Dream On! - ft. Ramona Flowers

La nuit a été longue, si bien que Roy ne savait plus quand était la dernière fois qu’il avait réellement dormi. C’est-à-dire, au moins six heures d’affilées. Il tenait le coup, ses paupières n’affichant pas encore d’épaisses poches violettes signe d’une fatigue intense. Non content, il retrouva son lit, s’y affalant de tout son poids en sous-vêtements, et remontant légèrement la couverture par-dessus lui. L’homme n’avait pas froid, il avait simplement besoin de sentir le contact du tissu contre sa peau pour plus de confort. Sans vraiment devoir à le chercher, le sommeil le trouva. Très vite, sa respiration ralentit, devint plus douce, silencieuse. Les yeux fermés, ses paupières bougeaient par soubresauts hasardeux, occasionnellement. Roy dormait à poings fermés.

La pièce fut soudainement envahie d’une atmosphère sinistre, sombre et pleine de noirceur. Les fenêtres, dont les volets n’étaient pas fermés, ne présentaient plus l’extérieur. Un bruit sourd se fit alors entendre, dans la pièce voisine à la chambre. Dressé dans le lit, intrigué, Roy se décida alors à se lever. Son regard fut attiré par la vitre, avant d’arquer un sourcil surpris. Rien n’était visible à travers les carreaux de sa fenêtre. Il n’y avait que cette noirceur, comme si un mur noir avait clôturé son appartement.

Convaincu qu’il n’était pas bien réveillé, il ne se posa pas plus la question. Surtout que le bruit sourd provenant de la pièce d’à côté recommença. D’autres sons fusèrent alors. L’instinct de survie prit le dessus, il serra les poings et sa respiration commença alors à s’affoler. Roy garda son sang-froid, se préparant à botter les fesses de celui qui s’était invité chez lui en pleine nuit. Il n’aimait pas trop les intrus…

Fonçant vers la porte de sa chambre pour surgir de l’autre côté, et surprendre le malotru qui s’aventurait dans son domicile, Roy fut pris par surprise. La porte ouverte avec fracas, il déboula avant de choir. De l’autre côté, la pièce avait disparu. Murs, plafond, meubles… Il n’y avait que cette noirceur. Encore. Le sol aussi avait disparu. Il était tombé, et ses yeux voyaient la porte de sa chambre rétrécirent au loin, de plus en plus, alors qu’il continuait sa chute libre. Étrange, car il ne sentait pas la force du vent contre son corps, ni la friction de l’atmosphère, ni la sensation de gravité. Il n’y avait rien. Il n’était entouré que par du noir, et une sensation de vitesse.

Violemment, il percuta quelque chose, s’écroulant de tout son poids. La chute avait duré une trentaine de secondes, aussi aurait-il dû mourir. Roy ne comprenait pas ce qu’il se passait. Se relevant, il remarqua que sa tenue d’Adam avait été remplacée par une tenue complète. De nouveau, comme par magie, il était totalement habillé de la tête aux pieds. Pantalon de jean noir, sweatshirt à capuche rouge vif.

L’ancien héros observa le sol autour de lui et les alentours. Il ne savait pas du tout où il était, et cherchait des points de repères. Mais il n’y avait rien. Ni repère, ni personne. Il commença à paniquer. Il marcha d’abord, criant pour qu’on l’entende. Il appela, dans l’espoir qu’on lui réponde. Mais il n’entendait que sa voix résonner dans la pénombre. Il décida alors de courir, sans but, dans l’espoir vain de tomber sur quelque chose ou quelqu’un. Désespéré.

La tête bien enfoncée dans son oreiller, Roy transpirait. Ses paupières s’agitaient tandis qu’il rêvait. Son corps battait la chamade dans sa poitrine, tandis qu’il émettait quelques paroles discrètement dans son sommeil…

L’atmosphère autour de lui changea du tout au tout, la pénombre quittant les lieux pour laisser place à un espace infini plus lumineux. Comme si le « jour » s’était levé. Roy s’était arrêté de courir, prenant le temps d’analyser le changement dans le paysage. Son cœur battait encore vite la chamade dans sa poitrine, et son souffle sifflait comme après un effort soudain. En quelques secondes, il se retrouva face à une jeune femme aux cheveux violets camouflés sous un épais bonnet. Mais ce qui l’avait le plus frappé, c’était qu’elle se déplaçait sans gêne et à rollers dans cet endroit quelque peu surréaliste.

