J'avais eu quelques réticences à laisser une place à Alura dans ma vie, comme j'en ai eues avec tous les adultes qui ont croisé mon chemin jusqu'ici. Cela n'a rien à voir avec elle. Bien au contraire, cette femme s'est montrée d'une compréhension et d'une bonté rare à mon égard, mais pour être complètement honnête, c'est bel et bien ce qui me fait peur et ce qui me taraude. Je veux passer outre ces considérations, mais je ne peux pas oublier que toutes les figures parentales qui ont croisé ma route jusqu'ici ont toujours rencontré des sorts peu enviables.

Encore aujourd'hui, et même si j'ai baissé ma garde au fil du temps, j'ai toujours quelques hésitations à répondres aux invitations d'Alura Zor-El. Elle me fait beaucoup penser à la juge Abbott, pas seulement parce qu'elles ont leur métier en commun - même si cela joue - mais parce que je sens émaner de sa part une bienveillance identique. Alors tant pis, j'accepte de mettre mes réticences de côté et de faire confiance, j'en ai beaucoup trop besoin de toute manière, et ça fait du bien, l'air de rien, de se laisser un peu aller et de ne plus se laisser conditionner seulement par le prisme de mes appréhensions passées. Ici, rien de grave ne m'est arrivé. Certes, j'ai continué de jouer de malchance avec mes tuteurs successifs, mais ce qu'il m'arrive de plus grave, c'est de n'avoir toujours pas retrouvé Klaus, Prunille et Béatrice, et c'est là-dessus tout d'abord que je me dois de me focaliser.

J'ai donc répondu favorablement à l'invitation d'Alura et me suis rendu au salon de thé où elle m'a donné rendez-vous. Je me suis permis de me commander une tasse de thé et une pâtisserie aux fruits rouges, auxquelles je ne touche pas, dans l'attente polie d'Alura. Mes parents n'ont pas pu rester suffisamment longtemps dans ma vie, mais ils m'ont inculqué des valeurs essentielles, et que je continue de vouloir mettre à profit à chaque étape de ma vie.

❝Bonjour. Je suis heureuse de vous voir❞, je la salue aussi aimablement que sincèrement. ❝Je vais bien - enfin...❞ Il faut toujours nuancer, j'ai aussi appris dans ma vie à faire preuve d'honnêteté. ❝... aussi bien que les circonstances le permettent.❞ Je contemple le fond de ma tasse et en boit une première gorgée. ❝Et vous ? Comment allez-vous ?❞

A chaque fois la même question pour à chaque fois la même réponse. Je secoue la tête de droite à gauche, profondément dépitée. J'espère voir arriver le jour où je pourrais parler de Klaus, Prunille et Béatrice avec un large sourire aux lèvres, heureuse d'avoir enfin remonté leur trace. Mais ce jour n'est définitivement pas aujourd'hui, pas le moins du monde. Malheureusement non, je n'ai aucune nouvelle de ma famille, et je suis de plus en plus convaincue du fait que je ne les retrouverai jamais. Cette pensée me fait du mal, mais je suis en partie résignée. L'espoir s'amenuit un peu plus à chaque minute qui passe.

❝Toujours rien.❞

Je songe à Dash, qui m'avait abordée en pensant que j'étais sa soeur, appelée elle aussi Violet, une soeur qui me ressemble un peu, comme j'ai pu le constater quand je l'ai croisée moi-même. Si le frère et la soeur sont parvenus à se retrouver, pourquoi pas moi, pas vrai ? Peut-être que je dois juste faire preuve d'un peu plus de patience. Mais c'est tout de même difficile de ne pas se sentir démoralisé, ne serait-ce qu'un tout petit peu.

❝Je dois bien avouer ne plus savoir où chercher, j'ai l'impression d'avoir exploré toutes les possibilités existantes❞, je lui confie en baissant les yeux.

Je ne veux pas m'apitoyer, je continuerai toujours d'explorer toutes les librairies et bibliothèques existantes, parce qu'où il y a des livres, il y a Klaus Baudelaire, je continuerai d'interroger toutes les personnes que je croise, d'éplucher les journaux, les annonces... Je n'abandonnerai pas parce que sans eux, j'ai l'impression d'être amputée d'une partie de moi. Je ne peux pas vivre sans eux, c'est comme ça. Malgré tout, c'est loin d'être simple, et en effet, je ne sais définitivement plus où chercher.

❝Oh c'est vrai ?❞ Question toute rhétorique. Bien sûr que c'est vrai. Si elle me dit avoir retrouvé sa fille, c'est que c'est la vérité, et je suis réellement heureuse pour elle. ❝Je suis si contente pour vous ! Comment est-ce que ça s'est passé ?❞

Même si ma propre histoire est moins heureuse, je compte bien me réjouir de son bonheur. Le bonheur des uns ne fait pas mon malheur. Au contraire, il atténue mon propre malheur, et ça me fait le plus grand bien.

❝Qu'est-ce que vous entendez par "entre autres choses ?"❞

Alura fait beaucoup de mystères, et bien sûr j'ai envie d'en savoir plus. J'espère bien qu'elle acceptera de m'en dire davantage.

J'affiche un sourire un peu triste, mais que je veux convaincant, quand Alura me demande de ne pas perdre espoir, me dit que tôt ou tard, les miens me reviendront. Peut-être qu'elle a raison, peut-être pas, mais j'avoue que l'espoir s'amenuise, et j'ai du mal à donner le change à mesure que le temps passe, c'est vraiment difficile de continuer d'y croire quand rien n'abonde dans ce sens : pas même le moindre indice. Si l'expérience m'a appris quelque chose, c'est que quand on joue de malchance, généralement, la malchance ne s'arrête pas en si bon chemin. Non, c'est un cycle infernal, et qui semble n'avoir jamais de fin.

De même quand Alura affirme que d'autres portes s'ouvriront à moi au moment venu. J'ai envie de le croire, mais je reste clairement sur ma réserve. Je ne suis sûre ni de moi, ni de cette situation. Les personnes optimistes sont fascinantes, mais je crois que je le suis aussi, à ma manière. Je n'aurais sans doute pas supporté toutes les épreuves qui se sont présentées sur mon chemin si je n'avais pas ça en moi. Et j'ai ça en moi.

Je rejette ses pensées et je décide de l'interroger sur les retrouvailles entre la juge et sa fille. Je le vois, elle est rayonnante, et je suis vraiment, sincèrement, heureuse pour elle.

❝Je te le souhaite❞, je confirme quand Alura affirme qu'elle veut saisir cette occasion de mieux connaître sa fille et de passer du temps en sa compagnie. ❝On neprend souvent conscience de ce qui compte pur nous que quand on les a perdus, mais si la vie nous offre l'opportunité de les retrouver, alors... c'est une véritable chance.❞

Je veux poursuivre mais je suis coupée dans mon élan quand Alura me dit venir... d'une autre planète ? Vraiment ? Wow... je ne m'y attendais clairement pas, à celle-là.

❝Une autre planète...❞ je répète, ébahie. ❝J'ai tellement de questions, là, tout de suite... Est-ce que c'est une planète connue des Terriens ? C'est votre véritable apparence ? Comment était l'atmosphère sur votre planète ? La faune et la flore étaient sans doute très différentes, non ? Et vos compétences, que sont-elles ?❞

Voilà, je l'assome de questions, mais on ne peut pas s'attendre à me dire que l'on est une extraterrestre sans que je pose mille et une questions.