Cartes, Bluff et Rock 'n' roll [Husk]

Cartes, Bluff et Rock 'n' roll

Aussi étrange que cela puisse paraître, l'intérêt d'Adam pour le poker avait commencé lorsque l'ancien ange avait déclaré à sa chérie du moment qu'il s'occuperait du dîner de ce soir. Il avait enchaîné les compliments, insistant sur la fatigue de la demoiselle qui devait enchaîner travail éprouvant et tâches ménagères, mentir en prétextant le besoin qu'il avait de se sentir utile, de faire sa part, poursuivre sur le besoin de relâcher la pression avec un petit massage des épaules en prime, et, enfin, la demoiselle lui confia sa carte de crédit sans résistance (avec un baiser de remerciement en prime). Adam en serait presque épaté par son propre talent. Oublions le 'presque'. Il peaufinait ses méthodes d'extorsion avec une efficacité qui tenait de l'art. Le plus difficile avait été d'étouffer le rire railleur qui menaçait de franchir ses lèvres au moment de se saisir du précieux sésame des finances. Il attendit d'être dehors pour fanfaronner, sifflotant un air entraînant et marchant comme si la rue lui appartenait. Il songeait aux astuces pour tenir sa promesse sans trop se fatiguer (tout en donnant l'air de s'être décarcassé), mais, surtout, calculait la marge qu'il avait en termes d'achats personnels.

C'est alors qu'il LA vit.

Tout d'un coup, on aurait dit qu'il s'était retrouvé projeté dans un de ses films romantiques si dégoulinant de bons sentiments, qu'il menaçait de vous filer le diabète dès la première scène. Malgré son aversion pour le genre (qu'il regardait uniquement pour se marrer à gorge déployée devant la niaiserie des protagonistes), Adam devait se rendre à l'évidence : ces stupides films avaient raison ! Dès qu'il L'avait vu, il s'était figé sur place, comme frapper par la foudre. Le temps semblait s'être arrêté alors qu'il se perdait dans la contemplation de ces courbes harmonieuses et toutes les allégories déclamées dans les chansons d'amour pour débiles trouvaient soudain un sens. Adam s'était approché, avec une timidité qui ne lui ressemblait pas, comme s'il avait craint que le moindre geste trop brusque de sa part ne fasse disparaître pour toujours cette divine apparition. Il ne s'arrêta qu'au moment d'avoir quasiment le nez collé contre la vitrine. Là, il admira sans retenue le moindre détail de l'objet de sa convoitise. Les six cordes métalliques reflétant la moindre nuance de lumière projetée par les spots de la vitrine. La blancheur nacrée du manche. Les décorations finement peintes. Les notes sculptées sur la tête. Cette guitare électrique était parfaite ! Le bout de ses doigts le picotait. Il mima instinctivement la prise d'un médiator invisible en se mordant la lèvre inférieure. Il ne désirait qu'une seule chose : tester cette beauté. Depuis son arrivée, ici, il n'avait pas pu tirer une seule note ni approcher du moindre instrument de musique. Tomber sur cette guitare était forcément un signe du destin. Puis, son regard se baissa vers le prix et son moment de grâce vola tout aussi vite en éclats.

Aucune chance pour que cet achat là passe inaperçu. Honnêtement, il aurait pu prendre le risque d'être mis à la porte, s'il avait la garantie de garder la guitare. Sauf qu'Adam soupçonnait que l'instrument se retrouverait brisé (potentiellement sur sa tête) au moment de la découverte. Le fait qu'il visualise un peu trop bien la scène l'enrageait. Ou était passé le bon vieux temps où il n'en aurait rien eu à foutre de la réaction des autres ? Il était Adam ! Bordel, cinq jours avec cette grognasse et il s'était déjà transformé en moule dépressive ? S'il voulait une guitare, il allait en obtenir une !