Il marqua un temps de surprise, ne sachant pas trop ce qu’il devait faire ni comprendre de tout cela. La jeune femme, quant à elle, semblait être dans son monde. Posée, l’air tranquille, comme si tout autour d’eux était normal et des plus basiques. Elle le salua, et le rassura, lui faisant comprendre qu’il était dans un rêve.

Les yeux de Roy alternaient entre l’inconnue et le paysage qui les entourait. Il ne savait pas trop quoi penser. Il serait en train de dormir ? D’un côté, ça semblerait logique. Il n’y avait rien de normal depuis le début. Ou était-ce la ville qui lui jouait encore des tours ? Après tout, il se passait des phénomènes vraiment étranges dans ce monde, peut-être était-ce encore un tour de passe-passe ? Il ne lui semblait pas avoir vu de nouvelle Lune rouge pourtant. N’ayant pas trop le choix, il décida de donner du crédit aux paroles de Ramona, et de lui accorder temporairement sa confiance. Elle avait l’air de savoir ce qu’il se passait, autant l’écouter.

Il hocha la tête, reprenant une respiration normale, et son rythme cardiaque ayant retrouvé le repos. Elle avait réussi à le calmer, au moins pour un temps, et il apposa ses mains sur les hanches comme s’il voulait faire le point sur la situation. Tout autour d’eux, le « ciel » avait retrouvé une teinte normale, lumineux comme en plein jour. A croire que l’environnement s’était adapté à son changement d’humeur.

- Je… Qui es-tu ? Qu’est-ce qu’on fait-là ?

Et surtout, il voulait savoir comment sortir d’ici au plus vite. Mais la jeune demoiselle l’intriguait. Était-elle dans sa tête ? Était-ce une télépathe ou quelque chose dans le genre ? Jouait-elle avec ses pensées pour le faire rêver ? Se jouait-elle de lui ? Tout autant de questions qui fusaient à chaque seconde dans sa tête, et si peu de réponse à savourer pour le moment...

Intrigué, les yeux ronds, Roy regarde Ramona s’éloigner sans plus de forme à toute allure sur ses deux rollers. Cette rencontre aussi fugace qu’inattendue était tout autant farfelue. Il n’avait pas su quoi dire, ni n’avait obtenu de réponses à ses questions. Elle ne s’est pas présentée, si bien qu’il la nommerait l’Inconnue des nuages. Néanmoins, une chose était certaine, ce n’était pas une menace. Elle avait bien trop l’air d’être dans sa bulle, dans son « monde », pour avoir des velléités mesquines. Aussi pouvait-il baisser sa garde…

Le reste de la nuit fut plus calme, et reposante. Une première…

Les premières lueurs du jour baignèrent la chambre de Roy dans une ambiance chaude. Les rayons vinrent chatouiller les paupières lourdes du rouquin, qui n’eut d’autres choix que de se réveiller pour de bon cette fois. Il repensait à son rêve de cette nuit, et à cette jeune femme aux cheveux clinquant. On ne pouvait décemment pas la rater. Il se demandait ce qu’il avait bien pu absorber comme gaz ou substance la veille pour avoir laissé son esprit vagabonder de la sorte, ne pouvant croire que tout ceci fût réel et que l’Inconnue n’existe.

Nouvelle matinée, nouvelle journée. Comme un militaire, il suivait sa routine et de fil en aiguille, le voilà de nouveau dans les rues en direction de son travail de jour. Sans avoir besoin de recourir à quelconque artifice ni costume masqué, arpentant la ville en compagnie des autres travailleurs qui partaient eux aussi au boulot. Métro, boulot, dodo, en quelque sorte.

Il y avait pire comme travail par ailleurs. On le laissait aller à ses envies, et s’organiser comme il l’entendait. Ce n’était pas si mal, et ça payait le loyer.

Casque sur la tête, rock alternatif plein tube dans les oreilles, casquette rabattue sur le front, il marchait sans prêter plus d’attention à ce qu’il se passait autour de lui. Du moins, c’était l’impression qu’il laissait transparaître car le garçon n’était en réalité jamais vraiment tranquille.

