc’ » dis-je juste pour faire sortir des mots de ma bouche, juste pour changer le mal de place. En vérité, en ce moment, qu’est-ce que j’en ai à faire des autres, hein? « Oh bordel, vous allez rire doc’ » dis-je, plus parcourus d’un spasme douloureux qu’un rire. « Je sais exactement ce que Cybertron est » dis-je, insistant bien sur le mot Cybertron parce que ça démarquait bien ma maitrise (très limitée, j’admets) du sujet. « Par contre vite fait je tuerais pour un verre d’eau si ça vous embête pas, j’ai des relents d’égouts en bouche » et puis j’ajoute : « Doc’… combien de temps avant que j’aille mieux? Pas que je suis pressé mais j’suis sûr que vous devez avoir quelque chose pour la douleur, comme vous dites z’êtes pas des barbares ici »

« M’sieur » dis-je dans un grognement, « j’pourrais être dans un lit de nuage que j’serais pas confortable. » Bon, par contre, les lumières me donnaient vraiment la nausée, mais je pouvais pas trop te demander de les fermer, hein? « De toute » que j’ajoute après un moment, « même s’il me venait de partir, je me rendrais pas très loin » fiel dans ma voix qui est dirigé, évidemment, envers mon état et pas envers toi, me corps continue de se crisper alors qu’il m’est comme impossible de trouver une position confortable – alors on se contente du moins pire. Quand bien même, je prends le mouchoir avec hâte et j’expulse tout ça, ce qui malheureusement me brûle les sinus une deuxième fois alors que ça sort, mais bon, au moins là c’est fait. « Merci » dis-je simplement avant d’envoyer le mouchoir dans la poubelle juste à côté de moi. Trop fatigué pour protester, je prends le verre d’eau et puis je me rince la bouche. Allez savoir, ça me fait actuellement du bien, tout ça, et je pousse un soupir éreinté avant de laisser ma tête retomber contre l’oreiller trop plat. « le cachet… » dis-je d’une petite voix bien pathétique, « il devrait faire effet dans combien de temps? » ouais- je peux bien sentir que tu as autre chose à faire que de t’occuper de mes petites questions, mais je te garde un moment de plus dans la pièce. La vérité c’est que j’ai peur de me retrouver seul avec la douleur, dans un endroit inconnu et étrange.

« Ouais, comme vous voulez m’sieur » dis-je, feignant l’indifférence, mais en fait soulagé de savoir que tu reviendras, même si ce sera plus tard. Grognement et puis je dis : « vous inquiétez pas, je m’attends pas à des miracles non plus » et puis- moment de vulnérabilité, je me retourne comme pour te faire dos, mais je dis en entourant mes genoux de mes bras; « Je suis sérieux. Le dites pas. Ce que je suis. Ça va m’attirer pas mal d’ennuis, c’est sûr. C’est déjà assez compliqué de faire semblant d’être humain, si en plus… » je laisse ma voix trainer et puis je conclus : « J’espère que votre nuit se portera mieux que la mienne, docteur Ghrian » Et puis je ferme les yeux pour faire cesser la voltige de mon esprit qui tourne dans cette pièce qui ne semble pas capable de me contenir.

« Merci » dis-je simplement, avalant le comprimé en essayant de ne pas m’attarder sur sa composition. Après tout, si on voulait m’empoisonner, est-ce que ça changeait vraiment quelque chose vu comment je me sentais? Je me suis installé dans le lit, aussi inconfortable fut-il, me recroquevillant et tirant la mince couverture sur mon corps et puis la retirant selon mes sueurs froides et les bouffées de chaleur qui dévoraient mon corps. J’avais, au minimum, l’assurance vague que tu n’irais pas raconter ce que je suis, quand bien même cela pouvait facilement être un mensonge pour ne pas m’inquiéter. Pourtant, si on m’invoquait ce soir… je pourrais jouer le jeu du vomi sans trop d’effort, hein. C’est génial pour déstabiliser les bleus.

Dormir dans cet enfer, prisonnier de ce corps malade et des néons au-dessus de ma tête, fût presque impossible. Il semblait qu’à chaque fois que je m’assoupissais quelqu’un entrait dans la salle pour s’assurer que j’allais bien, pour changer mon soluté ou prendre d'autres prises de sang. Et moi je finis par me laisser faire telle une poupée de chiffon, le corps tendu mais parfaitement malléable dans le brouillard de ma fatigue. C’est au petit matin que ça se corse – on s’active un peu plus dans la salle et on me demande de rester couché alors qu’on me déplace d’une salle à l’autre pour des radiographies, d’autres tests et une panoplie de médecins de plus qui se posent sur mon cas. D’autres prises de sang – heureusement qu’un papillon a vite été posé sur ma main pour faciliter le drainage. Le tout était terrifiant, je dois l’avouer, moi qui ne connaissais rien des hôpitaux et des urgences, des vaccins et autres trucs du genre. On a même pris des échantillons de ma salive… qu’est-ce qu’on allait bien faire avec ça?

