(Terminé) [Alana & Hannibal] Négociations.

La décision n'avait pas été simple à prendre. Bien des raisons de renoncer à cette audacieuse idée s'étaient imposées à l'esprit du Dr. Bloom. Mais toutes ces raisons avaient été évincées par la nécessité viscérale d'agir. Le constat était simple : tant qu'elle n'intervenait pas, sa femme et son fils étaient en danger de mort. Ce n'était pas un constat qu'elle pouvait tolérer et c'était moins encore un constat face auquel elle pouvait rester passive.

Will ne lui serait d'aucun secours. Leur dernière discussion avait adopté le ton d'une froide courtoisie qui était à mille lieux de l'affection qui avait existé entre eux autrefois. Leurs intérêts, leurs attentes étaient trop différentes désormais. Elle suspectait Will de pouvoir retenir la main d'Hannibal si celui-ci comptait s'en prendre à un proche, mais Will ne le ferait pas pour elle. C'était une certitude.

Alana ne pouvait compter que sur elle-même. C'était une éventualité à laquelle elle s'était préparée, tout au long de ces quelques années de solitude. Ce n'était pas une réalité réjouissante, mais il lui fallait l'accepter.

Morgan était en sécurité chez Samuel. Margot n'était en sécurité nulle part, ni en consultation avec Hannibal, ni chez Mason, mais elle survivrait. Il le fallait, jusqu'à ce qu'elle retrouve la mémoire, jusqu'à ce qu'elles se retrouvent véritablement toutes les deux. Après cela, lorsqu'elles auraient retrouvé leur vie de famille et que Mason serait de nouveau mort et enterré, pour de bon cette fois-ci, elles aviseraient. Comme elles l'avaient toujours fait.

Le véritable obstacle à la sérénité d'Alana était, encore et toujours, Hannibal. Parmi les vieux démons qu'elle devait affronter, il faisait office de figure de proue.

Souvent, elle avait songé à choisir l'anonymat. A s'inventer une nouvelle identité, à trouver un nouveau métier et à élever son fils en le préservant de toute mention de leur passé. Mais c'était là une rêverie bien naïve que de penser que cette ville lui permettrait une telle chose. Ses vieilles connaissances étaient trop nombreuses pour qu'elle puisse raisonnablement envisager une telle transformation. Et puis... il y avait Margot, qu'elle ne pouvait pas abandonner à son sort. L'idée même lui était intolérable.

Alors, portée par l'amour qu'elle portait à sa famille et par la décision qu'elle avait fait autrefois d'être brave, elle s'aventura dans le repère de la bête. Elle attendit dans la salle d'attente, appuyée contre le mur qui faisait face à la porte du cabinet du Dr. Lecter, mains jointes au niveau de son bas-ventre, sac à main pendant au bras. Si ses estimations étaient correctes et s'il n'avait pas l'extravagante idée de faire des heures supplémentaires, c'était là sa dernière consultation de la journée.

L'apparition de son ancien professeur et amant la fit sourire, l'un de ces sourires dénués de joie qui accompagnaient les pensées les plus sinistres. Elle attendit que le patient ait quitté la pièce pour s'adresser à celui qui détenait encore bien trop de pouvoir :

- Bonsoir, Hannibal.

La brune entra dans le cabinet sans aucune hésitation. De même, elle prit place sur le siège qu'il lui indiquait avec ce même calme maîtrisé qu'elle affichait depuis qu'elle était entrée dans l'édifice. Elle constata que les manières de son interlocuteur ne s'étaient pas dégradées. Elle accepta le verre de vin et attendit patiemment qu'il prenne place dans son fauteuil. Il avait vu juste en supposant qu'elle ne venait pas pour une consultation, ce qui aurait été un tel comble que ni l'un ni l'autre n'aurait su considérer cela avec sérieux, du moins le pensait-elle.

Alana se demanda si Margot lui avait parlé de leurs retrouvailles. Plus spécifiquement, elle s'interrogea sur ce qu'il avait bien pu répondre à cela. Hannibal n'avait pas de raison personnelle de se montrer malveillant envers Margot, mais Alana n'avait que trop conscience que la survie de celle-ci avait été sérieusement remise en cause quand elle avait fait le choix de l'épouser. C'était la raison de sa venue ce jour-là.

Elle ne pourrait jamais prétendre le comprendre entièrement. Mais il y avait certaines facettes de sa personnalité qu'elle connaissait suffisamment pour obtenir cette certitude : il n'honorerait pas sa promesse de cette façon. Il prendrait son temps, parce que c'était ainsi qu'était Hannibal. Il jouait avec sa nourriture. C'était ce qui était arrivé à Bedelia du Maurier, c'était ce qui lui arriverait également.

Par habitude, elle souleva le verre et en huma délicatement les fragrances. Elle nota silencieusement qu'elle ne repéra aucune des odeurs caractéristiques des drogues ou des poisons qu'elle connaissait. Ce qui, en vérité, l'aurait étonnée. D'une part, des produits particulièrement efficaces et inodores existaient, désormais. D'autre part, ce n'était probablement pas ainsi qu'il l'achèverait, lorsqu'il déciderait de l'achever. Elle baissa néanmoins le verre, non pas par suspicion, mais parce qu'elle souhaitait garder les idées aussi claires que possible. Pour le moment.

