Highway to jail || ft. Gavin Reed

La liberté… c’était la meilleure sensation quand je pouvais rouler à moto. C’était comme si ma bécane était dans la continuité de mon corps, exception faite de ma jambe droite, évidemment.
La moto, c’était une bonne façon pour moi d’être heureux, d’oublier les heures de consultations, les conneries que je devais faire tous les jours et qui allaient souvent à l’encontre de ce que je voulais… C’était comme ça, je n’étais pas le directeur de l’hôpital et je devais donc me débrouiller pour faire le minimum tout en pouvant garder mon poste. Je savais bien que j’avais quand même de la chance d’avoir une place en or comme celle que j’occupais, je savais bien, aussi, que dans n’importe quel autre hôpital, avec n’importe quelle autre direction, j’aurais déjà été viré depuis longtemps. Mais tant que ça n’arrivait pas, je profitais.

La moto, ça avait un peu été un achat irréfléchi, au départ, mais je ne regrettais pas. Le blouson de cuir était cool, ma moto était cool et j’avais même un emplacement parfait pour mettre ma canne pendant que je roulais, histoire de ne pas la paumer sur la route. Ça aurait été con.

En quittant l’hôpital, j’avais enfourché ma Honda. C’était un modèle sportif, que j’avais choisi pour pouvoir m’éclater sur la route. Pas au sens de me casser la gueule et de me râper la tronche par terre, mais au sens de profiter de la vitesse et de la liberté.
Pour que tout soit parfait, j’ajoutais mes écouteurs, avec quelques morceaux des Stones pour m’accompagner. C’était pas de la musique récente, mais j’aimais ça. Et combiner les Rolling Stones avec la moto, c’était du pur bonheur.

C’est peut-être comme ça que je me suis fait avoir.
Quand on est bien, on a tendance à oublier ce qui nous entoure. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai foncé. J’ai poussé ma bécane au max.
J’ai pas vu tout de suite qu’une bagnole de flics me suivait. Les gyrophares, la sirène… ils avaient mis le paquet. C’est ça qui a fini par attirer mon attention. Ils avaient dû avoir le temps de retrouver qui j’étais avec la plaque, alors ça ne servait à rien de continuer, j’aurais juste aggravé mon cas.
Je me suis arrêté sur le bas côté et j’ai attendu qu’ils viennent pour enlever mon casque. Ça me gonflait un peu de me dire que j’allais sûrement me taper une amende bien salée et que je ne pourrais même pas accuser Wilson pour lui faire porter le chapeau, mais j’avais pas le choix.

Il y avait toujours des trucs bien chiants dans la vie. Après les patients lourdingues, les avocats emmerdeurs et les connards en tous genres, bien sûr, il y avait les flics. Ces petits bonhommes qui se pensaient investis d’un pouvoir sacré parce qu’ils avaient un sifflet, un flingue, une matraque ou un uniforme.
Les gens qui bossent dans les forces de l’ordre, bien souvent, avaient un problème au départ, un truc bien relou, du genre trauma lié à une enfance pas terrible… ou alors ils avaient un complexe d’infériorité qui faisait qu’ils essayaient de se sentir un peu moins inexistants ou un peu plus sensés. Une existence de merde avec un avenir de merde. Je ne voyais pas ce qui pouvait attirer les gens dans ce genre de carrière.

Le flic sortit le grand jeu, à la mesure de son manque d’intelligence, sûrement : sirène, gyrophare et tout le bordel. Un petit mec ayant l’air aussi con que glandeur se pointa devant moi, me sortant des propos qui me firent à peine faire une petite moue.


Un petit coup d’accélérateur pour faire vrombir le moteur un petit coup, histoire de détendre un peu l’atmosphère. Blague de merde, accessible aux plus petits esprits. Ça devrait lui convenir, au flicard. Au moins, il pourrait comprendre la blague, ce n’était pas trop compliqué, même un gosse pouvait y arriver, alors, pourquoi pas un flic ?

Mais généralement, ces gars-là n’avaient pas énormément d’humour. Leur truc, c’était de se réfugier derrière la loi, comme si elle était toute puissante, comme si elle pouvait justifier leur connerie.



J’avais eu une longue journée, j’avais juste envie de rentrer chez moi et de regarder une série où il ne serait pas nécessaire de réfléchir. Un truc facile, du genre un truc policier, un soap ou bien une sitcom.

J’étais assez mal barré, c’était la première idée qui m’était venue à l’esprit juste après avoir répondu aussi bêtement au flic. La fatigue, la pression qui retombait… j’aurais pu trouver un tas d’excuses bidon pour justifier mon attitude, mais ça aurait été hypocrite, non ? Et je n’avais pas très envie de commencer à essayer d’argumenter. Voilà pourquoi j’étais d’ores et déjà résigné à avoir ce PV et à le payer.
Est-ce que j’allais promettre de ne pas recommencer ? Non. Ce n’était pas mon genre. Et je n’allais pas lui faire des yeux de Bambi pour essayer de l’attendrir, ça non plus ce n’était pas trop mon genre.

Je pris le papier qu’il me tendait et regardais le montant du procès. Pas moyen de faire passer ça en frais pour l’hôpital, mais tant pis, je devais assumer d’avoir ignoré la loi et le code de la route. J’eus ensuite un sourire idiot face à sa mise en garde.

