« Mmph. Si tu le dis, je n’ai d’autre choix que de te croire » j’abdique facilement – c’est que je suis hors de mon champ d’expertise, ici, et toute ma magie m’est bien inutile. Si l’un de nous arrivera à se déconnecter tout seul, c’est toi, et pas moi, c’est donc tout logique que tu veuilles me faire passer en premier pour la déconnexion. De toute manière, il ne sert à rien de s’obstiner sur la chose, il faut en premier lieu que nous nous rendions à ton laboratoire pour la déconnexion manuelle. Il faut que nous suivions l’autre toi, qui ne m’apparait en rien être réellement toi. Peut-être parce que je t’ai rencontré et connu quand tu n’avais plus aucun souvenir, et que sans le traumatisme de la guerre ancré dans ta peau, tu m’apparaissais être une personne différente. Je ne me fais pas de leurre; vous êtes des parts de la même personne, mais je me demande, c’est vrai, si je serais devenu ton colocataire si tu avais eu tes souvenirs. Bon, avec des si, on mettrait Paris en bouteille, comme qui dirait, et je préfère ne pas m’y attarder.

« Oh, voyons, ce n’est rien. Pour un être de mon acabit, profiter des points faibles des autres, c’est bien trop facile. Mais j’accepte tout le mérite de la chose » mon humour de gros merdeux ressort dans les pires des situations, n'est-ce pas? C’est plus fort que moi – mais à quelque part j’espère que tu ne t’en voudras pas d’avoir ce point faible, comme tu dis. Je préfèrerais largement que tu me détestes, à vrai dire, que tu maudisses ma nature; n’est-ce pas, après tout, ce à quoi j'ai l’habitude? Mais dans les dernières années, j’ai découvert que sous le couvert de l’anonymat quand à ma qualité de Djinni, j’ai pu tenter de devenir… autre chose. Est-ce que je me suis appliqué à le devenir? Pas du tout.

Mais la possibilité était -est- là.

« On a deux choix. Soit on prend notre temps pour leur laisser le temps d’arriver au laboratoire… soit un les prend de court et on les devance. Mais si tu dis que c’est mieux de prendre notre temps, alors, faisons cela » j’hausse des épaules comme si ça m’était égal (mais c’est vrai que l’idée de faire des hologrammes de ton mauve pour détourner l’attention de ton autre toi, ça m’amuse. C’est cruel pour toi, certes, mais voilà, je ne me referai pas en un seul jour), observant plutôt l’arme que j’ai en main. « Tu veux bien m’expliquer comment on utilise ça? J’ai vu dans les films, mais je doute que ce soit suffisant pour que je fasse mouche » je te tend la chose, un petit pistolet de main qui portant avait l’air trop grand dans la mienne (vraiment, quelle idée de prendre un corps si petit? Je ne sais pas pourquoi cette idée me plaisait); ma queue s’agite avec une énergie qui trahissait mon anticipation.

« Ah, ok, je vois » que je dis- un petit mensonge de rien, au fond, je ne comprend pas tout à fait ce que charger veut dire dans ce contexte, mais je m’imagine que c’est comme de ramasser toute son énergie pour la finale d’une détonation. Faut laisser du temps en programme pour qu’il décide là où on s’en va et ce qu’il fait, quelque chose du genre. « Okay, ça semble assez facile » que j’admets; je pensais que comme l’arme semble plus puissante qu’un revolver humain, il devrait y avoir encore plus de sécurité, mais il semble que ce soit aussi facile à utiliser qu’un vaporisateur en bouteille (comme les bouteilles de produit nettoyant, disons). J’attrape l’arme (plus délicatement que la première fois, réalisant que j’aurais pu me tirer dans le pied) et puis je vise un feu de circulation et-

Je fais mouche.

« Eh, semblerait que je sois pas si mauvais » dis-je, sans savoir que le programme avait d’intégré ce qu’on pouvait qualifier dans les jeux vidéos normaux de aim assist, c’est-à-dire qu’on devine où je vise et qu’on s’arrange pour que ça touche. Qu’importe, pour le bien du programme, je suis un as du tir et puis c’est tout. « Bah, qui les a invités les affreux? » dis-je, toujours la blague et le sarcasme aussi fluide. « Oui non, j’ai pas envie d’un câlin » dis-je en en tirant un juste entre ses deux yeux (c’est totalement là où je voulais viser, et personne n’a de preuve que ce n’était pas le cas) avant de reprendre ma course.