- J'aimerais aborder plusieurs sujets avec toi.

Composée, elle affronta son regard. Elle prit le temps de croiser les jambes avant de continuer :

- Mais par pragmatisme, j'aimerais d'abord que nous discutions de cette promesse que tu m'as faite.

Sa voix était d'une neutralité telle qu'il en devenait complexe de croire qu'elle mentionnait bien sa possible mort prochaine. Pourtant, ce calme-ci n'était pas feint. Alana avait des priorités bien plus importantes que sa propre survie. Mais avant de les partager à Hannibal, il lui fallait tout de même obtenir un semblant de certitude que ses propos seraient considérés avec attention et sérieux.

Un rictus rompit l'impassibilité calculée d'Alana au moment pour Hannibal de lui préciser qu'il ne comptait pas changer d'avis.

- Je ne m'attends pas à ce que tu reviennes sur ta promesse. Je m'attends en revanche à ce que tu honores celle que tu m'as initialement faite.

Elle continua de soutenir son regard. La nature de leur discussion aurait eu de quoi l'intimider, mais Alana avait eu près de trois ans pour se préparer à cette confrontation.

- J'ai scellé mon sort en refusant de rester aveugle, autrefois. Je l'accepte. Cette décision était la mienne. Je ne compte pas négocier ma survie. En ce qui me concerne, mourir de ta main est inévitable.

Etait-ce si simple ? Il aurait été de bon ton d'en douter. Elle était cependant persuadée de ne pouvoir espérer mourir d'une mort naturelle. Les seules alternatives auxquelles elle pouvait aspirer étaient de mettre elle-même fin à ses jours, ou de tenter d'ôter la vie à Hannibal avant qu'il ne se décide à l'abattre. Ces deux options, pour l'heure, ne l'intéressaient pas.

- Mais je ne peux accepter que tes intentions s'étendent à Margot ou à Morgan. La situation a évolué, Hannibal. Ce ne serait pas très élégant de t'en prendre à ma famille alors que tu viens tout juste de retrouver la tienne. Que tu as obtenu la loyauté de Will et... Que tu viens de retrouver Abigail.

Sa voix doucereuse prit des intonations plus graves qui accentuaient la menace sous-jacente qui se glissait sous ses propos. Alana s'était jusque-là contentée d'observer de loin les interactions des figures de son passé et avait limité ses interactions avec Abigail tout comme avec Will. Mais s'il lui fallait se résigner à jouer de façon déloyale à l'issue de cette conversation, elle le ferait sans hésiter.

- Je te demande de me promettre de les épargner. Et d'attendre la mort de Mason Verger pour provoquer la mienne. En échange, je m'engage à accepter le sort que tu me réserves et à taire ce que je sais à ton sujet, au sujet de Will et au sujet d'Abigail.

Elle prit une gorgée de vin, qu'elle savoura avant de poursuivre :

- A les taire aux autorités locales, bien entendu, mais aussi et surtout à cette charmante jeune femme qui enquête sur toi.

Alana adressa à son collègue un regard qui laissait entendre à quel point elle était incrédule. Dans ce monde plus qu'ailleurs, sa parole avait du crédit. Car ici, le seul allié sur lequel pouvait compter Hannibal, c'était Will. Et Alana était bien placée pour savoir que l'instabilité du profileur ne jouait pas toujours en sa faveur. Elle garda néanmoins ses convictions pour elle, certaine que malgré ses propos, Hannibal lui-même savait que ce ne serait pas dans son intérêt qu'elle révèle l'étendue de ses secrets et de sa monstruosité.

- Ne présume pas de ce qui est digne de moi ou non, Hannibal, répliqua-t-elle posément.

En amour comme à la guerre, tout est permis. Et il était bien question de ces deux notions, en ce cas précis. C'était par amour qu'elle voulait défendre les siens. C'était par hostilité qu'elle s'était résolue à employer tous les moyens nécessaires pour en arriver à ses fins.

Cet entretien n'avait pas été totalement inutile. Hannibal attendrait la mort de Mason avant de passer à l'acte. C'était donc un obstacle de moins dans son intention d'aider Margot à se débarrasser définitivement de l'influence de son frère.

- Bien.

Elle esquissa un sourire froid, sans s'étonner qu'Hannibal choisisse de l'interroger au sujet de Clarice. Le double sens de sa question ne lui échappa pas, mais Alana fit le choix de privilégier une interprétation plutôt que l'autre. Il était bien plus intéressant pour deux psychiatres de discuter de l'état d'esprit d'une inconnue, n'est-ce pas ?

- Elle ne lâchera pas le morceau avant de découvrir la vérité à ton sujet. C'est une jeune femme déterminée, et que je suspecte être redoutable. Ses traumatismes l'empêchent de se détourner de son obsession pour ton homonyme, et à défaut de le trouver lui, c'est auprès de toi qu'elle entend régler ses comptes.