C'est en cet instant d'orgueil mit à ébullition que quelque chose attira son attention. Sur le trottoir d'en face, un panneau publicitaire glissa d'une pub de parfum hors-de-prix à une affiche aux couleurs criardes demandant en lettres capitales "prêt à doubler la mise ?" En plus petit, la publicité indiquait "Casino L'Asgard". Il n'en fallut pas plus pour qu'il morde à l'hameçon. D'abord l'apparition de cette splendide guitare en vitrine, puis, cette publicité. Enfin, la chance lui souriait ! Ce n'était pas trop tôt ! Alors, bien sûr, il connaissait la réputation des casinos. Ce genre d'endroit était des véritables attrape-couillons. Il était au courant, merci. Adam songeait que ce genre de mise en garde ne s'appliquait tout simplement pas à lui. C'était LUI qui allait les pigeonner et... Quelle était l'expression déjà ? Ah oui... Il allait faire sauter la banque. Il ne pouvait en être autrement.

Il passa l'heure suivante en mode automatique. Prendre de l'argent en cash, de quoi acheté des plats à emporter au traiteur et une petite marge pour sa première mise. Se rendre au casino. Convertir l'argent en jeton. Une seule chose tournait en boucle dans son cerveau pendant toutes ses actions. Guitare. Guitare. Guitare. Guitare. Guitare. Guitare. Il avait deux heures avant le retour à l'appart de la demoiselle (dont, un jour, il fera peut-être l'effort de retenir le nom). Il estimait avoir largement le temps.

Adam commença par un petit tour d'horizon des lieux, passant rapidement devant les différentes machines à sous. Sans conviction. Où était l'intérêt de gagner contre une machine ? Cela ne l'intéressait pas. La meilleure guitare du monde méritait d'être gagnée dans le sang et les larmes (celui des autres, bien entendu). Son attention se reporta presque trop naturellement vers les tables de jeux et plus particulièrement vers celle dédiée au Poker. Il fut vite conquis par l'ambiance. La dernière fois qu'il avait vu autant de désespoir, de pleurs et de frustration, c'était pendant ses exterminations annuelles en Enfer. Ah, le bon vieux temps... Si on oubliait la dernière extermination en date (ce qu'Adam arrivait à faire assez facilement).

Un joueur quitta une table après avoir jeté furieusement ces cartes. Adam ne peut s'empêcher de rire en voyant sa mine profondément dégoûtée. "Sacré ambiance, ici, je peux me joindre à la partie ?" Malgré sa question, il s'était installé à la chaise vide avec toute l'impertinence qui le caractérisait.

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Son arrivée à la table de jeu fut accueilli avec une tiédeur toute professionnel auquel l'ancien ange n'était pas habitué. Le sourire suffisant d'Adam se crispa légèrement aux commissures des lèvres. Être traité comme le commun des mortels, un anonyme qui ne se démarquait pas dans une foule de quidams, était la chose qui le déstabilisait (et lui déplaisait) le plus dans cette nouvelle vie. Dire qu'il y a seulement trois petits mois de cela, tout le gratin du paradis se serait battu pour obtenir le privilège de le voir s'installer à leur table ! Et là... Il étouffa le début de scandale qui lui brûlait les lèvres. Il avait trop besoin de cet argent et surtout de cette guitare pour songer à faire une esclandre, juste pour un accueil jugé trop froid à son goût. Il ne pouvait pas laisser une telle perfection instrumentale atterrir dans les mains de n'importe quel plouc tout juste sorti de ces leçons de solfège. Ce serait un sacrilège !

"Hey, faut se détendre, les gars. On n'est pas en train de miser nos âmes ou un truc du genre, pas vrai ?" Rigola-t-il sur un ton faussement débonnaire. Habitué aux réactions stoïques de Lute, il avait appris à savoir composer avec une audience difficile. Bref, il allait gérer, quitte à prendre sur lui de mettre l'ambiance. Comme toujours.