Et puis il me semblait que si on me laissait tranquille, je commençais à prendre du mieux, quand bien même mon malaise était puissant – mais dès qu’on me ramenait pour d’autres tests et d’autres machines, le mal s’accentuait au centuple. Je finis vers la fin de l’après-midi à me sentir enfin assez bien pour me lever et marcher ((dans les pantoufles bleues d’hôpital)), et même manger un petit truc, ce qui finit par aider mon estomac à se calmer. Moi, je ne connais rien du pronostic, au fond, mais je vois les infirmières s’affairer et finir par débrancher certains appareils dans la chambre – ce qui remplaça le vrombissement naturel des appareils électroniques et finit de me guérir, il semblerait. Je n’en savais rien – mais le pronostic était que peu importe ce qui avait provoqué ma crise, c’était la présence technologique qui en accentuait les signes. Pas étonnant qu’en venant à l’hôpital j’ai accentué mon mal, au fond. Le tout avait été détecté dans mon sang – comme un anticorps qui réagissait fortement à la présence de certains stimulus, mon système immunitaire attaquant mes propres cellules qu’il ne semblait pas reconnaitre.

Et toi – toi tu as le plaisir de devoir m’annoncer tout ça, ainsi que le cours de mon traitement prochain, dès ton retour à l’hôpital. N’est-ce pas chic?

« Bonjour, docteur » dis-je simplement, le ton trainant parce que je suis à la fois exténué et râleur en même temps. Mais la vérité c’est que ça me fait plaisir de te revoir, parce qu’assurément que la raison de ta présence ici, c’est que tu as trouvé quelque chose – bon comme mauvais, je préfère largement une ébauche de réponse que de ne pas savoir, même pas une miette. Mais ton air se veut peut-être un peu trop décontracté, peut-être un peu trop chaleureux (toute chose considérée) pour que ce soit de bonnes nouvelles que tu apportes. Parce que c’est vrai; s’il était révélé par les tests que je n’avais rien ou, tout du moins, que j’allais bien, je doute que tu serais très content de ma présence en ces lieux. Et puis, au cours de la nuit, progressivement, on était venu retirer un à un les appareils présents dans la pièce – j’ai d’abord cru qu’ils étaient sûrement plus utiles ailleurs, au fond, mais leur absence m’a étrangement permis de mieux dormir, ce qui en soit… est sûrement juste un hasard. Ou pas?

Et puis tu dis- des pistes. Bon, j’aurais préféré une réponse, une raison en bonne et due forme, c’est vrai, mais bon, je ne connais rien des délais que ce genre de procédure et de recherche peut causer. « Ça va docteur, dites toujours » dis-je, tentant de te rassurer quand au fait que la nouvelle ne me mettrait pas hors de moi. « Une réaction allergique, comme genre, le pollen ou le lactose? » que je tente, hésitant, ramenant ton explication dans des exemples que je pouvais comprendre. Sauf que la vérité c’est que ni l’un ni l’autre n’était très concluant, puisque cette « allergie » ne me faisait pas éternuer, pas plus qu’elle ne me donnait la chiasse. « Minimiser mes interactions… avec la technologie? » dis-je, un air désabusé sur le visage. « Ah oui, trop facile ça » dis-je, me retenant tout juste de lever les yeux au plafond. C’était pas de ta faute, au fond, si j'avais un truc du genre, c’est juste que c’était extrêmement facile pour toi de me dire de me mettre hors de portée alors que, bon… « J’ai qu’à jeter mon portable aux poubelles à aller vivre au parc comme un sdf » je pouffe légèrement de rire à cette idée, mais c’est vrai que ça pourrait être solution, je suppose.

« Un traitement? Oui, ok, essayons ça, c’est mieux que de… » geste vague de la main alors que je soupire, et puis je me redresse et mes yeux s’illuminent un peu, d’une peur terrible alors que je demande, faisant des liens dans ma tête : « Attendez, la technologie, mon allergie, c’est genre… toute? » et puis ce que tu as dit me reviens en tête; « Vrai que vous savez pas, mais, est-ce que ce serait possible, genre, d’être allergique à quelqu’un, s’il est techno-organique ou je sais pas comment on dirait ça » panique qui me gagne; l’idée même que je doive réduire mon contact avec Jack me semble impensable. Je triture de mes mains le bord de la mince couverture qui recouvre mes jambes, comme perdu en de grosses réflexions intenses. « Mais… » parce que je commence à relativiser un peu; « d’habitude, je n’ai pas de problèmes avec la technologie. Enfin, je me suis bien rendu jusqu’ici sans avoir de crise » je suis aussitôt rassuré, parce que ça veut dire que justement, je n’aurai pas à me débarrasser de mon portable, juste peut-être de limiter son utilisation à certains moments.