Elle but une gorgée de vin.

- Mais je devine que tu sais déjà tout ça. Et que cette jeune femme t'amuse.

Une déduction facile, là encore. Toute personne qui survivait à Hannibal était pour ce dernier une source d'amusement, ou de curiosité. Souvent les deux.

Clarice Sterling était en effet une jeune femme intrigante. Alana n'était pas étonnée qu'elle s'attire l'attention et la curiosité d'Hannibal. Elle-même était curieuse. Malgré une conversation des plus intéressantes avec la jeune femme, la psychiatre n'était pas encore capable de prédire jusqu'où Clarice serait prête à aller pour abattre le Hannibal Lecter qui lui faisait face, à défaut de pouvoir se défaire de l'emprise du Hannibal Lecter que Clarice avait connu. Il était plus qu'évident que l'ancienne profileuse associait ces deux homonymes jusqu'à ne plus réellement se préoccuper des différences qui existaient entre ces deux différentes versions du cannibale. Ce qui arrangeait Alana, bien entendu. Tout ennemi d'Hannibal devenait par association un allié potentiel. Mais avant de pouvoir encourager les idées de vengeance de Clarice, il lui fallait tout de même en apprendre davantage sur ses intentions et sur l'état de son esprit. L'instabilité mentale pouvait être utile, jusqu'à un certain point. Mais un être trop instable ne pouvait pas être fiable.

Les interrogations, pertinentes, de son interlocuteur firent sourire Alana. C'était un sourire sans arrogance, qui témoignait au contraire de sa résolution à patienter avant de déplacer les pièces de son propre échiquier.

- Tu devrais pourtant te douter que je ne compte pas abattre mes cartes aussi rapidement. Clarice Sterling est un cas fascinant, et une adversaire de taille pour toi. Mais pour le moment, il n'est pas dans mon intérêt de tout lui révéler. Pas encore.

Tout dépendrait de l'issue de cette conversation, à vrai dire. Pour protéger sa famille, Alana était prête à tout, y compris à envisager d'affronter l'homme qui lui faisait face, y compris à envisager d'aider Clarice à le mettre hors d'état de nuire. Le sang, la violence, n'étaient plus des obstacles au mode de pensée d'Alana. Elle était prête à tuer Mason Verger de sang froid. Elle était tout aussi prête à user de tous les stratagèmes nécessaires pour éliminer la menace que représentait Hannibal. Mais malgré ces résolutions, elle estimait tout de même que tous deux gagneraient un temps précieux à trouver un arrangement plutôt qu'à s'affronter.

- Comme je te l'ai dit, les choses ont changé. La survie des miens, ici, m'importe plus que mes désirs de vengeance à ton sujet.

S’il y avait bien une chose qu’Alana devait reconnaître à Will, c’était qu’il semblait avoir suffisamment d’influence sur Hannibal pour mener celui-ci à des concessions que la psychiatre ne lui aurait jamais soupçonné. Et pourtant, malgré une surprise initiale qu’elle ne tut pas, Alana croyait son interlocuteur lorsque celui-ci commençait à accepter les concessions qu’elle entendait lui faire accepter à propos de Morgan et de Margot. Il n’était pas encore convaincu. Mais c’était déjà un grand pas, et elle en avait douloureusement conscience.

Mais, bien évidemment, Hannibal était gourmand. Tout en scrutant son visage avec une concentration implacable, Alana esquissa un sourire circonspect.

- Hannibal… D’autres arguments pour te prouver que je ne compte pas te laisser sagement accomplir ta promesse ?

Sa voix était doucereuse, et le calme qu’elle affichait n’était pas feint. Hannibal était un homme dangereux, extrêmement dangereux, même. Et imprévisible. Mais il n’était pas déraisonnable. C’était pour cette raison qu’elle avait privilégié un tête à tête plutôt qu’une attaque frontale. Il était entêté et s’accrochait volontiers à des décisions cruelles, mais elle savait qu’il était possible de discuter, voire négocier avec lui. Tant qu’il avait le sentiment de remporter une bataille, tant qu’il restait dans une certitude de supériorité et de puissance, il l’écouterait. Et c’était ce qui lui importait le plus, ce jour-ci.

- Je ne compte pas lister tout ce que je pourrais mettre en œuvre pour vous mettre en péril, toi, Will et Abigail. Ce seraient des menaces inutiles.

Et bien imprudentes, de surcroît. Il la connaissait, plus que ce qu’elle voulait bien admettre elle-même. Il savait qu’elle n’avait pas hésité à tenter de l’abattre par le passé, et qu’elle recommencerait si elle estimait que c’était un geste nécessaire. Mais les circonstances étaient différentes. Ses priorités et son sens de la morale aussi. Peu lui importaient les victimes d’Hannibal, tant que sa famille ne figurait pas parmi celles-ci.

- Tu sais ce que je suis capable de faire et d’obtenir. Dis-moi ce que tu veux en échange de ces concessions.