Car, si Adam était bien doué pour une chose, c'était de donner l'illusion de maîtriser une situation, même lorsqu'il n'avait aucune foutue idée de ce qu'il faisait ou de la gravité du pétrin dans lequel il venait de mettre les pieds. Son secret, pour parvenir à un tel résultat était d'être convaincu lui-même d'être doué en tout. Ses connaissances du Poker se limitaient à ce qu'il avait pu en entendre des autres tables avant de poser son cul sur cette chaise, mais, malgré ses chances tenant de l'anecdotique, il restait persuadé qu'il allait 'rouler sur la partie' (comme on dit).

Ainsi, il se calqua sur les autres concernant la mise de départ et accueillit ses cartes en pianotant du bout du doigt sur le bord de la table de jeu, suivant le rythme d'un solo de guitare imaginaire. Un rapide coup d’œil à ses cartes l'informa du contenu de son jeu : Trois sept, un trois de trèfle et un cinq de carreau. Ignorant la réelle valeur de son jeu, Adam l'accueillit avec l'enthousiasme de celui persuader de tenir une main-forte. Après tout, le sept était le chiffre divin. Et n'était-il pas l'enfant chéri du Paradis (titre autoproclamé) ? Qu'il en ait reçu trois devait forcément signifier quelque chose. Un coup de pouce d'en Haut, peut-être ? Depuis la lune rouge, l'ancien ange avait la fâcheuse tendance de chercher des signes pouvant annoncer son futur retour au Paradis. Ce n'était pas de la superstition ! Il était bien placé pour savoir que les miracles et les augures existaient réellement. Alors, pourquoi pas ici ? Ce n'était pas plus stupide que d'éviter de passer sous une échelle ou de se barricader chez soi tous les vendredis 13.

Un mouvement d'un joueur le tira de sa rêverie auto-suffisante. La personne avança des jetons en disant deux mots. Je suis. Puis plus rien. Adam regarda l'homme au nœud papillon en fronçant les sourcils. Il attendit la suite d'une phrase qui n'arriva jamais. "Tu es ?" Répondit l'ancien ange, du tac au tac, se méprenant comme un débutant sur le sens de la phrase de l'autre joueur. Est-il tombé sur un fan trop timide pour révéler son identité ? Visiblement non. Sa remarque provoqua un bref silence autour de la table, entre surprise et consternation. Adam vit un des autres joueurs tapoter ses jetons. À nouveau, il avait trop l'habitude des petites indications discrètes de Lute pour ne pas y reconnaître une tentative d'aide sur ce qu'il devait faire. "Oh oui. Bien sûr." Se rattrapa-t-il le plus rapidement possible. Il jeta le même nombre de jetons que l'autre. "Je suis, aussi." Il se mordit furtivement la lèvre, persuadé qu'il devait faire quelque chose de plus pour rattraper sa bourde. Il chercha frénétiquement dans tous les termes entendus à la dérobée. "Et... je relance." Dit-il en ajoutant un jeton supplémentaire.

Cela fait, il retrouva son sourire confiant et s'installa un plus confortablement sur sa chaise. Un bras accoudé au dossier et en tenant fermement ses cartes de son autre main. Du coin de l’œil, il s'attarda sur le joueur qui avait suivi en premier et venait de commander un whisky. De la plus puérile des façons, Adam le porta automatique responsable de son faux départ.

"Mignon le nœud papillon. Tu t'es échappé d'un film d'espionnage ou d'une scène de Pole Dance ?" Glissa-t-il nonchalamment, feintant de vouloir faire la conversation tout en ayant le regard rivé sur le cours de la partie. C'était petit et mesquin, oui. Surtout vu son propre style, qu'on aurait pu croire tout droit sorti de l'âge d'or du rock (avec son pantalon élimé au niveau des genoux, son blouson noir refermé sur son t-shirt bleu nuit). La paille, l'oeil, la poutre, toussa toussa... Et alors ? Si on ne pouvait plus plaisanter où allait le Monde ?