Et je remercie toutes les étoiles et puis ton Primus de vous avoir fait sans poumons pour respirer, parce que là on a pas besoin de s’inquiéter de perdre l’haleine à force de courir. Si seulement mon corps humain pouvait faire la même chose…

Mais bien sûr, ce qui devait arriver arriva. Alors que nous nous inquiêtions des pieuvres qui étaient derrière, ce sont des… je sais pas, des fourmis de fer (?) géantes (par rapport à la taille d’une fourmis en tout cas) qui vinrent nous sauter dessus. « C’était vraiment comme ça, sur ta planète? » que je m’exclame avant de lâcher un cri de douleur – la « fourmie » de fer (communément appelée un Scraplet) venant de me mordre la cuisse et de m’arracher un bout de jambe du même coup. « Ah mais non! » et je fend la chose du petit couteau à mon poignet, et puis je reprend la course de plus belle, parce qu’il y avait plus d’un Scraplet et que je compte pas me faire dévorer vivant, non merci…

Heureusement, un bâtiment se dresse devant nous : une universtié. Pas que je puisse la reconnaitre comme tel, mais je dis dans ma panique : « S’te-plait, dis-moi que c’est ton labo, ça? »

« Le froid? » que je ds, claquant une langue imaginaire. En tout cas, dans ma tête, je claque de la langue. Le reste, je sais pas trop, on a pas vraiment de bouche en ce moment. Ce que je sais, par contre, c’est que généralement, le froid c’Est mon ennemi aussi. Je suis une créature de feu et d’air, tu vois, et le froid c’est plutôt l’inverse de moi, hein. J’suis pas mieux, au fond, que ces scraplets qui nous poursuivent; sensible au froid aussi, avec des dents d’enfer et aussi difficile de s’en débarrasser que de se débarrasser de coquerelles. Ouais; j’peux compatir, mais là c’est pas le temps. Je me plaque contre le mur le plus proche pour faire lacher deux-trois de ces bestioles, et j’fias comme toi : j’cours!

« C’est un peu la merde, j’me demande ce qui les a attiré en haut » je pense. Peut-être que c’est l’aport en nourriture? On doit être très tasty, c’est vrai. En tout cas c’est ce que la douleur à ma cuisse me dit. « Ouais, j’ai pas fait attention comme tu dis, pour moi on est allés directement au sénat pour voir ton mauv- ton Waverly » y'a pas à dire, les habitues ont du mal à mourir. Puis j’peux voir – voir à quel point ça te fait mal, à quel point certaines apparitions quand on passe de pièce en pièces te soulèvent l’estomac ou te pincent le cœur. Des bots qui meurent et d’autres qui survivent; moi je fais pas la différence entre l’un ou l’autre, mais c’est plus fort que moi; j’enregistre certaines scènes dans ma mémoire.

C’est une habitude qui a la vie dure, de toujours essayer d’avoir des informations sensibles sur les autres au cas où. Je me sns mal, terrible de penser comme ça, mais c’est ma nature après tout. Et pourtant – pourtant je ne peux pas m’imaginer utiliser ces choses contre toi. De toutes les personnes – pas toi, non. Je pourrais pas le décrire. C’est sûrement pas ta gentillesse qui m’étouffe (pas dans le sens que tu n’en as pas, ça en dis plus long sur moi que sur toi), mais peut-être le fait qu’on cohabite depuis quatre ans, que tu m’endures sans trop poser de questions. Je pourrais pas dire.

Enfin – c’est faux. Je sais pertinemment que je tiens à toi. Que je suis terrifié à l’idée de te perdre. Surtout depuis que tu as ton mauve et que tu as retrouvé tes mémoires, parce qu’au fond tu n’as plus besoin de moi.

Un malaise me prend, toutefois. Ça part de ma cuisse qui a été croquée et ça se répend en moi comme une chaleur familière (mais pas confortable); soudainement je ressens le froid quoi et le vide qui nous entoure. Je sens le malaise qui me ronge et qui me fait tourner la tête, et c’est mon corps (métaphorique, donc ma pensée, ma conscience) qui se bat contre la fibre même du programme.

Et je comprend. Je comprend d’où le… virus? Problème? Survient. C’est moi – ça a toujours été moi. Mon essence même qui se bat contre la source technologique du programme qui aurait dû être bien innocent. C’est pour ça, peut-être, que je me sens aussi près des Scraplets; comme moi ils rongent et ils usent et ils détruisent. Je m’arrête de courir. Quelque chose en moi monte comme une marée, cherche à s’échapper de cette enveloppe corporelle imaginée. « Jack- » et ma voix est plus mienne qu’elle l’a jamais été dans cette univers. Comme neuf voix qui surgissent en même temps et je me perd un peu dans le soulèvement de toutes mes consciences qui se battent pour prendre le dessus. Je ne sais pas si tu t’es arrêté de courir, mais je sais un truc – les scraplets ont arrêtés de nous suivre. Ils ont compris, peut-être, que j’étais le plus gros problème pour notre échappatoire.

