…Tu es à moi…

Casca observait la maison qui se dressait devant elle. Rien, absolument rien ne donnait envie d’y mettre les pieds. N’importe qui prendrait la fuite devant l’aspect décrépit et abandonné de la bâtisse. Le lieu devait sûrement être sujet à hantise, ou le théâtre de chasses aux fantômes et séances de spiritisme en tout genre à la nuit tombée. Le possible caractère surnaturel de la maison coulait sur Casca, elle s’en moquait. Elle avait vu bien pire dans son monde côté monstres et créatures de l’enfer. Casca devait malgré tout se méfier — avoir confiance en soi, c’est bien, mais la maison était peut-être plus maligne qu’elle ne le pensait. Pour autant, malgré tous les signaux que la maison envoyait, la jeune femme semblait être appelée par elle. Le vent, tel le chant des sirènes craint par Ulysse et ses hommes, lui sifflait de s’avancer et de passer cette porte branlante. En plus de lui murmurer des paroles enchanteresses, Éole poussait la chevalière jusqu’à la maison d’Érèbe. Dupée par les dieux, la jeune femme se sentait sereine à l’idée d’entrer dans la demeure des ténèbres. Elle attrapait la poignée, ouvrait, et passait la bouche des enfers. Le plancher grinçait sous ses pieds, mais son bruit fut vite recouvert par le claquement brutal de la porte d’entrée et le verrou qui fut mystérieusement enclenché. Tout calme quitta son corps pour laisser place à la méfiance. Elle était sur ses gardes. Elle ne ressentait pas encore de la peur, parce qu’il lui en fallait bien plus, mais elle était loin d’être rassurée. Ignorant qu’une autre personne était déjà rentrée avant elle, la jeune femme s’acharnait sur la poignée de la porte qui refusait de s’ouvrir. Elle tenta tout : les coups de pieds, d’épaule, de poing, de dague… Elle abandonnait quand ses bras refusaient de supporter d’autres attaques.

…Casca…Tu es à moi…

Pas le temps de s’apitoyer sur son sort, la jeune femme se retournait brusquement en entendant cette voix d’outre-tombe qui lui rappelait étrangement quelqu’un. Elle balayait l’endroit du regard. Un silence de mort planait, les ténèbres l’enveloppaient. Seul le vent qui claquait contre les murs de la bâtisse animait l’endroit d’un son plus que lugubre. Casca n’aimait pas du tout cela. Un mauvais présage semblait planer au-dessus d’elle. Elle tentait de se concentrer malgré l’angoisse qui commençait à monter en elle. Cette voix fantomatique sortie tout droit du domaine d’Hadès était si familière, lui rappelant un passé bien trop douloureux. L’angoisse montait. Son cœur battait. Elle sentait cette fine goutte de sueur couler le long de son dos. Elle avançait donc prudemment dans l’un des couloirs de la maison abandonnée, la dague à la main, restant vigilante. Éole ne lui soufflait plus dans les oreilles, seules les harpies s’acharnaient sur elles avec les doutes et les craintes qu’elles créaient en elle avec ce silence de mort et cette ambiance pesante. Casca savait sa question idiote et inutile, mais elle se risquait, histoire de briser la tranquillité toute relative des lieux. « Ohé ? Il y a quelqu’un ? » Ricanement de la part des ténèbres. Sa question était récompensée d’un silence. Casca soupirait et continuait malgré tout son avancée. Ses yeux étaient partout. Aucun centimètre carré de la maison ne lui échappait.

Subitement, ses jambes étaient engourdies. La peur la saisissait-elle enfin ? Casca…Casca… Tu me reviendras… Tout s’éclairait enfin. Elle se stoppait net, paralysée par ce vent glacial et effroyable qui l’enveloppait. Ce n’était pas la voix d’un esprit qu’elle entendait, mais celle de… Griffith, son ancien commandant qui voyait les gens comme des jouets et qui n’avait jamais supporté au fond de lui de ne plus posséder Casca — cette belle Casca qui lui avait été si dévouée jusqu’à ce qu’il fût remplacé par Guts dans le cœur de la chevalière. Casca ignorait tout des monstruosités que Griffith lui avait infligé dans leur monde, mais l’esprit semblait vouloir la confronter à cette horreur en révélant sa présence. Reconnaissant la voix, ce n’est plus la terreur qui prit possession de la jeune femme, mais une profonde colère. Elle n’oubliait pas sa trahison funeste envers la troupe. La mercenaire se tournait brusquement, donnant un coup de dague en espérant qu’il soit derrière elle, histoire de le massacrer une bonne fois pour toutes, mais son coup termina dans le vide. « Montre-toi, sale connard ! J’sais que t’es là ! » La voix l’appelait encore plus loin. Connaissant le caractère acharné de Casca, Elle savait que la jeune femme mordrait à l’hameçon. Et effectivement, elle fonçait dans sa direction et se battait encore avec le vide sidéral autour d’elle, la voix attisant encore plus sa haine. « J’VAIS T’TUER ! » Jamais elle n’oublierait le hurlement de ses amies, sa famille, sacrifié pour le rêve de Griffith. Jamais sa colère ne s’estomperait. Mais force est de constater que Casca s’épuisait dans ce combat mené contre ce démon invisible. Elle semblait même terrassée par la voix de Griffith qui lui rappelait sans cesse qu’elle n’avait été qu’une petite chose, dépendante de lui et de l’attention qu’il lui donnait, quand elle était sous ses ordres. Dans son coup de folie, pensant qu’elle l’aurait cette fois-ci, Casca planta sa dague avec violence dans la boiserie du mur déjà bien amochée. Voyant qu’elle avait fait chou blanc en dégageant son arme, elle crachait sa haine, surtout quand elle sentit de violents frissons grimper le long de ses mollets. « LÂCHE MOI ENFOIRÉ ! » C’était comme si l’esprit cherchait à l’attraper avec ses mains invisibles, souhaitant ramener sa captive vers le Styx. Mais la jeune femme, battante comme elle était, ne se laissa pas faire et prit la fuite dans d’autres couloirs de la maison. Son cœur battait à tout rompre tourmenté par les sentiments en conflits en elle et sa fatigue physique. Elle ne savait pas bien où elle allait, empruntant le premier couloir qui lui tombait sous la main. Ce fut donc au cours de cette dérobade que Casca croisa la route de l’autre personne qui arpentait ces lieux — Medusa.