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L'embarras ressenti devant son erreur de débutant ne dura qu'une poignée de secondes, balayé aussitôt par une remarque puérile lancé à l'encontre de celui qu'il jugeait responsable de ce faux pas. Sa cible lui lança un regard sombre, qui eut le don d'agrandir le rictus de l'ancien ange. Plutôt qu'une remarque acide, l'autre lui rendit son sourire et lui fit une remarque au sujet du bluff. Adam prit le manque de réparti de son interlocuteur pour une victoire, ignore qu'il venait de quasiment signer l'autorisation pour se faire détrousser jusqu'au dernier jeton. Il accueillit le 'conseil' avec un haussement d'épaule, trahissant ce mélange subtil de dédain et d'indifférence qu'il éprouvait.

"Qui parle de Bluff ? C'est juste une manière de faire la conversation." Répondit-il, avec toute la mauvaise foi dont il était naturellement capable, en plus d'être beaucoup trop confiant pour quelqu'un qui ne possédait qu'un triple sept. Soit une main à peine plus forte qu'une double paire.

L'ignorance avait ces bons côtés, comme celui de le laisser dans l'illusion que ces coups de 'bluff' avait une chance de portée, d'imaginer que sa bourde du début était déjà derrière lui, alors qu'elle l'avait publiquement catalogué comme le plus novice des débutants, ou encore de croire qu'un véritable duel de haut niveau était en train de se jouer entre lui et 'monsieur noeud papillon' (au point d'à peine prêter attention aux deux autres joueurs). Oui, même celui qui lui avait sauver la mise tout à l'heure avait droit à son dédain. Adam et la reconnaissance n'avaient jamais fait deux, ce n'était pas maintenant que cela allait commencer.

Son 'rival' augmenta la mise. Adam accueillit ce geste avec un petit hochement de tête, comme s'il n'en attendait pas moins de son adversaire. Ensuite, il se concentra sur ses propres cartes, réajustant leurs places dans sa main avec une petite moue pensive trop exagérée pour être crédible. Histoire de faire un peu mariner les autres. C'est qu'il pourrait y prendre goût, à ce petit jeu ! La réflexion de monsieur noeud papillon qui suivit sur les anges gardiens lui arracha un rire aussi bref que franc. "Nan, je crois que les anges ont autre chose à foutre de leur journée. T'imagines un peu, tu bosses toute ta vie pour mériter le paradis et, à peine ta paire d'ailes et ton auréole reçues, on te charge de veiller sur un autre type ? Sérieusement, qui serait assez con pour accepter ça ?" Rigola-t-il. "Disons... Que j'ai d'autres raisons d'être confiant." Assura-t-il en tapant sur la table, comme s'il touchait du bois pour se porter chance. Lui n'avait pas besoin d'ange gardien, il était dans les petits papiers des Hautes Instances Séraphiques. Du moins, il en était persuadé.

Malheureusement pour lui, toquer ainsi sur la table de jeu avait une signification au Poker : celle de passer son tour, sans suivre ni se coucher. Quelque chose qu'on ne pouvait faire que lorsque la personne précédente n'avait pas misé, ce qui n'était pas le cas ici. Un nouveau silence gênant suivit sa bourde. Cette fois, Adam comprit beaucoup plus vite son erreur involontaire. Il perdit son sourire et leva les yeux au ciel avec un grognement agacé. "C'est bon, je sais que je ne peux pas... Faire ce que je viens de faire." Bougonna-t-il. Ses justifications étaient d'autant plus hasardeuses qu'il ignorait vraiment ce qu'il avait fait de mal. Avec humeur, il plaça les jetons sur la table. "Je suis la mise, voilà. Jeez, faut se détendre, les gars." Et, comme une invitation lancée à joindre le geste à la parole, il commanda un verre, sacrifiant quelques précieux jetons au passage. Ce geste-là ne demandant pas de connaître par coeur trente-six règles cachées ou des termes techniques tordus (selon sa propre vision de la partie en cours), il arriva à le faire correctement !