Ça commence par une tentacule de feu qui surgit de la blessure à ma jambe, et puis une lumière aveuglante qui sort du port de mes yeux cybetroniens.

Le reste- le reste arrive trop vite pour la compréhension. Je me libère de mon enveloppe de méal et je deviens essence – comme une boule de lave informe et tentaculaire, et une odeur de souffre qui se répend dans la pièce où nous nous sommes arrêtés. Et puis je ressent, au fond de moi, le malaise qui aurait dû me prendre plus tôt. La migraine et les convulsiosn et le haut-le-cœur habituel.

« Jack, c’est moi- le problème »

Ce qu’on sait pas, c’est que dans le monde réel, en dehors de notre simulation, mon feu intérieur est en train de ronger le câble qui me maintient dans la simulation, comme un venin qui se répend petit à petit depuis que nous nous sommes branchés. Mon essence qui, voulant me libérer de cette prison, en fait mon tombeau.

C’est ironique. Poétique, presque, même.

Un autre que moi t’aurais dit de sortir. De te sauver. Ah! Mais je suis pas si stupide. Non; ma voix t’implore de rester, de m’aider, quand bien même le corps tout mignon que j’habitais est devenu partiellement difforme, informe. « On a pas beaucoup de temps » que je fais remarquer – tendant ce qui aurait dû être un bras vers toi. Auras-tu peur de cette vision, dit? Je ne t’en voudrais pas. Enfin, si, un peu…

Il y a longtemps que je ne sens plus mes extrémités; les tentacules et mes yeux et les limites de mon essence ont depuis quatre ans été changées par la perception de ce corps humain, trop petit, trop étroit, trop peu utile. Le corps humain n’a pas que du mal, je suppose, mais pour moi qui cherche par tous les moyens à redevenir moi-même, on croirait que l’explosion de limites de mon essence dans cette simulation aurait dû être quelque chose de bon, de bien, de rassurant, même. Au lieu de cela suis-je pris pas un mal-être, un mal de vivre qui me serre la gorge et le cœur et toutes ces choses que je n’aurais pas si j’étais vraiment moi. Les limites de mon essence me font mal, même au travers du voile de la simulation… ou est-ce peut-être mon corps humain qui est en train de réagir de la sorte, dans le monde réel, et que la douleur est telle que je commence à la ressentir avec trop d’insistance? Misère…

Mais malgré la peur qui te ronge, tu m’attrapes par ce qui me sert de main, et moi, par réflexe, je fais entrer la dague qui sort de mon poignet pour ne pas te faire mal. C’est pas parce que moi je souffre, au fond, que toi aussi tu dois te faire mal. Même si au fond, je peux me douter que tu n’as pas l’impression d’être en vacances! « Ok » que je dis simplement et je pousse mes petites jambes de robot à aller plus loin, plus vite, malgré le fait que j’ai l’impression de surchauffer. Ah; ça c’est l’issue de deux choses. Quand vous courrez, au lieu de vous essouffler, c’est plutôt votre système de refroidissement qui surchauffe, vous obligeant parfois à ralentir. Ajouter à cela le feu de mon essence, et je me sens si…

Faible.

Mais nous y arrivons; à l’université, et je retiens un haut-le-cœur alors que la simulation nous lance directement dans ton laboratoire. Sauf qu’évidemment, nous y croisons ceux que nous y avons envoyés en éclaireur : l’autre toi, mais- mais le système a rempli les trous. J’ai dit que Waverly y était, et le programme, lui, a sagement obéit. Alors en plus de combattre le bug, en plus de combattre ton toi, en plus de combattre mon essence, on a aussi droit à ton mauve et à ses créations, parce qu’évidemment le mec il se promène pas tout seul. « Oh, mais poussez-vous, vous faites chier » dis-je simplement aux artifices présentes de la simulation, mon essence s’étirant pour les repousser violemment et te faire un peu de place. « T’as, genre, trente secondes devant toi, utilises les bien » que je te glisse et, retirant ma main de la tienne d’un coup sec, je me retourne vers tous les idiots présents dans la simulation – la faisant légèrement surchauffer au passage, puisque ça faisait beaucoup de choses à jongler en même temps.

« Bon, les affreux, j’ai un fusil et je compte bien m’en servir. Alors si vous voulez bien rester sage, ce sera fini avant que vous ailliez le temps de comprendre ce qui se passe. Sans rancune, hein. » Mais, évidemment, ils n’allaient pas rester là sans rien faire. Ça se retourne vers moi comme si c’était moi l’ennemi, alors qu’ils avaient un l’autre pour se tirer dessus. Just my luck.