Prise dans sa course effrénée, elle percutait de plein fouet la gorgone. Surprise par ce choc et se pensant encore pourchassé par son commandant, Casca ne prit pas le temps de retrouver ses esprits et préféra immédiatement se reculer de plusieurs pas et menacer la créature avec sa dague. Il lui fallut plusieurs minutes pour réaliser que ce n’était pas l’homme qui hantait ses cauchemars qui se trouvait face à elle. Elle était d’ailleurs remuée, déstabilisée en découvrant Médusa, pas tant par son apparence parce qu’elle avait l’habitude des bêtes en tout genre dans son monde, mais parce que Casca s’était pensée seule ici. Elle ne trouvait rien de mieux que d’être agressive envers cette femme puisque Casca ne savait pas évacuer autrement son stress « Vous êtes qui ?! Qu’est-ce que vous foutez là, putain ?! » Se sentant encore traquée et surtout menacée, Casca n’avait pas baissé sa garde, prête à attaquer.

« J’en ai rien à foutre de l’âge que vous avez. Je vous connais pas. Je vous dois aucun respect. » Malgré ta trentaine bien tassée, tu avais vécu assez de choses pour savoir que des critères tels que le genre ou l’âge n’étaient pas un frein à la perpétration de sombres desseins détournés de toute morale. Tu en avais bien souvent fait les frais dans ton monde. Et c’est cette indifférence face à l’horreur qui t’avait rendue si dure, qui avait jeté de l’essence sur cette colère prolifique à l’excès dans le fond de tes entrailles. Toute empathie, respect ou code sociaux t’avait quitté depuis bien longtemps ; sauf pour Guts qui était de loin le seul à mériter tes grâces. Le fait que tu sois profondément amoureuse de lui n’entrait pas en ligne de compte dans ces considérations. Il avait su prouver avec le temps qu’il était digne de ta confiance et de ces privilèges que tu lui accordais. Les gens — humains, monstres ou qu’importe — n’étaient que des poupées de chiffons à tes yeux, des êtres malléables au gré des intérêts des uns et des autres ainsi que des leurs jusqu’au moment où ils se montreraient dignes de ta clémence ou de ton attention.

Pour le moment tu te contentais de considérer Medusa d’un œil alerte. Tu ne baissais absolument pas la garde, sous aucun prétexte. Qui sait ce qu’elle avait en tête ? D’autant plus que tu n’aimais pas bien la provocation contenue dans son regard. Si tu étais bien plus réfléchi que Guts par exemple qui rentrait directement dans le lard, il t’arrivait parfois d’être aussi tête brûlée que lui. Un rien de la part de la gorgone pourrait te faire vriller. Mais pour le moment, tu restais simplement immobile, ce bras invariablement tendu, prêt à charger. « Qu’est-ce que vous faites ici ? » Était-elle à l’origine des voix qui t’avaient poussé à entrer ici ? Ou avait elle, elle aussi, était charmée par la même malice ? Vivait-elle là ? En revanche, tu doutais en tout cas du fait qu’elle se soit servie de ton passif avec Griffith pour mener cette bataille ridicule contre l’invisible dans le couloir. Comment pourrait-elle le connaitre étant donné que vous étiez étrangère l’une à l’autre et que vous ne veniez pas du même univers ? Entrait-elle dans ta tête ? Tu secouais la tienne pour chasser ces pensées qui devenaient de plus en plus absurdes. Ne laisse pas la panique te posséder, Medusa est peut-être aussi paumée que toi et n’a sûrement pas toutes les réponses à tes questions. C’est d’ailleurs cette pensée qui te fit reculer d’un pas et ranger ta dague dans son fourreau, retrouvant un semblant de lucidité. « Désolée pour ma défiance. J’aime pas bien les monstres dans votre genre. Ils me l’ont toujours mise à l’envers. » Même si tu restais sur tes gardes, tu te disais qu’il était plus judicieux d’avoir la créature qui se tenait devant toi en alliée qu’en ennemie. Histoire de repartir sur de bonnes bases, tu lui tendais ta main. « Casca. » À voir si elle accepterait de la serrer compte tenu de cette rencontre… mouvementée.