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Adam n'avait aucune conscience des limites à ne pas franchir pour qu'une conversation reste cordiale. Il avait toujours fait face à deux types de personnes : Ceux d'en Haut (qui lui témoignait autant d'indulgence que d'un favoritisme appuyé face à son comportement) et Ceux d'en Bas (dont il se moquait de l'opinion à son égard). Le point commun entre ces deux de figure, était que tous savaient QUI il était. Ce qui n'était plus le cas depuis son arrivée sur l'île. La conversation avec monsieur noeud papillon lui faisait découvrir les subtilités d'une conversation à demi-mots et il se surprit à trouver amusant de parler des anges tout en gardant un anonymat relatif. Relatif, car, lorsqu'il s'agissait d'Adam, la tentation de péché par orgueil n'était jamais loin. (Plutôt ironique lorsqu'on songeait qui représentait ce péché à l'origine.)

En réalité, il n'avait aucune foutue idée de si les anges gardiens existaient ou non. Si ce service existait, ils ne volaient pas vraiment dans les mêmes sphères du Paradis que lui. Mais, de son point de vue foncièrement égoïste, il ne voyait pas quel genre d'idiot pouvait sacrifier son après-vie pour s'occuper des âmes mortelles. L'ombre d'une grimace passa sur son visage en entendant l'autre type parler d'acte de charité. La phrase (qu'il imaginait anodine) lui rappela qu'il existait effectivement quelqu'un d'assez débile pour se lancer dans ce genre de projet. La morveuse de Lucifer. Et le pire, c'est qu'elle avait réussi à s'entourer de toute une bande de dégénérés s'imaginant que pousser la chansonnette allait réussir à leurs ouvrir les portes du Paradis. L'idée aurait pu passer pour la blague du siècle, si cet hôtel minable n'était pas à l'origine de sa défaite.

"Ah ! Basculer de l'autre côté par un acte de charité... Seulement dans les rêves mouillés de certains." Rigola-t-il méchamment, aussi sarcastique que vulgaire. "Et je pense, perso, que certains anges trouvent très bien de quoi s'occuper. Du moins, une fois par an." Glissa-t-il, ensuite, avec une certaine satisfaction dans la voix, alors qu'il feignait de réarranger les cartes de sa main. Il avait la suffisance de celui venant de prononcer une blague comportant une référence obscure qu'il s'imaginait être le seul à en connaître toutes les subtilités.

Un des deux autres joueurs lâcha l'affaire (ou se coucha, ou quel que soit le terme technique employé pour signaler qu'il abandonne lamentablement la partie), ce qui eut pour effet de conforter Adam dans son idée que tout allait se jouer entre monsieur-noeud-pap et lui, comme s'ils étaient des joueurs de même niveau. Douce illusion. Ce moment fugace d'auto-satisfaction fut, d'ailleurs, détruit assez rapidement. Il toqua sur la table, comme pour toucher du bois, ignorant que son geste avait une signification au poker. Adam digéra moins bien cette nouvelle erreur le cataloguant définitivement comme débutant. (Oui, il pensait sincèrement avoir réussi à tromper magistralement tout le monde après sa première bourde.) Même s'il avait compris son erreur bien plus vite que la première fois. Il misa rapidement en râlant sur le fait qu'il fallait se détendre un peu. Pour joindre le geste à la parole, il commanda un verre à son tour, en échange de jetons. Le whisky n'était pas son genre. Trop 'fancy' à son goût. Il commanda un Martini, qui entrait aussi dans sa catégorie de trop fancy, mais, mieux valait ça qu'un cocktail au nom obscur dont il ignorait le contenu (Jeez, pourquoi tout devait-il être compliqué ici, jusqu'aux boissons ?).