C’est alors qu’il aperçoit une image familière. Une chevelure bien reconnaissable, et une « dégaine » toute particulière. Sans hésiter, il reconnut le personnage comique de ses rêves. Elle venait de passer, pas très loin. Roy n’avait donc pas rêve, elle existait belle et bien. Alors pour le coup, sa curiosité était plus que piquée au vif si bien qu’il s’élança pour l’interpeller de nouveau. Comme la première fois. Et toujours avec aussi peu de délicatesse, puisqu’il lui empoigna le bras, de peur qu’elle s’en aille sans le voir.

- Hey ! Attends…

Peut-être n’était-ce pas une bonne idée d’aborder la jeune femme de cette manière puisque celle-ci se mit à se débattre. Dans l’élan de son réflexe, Roy n’avait pas réfléchi aux conséquences de son acte ni aux impressions que cela pouvait donner. Il ne voulait aucunement l’effrayer ni l’agresser, bien au contraire. Quand elle tenta de faire volte-face pour l’entraîner, il put maintenir sa position sans trop de difficulté. Il ne s’attendait toutefois pas à ce qu’elle lui envoie son poing en pleine figure. Il avait baissé la garde, pour une fois, car il ne voyait pas en Ramona une menace.

Le poing en question s’arrêta toutefois avant de le toucher, et il resta impassible à quelques centimètres. Il en conclut qu’il lui avait simplement fait peur, ni plus, ni moins, et que sa réaction n’était donc pas inappropriée ni disproportionnée. Tout ceci tira un rire léger du visage du rouquin, qui ne put s’empêcher de prendre une allure paternelle pour calmer la situation.

- Allons… Du calme, ce n’est que moi oui. Tu me reconnais, ça veut dire que c’était bien toi et que je n’hallucine pas.

Il hocha la tête d’un air satisfait. Parfois, il pouvait lui arriver de douter de ce qui était réellement vrai, de ce qui ne l’était pas. Encore plus dans cette ville de fous où toutes les choses les plus improbables peuvent se produire à tout instant.

Constatant d’un air satisfait que Ramona se calmait, reprenant un air un peu plus détendu, il sourcilla en entendant la musique s’échapper des écouteurs. Il pointa du doigt l’appareil, tout en hochant la tête et les épaules en rythme.

- Hey… J’aime bien cette musique.

Mais ce n’était pas pour discuter chiffon et note musicale qu’il l’avait ainsi interpellé en pleine rue. C’était pour un sujet bien plus sérieux. Elle devait lui expliquer, lui dire ce qu’elle faisait là dans son rêve, et tout pleins d’autres interrogations qui patientaient difficilement dans son esprit.

Elle le gratifia toutefois simplement d’un « Salut ». Quoi ? Seulement ça ? Juste… « Salut » ? La nana le poursuit dans ses rêves, apparait chevauchant des rollers les mains dans les poches, lui donne des conseils de tisane de grand-mère avant de disparaitre à nouveau, pour réapparaitre en pleine ville, et elle ne lui dédicace qu’un simple « Salut » ? L’incompréhension et la surprise pouvaient ouvertement se lire sur le visage de Roy, dont les pensées s’y retranscrivaient sans aucune difficulté.

- … Salut…

Fut sa seule réponse, qu’il calqua sans le vouloir.

Reprenant son esprit après une demi-seconde supplémentaire, il gratta sa gorge rapidement pour reprendre une contenance un peu plus normale.

- Je t’ai vu dans mon rêve… Comment c’est possible ? Et t’es qui au juste ?

Oui, on va peut-être commencer par les bases. Cela semble être une bonne idée.

Il remarqua au même instant qu’il tenait toujours le bras de la jeune demoiselle. Baissant les yeux, il écarquilla les yeux avant de relâcher sa prise, s’excusant brièvement de l’avoir attrapée ainsi et s’enquérant de savoir si elle allait bien, et de lui demander s’il ne l’avait pas malencontreusement blessé ou fait mal… Quelquefois, il oubliait sa force réelle et laissait Arsenal prendre le dessus…

Tout comme elle, la foule qui les entoure et perd patience autour d’eux ne lui fait ni chaud ni froid. Totalement indifférent, Roy est dans sa bulle, détaché, comme toujours. Ils pouvaient jurer, les insulter, crier, ou les bousculer… Il n’avait pour l’heure une attention toute particulière que pour Ramona. Il la fixait peut-être un peu trop d’ailleurs, elle risquerait de se sentir gênée. Déjà que la situation était un peu incongrue.