Comprenez; mon portable, c’est ce que j’utilise pour arnaquer les gens. Je peux pas m’en défaire du jour au lendemain, quand même. « Et votre traitement » que je finis par dire, changeant de sujet; « Il ressemble à quoi? »

Je grimace. Être allergique au pollen ou au lactose, encore, ça avait du sens pour un corps humain. Mais l’allergie à la technologie, ça, par contre, ça n’avait rien d’humain – ça me rappelait le mal que je pouvais ressentir dans mon monde en présence de voitures, par exemple, mais la technologie dans mon monde n’était certes pas aussi développée qu’ici, la magie remplaçant la plupart des précédés technologiques les plus pratiques. À quoi bon avoir un téléphone cellulaire, au fond, si on pouvait envoyer un foliot pour passer un message? C’était un peu moins rapide, certes, mais c’était bien plus discret, et plus difficile à tracer par la suite. « Vous le dites bien, docteur. Disons que ce monde ci est bourré de technologie. Quand ce ne sont pas les micro-ondes qui provoquent des tumeurs dans notre cerveau, on a les ondes de la 5G qui viennent altérer notre ADN » dis-je, répétant là des théories du complot bien évidemment fausses – auxquelles je ne crois pas vraiment, non plus, mais qu’il me fait plaisir de répéter juste pour t’embrouiller un peu. J’ai passé une nuit pas terrible, alors vraiment, pourquoi me refuser ce brin de joie?

« Vous avez l’air plus fatigue que moi, docteur Ghrian » observais-je pas très poliment; « Vous avez pas sérieusement passé la nuit ici, en plus de la journée? J’ai entendu dire que les hôpitaux travaillaient leur personnel jusqu’à la corde, mais quand même » et puis un petit bout d’humilité là-dedans, je dis du bout des lèvres; « Merci, docteur. Ça a pas dû être facile, comme nuit » parce que mon cas c’est un dans un million – peut-être même unique dans cette ville, dans cet univers. Et quand bien même tu n’as pas de bonnes nouvelles pour moi, j’apprécie tout simplement les nouvelles que vous voulez bien m’offrir.

« Oh, oui, okay, bien sûr » dis-je, tendant la main pour attraper la boite de comprimés que tu me tends. J’ai l'air d’en lire la surface, mais la vérité c’est que je tends l’oreille pour t’écouter. Je peux au moins t’offrir cette faveur, hein. « La désensibilisation, ça sonne cool. Après j’imagine que c’est tout un procédé. C’est long? C’est douloureux? Y'a des dangers6 Euh- enfin pas obligé de répondre de suite, je vais commencer par les comprimés. Ça vous va si j’en prend un tout de suite, ou est-ce que j’en ai pris un plus tôt? » parce que la vérité c’est que j’ai plusieurs zones de flou quand à cette nuit. « Euh, droïde, je sais pas, je suis pas très familier avec les nuances entre droïde, androïde, robot et tout ça. Je sais que ça a une composante Cyber… Cybernétique » dis-je tentativement, me trompant quelque peu de mot, mais après tout, je ne l’avais pas entendu souvent encore à ce moment-là. « Faudra que j’essaie de voir, oui. » et puis mes yeux se relèvent vers toi, et je reste un instant, pensif.

« Euh, ouais. C’est mon colloque, justement. C’est un bon pigeon, je crois pas que ça l’embêterait de m’aider en venir faire ce genre de test. Surtout si je lui achète des friandises en échange » stricte vérité et rien de plus, Jack est facilement manipulable et c’est quelque chose que j’aime à propos de lui. Enfin, que j’aime quand c’est moi qui fait la manipulation, on s’entend. « Possible » dis-je, frottant ma nuque avec ma main en essayant de penser. Les circonstances entourant ma transformation étaient particulières; elle était arrivée un peu sans crier garde, alors que je pensais justement au fait qu’il serait plus rapide de récupérer des trucs et les mettre dans mon sac réutilisable si j’avais mes tentacules pour les attraper. Ouais; je m’était semi-transformé en pleine supérette spécialisé dans le quartier « riche » de la place, disons, et moi, en douleur, et sans penser que la raison de ma douleur c’était le fait que je me transformais, bah j’ai fait ce que tout djinni sensé aurait fait : j’ai continué de me transformer pour sortir de là. Un beau chaos ambulant, ça s’est sûr, ils vont clairement mettre l’enregistrement vidéo de la supérette sur les réseaux sociaux. « Je… me ferai un journal de symptôme, genre » dis-je d’un haussement d’épaule; « Je crois pas que ce soit le métal en soit qui me fasse ce mal. Oh, à moins que- » et puis je me demande avec un brin d’horreur; « Oh, purée » Je me lève, toujours habillé de ma jaquette d’hôpital, et je viens fouiller dans la petite table de chevet à mes côtés, une des rares choses qui avaient été laissées dans la pièce.