Le buveur de whisky répliqua qu'il y avait des règles au Poker, comme partout. Adam eut un sourire entendu. "Je sais. Je sais. Oeil pour oeil et ce qui est juste est juste." Réagit-il en reprenant mot pour mot le discours qu'il avait tenu devant la morveuse de Lucifer. D'ailleurs, il en venait rapidement à la même conclusion : "Et où est le fun dans tout cela ? Les règles n'empêchent pas d'y mettre un peu de fun. C'est le cas 'partout', ça doit être le cas aussi pour le poker, non ?" Il leva un sourcil, comme s'il ouvrait la porte pour des suggestions dans ce sens.

Bien sûr, Adam pouvait se permettre ce genre de parole nonchalante parce qu'il s'était toujours trouvé en position privilégiée par rapport aux règles dictées. Privilégié au point de faire des entorses sans jamais se soucier des conséquences. Les vieux réflexes ayant la vie dure (surtout ceux découlant des plus mauvais traits de caractère), toutes les déconvenues vécues depuis son arrivée ici n'avait pas su effacer cette conviction qu'il avait d'être béni (Et, pour un ancien ange, le terme 'béni' était à prendre de manière littérale) par la chance. Il n'allait pas tarder à réaliser son erreur.

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Adam ne pouvait plus entendre le mot 'Charité' sans visualiser la morveuse de Lucifer et ses horribles dessins présentant des anges et des démons se tenant main dans la main en dessous d'un énorme arc-en-ciel. Une image qui le dégoûtait autant qu'elle ne le mettait en rogne. Pour lui, ce mot était à jamais contaminé par le caractère dégoulinant de niaiserie de la princesse des Enfers. Vaggie ? Adam ne voyait pas l'acte qui avait provoqué la chute de son ancienne exorciste comme un geste de charité. Plutôt la plus grosse bêtise du siècle. Le fait que cette dernière n'ait pas tout fait pour retourner dans ses bonnes grâces et avait gentiment accepter sa vie en Enfer était quelque chose qui le dépassait complètement.

Sa colère s'était tarie presque aussi rapidement qu'elle avait surgie uniquement grâce à deux convictions : celle d'avoir une main gagnante, et celle de l'ignorance de son interlocuteur sur les sujets évoqués à grands renforts de parole qu'Adam s'imaginait subtil. Bercé par ces deux certitudes (pourtant totalement fausses), il interpréta le regard sombre de monsieur noeud-papillon comme une réaction à sa tirade vulgaire. Ce qui l'amusa d'autant plus. Une bonne humeur qui rencontra un 'à-coup' lorsque son interlocuteur lui répondit par une phrase presque aussi 'cryptique' que la sienne. Adam fronça les sourcils à l'évocation d'une 'adorable petite bonne femme', l'air de dire : mais, de quoi tu me parles, putain ?

Ce n'était pas seulement à cause de sa conviction de parler à un parfait inconnu. Il y avait surtout le fait qu'il n'avait littéralement pas vu venir Nifty dans son dos. Tout ce qu'il avait comme souvenir de cette sale garce, était un rire hystérique, une vague tignasse rouge et la douleur de chaque coup de poignard dans son dos. Autant dire que cela ne collait pas vraiment avec le terme 'adorable'. Sans cela, il aurait peut-être réalisé que son adversaire n'était pas un inconnu comme il le pensait. Si l'ombre d'un doute lui traversa le visage, il fut vite effacé par un haussement d'épaule nonchalant. Préférant ne pas se questionner plus que cela sur cette référence obscure, pour se concentrer plus volontiers sur la notion de 'maître des lieux'. Là, par contre, il avait largement de quoi dire.