Il eut envie de la corriger quand elle mentionna la prise de drogue. Il n’avait pas pris de drogue, mais plus précisément, il ne prenait plus de drogue. Elle l’aurait rencontré quelques années plus tôt, ça aurait été totalement différent. Elle aurait surfé sur un arc-en-ciel vu les quantités qu’il ingérait parfois. Mais il se tut, elle n’était pas obligée de savoir cet épisode de sa vie, d’autant que c’était totalement hors-sujet.

Il met sa main sur le cœur pour se présenter à son tour.

- Je m’appelle Roy.

Sans y prêter attention, il la suit quand celle-ci recule pour faire un peu de place aux badauds. Probablement qu’ils ne gêneraient plus dans une telle configuration, ce n’est pas comme si Roy s’en préoccupait.

- Ah… T’es la Fedex du marchand de sable alors si je comprends bien.

Il est vrai qu’une ville mystique qui apparait soudainement, avalant des milliers d’inconnus venus des quatre coins de la planète, était déjà quelque chose d’assez extraordinaire. Alors une femme qui fait des rollers dans la tête des gens, pourquoi pas après tout ?


Il mit ses mains dans les poches et hocha la tête en souriant, d’un air qui trouvait ça plutôt cool comme pouvoir. Il n’en avait pas vraiment des pouvoirs magiques, donc dès qu’il voyait quelqu’un avec des capacités peu communes, il agissait quelque peu comme un enfant.

- Tu veux pas que je t’offre un café ou un truc à boire par hasard ?

Pas qu’elle le branchait particulièrement le Harper, mais l’air détaché et impassible qu’affichait constamment Ramona, et sa manière de répondre, le faisait sourire et lui prêtait quelque peu envie de rire. Elle n’avait pas l’air méchante, et devait être une bonne personne au fonds. Du moins, c’est ce que son instinct lui susurre à l’oreille dans l’instant présent.

Il allait probablement arriver en retard au travail. Non, c’était même sûr, il allait arriver en retard. Mais Roy s’en fichait royalement. Ça ne serait pas la première fois, ni la dernière. Ils ne pourront pas le changer, et ils l’avaient gardé malgré tout. Cela sous-entendait qu’au fond, son travail méritait bien des petites concessions de la sorte de temps en temps. Cela ne nuisait pas à sa productivité ni à son dévouement pour un travail de qualité.

- C’est d’accord ! J’t’attends, pas de problème.

Il pouvait l’attendre. Il était patient. Il lui donna l’adresse d’un endroit pas très loin, qu’il connaissait suffisamment pour savoir que ce n’était pas mauvais. Sans doute pas le meilleur café du monde, mais il faisait l’affaire.

Ils se quittèrent donc, le Harper libérant sa proie pour la laisser s’envoler et terminer ses livraisons. Quant à lui, il prit le chemin vers le petit commerce de quartier, qui à cette heure devait être déjà bondé. Ce qui n’était pas une inquiétude pour lui, il saurait se trouver une petite place quoiqu’il arrive. Il pouvait se montrer… Convaincant. En quelque sorte.

Il n’en eut pas besoin puisqu’une table s’était libérée d’elle-même sous ses yeux quand il arriva sur place. Le café en lui-même ne payait pas de mine. S’il n’y avait eu quelques clients à l’intérieur, on aurait pu avoir du mal à déceler qu’il était ouvert ou même encore en activité. Mais Roy n’y allait pas pour la beauté du décor.

Il s’installa alors à cette fameuse table, dépliant à l’ancienne, comme dans les vieux films, un journal papier qu’il parcouru brièvement, pour s’occuper doucement, dégustant doucement un expresso. Il aimait le boire lentement, venant en totale contradiction avec le principe d’un expresso justement. La chaleur vive du café qui venait tout juste de sortir de la machine, puis le terminer bien froid pour en saisir toute l’amertume.

Bref, il ne vit pas le temps passé puisque l’attente ne lui avait semblé durer qu’une petite dizaine de minutes tout au plus, quand la demoiselle lui fit l’honneur de réapparaitre.