Et puis j’en sort mon pantalon, et je fouille dans les poches pour en sortir des pièces de monnaie qui, au contact, me font grincer des dents – le contact ne dure pas longtemps et j’échappe les pièces au sol, main tremblante. La sensation n’avait pas littéralement brûlée ma main, mais je ressentais un gros malaise en les prenant, et mon corps déjà affaiblis avait eu le réflexe de tout lâcher. « Oh, docteur, dites-moi qu’la monnaie ici est pas faite d’argent, quand même »

Si.

Tout simplement, si.

Un rire m’échappe, aigue et discordant, mais se coupe bien assez vite parce que la fatigue me prend. Calmé, j’hoche de la tête et je dis ; « En général, j’aime bien embêter les gens, mais toi, tu m’as aidé avec mon mal, alors je ferai attention de pas trop te faire chier » dis-je en prenant une petite bouille d’ange, mon sourire restant toutefois carnassier en son genre – parce qu’il n’y a au fond de moins que très peu d’innocence (ou c’est ce que j’aime me faire croire). Et puis c’est vrai ; il est naturel d’être réceptif au mal des autres quand ils nous ont aidés de bonté d’âme. T’es un chic type, au fond, même si t’as l’air plutôt grognon, mais bon, faut pas se fier aux apparences qu’on dit. Si ça se trouve, t’es un robot géant toi aussi, ahah! « Puis si ça vous rassure, j’y crois pas à ces choses-là » je me retiens de dire, toutefois, que j’aime envenimer les conversations avec des allusions, et même avec des théories de mon cru, certaines qui sont en train de faire le tour de l’internet de la ville en ce moment même. En plus, y’a aussi toute une communauté de chasseurs de cryptides et moi j’aime bien traficoter quelques photos pour ajouter au mythe… Quoique dans une ville telle que celle-ci, il est évident que nous avons un ou deux vrais cryptides parmi nous. Est-ce que je compte, moi-même, comme une de ces créatures, aux yeux de quelqu’un ?

Puis j’hausse les épaules de manière désinvolte : « J’suis pas du genre à dire merci pour rien, docteur. M’fais pas mentir » dis-je, sourire en coin sur les lèvres. Après, je suis un giga menteur, alors même si tu refusais d’accepter mon merci, ça me ferait pas un pli, réalistiquement, mais j’aime bien faire comme si, ça ajoute une once de mystère à ma personne. « Bah, déjà, j'ai pas explosé, c’est positif » dis-je comme dans un hoquet ; c’est que ta façon de le présenter n’était pas aussi positive que je l’aurais aimé, mais qui suis-je sinon un être qui fait le mieux des pires situations ? Je saurai retourner mon destin d’une manière ou d’une autre. « Deux heures, compris » que j’ajoute en me redressant un peu plus, mes pieds nus touchant au sol froid de la salle d’examen. « Oui bon désolé, de là où je viens, la technologie ne prime pas comme ici. » Dis-je, l’air légèrement ennuyé parce que ça m’embête de ne pas me souvenir quand j’ai clairement un esprit supérieur à la moyenne.

« Hein? » fais-je, te regardant d’un air surpris, estomaqué, même. « T’as bien dit Cybertronien ? » je me lève du lit d’hôpital, m’approchant de toi. Mes doigts semblent affolés, comme en train de calculer quelque chose « Donnez-moi une seconde, j’veux vérifier- » dis-je d’abord, et puis je m’arrête. « ou p’t’être que je suis mieux de rester calme sur l’utilisation de pouvoirs, pour quelques jours » je fais une moue triste et puis je dis ; « Je demanderai à mon pote si c’est bien ça qu’il est. Ce serait cool que vous soyez la même. Ça lui ferait plus de personnes qui connaissent ses origines. Il a une autre personne avec lui en ce moment, mais… » Mais j’ai du mal à le blairer…

« ‘fin bon, je vous embête pas plus, docteur. Encore merci, et avec un peu de chance, à jamais » puis je regarde autour de moi ; « Euh, mes vêtements, ils sont où ? J’ai pas trop envie de me promener en ville avec le cul à l’air, ça risque d’inviter l’attention des mauvaises personnes » sourire taquin sur les lèvres, en réalité, je porte toujours mon caleçon, hein, mais l’idée est là. En plus qu’on est dans le quartier riche de la ville, j’ai pas trop envie de me coltiner la police en plus de tout le reste.