"Ouais, enfin, un pseudo-maître des lieux qui n'a pas hésité à jeter son peuple 'sous le bus', comme on dit ici, en validant le passe-temps des dits anges." Répondit-il. En vérité, la situation était un peu plus complexe que cela, mais, puisqu'il s'imaginait parler à un ignorant, autant arrondir un peu plus angle qui ne collait pas avec sa version des faits. "Facile de venir jouer les sauveurs, des siècles plus tard. Enfin, espérer recoller les morceaux quand il est trop tard, on peut dire qu'il a ça en commun avec son peuple. Je suppose que c'est plus rassurant de tout mettre sur le dos des anges que de remettre en question ses propres choix de vies." Il haussa de nouveau des épaules avec un mouvement de mains qui faillit révéler ses cartes. Oui, Adam était culoté de se poser en donneur de leçon, mais, il estimait être en droit de juger les autres. Après tout, n'avait-il pas, lui, obtenu le droit de séjourner au Paradis ?

Il en était de même pour les règles. L'ancien ange avait toujours été favorisé par ces dernières. Le pire qu'il recevait lorsqu'il les ignorait (volontairement ou par réelle ignorance) était un petit sermon de Sera. Autant dire, rien qui le pousserait à changer de comportement. Il ne comprenait pas les réactions des autres joueurs face à ces maladresses de débutant. On ne parlait pas des règles régissant le Paradis et les Enfers, ou des limites entre le Bien et le Mal. Ce n'était que des règles d'une putain de partie de Poker. Alors, pourquoi tout le monde réagissait comme s'il venait de commettre un crime de lèse-majesté ? D'où son invitation à décompresser. Ce n'étaient pas leurs âmes qui étaient en jeu, pas vrai ? Bon, en dehors de sa fausse conviction de pouvoir gagner malgré sa méconnaissance des règles les plus élémentaire, le fait que ce ne soit techniquement pas son argent qu'il misait l'aidait à ne pas prendre les mises jouées au sérieux. Alors qu'il aurait dû, au contraire, redoubler de prudence à cause de ce dernier détail.

Peut-être était-ce à cause de la discussion sur les anges ou le sourire digne d'un démon de son adversaire qui l'avait plongé dans cette nostalgie d'une époque où tout était beaucoup plus simple (du moins, avant qu'une certaine princesse ne vienne tout foutre en l'air). Mais, Adam retrouvait le peu de mauvais réflexe que son séjour sur l'île (rempli des galères les plus diverses) avait réussi à gommer. Il était à deux doigts de chantonner sur l'Enfer Éternel au moment de parler d'oeil pour oeil et de fun à trouver en toute chose, malgré l'existence de règles assommantes. Il était même allé jusqu'à commander un Martini, histoire de donner le change au monsieur Whisky.

Son adversaire parla de s'amuser et Adam se redressa légèrement sur sa chaise, plus attentif que jamais. "Montre-moi la voie du fun, alors." Ironisa-t-il avec bonne humeur. Face à la proposition de relance ou de terminer là le tour, l'ancien ange but une gorgée de son verre pour gagner un temps de réflexion et réprima une grimace face au goût de la boisson. Non pas que le Martini était 'dégueu' mais parce que la différence de goût était violente pour quelqu'un habitué à la bière. Il reposa son verre, en l'écartant légèrement de lui. En comparaison, monsieur-noeud-pap semblait boire sa propre consommation comme si elle n'était pas plus alcoolisée que de la flotte.

Adam fit la moue en jugeant le tas de jetons. Une lueur d'avidité passa dans son regard. Il était persuadé d'avoir une très bonne main et, s'il avait oublié qu'il ne pouvait rester éternellement à cette table, il se rappelait parfaitement pour quelle raison il avait besoin de cet argent. Il avisa ensuite la pile de ses propres jetons restant. N'était-ce pas l'occasion d'engranger un maximum sur son triple 7 qu'il estimait être largement gagnant ? La moue disparue pour faire revenir son sourire. "Pourquoi pas une dernière relance, avant de faire tapis ?" Et il poussa la moitié de ses jetons restants devant lui. Au pire, pour la prochaine partie, il pourrait convertir également la somme mise de côté pour le repas bidon qu'il était censé préparer à son retour.