Oh, c’était presque un compliment. Mais oui, il y avait des médecins tellement chiants. Et cons. Enfin, ça existait aussi dans les autres jobs, mais ça m’atteignait moins, puisque je n’étais pas directement concerné.

Ce n’était pas une question désobligeante ou impertinente, du moins pas de mon point de vue. Est-ce que ça l’était pour lui ? aucune idée. Mais quand il m’avait parlé d’une soirée au milieu de flics, je n’avais pas pu m’empêcher de repenser au moment où Tritter était venu à l’hôpital et que je lui avait enfoncé un thermomètre où je pense. Le mec avait été traumatisé, faut croire, vu comme il m’avait couru après ensuite. C’était un donneur de leçon et il avait tenu à ce que je prenne des notes… Mais tous les flics n’étaient pas comme ça. Et celui-ci ne m’avait pas l’air d’être aussi coincé du cul que Tritter. Cela dit… comment est-ce que je réagirais avec lui s’il venait à débarquer à l’hôpital ?

J’avais envie de faire l’andouille et, en même temps, je me souvenais de ce que c’était que de croupir en taule pour une peine aussi ennuyeuse qu’inintéressante. Ça me faisait réfléchir un peu quand même.
Faire flic… non, en fait. C’était pas vraiment mon trip. Mais je ne me voyais pas le lui dire comme ça.


Mais je ne me sentais pas vraiment concerné. Moi, ce qui m’aurait sans doute le plus botté dans ce genre de boulot… c’était le fait de résoudre des enquêtes. Le reste importait peu. Quoique… user et abuser d’un statut comme celui-là, ça pouvait être sympa aussi.

Cependant, oui, c’était vrai que ce flic-là était moins chiant que certains médecins. Mais, au fond, peut-être qu’on se ressemblait un peu plus que ce que les premiers abords laissaient penser.
Les protocoles étaient souvent trop rigides et ne prenaient pas en compte la diversité des patients et des situations médicales. J’estimais que chaque cas était unique et nécessitait une approche individualisée basée sur la pensée créative et l'analyse approfondie des symptômes. Le diagnostic différentiel, il n’y avait rien de tel !



Une façon un peu simple, mais bien sincère, d’exprimer ce que je pensais. Le nombre de fois où je m’étais retrouvé face à des avocats parce que des patients ne se rendaient pas compte que le protocole me ralentissait et m’empêchait de sauver des vies… saloperie de protocole.

Un petit tour au poste ? Je n’en avais pas vraiment envie, même si l’invitation était tentante.


Celles où il y avait toujours des faux patients qui simulaient pour éviter une journée de boulot. Ils feignaient des symptômes et essayaient de baratiner. Et c’était assez facile de les démasquer, mais ce n’étaient jamais rien d’autre que de petits fraudeurs sans intérêt. Et je savais ce que c’était que d’avoir un boss emmerdeur.

Tous ceux qui me connaissaient un peu savaient que je n’aimais pas la hiérarchie, ni le simple fait de devoir me plier à des règles, des ordres, des consignes… Je préférais les donner, c’était logique.
Ce flic semblait finalement plus agréable que ce que j’avais pensé au départ. Comme quoi… même si tout le monde ment, tout le monde peut aussi se tromper. J’avais l’impression que peu à peu, on était en train de… non, quand même pas sympathiser, fallait pas déconner non plus, mais il y avait eu un changement.



Pourquoi je disais ça ? je savais bien qu’il parlait au sens figuré, mais en tant que médecin, j’avais déjà eu affaire à des gens qui pratiquaient ça au sens propre. Pas avec des balais, sinon, ils n’auraient pas besoin de moi pour les leur enlever.
J’eus un hochement de tête. Ouais, en fait, faire la circulation, pour un flic, c’était comme être aux consultations pour un chef de service. Quelle merde… les supérieurs étaient vraiment lourds, quand on y pensait.


Je pensais à voix haute. En fait, j’aurais même compris s’il m’avait demandé un certif pour se faire porter malade quelques jours, mais ça n’avait pas l’air d’être son genre de tirer au flanc.



Je comprenais parfaitement ce qu’il voulait dire par rapport aux collègues et par rapport au boulot parfois bien ennuyeux. On était pareils pour ça, visiblement. Mais là où il donnait des contraventions, je donnais plutôt des ordonnances.


Mes trucs à moi ne fonctionnaient pas toujours non plus, mais on avait peut-être là une belle opportunité de trouver des idées sympa.

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un rire, à la fois amusé et cynique. Ce type avait un sens de l’humour qui me plaisait bien. Et c’était rare.
fis-je, arquant un sourcil en observant Gavin.
On ne rigolait pas trop avec les cancers. Même si, entre nous, plus drôles qu’eux, parfois… tu meurs.
Je me penchai légèrement en avant, un sourire narquois aux lèvres.


Je fis une pause, le regard dans le vide, comme si je cherchais à me rappeler de quelque chose d'important.


Je redressai la tête, regardant Gavin droit dans les yeux.


J’imaginais déjà le carnage que ça pouvait faire. Chaotique à souhait. Et puis, on pourrait se retrouver et échanger les anecdotes autour d’une bière ou d’un whisky.
Ouais, ça pouvait le faire.